Section 2 : analyse critique des politiques de
libéralisation financières :
Le début des années 80 a été
marqué par l'échec des politiques de libéralisation
financière, qui a suscité une critique minutieuse de la part des
opposants à la théorie de Mac Kinnon et Shaw. Cette analyse
critique sera structurée en trois étapes : nous présentons
d'abord une version alternative de l'approche des taux d'intérêt,
nous évoquons ensuite le dualisme entre la finance formelle et la
finance informelle et enfin l'analyse de l'imperfection des marchés
financiers.
I-Une vision alternative de la politique des taux
d'intérêt
Cette approche vise à montrer que, contrairement
à Mac Kinnon (1973) et Shaw (1973), la relation entre les taux
d'intérêt réels, le niveau d'épargne et
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d'investissement n'est pas toujours positif suite à la
libéralisation financière. Dans ce registre, on retrouve les
travaux d'un certain nombre d'auteurs d'inspiration
néo-keynésienne, qui attaquent l'un des points essentiels de la
doctrine financière de Mac Kinnon (1973) et Shaw (1973), selon lequel
l'augmentation des taux d'intérêt serait favorable à
l'épargne, à l'investissement puis à la croissance
économique. Dans la droite ligne de la théorie
keynésienne, l'augmentation du taux d'épargne aura un impact
défavorable sur le multiplicateur keynésien et pénalisera
le niveau d'investissement. Contrairement aux néo-classiques,
l'investissement n'est pas déterminé par le niveau
d'épargne mais plutôt par la demande effective, qui n'est rien
d'autre selon les termes propres de Keynes que le produit attendu qui
dépend de l'anticipation des entrepreneurs. Aussi pour les
keynésiens, l'investissement dépend négativement du taux
d'intérêt. Morisset (1993) montre que l'accroissement des taux
d'intérêt n'améliore pas nécessairement le niveau
d'investissement à moins que les autorités publiques prennent
garde d'assurer que :
(i) les dépôts bancaires soient des substituts
étroits des actifs improductifs ( or) et des actifs étrangers que
des biens capitaux ;
(ii) le secteur financier assure une allocation efficiente du
crédit domestique ;
(iii) le flux du crédit domestique au secteur
privé ne soit pas absorbé par les besoins du secteur public. Il
montre que la libéralisation financière peut accroître les
besoins financiers du secteur public et réduire la quantité de
fonds disponible pour le secteur privé (effet d'éviction).
Selon une étude de Voridis (1993) sur la Grèce,
les taux d'intérêt semblent être positivement
corrélés avec le niveau d'investissement entre 1963 et 1985 qui
correspondent à la période de répression
financière. Solimano (1989) montre à partir des données
trimestrielles que les taux d'intérêt élevés
réduisent le profit qui à son tour abaisse l'investissement
privé au Chili entre 1977 et 1987. Dailami et Giugale (1991) trouvent
que les taux d'intérêt réels affectent négativement
le ratio d'investissement privé au Brésil, en Corée et en
Turquie. Les travaux réalisés par Demetriades et Devreux (1992),
puis Greene et Villanueva (1991) montrent également que le niveau de
l'investissement ne s'est pas amélioré suite à
l'augmentation des taux d'intérêt.
La réaction de l'épargne par rapport au taux
d'intérêt est théoriquement déterminée par
l'arbitrage des agents entre les consommations présente et future, et
est illustrée par deux effets : l'effet de substitution et l'effet
revenu. Cependant, les théoriciens de la libéralisation
financière abordent peu cet aspect ou tranchent très rapidement
en faveur de l'effet de substitution. Pourtant, cette prédominance de
l'effet substitution est sujette à caution du point de vue empirique.
Giovannini (1983, 1985) fournit une évidence
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empirique (dans 18 pays en développement) de la
réaction du niveau d'épargne suite à une modification des
taux d'intérêt. L'estimation du niveau d'épargne en
fonction du taux d'intérêt montre qu'il n'y a pas un impact
positif de la hausse des taux d'intérêt sur le niveau
d'épargne. Aussi, dans le cas du Chili par exemple, Velasco (1988)
montre que malgré l'accroissement important de l'intermédiation
financière dû à la libéralisation financière,
le taux moyen d'épargne chilien est demeuré relativement stable
(10,7% en moyenne sur la période 1974-1983 contre 12,6% entre 1966 et
1973). Même Gupta (1984), qui fait l'apologie de la libéralisation
financière, ne parvient pas à mettre en évidence un impact
positif de la hausse des taux d'intérêt sur l'épargne
agrégée que dans quatre des douze pays qu'il étudie
(Pakistan, Philippines, Sri Lanka et Thaïlande). Comme le souligne
Gonzales-Arrieta (1988), l'augmentation des taux d'intérêt
réels semble affecter de manière inverse l'épargne
financière (c'est-à-dire l'épargne constituée sous
forme d'actifs financiers ou monétaires) et l'épargne globale. En
d'autres termes, la neutralisation réciproque des deux effets (effet de
substitution et effet revenu) expliquerait pourquoi l'on constate
généralement que l'épargne globale demeure
inchangée après la libéralisation financière.
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