La coopération sécuritaire dans le golfe de Guinée à l'épreuve de la criminalité transfrontalière. Etat des lieux et esquisse de solution( Télécharger le fichier original )par Vernuy Eric SUYRU Université de Yaoundé II Cameroun - Master en relations internationales, option intégration régionale et management des institutions communautaires 2011 |
Paragraphe II : Les effets de l'extension régionale de l'insécurité dans le golfe de GuinéeL'apparition et la multiplication des pratiques de la criminalité transfrontalière dans le golfe de Guinée sont favorisées par l'histoire agitée de la vie sociopolitique des Etats riverains de cet espace géographique, laquelle a fourni plusieurs opportunités aux acteurs criminels qui écument la région. Analyser les effets de l'extension régionale de l'insécurité dans le golfe de Guinée revient, dès lors, à poser un regard critique et objectif sur les conséquences provoquées par la gestion problématique des frontières et de l'insécurité transfrontalière propres à cette région. A cet effet, nous allons opérer deux grands constats qu'il convient d'analyser : l'absence d'un climat de paix, sécurité et stabilité dans le Golfe de Guinée (paragraphe I) et l'insécurité transfrontalière entravant les processus d'intégration régionale en cours dans cette région (paragraphe II). A- L'absence d'un climat de paix, sécurité et stabilité dans le golfe de GuinéeCette absence de paix, sécurité et stabilité s'objective par la gestion problématique de vagues de réfugiés en provenance de pays plongés dans le chaos et la violence généralisée, ainsi que dans l'insuffisance de moyens étatiques de contrôle et de surveillance des flux transfrontaliers. La constante de l'insécurité au niveau des espaces transfrontaliers du golfe de Guinée produit des effets néfastes directs sur les populations victimes des actes de criminalité et de violence politique commis, soit par l'appareil militaire étatique, soit par les groupes criminels privés. En effet, la violence infligée aux personnes, notamment par la destruction des villages, des assassinats, des enlèvements, des viols et autres exactions massives, induit des vagues de mouvements de refugiés et déplacés internes84(*), «qui le plus souvent, sinon tout le temps, emportent avec eux des armes légères et de petit calibre (ALPC) facilement transportables et dissimulables à cause de leur légèreté »85(*). La problématique relative à la gestion des refugiés et personnes déplacées internes met en exergue le spectre des risques sécuritaires encouru par les Etats de la région. Surtout que ceux-ci présentent des failles dans la gestion de cette catégorie de populations. La faillite des Etats dans la gestion des refugiés et personnes déplacées ouvre dès lors une voie royale aux trafics de tous genres et principalement à celui des ALPC86(*). La prolifération anarchique de ces armes contribue à l'essor du grand banditisme, comme en témoigne le phénomène des « coupeurs de route » dans les confins transfrontaliers RCA-Tchad-Cameroun. D'ailleurs, l'Assemblée Générale des Nations Unies (AG/ONU) «reconnait que l'absence de normes internationales est un facteur contribuant aux conflits armés, aux déplacements des populations, à la criminalité organisée et au terrorisme, et porte ainsi atteinte à la paix, à la réconciliation, à la sureté, à la stabilité et au développement économique et social durable »87(*). Par ailleurs, la gestion des refugiés pose les problèmes de la protection de la nationalité et celui des différends potentiels entre nationaux et réfugiés88(*). C'est notamment le cas dans la gestion des refugiés centrafricains de l'Est-Cameroun, estimés à près de 84000 personnes selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Refugiés (HCR). De plus, la présence prolongée des refugiés dans certains Etats riverains du golfe de Guinée encouragent généralement les velléités expansionnistes de leurs Etats d'origine. C'est ce qui explique en partie la recrudescence des conflits à l'Est de la RDC où le Rwanda est formellement accusé d'annexer cette partie du territoire qui abrite des milliers de refugiés rwandais depuis près de deux décennies. En fin de compte, la gestion problématique des refugiés pose