2. Le personnel médical
C'est un acteur clé de la prison, car de
l'efficacité de son travail dépendent la vie ou la mort des
détenus. Chaque prison doit avoir à sa disposition un personnel
médical en nombre suffisant pour répondre aux besoins de la
population carcérale. Il s'agit donc pour le médecin de la prison
de "surveiller la santé physique et mentale des
détenus"14.
La prison de Dschang depuis 1960 a toujours eu un personnel
médical insuffisant, et de surcroît pas du tout qualifié
pour un suivi médical rassurant des détenus malades. Mais ce
personnel s'occupait à sa manière des détenus
malades15. Les propos suivants de Gabriel Tsafack, ancien
pensionnaire au cours de la décennie 1960 en sont évocateurs :
10 Ce sont des personnes retenues pour "faits de subversion",
donc faute de charges suffisantes justifiant une procédure judiciaire.
De nombreux camerounais étaient assignés à
résidence surveillée dans des CRC-Mantoum, Tcholliré et
autres - au cours de la décennie 1960.
11 Ibrahim Njoya, 48 ans, Mantoum, 17.08.2009
12 Ibid
13 Ngbayou, "Le centre de...", 2004-2005, p.29.
14 Règle 25 alinéa 1 de l'ERMTD.
15 Entretien avec Jean Pierre Kenfack, 67 ans, ex-détenu,
Fongo-Tongo, 20.12.2009.
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Il faut comprendre qu'il y a la prison en prison. On m'avait
arrêté parce qu'on disait que j'étais un maquisard et
étais parmi ceux qui refusaient de respecter les lois du gouvernement
d'Ahidjo. J'étais blessé au pied et ma blessure s'infectait. Nous
étions nombreux et l'aide-soignant de la prison recevait plus de
cinquante personnes pour panser les blessures. Fatigué le plus souvent,
il versait juste une petite quantité de mercurochrome et passait au
suivant. Nous étions comme des animaux dans des enclos. Pourtant si la
prison avait deux ou trois infirmiers beaucoup de camarades allaient être
sauvés de cet enfer.16
On comprend dès lors que le personnel médical de
l'infirmerie de la prison de Dschang a toujours été insuffisant
par rapport à l'effectif de la population carcérale. Pour Isaac
Piedjo, le déficit en matière de couverture sanitaire s'explique
par des contraintes budgétaires. Une telle situation est appelée
à se généraliser à toutes les prisons du territoire
et perdure encore17. De toute façon, il est évident
qu'un tel effectif ne saurait assurer un meilleur encadrement sanitaire
à l'ensemble de la population carcérale, car la priorité
étant en grande partie accordée aux prisons de grande importance
depuis près de quatre décennies18.
A l'opposé, la prison de Mantoum de l'époque du
C.R.C était placée sous la tutelle de la présidence de la
République19 et bénéficiait à cet effet
de la plus grande attention du régime. Bien que l'infirmerie manquait de
personnel qualifié, "ce n'est pas n'importe qui y assumait les fonctions
de l'infirmier : il fallait être à l'origine un homme discret et
réservé, avoir une formation d'infirmier breveté
complétée par un stage au CNFRAP20 de
Buéa"21. Cette
16 Entretien avec Gabriel Tsafack, 89 ans, ex-détenu,
Foréké, 19.12.2009.
17 Isaac Piedjo, 50 ans, infirmier des prisons, Dschang,
06.09.2009.
18 Ibid.
19 Ngbayou, "Le centre de...", 2004-2005, p.64.
20 Signifie Centre National de Formation et Recyclage pour le
personnel d'Encadrement de l'Administration pénitentiaire. Crée
par décret n°73/307 du 21.06.1973, il a pour vocation de former le
personnel de l'administration pénitentiaire. Il a été
remplacé par l'ENAP (Ecole Nationale de l'Administration
Pénitentiaire) créée par décret présidentiel
du 03 Avril 1992.
21 Mama Ndam, 67 ans, ex-gardien du CRC de Mantoum, Mantoum,
25.08.2009.
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vision ne cadre pas toujours avec la réalité,
car le plus souvent, l'infirmier était un détenu qui avait des
connaissances rudimentaires en soins primaires et que la routine rendait apte
à offrir des soins à ses camarades
co-détenus22. De toutes les manières, après
1975, c'est un gardien de prison spécialisé en soins infirmiers
qui tient l'infirmerie de la prison de Mantoum. Mais le contexte
socio-économique de la décennie 1980 lié à la
récession économique a provoqué une dégradation de
la situation sanitaire au Cameroun et l'Etat est devenu incapable de soutenir
les charges sociales. Les prisons en ont pris un sérieux coup et le
pénitencier de Mantoum n'y échappe pas, car le personnel
médical vieillissant allait à la retraite sans
remplacement23. Bref, le personnel médical bien qu'existant
est insuffisant pour offrir des soins adéquats à toute la
population carcérale. Malgré cet état de choses,
l'infirmerie de la prison de Dschang tout comme celle de Mantoum disposent d'un
matériel en soins infirmiers pour les besoins sanitaires des
détenus.
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