La coopération sécuritaire dans le golfe de Guinée à l'épreuve de la criminalité transfrontalière. Etat des lieux et esquisse de solution( Télécharger le fichier original )par Vernuy Eric SUYRU Université de Yaoundé II Cameroun - Master en relations internationales, option intégration régionale et management des institutions communautaires 2011 |
III. PROBLÉMATIQUE- Définition des concepts opératoires Toute étude scientifique à l'instar de celle qui retient notre attention nécessite, pour une meilleure saisie de son sens et de sa signification, une analyse des concepts qui la structurent. Etant donné que les concepts sont généralement le produit d'un contexte socio-historique, c'est-à-dire d'un lieu, d'une époque et d'acteurs déterminés, il nous semble fondamental non pas de les définir littéralement en leur donnant un sens commun, mais de les expliciter en les situant dans notre contexte d'étude. Dans cette optique, notre sujet intitulé La coopération sécuritaire face au défi de la criminalité transfrontalière dans le golfe de Guinée : état des lieux et esquisse de solution, mérite pour sa bonne compréhension que l'on s'appesantisse sur l'analyse de quelques concepts opératoires et expressions clés. Coopération sécuritaire : Cerner cette expression revient à appréhender d'abord le concept de coopération avant d'analyser l'épithète sécuritaire. Le concept de coopération peut essentiellement revêtir deux sens. Le premier désigne pour un acteur A l'action d'agir conjointement avec un acteur B. Le résultat de cette action conjointe aboutit généralement à des gains mutuels. Le second renvoie à la politique d'échanges et d'actions conjointes dans divers domaines d'ordre politique, économique, social, culturel, sportif, technique... entre divers acteurs étatiques ou infra-étatiques12(*). La coopération revêt généralement le caractère bilatéral lorsqu'elle concerne uniquement deux Etats, ou multilatéral lorsqu'elle lie un Etat aux autres au sein d'une organisation intergouvernementale. En tout état de cause, la coopération suppose un accord de volonté de deux ou plusieurs acteurs de la société internationale sur un ou plusieurs domaines précis afin d'en tirer des bénéfices mutuels. L'épithète sécuritaire désigne le caractère de cette coopération. En effet, selon la perspective hobbesienne de la science politique classique, « la sécurité est au coeur de l'existence de tout Etat. La stratégie de sécurité nationale a pour objectif de parer aux risques et menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de chaque nation »13(*). C'est dire la nature régalienne de cette coopération. Au regard de ce qui précède, la coopération sécuritaire renvoie à la politique d'échanges et d'actions conjointes dans le domaine de la sécurité et de la défense entre Etats. Elle prend très souvent des formes technique, logistique ou informationnelle. Elle se matérialise par des accords qui sont des arrangements entre deux ou plusieurs Etats « proches par leurs idées ou leurs sentiments »14(*) et désireux de collaborer dans le domaine sécuritaire. En d'autres termes, la coopération sécuritaire a pour objectif de parer aux risques et menaces susceptibles de porter sensiblement atteinte à l'intégrité territoriale, à la stabilité politique, à la viabilité économique et à la sécurité des populations de chacun des Etats parties. Ainsi cet accord peut être perçu comme « un engagement d'alliance militaire, un regroupement d'intérêts politique ou économique ou tout simplement un contrat convenu par un accord de volontés ».15(*) Stratégiquement, la coopération sécuritaire englobe non seulement l'assistance militaire technique, mais également des actions de coopération ponctuelles matérialisées par des accords de défense, d'assistance mutuelle et de non-agression qui créent entre les Etats des liens plus étroits. Plus qu'une simple alliance militaire, la coopération sécuritaire entraine une certaine harmonisation de la vie diplomatique des Etats parties et même généralement l'existence d'institutions politiques communes.16(*) Ce qui