Les commémorations du 11 novembre en Belgique francophone pendant l'entre-deux-guerres. Les cas de Bruxelles, Liège et Mons( Télécharger le fichier original )par Emeline WYNANTS Université de Liège - Master en histoire 2012 |
Conclusion.Dans notre introduction, plusieurs questions avaient été posées. Au terme de ce mémoire, nous souhaitons à présent y répondre. 1. Qu'est-ce qu'une commémoration ? Quels sont ses objectifs? Une commémoration est une cérémonie officielle organisée pour conserver la conscience nationale d'un évènement de l'histoire collective et servir d'exemple et de modèle. Par cette commémoration de l'Armistice, le peuple belge veut se souvenir de tous ses morts, de ses libérateurs si nous prenons l'exemple de la ville de Mons mais aussi d'une victoire à laquelle il a participé. L'objectif de cette commémoration n'est autre que le souvenir. En effet, les démonstrations de joie, les divertissements sont présents mais dans un deuxième temps. La matinée - véritablement instant de la commémoration- est entièrement tournée vers le deuil, le souvenir, la reconnaissance. A travers ces commémorations, le peuple belge tentait par ailleurs de retrouver l'union nationale qui l'avait caractérisée pendant ces quatre années de guerre mais qui, très vite, avait disparue face aux difficultés de la reconstruction et face aux problèmes linguistiques. 2. Quels étaient les sentiments de la population face à ces commémorations ? Pouvons-nous étendre la notion de « devoir de mémoire » aux pratiques commémoratives de l'entre-deux-guerres ? Après la joie et la tristesse liées, dans la victoire, au moment de l'armistice, la tristesse a pris le pas. Désormais, la victoire de 1918 sera associée au chagrin et à la douleur. L'euphorie de la victoire a progressivement disparu sous le poids du deuil de l'immédiat après-guerre. Dès 1919, il apparaît clairement que les intentions commémoratives des célébrations sont forgées par l'expérience de la guerre. Elles imposent des cérémonies qui associent triomphe et marche funèbre et honorent un sacrifice patriotique consenti pour une guerre défensive et considérée comme juste. Ces cérémonies expriment une communion nationale qui n'est plus que commémorative et figée dans l'image sacralisée du héros victime de la guerre. La commémoration de l'Armistice est, comme nous l'avons vu, l'expression même de la volonté d'une Nation qui veut se souvenir et qui porte le deuil d'un événement qui l'a touché au plus profond d'elle-même. La jeunesse de cette célébration lui permet de se moduler en fonction des fluctuations des sentiments de la société. Entre 1922 et 1932, les sentiments principaux liés à cette commémoration sont la victoire qui dès le début de cette période, est perçue comme décevante, le respect des Morts pour la Patrie et le patriotisme. Entre 1933 et 1939, le sens de la célébration change quelque peu. En effet, la notion de souvenir reste primordial mais celle de victoire notamment tend à disparaître au profit de l'union qui l'avait permise. A cette époque, le 11 novembre commence à s'articuler beaucoup plus autour des morts et de leur nombre, en faisant le prolongement de la Toussaint. De plus, ces six années sont marquées par une manifestation de la confiance populaire envers la monarchie. De manière générale, nous pouvons dire que l'Armistice est utilisée, par la presse, pour se remémorer une époque bénie où presque tous les Belges étaient unis dans un même élan de patriotisme. Ce patriotisme est l'une des valeurs que la presse met en avant afin de créer une identité belge basée sur les faits de guerre, le culte des morts, l'union et l'amour de la Patrie. Au total, un décalage s'est opéré entre d'une part, la désunion politique et les désillusions ressenties, et d'autre part, la mise en récit par les célébrations et les commémorations d'une expérience de guerre vecteur d'union. Au niveau du « devoir de mémoire », nous avons pu constater que le désir de saluer la mémoire de ceux qui sont morts ou qui se sont battus pour que la Patrie soit à nouveau libre et en paix ressortait incontestablement. Bien qu'il ne soit pas explicitement désigné par les vocables « devoir de mémoire », nous avons fait remarquer que la nécessité du souvenir et du culte des morts étaient véritablement exprimée. C'est pourquoi, nous pensons qu'il est possible d'appliquer cette notion aux pratiques commémoratives de l'entre-deux-guerres. 