La coopération sécuritaire dans le golfe de Guinée à l'épreuve de la criminalité transfrontalière. Etat des lieux et esquisse de solution( Télécharger le fichier original )par Vernuy Eric SUYRU Université de Yaoundé II Cameroun - Master en relations internationales, option intégration régionale et management des institutions communautaires 2011 |
CHAPITRE II : L'INADÉQUATION DES INITIATIVES ACTUELLES DE LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ TRANSFRONTALIÈRE DANS LE GOLFE DE GUINÉE.Avec l'enracinement durable des actes du phénomène de la criminalité transfrontalière dans les espaces transfrontaliers terrestres et maritimes dans le golfe de Guinée, cette région s'est criminalisée. De sorte qu'il n'existe plus d'Etat, plus de zone transfrontalière dans cette région qui ne soit en proie à ce phénomène. Aussi, pour y remédier, un ensemble de mesures vont-elles être mises en oeuvre par divers acteurs institutionnels97(*)originaires ou ayant intérêt dans la région. Cependant, celles-ci vont s'avérer être inadéquates, c'est-à-dire inadaptées et inappropriées pour pouvoir contenir, endiguer et éradiquer le phénomène de la criminalité qui s'est répandu dans cet espace géographique. Cette inadéquation trouve ses fondements essentiellement dans la présence de « nombreuses pesanteurs inhérentes à la géopolitique régionale, aux égoïsmes nationaux et des facteurs externes » 98(*) qui rendent toute initiative de coopération problématique. Leur décryptage s'impose dès lors pour évaluer les différentes initiatives, solitaires ou concertées, de sécurisation de flux transfrontaliers autour et au sein de la région du golfe de Guinée mises en oeuvre jusqu'ici. Pour ce faire, le présent chapitre va s'évertuer à décrypter l'inadéquation des mesures actuelles de sécurisation de la région. De ce fait, il sera question d'analyser les limites des options souverainistes de lutte contre la criminalité (section I), tout en s'attelant à souligner les défauts inhérents aux initiatives concertées de sécurisation des espaces transfrontaliers, comme moyen de prévention et de lutte contre ce phénomènes (section II). SECTION I : LES LIMITES DES INITIATIVES SOUVERAINISTES DE LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ DANS LE GOLFE DE GUINÉEAyant progressivement pris conscience de la menace et du danger que représentent désormais les actes de criminalité sur leurs économies et pour la stabilité politique de leurs régimes respectifs, les Etats du golfe de Guinée vont pour la plupart appréhender la lutte contre ce phénomène sous le prisme de la défense et de la sécurité nationales. Minimisant la portée transfrontalière et régionale de ce phénomène, ces Etats vont dès lors, et par égoïsme national, opter chacun pour une approche souverainiste exclusive pour l'éradiquer ; c'est-à-dire apporter des solutions exclusivement nationales dictées par des impératifs de sécurité intérieure. C'est ainsi que, par cette erreur de vision stratégique, les politiques solitaires nationales de sécurisation des zones frontalières qui vont être mises en oeuvre connaitront un échec (paragraphe I). Cet échec va engendrer, sous l'épreuve des faits et la contrainte des difficultés, la conclusion d'accords bilatéraux, de nature endogène et exogène, qui présenteront également des limites opérationnelles dans l'atteinte des objectifs escomptés (paragraphe II). Paragraphe I : L'échec des politiques solitaires nationales de sécurisation des zones frontalières dans le golfe de Guinée« Parce qu'elles correspondent à des histoires et à des identités nationales et qu'elles sont associées à la souveraineté, les frontières constituent des enjeux symboliques et politiques importants dans les relations internationales. (...)Le contrôle des frontières est depuis longtemps une activité fondamentale des Etats dont la défense et la régulation économique constituent les aspects les plus classiques. »99(*) Si telle qu'elle est définie ci-dessus, la frontière remplit classiquement plusieurs fonctions100(*), il convient de relever qu'en Afrique, et singulièrement dans le golfe de Guinée, elle conserve encore son sens ancien. En effet, du fait de l'histoire tumultueuse du continent et du « continuum conflictuel »101(*) qui a traversé la région du golfe de Guinée ces dernières décennies, le concept de frontière, est dérivé de front ; et signifie ainsi d'abord « le front d'une armée, puis vers la fin du XIIIème siècle une place fortifiée faisant face à l'ennemi.»102(*) C'est à partir de la conception belliciste des frontières qu'ont les Etats du golfe de Guinée, qu'il convient d'analyser l'échec des politiques solitaires nationales exclusives de sécurisation de celles-ci dans la région. Aussi apparait-il nécessaire d'étayer cette analyse en questionnant l'environnement politico-sécuritaire qui prévaut de manière récurrente dans la région (A), avant d'évaluer les ressources techniques et structurelles dont disposent ces Etats en vue d'assurer la sécurité de leurs frontières (B). A. Un