2. La prison de production de Dschang (1973-1992)
La référence aux articles 2 et 4 du titre
premier du décret n°73/774 du 11 décembre 1973 portant
régime pénitentiaire au Cameroun permet de mieux
appréhender le concept "prison de production". En effet, l'article 2
dudit décret classait les prisons en quatre catégories :
a) Les prisons centrales d'orientation ou de sélection
;
b) Les prisons de production ;
c) Les prisons-écoles ;
d) Les centres de relégation.
Dans le cas d'espèce, le centre pénitentiaire de
Dschang était classé dans la catégorie des prisons dites
de production. La mission fondamentale des prisons de production est
énoncée à l'article 4 dudit texte :
Les prisons de production permettent aux condamnés de
participer par leur travail à l'effort national de développement.
Elles sont implantées soient à proximité de complexes
économiques importants soit en milieu rural ou les activités
agricoles et
d'élevage peuvent être
menées26.
En réponse à cet objectif, un champ de bananes
aux dimensions modestes était crée à quelques pas de la
prison. Il était cultivé par les détenus eux-mêmes.
Bien que la production ne permettait pas de nourrir la grande partie des
pensionnaires, force est de noter que les fruits de ce champ
pénitentiaire étaient un adjuvant indispensable à la
ration pénale servie aux détenus27. Au Cameroun,
toutes les prisons dites de production obéissaient ainsi à cette
logique de création de champs vivriers. A ce sujet, Jacques Oberlin
Mbock affirme :
25 Entretien avec Christophe Jiofack, 8o ans, planteur, Bafou,
16.01.2010.
26 Article 4 du décret n°73/774 du 11 décembre
1973.
27 Entretien avec Gabriel Tsafack, 89 ans, planteur,
Foréké-Dschang, 19.12.2009.
29
C'est ainsi que pratiquement toutes les prisons de production
ont des champs et des plantations, ce qui permet aux détenus de
s'autoalimenter, allégeant d'autant la charge financière.
Certaines prisons, Buea Farm par exemple, ont même une production
excédentaire qui est écoulée sur le marché
local28 .
3. La prison de principale de Dschang
De nos jours, à la prison de Dschang devenue prison
principale à la faveur du décret n°92/052 du 27 mars 1992,
le champ pénitentiaire existe toujours et joue le rôle de
complément aux besoins alimentaires des pensionnaires. L'article 15 du
décret de 1973 permet de comprendre que : La répartition des
détenus dans les locaux pénitentiaires est effectuée
suivant les règles ci-après :
1. Les prévenus sont séparés des
condamnés ;
2. Les femmes sont rigoureusement séparées des
hommes ;
3. Les cellules sont affectées aux condamnées
à mort, aux détenus soit dangereux, soit punis, ou devant
être maintenus au secret ;
4. Un quartier spécial est réservé aux
mineurs ;
5. Un quartier spécial est réservé aux
condamnés politiques ;
6. Le cas échéant, un quartier spécial
est réservé aux prévenus des forces de maintien de
l'ordre29
Contrairement à cette disposition, le constat
réel est alarmant car la prison de Dschang n'avait pas été
conçue de manière à répondre aux attentes de la
réforme pénitentiaire de 1973. En effet, "les prévenus et
les condamnés n'y sont pas séparés"30. Ce
même constat s'impose en ce qui concerne les mineurs non
séparés des majeurs31, ce qui constitue une violation
des dispositions du texte de 1973. Toutefois, des efforts ont été
faits, comme le témoigne la construction du bâtiment d'extension
de vingt cellules ayant servi à incarcérer les
28 Mbock, "La prison...", 1987, p32.
29 Article 15 du décret n°73/774 du 11
décembre 1973.
30 Rapport de la visite..., p1.
31 Ibid.
30
détenus militaires et politiques il y a une vingtaine
d'années32. Mais aujourd'hui, ce bâtiment est
inoccupé parce que l'administration pénitentiaire estime qu'il
n'est pas de haute sécurité33. Dans le rapport
d'activités de la prison adressé au Ministre de l'Administration
Territoriale en 1991, le régisseur de la prison dresse l'état
alarmant des locaux de la structure qu'il dirige de la manière suivante
:
L'état des locaux est effrayant, désolant. Dans
l'ancienne structure de près de quatre vingt dix ans, les mûrs
faits de briquettes de terre cuite n'offrent plus aucune résistance :
les briques s'enlèvent sans la moindre difficulté ; le liant
utilisé à l'époque a perdu sa fermeté. Dans la
nouvelle structure, la situation est tout autant déchirante ; ici sont
au rendez-vous : malfaçons, défauts architecturaux,
matériaux inadaptés. Les murs sont en parpaings mais de
fabrication anormale. L'humidité aidant tout n'est que
ruine34.
Plus loin, le régisseur conclut en disant : "Sans
cocasserie d'ailleurs, si d'un côté les briques se retirent
aisément, de l'autre un coup de poing suffirait pour défoncer un
mur. Par les temps de pluies, l'eau suinte de partout"35.
Ces propos témoignent de la vétusté des
prisons camerounaises qui sont des "passoires" et favoriseraient des
évasions voire des trafics de toutes sortes, occultant de ce fait l'une
des missions régaliennes de la prison qui est la protection de la
société. Cette obsolescence des structures d'accueil a d'ailleurs
facilité au pénitencier de Dschang en 1975 le commerce illicite
des cigarettes entre détenus. En témoignent les propos ci-dessous
du chef de poste descendant Temateu Fidèle au cours du service de garde
du 06 au 07 janvier 1975 :
Il y a un trou ouvert dans la cuisine de la prison ; par ce
trou s'effectue le trafic des cigarettes et d'autres objets prohibés
entre les cuisiniers et les autres détenus. A ce propos, je souhaite la
fermeture immédiate dudit trou. (Les renseignements venus du chef
cuisinier)36.
32Rapport de la visite, Ibid.
33 Entretien avec Théodore Kigha Kumé, 39 ans,
Régisseur PPD, Dschang, 14.12.2009.
34 Rapport d'activité de la prison de production de
Dschang, Juillet - Août - Septembre 1991,
p 5.
35 Ibid.
36 Guard Book, opened the 09.12.1974, p20.
31
Dans l'ensemble, ces propos confirment et confortent la
thèse selon laquelle les mutations intervenues dans le système
pénitentiaire camerounais ont surtout concerné le cadre juridique
de son fonctionnement et la formation de son personnel, les infrastructures
ayant été laissées en l'état.
|