donne souvent lieu à la mise en place d'un système de sécurité homogène efficace composé de l'armée, de la gendarmerie, de la police, de l'appareil judiciaire et pénitentiaire et de l'administration gouvernementale au sein de chaque Etat. Golfe de Guinée : Le golfe de Guinée peut être appréhendé comme « une sous région dont les contours réels et définitifs sont difficiles à saisir »17(*). Le Golfe de Guinée apparaît de ce fait comme un concept géographique et géopolitique encore flou. Dès lors, nous allons l'appréhender sous deux conceptions distinctes mais complémentaires : - Dans sa dimension historique et géoculturelle, le golfe de Guinée correspondait à l'ancienne « côte des esclaves »18(*) qui s'étendait des cotes littorales de l'actuelle Côte-d'Ivoire au Delta du Niger au Nigeria. Aujourd'hui, cette région peut être considérée comme « la façade côtière atlantique allant du Sénégal à l'Angola »19(*) où vivent actuellement une mosaïque de peuples issus des civilisations bantou et sahélienne, pratiquant les religions chrétienne, musulmane et animiste, et repartis dans divers Etats issus de la colonisation anglaise (Nigéria), belge (RDC), espagnole (Guinée Equatoriale), française (Gabon) et portugaise (Angola). C'est dire que cet espace représente un arc-en-ciel de civilisations, d'où sa riche diversité culturelle. - Concernant sa dimension politico-institutionnelle (conception retenue dans le cadre de cette étude), le golfe de Guinée s'identifie d'abord au domaine maritime des huit Etats membres et observateurs de la Commission du Golfe de Guinée (CGG)20(*) créée les 18 et 19 novembre 1999 à Libreville. Cependant, avec la découverte de nombreuses ressources naturelles au sein des Etats voisins de l'hinterland à ceux de la CGG à partir de la décennie 90, cette sous région réalise désormais la synthèse des Etats de l'Afrique occidentale et centrale ayant une ouverture réelle ou fictive sur l'océan Atlantique. D'où la présente recherche a été étendue au Tchad, à la RCA et même au Niger. In fine, ses nombreuses richesses et sa position géostratégique font du golfe de Guinée un espace de compétition où, face au foisonnement des activités illicites, les Etats s'organisent pour sa sécurisation. Criminalité transfrontalière : Pour saisir le sens de cette expression, il convient d'abord d'appréhender la signification des notions de crime et de criminalité. En droit pénal, un crime se définit comme « une infraction de droit commun ou infraction politique, sanctionnée, pour les personnes physiques, de la réclusion ou de la détention à perpétuité ou à temps, voire d'une peine d'amende et de peines complémentaires, et, pour les personnes morales, de l'amende et, dans les cas prévus par la loi, de peines privatives ou restrictives de droits ».21(*) La criminalité quant à elle renvoie à l' « ensemble des infractions à la loi pénale commises pendant une période de référence (en général l'année) dans un pays déterminé. On distingue la criminalité légale (ensemble des infractions sanctionnées par les juridictions légales), la criminalité apparente (ensemble des faits apparemment constitutifs d'infractions connus des autorités publiques), la criminalité réelle (ensemble des infractions commises, en incluant, par une évaluation, celles demeurées inconnues) ».22(*) Au regard de ce qui précède, la criminalité renvoie à l'ensemble des infractions de toute nature, punies par les lois en vigueur, se produisant dans un territoire donné au cours d'une période déterminée. Elle épouse diverses formes allant du vol en bandes organisées à la piraterie maritime en passant par le trafic de drogues et autres stupéfiants, d'organes et ossements humains ainsi que le commerce illégal des matières premières. La particularité de ce phénomène est qu'elle s'opère de part et d'autre des frontières nationales de plusieurs Etats. D'où son caractère transfrontalier du fait de la mondialisation qui a favorisé le phénomène et l'a fortement amplifié. En effet, la porosité des frontières nationales, la libre circulation et le blanchiment des capitaux