environnement politico-sécuritaire imbibé de méfiance et de défiance entre Etats de la régionL'un des facteurs structurant l'échec des politiques solitaires nationales exclusives de sécurisation des zones frontalières du golfe de Guinée, est sans nul doute le climat de suspicion généralisée caractérisé par une « géopolitique de la méfiance »103(*) et de la défiance réciproques qui prévaut dans la région. En effet, du fait des contentieux irrésolus relatifs aux querelles des frontières et des guerres civiles internes des années 1990 qui ont considérablement impacté sur l'équilibre sécuritaire de la région, la coopération sécuritaire à l'intérieur des CER du golfe de Guinée, dont la CEEAC et dans une moindre mesure la CEDEAO, ne pouvait être engagée sur des bases politiques sincères. D'ailleurs, la plupart des contentieux liés aux disputes des frontières n'ont pas et continuent de ne pas trouver des solutions au sein de ces CER, considérés comme le reflet du pouvoir d'influence de certains Etats aux ambitions hégémoniques régionales présumées104(*). Ainsi en est-il du différend territorial entre le Gabon et la Guinée-Equatoriale au sujet de l'île de MBANIE105(*), ainsi que du différend frontalier opposant l'Angola à la RDC au sujet de la délimitation de leurs frontières maritimes, dont la CEEAC n'a pas été appelée à se prononcer. D'un autre côté, les actes de défiance se multiplient aussi dans la région. En témoigne l'incident qui s'est produit à l'aéroport de Malabo, en marge du sommet sur les questions de sécurité en Afrique Centrale tenu dans la capitale équato-guinéenne les 24 et 25 Février 2000. En effet, la délégation camerounaise fut retenue quelques moments par les services de sécurité de cet aéroport. Pour le Professeur Joseph Vincent NTUDA EBODE, Directeur du Centre de Recherche en Etudes Politiques et Stratégiques (CREPS) de l'Université de Yaoundé II-SOA, « cette situation n'était pas le fruit d'un hasard. Tout au contraire, elle s'inscrivait dans un contexte de revendications frontalières et de suspicion généralisée des autorités de Malabo vis-à-vis de Yaoundé.»106(*) De même, la RCA avec le Président Ange Félix PATASSE avait, en son temps, « accusé le Cameroun d'avoir servi de transit aux armes ayant failli le renverser.»107(*) La géopolitique de la méfiance et de la défiance généralisées observée en Afrique Centrale au début du troisième millénaire s'est également étendue à l'Afrique de l'Ouest. Ici, l'on a assisté aux accusations, à tort ou à raison, du régime de l'ancien Président Laurent GBAGBO de Côte-d'Ivoire à l'endroit du Président Blaise COMPAORE du Burkina-Faso, coupable d'après lui d'avoir soutenu financièrement et militairement les Forces Nouvelles (FN) de Guillaume SORO, l'ex rébellion qui occupa le Nord de ce pays durant près d'une décennie. C'est donc dans ce contexte de suspicion généralisée que les Etats du golfe de Guinée vont opter pour des mesures solitaires et exclusives de sécurisation de leurs espaces frontaliers, afin de mieux se prémunir contre les attaques des criminels dont l'Etat voisin est souvent accusé d'abriter les bases arrières. Cependant, cette option solitaire va s'avérer être un gros échec, notamment du fait de l'insuffisance des capacités internes des Etats à sécuriser efficacement leurs frontières respectives. * 97 Il s'agit entre autres des Etats riverains du golfe de Guinée, des puissances étrangères, des autres Etats africains, des CER de la région et d'ailleurs et même des organisations onusiennes. * 98 International Crisis Group, Mettre en oeuvre l'architecture de paix et de sécurité..., op.cit., p.1 * 99 Marie-Claude SMOUTS et al. Dictionnaire des relations internationales..., op.cit., PP. 245-246. * 100 La frontière remplit classiquement les fonctions de délimitation territoriale, d'interface pour les échanges économiques, de déterminant identitaire, d'exercice de la souveraineté, etc. * 101 Niagalé BAGAYOKO-PENONE, « L'Afrique subsaharienne entre violence et régulation », in Frédéric CHARILLON (sous la direction de), Les relations internationales, Les notices, Paris, 2006, p.189 * 102 Marie-Claude SMOUTS et al, op.cit., p.245 * 103 International Crisis Group, Mettre en oeuvre l'architecture de paix et de sécurité..., op.cit., p.18 * 104 La CEEAC par exemple a été considérée comme un levier du pouvoir d'influence régionale et internationale du Gabon de l'époque du Président Omar BONGO ONDIMBA, tout comme le Nigéria influence la politique de la CEDEAO. * 105 Dans cette affaire, les deux pays ont décidé de recourir à la médiation internationale de l'ONU, susceptible de déboucher sur une solution judiciaire de la part de la CIJ. Voir « l'ilot de la discorde », Jeune Afrique, 3 Mars 2011. * 106 Joseph Vincent NTUDA EBODE, « La redistribution de la puissance en Afrique Centrale médiane CEMAC : la nouvelle configuration des alliances sous régionales », in Jean-Lucien EWANGUE (sous la direction de), op.cit., p.50 * 107 Idem., p.50 |
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