CHAPITRE QUATRIEME : DISCUSSION
Prévalence des malformations congénitales
visibles
Prévalence globale : Des malformations
congénitales ont été observées dans 58,3 pour 10000
naissances vivantes dans les onze maternités de Lubumbashi retenues pour
l'étude. Six années plus tôt, dans leurs études
réalisées à Lubumbashi et Kinshasa, Kalwaba et al. (2004)
et Tabu (2004), avaient évalué la prévalence des
malformations respectivement à 74 et 57 pour 10000 naissances
vivantes.
La prévalence trouvée dans notre étude
est significativement plus faible que celle de Kalwaba et al., en 2004
(X-score=2 >1.96, p<0.05). Cet état des choses s'expliquerait
davantage par un sous-rapportage que par une réelle baisse de la
prévalence des malformations à Lubumbashi.
Ceci est d'autant plus vraisemblable qu'aucune intervention
n'a été réalisée entre
temps.
Cette faible prévalence pourrait en outre être
mise en parallèle avec la baisse drastique de l'activité des
industries extractives minières survenue de 2008 à 2010
consécutivement à la crise financière internationale ayant
entrainé la chute du cours des principaux produits miniers extraits au
Katanga.
Rappelons que notre étude s'est effectuée
d'avril 2010 à avril 2011. Il est cependant important de souligner que
cette dernière hypothèse est à considérer avec
réserve car, à ce jour, aucune étude n'a établi de
façon formelle une relation de cause à effet entre
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l'activité minière à Lubumbashi et la
variation des prévalences des malformations congénitales.
En outre, il est intéressant de constater qu'il n'y a
pas de différence significative entre la prévalence
trouvée dans notre étude et celle de Kinshasa rapportée
par Tabu en 2004 (X-score=0.239 <1.96, p>0.05).
Mise à part la possibilité de sous rapportage
dans notre série, ceci pourrait s'expliquer par la présence
à Kinshasa d'autres facteurs de risque tant environnementaux que
parentaux.
Dans un tout autre contexte (pays industrialisé) le
registre des malformations congénitales du Hainaut et Namur, en
Belgique, qui porte sur 15000 naissances vivantes fait état d'une
prévalence de 2.5 % nettement supérieure à celle de notre
étude.
Ceci s'explique à la fois par le recrutement plus
rigoureux des cas, mais aussi par le fait que ce chiffre englobe tant les
malformations visibles que celles nécessitant pour leur diagnostic des
examens complémentaires dont nous n'avons pas pu disposer.
Prévalences spécifiques :
Dans notre étude, les malformations du système
nerveux étaient les plus fréquentes avec 20.29 pour 10000
naissances, suivies des malformations des membres avec 10.55 pour 10000
naissances et des fentes oro-faciales avec 8.11 pour 10000 naissances (Tableau
IV). S'agissant des malformations du système nerveux central, le
registre du Hainaut et Namur rapporte une prévalence quasi
équivalente à la nôtre (24 pour 10000 naissances
vivantes).
Le registre des malformations Eurocat, réalisé
à l'échelle européenne, rapporte quant à lui une
prévalence de 4 pour 10000 naissance vivantes, significativement
inférieure à la nôtre.
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Dans ce groupe, les malformations par défaut de
fermeture du tube neural (Anencéphalie, spina bifida) dont la
pathogénie est liée aux carences en acide folique occupent une
place importante.
Ceci relance le débat sur la supplémentation en
acide folique chez la femme enceinte dans notre pays. En effet, il est admis
aujourd'hui que l'acide folique est un cofacteur dans la majorité des
réactions enzymatiques qui entrent en jeu dans la formation de nouveaux
tissus.
Un faible taux de folates dans les globules rouges maternels
en période périconceptionnelle a été fortement
associé à la survenue de défects du tube neural. Il a
été démontré que cette survenue était
dose-dépendante (Pass, 2006; Thame et al., 2002).
Eu égard à l'apport de l'acide folique, nos
résultats montrent que les attentes sont déçues.
En effet, malgré une supplémentation
théoriquement inscrite dans les protocoles des consultations
prénatales, les taux de prévalence des anomalies de fermeture du
tube neural et singulièrement du spina bifida sont
élevés.
Il y a donc lieu de s'interroger sur l'efficacité de la
politique nationale de supplémentation en acide folique (Pass, 2006).