3. Comment se sont-elles déroulées? Pouvons-nous parler de ritualisation ? Quand la ritualisation apparait-elle ? Comme nous l'avons dit précédemment, les commémorations du 11 novembre sont particulièrement bien orchestrées. Dans un premier temps, une messe avait lieu en la collégiale Sainte-Gudule. Vers 10h, les différentes fraternelles d'Anciens Combattants ainsi que les associations patriotiques arrivent au Soldat Inconnu. A 10h30, ce sont les représentants des institutions publiques qui font leur arrivée. Avec l'arrivée du Roi et de la Reine à 11h, c'est la minute de silence, annoncée par un premier coup de canon, qui débute. Lorsque les vingt-un coups de canon ont été tirés, le Roi quitte le square, laissant les représentants du gouvernement, de l'armée, de la ville et puis les associations patriotiques et la foule procéder au dépôt des gerbes de fleurs. Dès 1927, la cérémonie se poursuit, vers 11h45, par le même hommage rendu au Poilu Inconnu de Laeken - à la différence que la foule y est moins nombreuse et qu'il n'y a pas de coups de canon-. Le midi et l'après-midi sont dédiées à des sociabilités entre Anciens Combattants tels qu'un déjeuner, un thé ou encore un bal. En 1929, une nouvelle phase de la commémoration voit le jour. Il s'agit du Relais Sacré qui débute dans les alentours du 9 novembre pour converger le 11 novembre à 8h30, à Bruxelles. Sur place, les flambeaux rendent d'abord hommage aux valeureux combattants de 1870 avant d'aller monter une garde de quinze minutes sur la tombe du Soldat Inconnu. Si nous pouvons bel et bien parler d'une ritualisation, nous avons démontré qu'il est très difficile de savoir à partir de quel moment, les commémorations ont commencé à être perçues comme des traditions, des rites. Chaque journal perçoit qu'une tradition s'installe mais surtout, que chacun la fait débuter à un moment différent. La première mention d'une tradition est en 1925 par La Libre Belgique, les autres journaux suivent le mouvement dès les années suivantes. Nous pouvons donc dire qu'après seulement deux années supplémentaires - en 1922, la première célébration du 11 novembre a lieu- les pratiques commémoratives sont qualifiées d'habituelles. 4. Outre ces commémorations, qu'a fait la Belgique pour ses Anciens Combattants ? Ce point n'a pas été particulièrement développé tout au long de ce mémoire. Afin de répondre à cette question, il aura fallu se reporter à notre première annexe. Nous avons ainsi pu montrer qu'outre les commémorations du 11 novembre qui tendent à mettre les Anciens Combattants à l'honneur, l'Etat belge a procédé à diverses mesures allant également dans ce sens. Que ce soit des décorations, des diplômes, des pensions,... l'Ancien Combattant, le déporté économique, les veuves et orphelins, ... toutes les victimes de la guerre ne sont pas délaissées en Belgique bien que le sentiment présent dans la presse, à l'occasion de l'Armistice, laissent entendre le contraire. D'années en années, de nouvelles revendications voient le jour afin de soulager la misère de tout ceux qui ont perdu quelques choses à la guerre - la jeunesse, la santé, un père, un enfant, un mari-. Par ces gestes, la Nation Belge témoigne de sa reconnaissance et accorde une place considérable aux Anciens Combattants et aux Associations issues de la guerre. 5. Le contexte national et international tend-il à prendre plus d'importance que le 11 novembre ? Si pour quelques années - 1922, 1924, 1928, 1929, 1930 et 1938-, les commémorations du 11 novembre font les gros titres, elles ont tendance à passer au second plan pour le reste de l'entre-deux-guerres. Cela s'explique d'une part par les tentatives de paix universelle, de désarmement qui ponctuent les années 20 et 30, d'autre part par la menace d'une nouvelle guerre qui se fait de plus en plus pressante. De plus, la ritualisation peut également expliquer ce changement d'importance. En effet, si dans les premières années, l'attrait de la nouveauté engendre une première place au sein des préoccupations nationales, la ritualisation et le recommencement annuel engendrent, quant à eux, une certaine lassitude qui relègue les comptes rendus des commémorations, au second plan. 6. Quels étaient alors les personnages marquants lors de ces commémorations? Les premiers protagonistes sont les Anciens Combattants, véritables moteurs de cette commémoration puisqu'ils sont les organisateurs des cérémonies. Viennent, ensuite, la famille royale - principalement Albert 1e et Elisabeth pour leur rôle durant