Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons( Télécharger le fichier original )par Emeline WYNANTS Université de Liège - Master en histoire 2012 |
0.6. Historiographie.L'historiographie de la Grande Guerre est immense comme nous avons pu le constater. Cela s'avère très complexe de la parcourir intégralement. C'est pourquoi, nous avons dégagé les principales thématiques d'étude reliées au conflit afin de mieux en saisir l'évolution.45(*)Nous ne présentons pas ici de grands ouvrages mais bien les grandes tendances qui ont parcouru le monde historien. Au point de vue thématique, les premières études s'intéressent surtout au déroulement des opérations militaires et à leur échec ou réussite ainsi qu'aux relations diplomatiques entre les belligérants. Suite à l'article 231du traité de Versailles, les années vingt et trente sont marquées par des ouvrages centrés sur la question de la responsabilité de la guerre. En parallèle à ces deux tendances, nous pouvons voir que durant toute l'entre-deux-guerres, les témoignages pullulent et ce sous deux tendances distinctes : d'un côté, ceux qui insistent sur le patriotisme, le dévouement, le courage et l'abnégation des soldats,... d'un autre, ceux qui montrent les soldats perdus au milieu d'une immense misère, contraints par les généraux, souffrant de l'incompétence d'officiers supérieurs, n'ayant aucune haine pour l'ennemi... Dès la fin des années 1960 et ce jusqu'à la fin des années 1980, les historiens commencent à s'interroger sur des thèmes plus variés. C'est pour ainsi dire, la fin des ouvrages globaux, les chercheurs privilégient un point de vue particulier comme Antoine Prost qui choisit de s'intéresser aux anciens combattants dans la société française46(*).A partir de ce moment, plusieurs auteurs considèrent que l'historiographie de la Grande Guerre se scinde en deux : les partisans de la « culture de guerre »47(*) et les partisans de l'imposition de la guerre, c'est-à-dire que la position selon laquelle les soldats n'ont pas eu d'autre choix. C'est aussi le moment de l'élaboration du concept de brutalisation par George Mosse. Ce concept de « brutalisation » fait référence à une guerre de type nouveau, d'une violence inconnue jusqu'alors, qui a transformé en brutes ceux qui y ont participé. 48(*) Dans les années 1990, nous assistons à un renouveau historiographique dû notamment à l'ouverture de nouvelles archives ce qui engendre une multiplication d'ouvrages. Ce renouveau se marque par le colloque international, à Nanterre, organisé par Jean-Jacques Becker et Stéphane Audouin-Rouzeau49(*). Ce renouveau se trouve dans l'affrontement entre l'Historial de Péronne, représenté par les auteurs ci-dessus et soutenant l'idée du consentement à la guerre, et le Collectif de Recherche Internationale et de Débat sur la guerre 1914-1918 (CRID 14-18) pour qui la guerre a été subie et non consentie. 50(*)Les chercheurs deviennent de moins en moins convaincus par le consentement à la guerre. Certes, durant le conflit, les voix ne se sont pas élevées mais avant et après tel était bien le cas. De nouveaux thèmes apparaissent comme la guerre de masse (vu le nombre impressionnant de morts), la psychologie des combattants, l'expérience de guerre pour les prisonniers, les civils, ... .En s'intéressant à des sujets tels que la médecine, l'art ou la littérature, les historiens de l'« École de Péronne » espèrent parvenir à répondre à une question que Jean-Baptiste Duroselle posait en 1994 dans son livre La Grande Guerre des Français : l'incompréhensible : comment ont-ils fait pour tenir?Ce renouveau se marque aussi par l'apport plus grand laissé aux sciences sociales telles que la sociologie ou la sémiotique. Notons qu'une frange non négligeable de l'historiographie consacrée au premier conflit mondial est dédiée à l'économie. Cette partie peut se découper en trois phases : entre 1920 et 1940, les travaux ont tendance à se concentrer sur les politiques économiques officielles des états. Dans les années 1960-1970, les chercheurs analysent l'activité industrielle en fonction des alliances entre les hommes d'affaires, les experts et les officiels civils et militaires. Actuellement, l'historiographie tente de combiner ces deux phases : acquérir une compréhension des économies de guerre en envisageant la répartition des biens et services entre les militaires et les civils. En déplaçant les centres de gravité historiographiques de l'économique et du politique vers le social et le culturel, les historiens de la guerre se sont particulièrement attachés à l'étude des représentations du conflit et des pratiques commémoratives de l'après-guerre.51(*)Les enjeux mémoriels de la Première Guerre Mondiale ne sont donc pas non plus mis de côté. Nous avons déjà parlé des témoignages, mais il existe d'autres éléments. Dans cette partie de l'historiographie, les historiens s'interrogent surtout sur la représentation d'une certaine partie de la guerre dans la mémoire collective, dans le patrimoine monumental,... 