Cette question est d'autant plus pertinente qu'en Irlande, la prévalence
des défects du tube neural est passée de 46.9/10.000 naissances
à 11.6/10.000 entre 1980 et 1994 (Thame et al., 2002).
Ces résultats sont attribués à la prise
effective d'acide folique en période périconceptionnelle. En
Suède, la prise d'acide folique en période conceptionnelle est
une stratégie nationale et a permis de baisser de façon
significative la prévalence des malformations du tube neural (Thame et
al., 2002).
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The American Academy of Pediatrics, reconnue par l'US Public
Health Service (USPHS) recommande la prise de 400 micros grammes d'acide
folique par jour en période péri-conceptionnelle. Cette mesure
permet de baisser la prévalence des malformations du tube neural de plus
de 50 %.
Une étude multicentrique (11 centres)
d'évaluation de la prise préventive d'acide folique entre 1987 et
1996 rapporte qu'il y a une diminution significative de la prévalence
des défects du tube neural dans des centres comme ceux d'Atlanta,
d'Angleterre, du Pays de Galles, de Hongrie ou du Japon (Wals et al., 2007).
L'application stricte de cette stratégie
nécessite une planification des grossesses. Or, en Amérique du
Nord et en Europe, près de 50 % de toutes les grossesses ne sont pas
planifiées (Gillerot et Mols, 2009). La situation n'est guère
meilleure à Lubumbashi, société pro nataliste.
Ceci pose la question d'une supplémentation
systématique et effective dans l'alimentation, en rappelant que cette
façon de procéder pourrait également avoir un effet
protecteur pour d'autres malformations comme certaines cardiopathies, les
fentes labiopalatines, l'atrésie anale et peut-être même la
trisomie 21 (Gillerot et Mols, 2009).
Cependant, il est important de souligner que le taux de
folates a un déterminisme génétique : il est sous le
contrôle du gène C677T. Dans la forme homozygote d'anomalie de ce
gène, le taux de folates érythrocytaire est de 20 %
inférieur à la normale (Morrison et al.,
1998).
Ceci explique que la prévalence du génotype TT
est élevée de façon significative chez les enfants
porteurs de spina bifida et chez leurs parents (Thamel, 2002). Dans d'autres
études, d'autres gènes (PDGFRA, CBS, MS, MTHFR), seuls ou en
interactions, sont impliqués dans la survenue des défects du tube
neural (Pass, 2006).
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S'agissant des fentes oro-faciales, notre étude
rapporte une prévalence de 8.1 pour 10000 naissances (Tableau V). Si on
considère l'ensemble des fentes palatines observées de 1990
à 2004, on relève 132 cas dans le registre Hainaut-Namur,
c'est-à-dire une prévalence de #177; 7 pour 10000 naissances.
Ces taux coïncident avec les chiffres globaux d'EUROCAT
central. En effet, le registre central (Belfast) a enregistré 3.426 cas
de 1980 à 1999, c'est-à-dire une prévalence globale de 5.8
pour 10000 naissances (Gillerot et Mols, 2009).
Ces malformations sont visibles dès la naissance et
aisément identifiables. Corollairement, le risque d'un
sous-enregistrement est faible. La prévalence des fentes oro-faciales
est extrêmement variable dans les pays Africains : de 3 pour 10000
naissances au Nigeria a 16.5 pour 10000 au Kenya (Butali et Mossey, 2009).
Ces prévalences importantes tant à Lubumbashi
que dans les autres pays Africains inquiètent compte tenu du poids
psychosocial et économique considérable des enfants porteurs de
fentes palatines.
Le manque d'infrastructure et de personnel qualifié
allonge la liste des problèmes que posent ces enfants dans les pays en
développement. Il convient en effet ici de souligner que l'équipe
spécialisée multidisciplinaire devrait idéalement
comprendre un chirurgien plastique, un pédiatre, un
généticien, un otorhinolaryngologiste, un dentiste
pédiatrique, une infirmière, un orthophoniste, un audiologiste et
un psychologue (Turgeon et al., 2008).
Il est donc crucial d'identifier les facteurs associés
à la survenue de ces fentes oro faciales afin de les prévenir.