ainsi que la déréglementation tous azimuts ont favorisé l'émergence d'une économie parallèle où s'échangent illégalement des biens licites et d'un marché illégal pour l'échange des biens illégaux23(*). Il convient de noter que ce phénomène s'organise autour de groupes structurés en réseaux à travers les frontières étatiques des divers Etats du golfe de Guinée. Ainsi, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée signée par 124 Etats le 15 décembre 2000 définit l'expression groupe organisé comme un groupe structuré de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre. De cette définition, les experts en tirent quatre principaux traits caractéristiques : le caractère permanent et organisé du groupe, la recherche du profit et ou du pouvoir, le recours à la violence, à la peur, à l'influence et la corruption au-delà des frontières et la spécialisation dans des activités illégales à dimension transnationale. Dans la région du golfe de Guinée ces groupes se sont constitués autour des diasporas camerounaise, congolaise, nigériane... - Question de recherche Selon le Bureau maritime International (BMI), le golfe de Guinée fait désormais partie des trois zones de piraterie dans le monde, avec le golfe d'Aden et le Sud-est asiatique24(*). Même si l'attention médiatique et politique de la communauté internationale reste encore focalisée sur les côtes somaliennes, considérées comme l'épicentre de la piraterie maritime dans le monde25(*), il convient de relever que le centre de la criminalité maritime et terrestre semble de plus en plus se déplacer vers le golfe de Guinée, du fait de l'abondance des ressources offshore dans ses eaux et de la professionnalisation accrue des agents vecteurs de ce phénomène. En effet, le golfe de Guinée « perd annuellement environ un million de dollar de revenu à cause de la pêche illégale ; 60% du trafic des êtres humains se passe en Afrique Subsaharienne selon les Nations Unies ; le déplacement illicite du pétrole dans le Delta du Niger vaut trois millions de dollars par jour selon Human Rights Watch organisation ; un quart de la cocaïne consommée en Europe passe par l'Afrique de l'Ouest selon l'Office des drogues et des crimes des Nations Unies ; la piraterie mondiale a augmenté de 10% en 2007, cette augmentation étant directement attribuée aux attaques en Afrique. »26(*) Concernant ce dernier volet, le BMI a recensé 53 actes de piraterie et de vol à main armée dans le golfe de Guinée en 201127(*). De plus, la région comprise entre le Delta du Niger au Nigéria28(*) et la Zone D des eaux maritimes des Etats du golfe de Guinée membres de la CEEAC29(*) semble être la plus touchée par ce phénomène. Tandis que les confins transfrontaliers RCA-Tchad-Cameroun constituent un véritable « triangle de la mort »30(*) du fait de l'insécurité galopante qui y sévit. Et ce, malgré l'existence d'initiatives de coopération sécuritaire en vue d'y remédier dans le golfe de Guinée. De ce qui précède, notre étude est portée par une intention noble, une volonté de compréhension et d'élucidation du réel. Celle de rendre intelligible les enjeux et surtout les défis, ainsi que les perspectives de la coopération sécuritaire face au foisonnement des actes de criminalité transfrontalière dans le golfe de Guinée. Ainsi, la question qu'il convient de se poser est celle de savoir : comment renforcer la coopération sécuritaire au regard de l'enracinement et de la recrudescence des pratiques de criminalité transfrontalière dans le golfe de Guinée ? - Délimitation spatio-temporelle du sujet Délimiter un sujet consiste à circonscrire de façon précise et explicite ses frontières, c'est-à-dire décider de ce qui fait partie ou non du sujet, dans toutes ses dimensions, en justifiant clairement les choix effectués. Aussi, notre étude prend-elle en compte les décennies allant des années 1970 aux années 2010. Décennies au cours desquelles le golfe de Guinée a fait l'objet d'une invasion d'attaques et d'actes d'origine criminelle de toute sorte, tant au niveau de ses cotes maritimes qu'au niveau de son