de nombreuses contraintes sécuritaires aux Etats de la région. Ceci s'explique notamment par l'insuffisance de moyens de contrôle aux frontières tant en période d'instabilité que de paix. L'une des caractéristiques des frontières terrestres et maritimes dans le golfe de Guinée, au-delà des querelles dont elles font l'objet, c'est le déficit d'infrastructures et services de gestion de celles-ci. Selon le document de projet du Programme Frontière de la CEEAC (PF-CEEAC), ce déficit intègre « le manque des moyens de gestion des frontières au niveau local (nombre très réduit des postes frontières, absence de certains services (santé), équipements inexistants ou vétustes, insuffisance de personnel, etc.) ; le manque de coordination des services nationaux impliqués dans la gestion des frontières au sein de chaque Etat (police, renseignement, immigration, eaux et forêts, santé, etc.) ; le manque de coopération transfrontalière entre les services homologues, à la fois au niveau local et au niveau central ; le manque de qualification des personnels chargés de la gestion des frontières ; la présence d'une règlementation surabondante dans certains domaines, lacunaire dans d'autres, dont la pertinence et l'application n'ont pas été expertisées de longue date ; et une corruption endémique des agents des services frontaliers. » C'est dire, au moins concernant les frontières de la CEEAC, que celles-ci font l'objet d'une gestion archaïque, sans vision de développement stratégique autour d'elles de la part des Etats. D'où l'insuffisance de contrôle des flux transfrontaliers observée dans cette région, facilitant ainsi la croissance des actes de criminalité de part et d'autre des zones frontalières des Etats concernés89(*). Concernant le déficit de sécurisation des frontières maritimes et de contrôle des eaux territoriales dans le golfe de Guinée, il faut signaler que les actes de piraterie maritime et les vols à main armée en mer prospèrent davantage sur les cotes maritimes des pays incapables d'assumer efficacement leurs missions régaliennes sur la mer90(*). Cela traduit généralement une absence d'autorité établie et respectée qui fait place au désordre maritime. Théoriquement, il est établi que l'Etat qui subit des actes de piraterie dans ses eaux territoriales est un Etat en faillite, sinon faible et non organisé. D'ailleurs l'absence de cadres compétents et de garde-côtes entrainés et équipés permet aux pirates d'opérer en toute quiétude. Car en l'absence en nombre suffisant de moyens opérationnels de qualité pour intervenir et poursuivre les pirates, ces derniers se sentent réconfortés dans leurs actes qu'ils s'emploient à poursuivre, tant qu'ils ne sont pas arrêtés et punis91(*). In fine, l'absence d'un climat de paix, sécurité et stabilité dans le Golfe de Guinée due à la constance de l'insécurité transfrontalière impacte considérablement sur les différents processus d'intégration régionale dans la région. * 84 C'est le cas dans les zones transfrontalières Cameroun-Tchad-RCA et dans l'Est de la RDC. * 85 OWONA ALIMA Kisito Marie, La prolifération des ALPC en Afrique Centrale : Etude du phénomène et analyse critique des mécanismes de contrôle de ces armes, Mémoire de Master en Stratégie, défense, sécurité, gestion des conflits et des catastrophes, CREPS-UYII/SOA, année académique 2006-2007, p.25 * 86 La circulation anarchique des ALPC bénéficie surtout de l'incohérence des législations nationales et de l'absence de normes internationales contraignantes en la matière. * 87 Confère AG/ONU, 2009, Traité sur le commerce des armes, A/C, 1/64/L. 38/Rev.1, 28 Octobre 2009, p.2 * 88 Joseph Vincent NTUDA EBODE, « La région de l'Est-Cameroun et ses refugiés : mariage pour le meilleur ou pour le pire ? », Bulletin du CREPS, op.cit., PP.7-8. * 89 Pour une analyse complète des conséquences liées à cette insuffisance de moyens de contrôle des flux transfrontaliers, voir Joseph Vincent NTUDA EBODE, « L'insécurité transfrontalière dans la zone RCA-Tchad-Cameroun et l'initiative tripartite », op. Cit. * 90 Fweley DIANGITUKWA, « Terrorisme et piraterie dans le Golfe de Guinée, esquisses de solutions », op. Cit. * 91 Idem |
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