L'hérédité est ici multifactorielle, et
l'acide folique pourrait jouer un rôle « protecteur »,
l'apparition de fentes labio maxillo palatines étant elle aussi
liée à la formation du tube neural au stade embryonnaire.
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En effet, les parties médianes du visage se forment
à partir de la crête neurale qui, à l'instar du tube
neural, se développe à partir de la plaque neurale (Eichholzer et
al., 2008).
Dans notre série, les anomalies des membres figurent
parmi les plus fréquentes, essentiellement représentées
par les pieds bots avec 5.68 pour 10000 naissances, ainsi que la polydactylie
avec 3.24 pour 10000 naissances (Tableau V).
Les malformations réductionnelles des membres n'ont,
quant à elles, représenté que 0.8 pour 10000 naissances.
Ce groupe d'anomalies est emblématique car il fut en quelque sorte le
coup d'envoi d'EUROCAT par le truchement de l'épidémie de la
Thalidomide.
S'agissant de la prévalence en fonction des
maternités, il ressort des Tableaux II et III que les prévalences
sont élevées dans les hôpitaux Universitaires de la
Ville.
Ces résultats sont certainement influencés par
la présence dans ces hôpitaux d'un personnel plus entrainé
à la reconnaissance des malformations, par leur taux de
fréquentation élevé, mais aussi par leur statut
d'hôpitaux provinciaux de référence.
Dans l'analyse de la prévalence en fonction des
Communes de provenance des patients porteurs de malformations
congénitales, nous avons constaté que la Commune de Kampemba
(30.6%) était la plus représentée suivie de la Commune de
Katuba (22.2%). En outre il ressort de nos résultats que le fait de
vivre hors des communes à forte activité minière de la
ville de Lubumbashi (Ruashi : Usines Ruashi Mining ; Kampemba : Chemaf ; Annexe
: Somika,...) semble être un facteur protecteur vis-à-vis du
risque d'avoir un enfant porteur de malformations congénitales : OR=0.51
(0.28-0.94) p<0.05 (Tableau XIII).
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces
résultats, notamment une exposition répétée
à des métaux toxiques ou à une radioactivité
anormalement élevée.
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Parlant de cette dernière hypothèse, une
étude publiée en 1983 rapporte la survenue d'un cluster (6 cas)
de trisomies 21 chez des enfants dont les mères ont vécu leur
adolescence à Dundalk, en Grande-Bretagne, village exposé selon
les auteurs aux retombées radioactives de l'accident de Windscale
survenu le 10 octobre 1957 (Doyle, 2000).
Cependant deux autres études concernant les
malformations congénitales et les mutations germinales dans un rayon de
30 km autour de zones d'émanation radioactive en Hongrie (Doyle, 2000)
et en Roumanie (Bembea, 2001) n'ont retrouvé aucun lien évident
entre les taux de malformations avant et après la mise en service du
site.
A Lubumbashi, le risque d'exposition aux produits miniers
radioactifs, bien que considéré comme faible, n'a pas encore
été évalué et documenté ; d'où la
nécessité de rester prudent quant à son influence sur la
prévalence des malformations congénitales dans la ville (Banza et
al., 2009).
S'agissant de l'hypothèse relative à
l'intoxication par les métaux, les taux élevés de cobalt
et autres métaux toxiques mesurés dans les urines des sujets
issus de la population générale au Katanga confirment que la
population vivant près des usines de traitement de minerais est
exposée à ces toxiques (Banza et al., 2009).
Reconnaissons cependant que la démonstration de la
relation de cause à effet entre cette exposition aux métaux
liée au contexte minier et la majoration de la prévalence des
malformations congénitales est prématurée.
S'agissant de la répartition des cas en fonction du
sexe, nous avons trouvé un sex ratio de 2. Kalwaba a,
quant à lui, rapporté un sex ratio de 1.31 (Kalwaba et al., 2004)
.D'autres études ont montré que le sex ratio est proche de 1 dans
la majorité des malformations.
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Dans les malformations du système génital
externe, une proportion plus importante de garçons va de soi (Gillerot
et Mols, 2009).
Considérant le moment de la découverte,
l'échographie prénatale est devenue une étape majeure dans
la découverte et la mise au point des anomalies foetales. Elle
s'intègre cependant dans un processus global qui « in fine »
participe à la prévention de ces anomalies et parfois (mais
rarement) à leur traitement.