52(*) Cela permet également de s'interroger sur les sorties et les conséquences de la guerre. En ne prenant que l'exemple de l'étude des monuments commémoratifs et des cérémonies qui les entourent, nous avons à portée de main une multitude de sujets de mémoire ou de thèse. Les monuments aux morts, le culte du Soldat Inconnu et la commémoration de l'Armistice sont ainsi devenus des thèmes privilégiés de la nouvelle configuration historiographique de la guerre 1914-1918.53(*) De manière générale, nous pouvons dire que l'historiographie de la Première Guerre Mondiale passe de la question des « causes » à la question des « origines ». Au fil du temps, l'historiographie tend à se tourner vers l'histoire culturelle plutôt que militaire ou diplomatique. Cette histoire culturelle, par ses emprunts de plus en plus fréquents à d'autres disciplines, a permis de porter un regard différent sur des aspects méconnus de la vie des gens lors de ce conflit. Remarquons que de plus en plus de projets s'inscrivent dans une démarche plus européenne, les chercheurs ne se contentent plus d'étudier leur propre pays mais tentent d'élargir leur objet au conflit, ses conséquences, son ressenti,.. au sens large. * 45 Cette partie est notamment rédigée à l'aide de : PROST A. et WINTER J., Penser l'histoire de la Grande Guerre. Un essai d'historiographie, Paris, Le Seuil, 2004. VAN YPERSELE L., « Bilan historiographique de la guerre 14-18, in Cahiers du Centre de recherches en histoire du droit et des Institutions, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2005, n°23-24, p. 1-29. JULIEN E., « AÌ propos de l'historiographie française de la première guerre mondiale », Labyrinthe [En ligne], http://labyrinthe.revues.org/217, (Consultée le 10 octobre 2012, dernière mise à jour le 24 juin 2008). Pour ce qui concerne la Belgique, nous renvoyons à : TALLIER P-A. et BOIJEN R., La Belgique et la Première Guerre mondiale. Etat des sources - Etat de la recherche. Actes du colloque des 8 et 9 novembre 2001 au Musée royal de l'Armée, Archives générales du Royaume, Bruxelles, 2002. Ce livre propose notamment des articles sur l'état de la recherche dans les diverses universités belges. * 46PROST A., Les Anciens Combattants et la société française (1914-1939), Paris, Presses de la FNSP, 3 vol., 1977. * 47La « culture de guerre » peut être définie comme le champ de toutes les représentations de la guerre forgées par les contemporains : de toutes les représentations qu'ils se sont données de l'immense épreuve, pendant celle-ci d'abord, après celle-ci ensuite. AUDOUIN-ROUZEAU S. &BECKER A., Violence et consentement : la « culture de guerre » du premier conflit mondial, in RIOUX J.P. &SIRINELLI J.F. (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 252. * 48 Ce concept de brutalisation est développé dans : MOSSE G., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, Paris, 1999. * 49BECKER J-J. et AUDOIN-ROUZEAU S. (Dir.) Les Sociétés européennes et la guerre de 1914-1918 : actes du colloque organisé à Nanterre et à Amiens du 8 au 11 décembre 1988. Nanterre, Publications de l'Université de Nanterre, 1990. * 50 Parmi les auteurs du CRID, nous pouvons citer RÉMY CAZALS. Il a notamment écrit: 14-18, le cri d'une génération, Paris, Privat, 2003 ainsi que « Si je reviens comme je l'espère »: lettres du front et de l'arrière, 1914-1918, Grasset, 2003. * 51BECKER J-J., KRUMEICH G, WINTER J., BECKER A. et Audoin-Rouzeau S., Guerre et Cultures, 1914-1918, Paris, Colin, 1994, p.187 ; HEATHORN S., « The Mnemonic Turn in the Cultural Historiography of Britain's Great War », in The Historical Journal, vol.48, n°4, 2005, p. 1103-1124. * 52 Citons par exemple pour le patrimoine monumental : BECKER Annette, Les monuments aux morts: patrimoine et mémoire de la GrandeGuerre, Paris, Errance, 1990. * 53 Voir, entre autres, à ce sujet : GREGORY A., The Silence of Memory. Armistice Day 1919-1946, Oxford/ Providence, BERG, 1994; INGLIS K.J.,« Entombing Unknown Soldiers », History and Memory, vol. 5, n°2, 1993, 7-31; BECKER A., Les Monuments aux morts. Mémoire de la Grande Guerre, Paris, Errance, 1988 ; WINTER J., Sites of Memory, Sites of Mourning.The Great War in European Cultural History, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; SHERMAN D., The Construction of Memory in Interwar France, Chicago, Chicago University Press, 1994 ; BIEVEZ E., La mémoire de la GrandeGuerre à travers les monuments aux morts dans les communes de Huy, Tihange et Ben-Ahin, Mémoire de licence en histoire, inédit, Louvain-La-Neuve, 2003. ; BUVÉ A., Les vitraux commémorant les guerres mondiales du XXeme siècle en Belgique: images de verres et de mémoire, Mémoire de licence en Histoire, inédit, Louvain-la-Neuve, année académique 2008-2009 ; CLAISSE S., Ils ont bien mérité de la patrie! Monuments aux soldats et aux civils belges de la Grande Guerre, mémoire(s) et reconnaissance (1918-1924), Thèse de doctorat en Histoire, inédit, Louvain-la-Neuve, année académique 2005-2006 ; CLAISSE S., Les monuments aux morts de la grande Guerre dans les communes d'Etalle, Habay-la-Neuve et Tintigny, Mémoire de licence en Histoire, inédit, Louvain-la-Neuve, année académique 1998-1999 ; DANIERE K., Les monuments aux morts de la Grande Guerre, Mémoire de licence en Histoire, inédit, Université Louis Lumière Lyon 2, année académique 1995-1996 ; DUBOIS Y., Les monuments commémoratifs de la grande guerre en province de Liège, Mémoire de licence en Histoire de l'art et archéologie, inédit, Liège, année académique 2010-2011 ; ERGEN N., La mémoire de la Grande Guerre à travers les monuments aux morts dans les communes d'Ans, Awans et Saint-Nicolas, Mémoire de licence en Histoire, inédit, Louvain-la-Neuve, année académique 2000-2001 ; GUILITTE A., Les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 dans les communes du grand Namur (1919-1932), Mémoire de licence en Histoire, inédit, Louvain-la-Neuve, année académique 1986-1987 ; ... |
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