espace terrestre, créant de ce fait un climat d'insécurité généralisée dans la région. Période également au cours de laquelle des initiatives diverses d'origine endogène et exogène ont vu le jour dans l'optique de sécuriser cet espace géostratégique. De même, cette étude va couvrir l'ensemble des Etats identifiés comme faisant partie du golfe de Guinée, membres ou non de la CGG. Toutefois, un accent particulier sera mis sur l'interaction des dynamiques criminelle et sécuritaire au sein de la zone maritime commune au Cameroun, au Gabon, à la Guinée-Equatoriale, au Nigéria et à Sao-Tomé et Principe. Les eaux territoriales partagées par ces Etats constituent en effet l'épicentre de la piraterie maritime dans le golfe de Guinée. Les espaces terrestres prendront, quant à eux, en compte les espaces transfrontaliers considérés comme le « triangle de la mort »31(*) et les territoires du Nord-Nigéria et de la RDC, zones de prédilection où s'opérationnalisent les pratiques criminelles et illicites de diverse nature. * 12 C'est dans ce sens que l'on parle souvent de coopération internationale décentralisée. * 13 Aicha PEMBOURA, « Le processus de formation de la culture stratégique camerounaise : Entre extraversion et introversion », in Bulletin du CREPS, N° 001, Janvier 2012, PP. 15-17 * 14 Hassan NJIFON NJOYA, « Les défis sécuritaires de la coopération militaire au Cameroun », in Bulletin du CREPS, op.cit. , PP.18-19 * 15 Idem. PP. 18-19 * 16 Ibid. * 17 AWOUMOU Côme Damien Georges, « Le Golfe de Guinée face aux convoitises », op.cit. * 18 International crisis Group, Le golfe de Guinée : la nouvelle zone à haut risque, op.cit., p.2 * 19 Idem, p.2 * 20 Il s'agit de : Angola, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée-Equatoriale, Nigéria, RDC et Sao-Tomé et Principe. * 21 Raymond GUILLIEN et al, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 14ème édition, 2003, p.180 * 22 Idem, p.181 * 23 Joseph Vincent NTUDA EBODE, « L'insécurité transfrontalière dans la zone RCA-Tchad-Cameroun et l'initiative tripartite », in Joseph Vincent NTUDA EBODE (sous la direction de), Terrorisme et Piraterie. De nouveaux défis sécuritaires en Afrique Centrale, op.cit. * 24 Sources : www.icc-ccs.org/piracy-reporting-centre/live-piracy-map. * 25 En effet, environ 28000 bateaux, soit 40% du transport maritime mondial, traversent les eaux somaliennes chaque année. Et, selon les statistiques du BMI, 237 attaques dont 28 détournements ont réussi, ont été recensées contre les navires en 2011. Voir Annexe E du rapport Afrique d'International Crisis Group, Le golfe de Guinée : la nouvelle zone à haut risque, op.cit. * 26 NDOUTOUME NGOME Jonathan, « Terrorisme et piraterie : quelle sécurité pour les mers du Golfe de Guinée », in Joseph Vincent NTUDA EBODE (sous la direction de), op.cit., p.176 * 27 «Report for the period 1 january-31 December 2011», disponible sur www.icc-ccs.org, op.cit. * 28 Selon le BMI, le nombre d'attaques et de tentatives de piraterie au large des cotes nigérianes entre 2006 et 2009, période de l'insurrection du Delta du Niger. Si on en comptait 12 en 2006, ce chiffre a cru en 2007 pour atteindre 42 et se stabilisé en 2008 autour de 40. * 29 En 2009 par exemple, 39 attaques ont été signalées aux larges des cotes camerounaises, sans compter les attaques spectaculaires qui ont frappé les intérêts équato-guinéens, gabonais et santoméens durant cette période. * 30 Joseph Vincent NTUDA EBODE, « l'insécurité transfrontalière dans la zone RCA-Tchad-Cameroun et l'initiative tripartite », in Joseph Vincent NTUDA EBODE (sous la direction de), op.cit. * 31 « Le triangle de la mort » renvoie aux frontières communes du Tchad, du Cameroun et de la RCA où le phénomène des coupeurs de route s'est enraciné et transformant ainsi cette zone en espace dangereux. Voir Joseph Vincent NTUDA EBODE, « L'insécurité transfrontalière dans la zone RCA-Tchad-Cameroun et l'initiative tripartite », in Joseph Vincent NTUDA EBODE (sous la direction de), Terrorisme et Piraterie. De nouveaux défis sécuritaires en Afrique Centrale, op.cit. |
|