Cette prévention peut s'entendre de 2 façons :
celle d'une part d'éviter, lors d'une grossesse en cours, la naissance
d'un enfant vivant atteint de malformations létales ou de malformations
telles que la qualité de sa vie en sera gravement altérée,
et celle d'autre part de prévenir, par l'intermédiaire du conseil
génétique, la naissance ultérieure au sein du couple d'un
enfant porteur de malformations identiques à celles du « cas
princeps » (Gillerot et Mols, 2009).
Dans notre étude, seuls 4.2% des cas ont
été diagnostiqués en anté natal (Tableau VIII). Ce
chiffre représente également le nombre des seules gestantes ayant
pu bénéficier d'une échographie durant leurs consultations
prénatales.
Ces résultats posent avec acuité le
problème d'accessibilité tant géographique que
financière des services d'échographie obstétricale dans la
ville de Lubumbashi.
Nous avons analysé la mortinatalité (Type de
naissance) et les décès néonataux survenus avant la fin de
la première semaine de vie des patients porteurs de malformations
congénitales (Décès néonataux).
En effet, les malformations congénitales sont responsables
de 7 % de l'ensemble des
décès néonataux dans le monde. Cette
proportion varie cependant de 5 % dans la Région de l'Asie du Sud-Est
à plus de 25 % en Europe.
Dans notre série, le risque pour un malformé
d'être mort-né est de 2.13 (Intervalle de confiance : 0.69-6.58,
X2 = 2.15, p = 0.142). La différence entre le groupe des
malformés
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et des enfants sains n'est cependant pas statistiquement
significative. Ici, il est possible qu'un biais de rapportage ait
influencé nos résultats, les nouveaux nés malformés
et mort nés n'étant probablement pas tous notifiés.
En période néonatale précoce, 32.9% des
enfants nés vivants et porteurs de malformations congénitales
sont décédés endéans les 7 jours. Ce chiffre
reflète l'ampleur du problème mais ne permet cependant pas
à lui seul de dégager la part relative des malformations dans la
mortalité néonatale précoce, étant donné
qu'il n'est pas comparé au taux de mortalité précoce des
nouveau-nés non malformés.
Dans notre série, des complexes malformatifs ont
été observés dans 6.5 cas pour 10000 naissances (Tableau
VI), la principale part revenant aux malformations d'origine chromosomiques
(environs 4 pour 10000 naissances). Ces résultats sont très
différents de ceux obtenus dans une étude Roumaine où la
prévalence était de 13.74 pour 10000 naissances vivantes (Bembea,
2001) et dans une autre étude réalisée dans les provinces
Belges du Hainaut et Namur, avec 33 pour 10000 naissances (Gillerot et Mols,
2009) .
Cette nette différence s'explique probablement par un
sous rapportage des cas, particulièrement des trisomies 21 qui,
semble-t-il, passent encore inaperçus en période néonatale
dans la plupart des maternités de la ville de Lubumbashi.
En outre, il est important de remarquer qu'avant l'apparition
et les progrès des tests biochimiques (triple test) et de
l'échographie anténatale, un certain nombre de trisomies 21,
aujourd'hui diagnostiquées en Europe, passaient inaperçues et
étaient éliminées sous la forme de fausses couches
tardives, voire d'enfants mort-nés macérés. Il n'est donc
pas exclu non plus qu'avant l'ère des tests biochimiques et de
l'échographie précoce, un certain nombre de cas d'anomalies
chromosomiques aient été « manqués » (Gillerot
et Mols, 2009).
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Nous pensons que le développement de
l'échographie anténatale à Lubumbashi pourrait permettre
de réduire drastiquement le sous rapportage de nos cas.
Notons avec intérêt qu'un cas de malformation
multiple de cause inconnue (MCA-eci) a été observé dans
notre série. De tels cas sont de la plus grande importance en
épidémiologie car ils traduisent souvent l'introduction d'un
tératogène dans l'environnement.
Selon Yves Gillerot (Gillerot et Mols, 2009), il ne faut pas
attendre qu'il y en ait des dizaines répertoriées pour tirer la
sonnette d'alarme. Un ensemble inédit, non décrit, et
retrouvé ne fût-ce qu'à 2 ou 3 reprises dans une
région donnée doit être considéré comme
très suspect.