le conflit- et le gouvernement - principalement le Premier Ministre et le ministre de la Défense Nationale-. La seule figure identifiée et identique pourl'ensemble de la période étudiée n'est autre que le bourgmestre de la ville de Bruxelles : Adolphe Max. Personnage emblématique du premier conflit, il s'est aussi démené pour en arriver à ces commémorations. C'est ce qui explique sa place primordiale ainsi que l'ampleur que prend sa mort en novembre 1939. Les commémorations de l'Armistice sont, pour ainsi dire, inexistantes par rapport aux articles et témoignages destinés à cette figure capitale. L'Armistice est une fête qui met l'accent sur la jeunesse, en l'impliquant dans le rituel ainsi qu'en rappelant sans cesse les tragédies pour qu'ils en prennent conscience et éviter que cela se reproduise. Quant à la foule, nous n'avons presque rien à en dire. En effet, si sa présence est révélée chaque année, n'ayant aucune information numérique, il ne nous a pas été possible d'analyser l'affluence annuelle de ces célébrations. 7. Pourquoi les villes de Liège et de Mons sont-elles mises en avant ? La dernière section de ce mémoire a répondu à cette question. Outre les combats importants qui ont eu lieu dans ces villes - la défense des forts de Liège lors de la première quinzaine d'août 1914, le 23 août 1914 et le 11 novembre 1918 à Mons-, ces villes ont développé des pratiques commémoratives particulières. Liège possède la particularité de procéder à un cortège d'automobile-réclame alors que Mons entretient chaque année son amitié avec les troupes britanniques et canadiennes qui sont intervenues sur son territoire durant le conflit. Il est intéressant de constater que d'autres villes importantes durant le conflit telles que Namur, Anvers ou Ypres n'ont pas une couverture médiatique aussi important, probablement car elles n'ont pas développé de pratiques commémoratives individuelles. Du côté flamand, l'hommage aux Morts pour la Patrie est, dès les premières années de l'entre-deux-guerres, réalisé lors de la commémoration de la bataille de l'Yser695(*). C'est pourquoi, notre étude s'est bornée à l'étude des commémorations nationales de Bruxelles ainsi que celles de Liège et de Mons. Enfin, le phénomène commémoratif est un enjeu socio-politique et le lieu d'expression des pouvoirs et tensions vécues au sein de la société. Le pouvoir rassembleur ou diviseur de la mémoire et de ses manifestations en fait un instrument privilégié de construction identitaire. Toutefois, les tensions, aspirations, luttes de pouvoirs et besoin de définition et de construction transcendent chacune des composantes de la société, qu'elle soit individuelle, collective ou nationale. La commémoration émane donc de l'amalgame de ces composantes. Plus que le simple reflet de l'identité nationale, elle est un fait collectif et doit être comprise comme telle. Si au cours des ans, la signification de ces cérémonies tend à rester plus ou moins similaire, nous avons montré qu'elles s'insèrent dans des périodes idéologiques bien distinctes. Il serait opportun de poursuivre cette recherche par l'étude de cette cérémonie jusqu'à nos jours afin de déterminer à partir de quel moment, elle tombe en désuétude. Nous pourrions aussi faire une étude comparative avec les fêtes du 8 mai pour voir si les pratiques étaient innovantes ou de simples imitations des pratiques commémoratives élaborées durant l'entre-deux-guerres. * 695 Constatation résultant du dépouillement de De Schelde et Volk en Staat. L'histoire de ce pèlerinage commence en 1920. La première guerre mondiale est à peine terminée. Plusieurs militants flamands veulent rendre hommage à l'un des leaders du front flamand, Joe English, dessinateur et soldat. Il avait illustré la vie des soldats flamands sur le front. L'hommage se fera sur sa tombe. Le premier comité se bat et obtient une parcelle pour plusieurs tombes de soldats. Puis, viendra la Tour de l'Yser, en fait une énorme croix de béton en forme de tour. Très vite, le pèlerinage a lieu en août, le dernier dimanche. Il est à noter que dès 2013, le pèlerinage de l'Yser aura lieu le 11 novembre. RTBF, « Le pèlerinage de l'Yser aura lieu le 11 novembre, dès 2013 », {en ligne : http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-pelerinage-de-l-yser-aura-lieu-le-11-novembre-des-2013?id=7757726 }, (page consultée le 30 juillet 2013, dernière mise à jour le 2 mai 2012). |
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