Divers facteurs de risque potentiels ont été
analysés dans ce travail.
Comme on le sait, l'âge de la mère constitue un
facteur de risque foetal pour ce qui concerne la mortalité, la
morbidité et les malformations congénitales, avec comme exemple
emblématique la trisomie 21. De nombreuses études ont
montré que ce risque augmente surtout après 35 ans (Gillerot et
Mols, 2009).
Ces résultats concordent avec ceux de notre
étude où 68% des mères porteuses de foetus
malformés avaient plus de 35 ans. (Tableau X). En outre, nous avons
trouvé que, dans notre milieu, le risque pour une mère
âgée de plus de 35 ans de donner naissance à un enfant
porteur d'une malformation congénitale est de 3.66 (Intervalle de
confiance:1.93-6.98, X2 = 18.72, p = 0,00001).
Un consensus existe sur le fait que le risque de survenue de
malformations congénitales augmente avec l'âge maternel.
Néanmoins, des divergences demeurent encore quant à l'âge
limite au-delà duquel ce risque est évident.
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Une étude saoudienne porte cette limite à 45 ans
(Al Bu Ali, 2011), tandis que la plupart des études européennes,
ainsi que celle réalisée dans nos conditions à Kinshasa
(Tabu, 2004) la situent à 35 ans.
Nous avons également étudié la profession
du père. En effet, la province du Katanga étant essentiellement
minière, nous avons voulu évaluer le risque pour des parents
travaillant dans les mines de cuivre et de cobalt d'engendrer un enfant
malformé.
Nos résultats montrent que le risque pour un
père minier ou ouvrier d'avoir un enfant malformé est très
important : OR= 4.38, IC : 2.30-8.38, X2 = 24.46, p = 0,0000008
(Tableau XI).
Les métaux auxquels les artisans miniers sont
exposés, tels qu'ils ressortent de la revue de la littérature sur
la composition des minerais du Katanga, sont notamment : l'arsenic, le cadmium,
le cobalt, le cuivre, le manganèse, le mercure, le plomb, le zinc,...
(Banza et al., 2009).
Les traces de ces minerais, identifiées et
quantifiées dans les cheveux des mineurs grâce à des
techniques de spectrométrie, ont révélé des teneurs
élevées et permis de matérialiser l'exposition aux
métaux contenus dans la gangue minéralisée (Elenge,
2010).
Toutefois aucune étude n'a à ce jour
formellement documenté un éventuel rapport entre cette exposition
professionnelle à des métaux dans notre milieu, la
toxicité de ces métaux et le risque de donner naissance à
un enfant porteur de malformations congénitales.
En outre, le niveau d'exposition à la
radioactivité des ouvriers des usines minières de Lubumbashi
n'est pas non plus documenté. Il ressort cependant des rapports de
géologues que la quasi-totalité des gisements exploités
ces dernières décennies ont un faible potentiel radioactif. Leur
effet délétère sur la lignée germinale masculine
serait
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donc à priori négligeable dans notre milieu. Il
convient néanmoins de rappeler ici que l'effet potentiellement
tératogène de telles substances a été bien
documenté.
En effet, une étude réalisée en 1989
(Rousseau, 1990) à partir de 640 caryotypes de spermatozoïdes de
patients ayant reçu une radiothérapie et/ou une
chimiothérapie montre une fréquence totale d'anomalies
chromosomiques de structure significativement élevée.
Dans une autre étude, on a observé 23% de
spermatozoïdes porteurs d'anomalies de structure chez un patient, 11 et 16
mois après une irradiation (dose testiculaire : 0,25 à 0,45 Gray)
pour séminome testiculaire (Rousseau, 1990).
Des études spermatiques (Rousseau, 1990) chez des
patients porteurs de translocations équilibrées ont montré
que les spermatozoïdes à caryotype
déséquilibré peuvent franchir toutes les étapes de
la fécondation hétérospécifique : attachement
à la membrane plasmique de l'ovocyte, entrée dans le cytoplasme
ovocytaire, décondensation nucléaire, formation de
pronucléus, synthèse d'ADN et condensation du matériel
génétique en métaphase.
Il semble, selon ces études, que la présence
d'anomalies chromosomiques multiples dans un spermatozoïde ne perturbe pas
toujours nécessairement le processus de fécondation dans le
système hétérospécifique.
Si on extrapole cette observation au système de
fécondation homospécifique (qui n'en diffère
essentiellement que par la présence de la zone pellucide), il en
résulterait la constitution d'un oeuf fécondé à
contenu cytogénétique très altéré.
S'agissant de la parité de la mère et des
antécédents de malformation foetale évoqués dans
d'autres études comme facteurs de risque de malformations
congénitales (Tabu, 2004), aucune association statistiquement
significative n'a été observée dans notre
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étude, probablement du fait de la petite taille de
notre échantillon en comparaison, par exemple, avec l'étude de
Tabu à Kinshasa (Tabu, 2004).
Quant aux antécédents de fausse
couche/avortement, associés dans l'étude de Tabu (Tabu, 2004)
à un risque plus élevé de malformation (OR=2.5, IC :
1.06-6.02), leur rôle n'a pas pu être mis en évidence dans
notre étude.
En effet, l'analyse du risque pour une mère ayant au
moins un antécédent d'avortement et/ou de fausse couche
spontanée de donner naissance à un enfant porteur d'une
malformation congénitale (Tableau X) n'a pas montré de
différence significative (OR= 1.76 ; IC :0.94-3.29. X2 =
3.63, p=0.05).
S'agissant de la notion d'automédication au premier
trimestre de la grossesse, elle est aujourd'hui admise comme facteur de risque
de survenue de malformations congénitales. Tabu, à Kinshasa
(Tabu, 2004), a montré qu'il existe près de 3 fois plus de risque
pour une femme qui consomme des médicaments sans ordonnance durant sa
grossesse de donner naissance à un enfant malformé.
On sait également que l'utilisation de
médicaments pendant la grossesse est courante. Un sondage de l'OMS a en
effet établi que 86 % des femmes prenaient des médicaments
pendant leur grossesse. Ce chiffre prend bien évidement en compte tant
les médicaments délivrés sur ordonnance que ceux
disponibles en vente libre.
Dans notre série, seuls 15.3% des femmes avec enfants
malformés ont avoué avoir pris des médicaments (hormis
vitamines) durant le premier trimestre de leur grossesse, ce qui pourrait
indiquer une peur de culpabilisation de leur part.
Il apparait néanmoins, au vu de nos résultats
englobant également le groupe contrôle, que le fait pour les
mères de ne pas s' « automédiquer » pendant la
grossesse est un facteur protecteur vis-à-vis du risque de donner
naissance à un enfant porteur de malformations congénitales
(OR=0.22, IC : 0.1-0.47, p=0.00001).
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Parmi les médicaments en vente libre couramment
utilisés pendant la grossesse, on trouve l'acétaminophène
(65 %), l'ibuprofène (10 %) et la pseudoéphédrine (15 %).
Mais il est bien inquiétant de reconnaitre qu'à Lubumbashi, tous
les médicaments sont accessibles aux femmes enceintes sans qu'aucune
ordonnance ne soit exigée.
S'agissant de l'hyperthermie, la fièvre maternelle au
premier trimestre de la grossesse constitue le premier agent
tératogène découvert initialement chez l'animal, puis chez
l'homme, avec des conséquences identiques dans les deux groupes (Graham,
1998).
Elle est aujourd'hui reconnue comme étant un agent
physique, à effets dose-dépendants, pouvant être
responsable d'avortements et de malformations (Milunsky et al., 1992). Dans la
littérature, elle est essentiellement incriminée dans la survenue
des anomalies de fermeture du tube neural : RR= 6.2, CI : 2.2-17.2 (Daly et
al., 1995) et des membres (Milunsky et al., 1992).
Ces effets peuvent cependant être atténués
dans certaines circonstances par le « heat shock response » (HSR) qui
confère à l'embryon une protection lorsqu'il est exposé
à une dose initiale de chaleur (Graham, 1998).
Dans notre étude, l'absence de fièvre chez les
mères constitue également un facteur protecteur vis-à-vis
du risque de donner naissance à un enfant malformé (OR=0.31, IC :
0.16-0.62, p=0.001).
Il semble qu'un effort supplémentaire pourrait
être fait dans le sens d'un meilleur suivi des grossesses, surtout dans
les régions de paludisme stable où il sévit sur un mode
hyper endémique, atteignant, au cours de la grossesse, des
prévalences record de 40% (Ehiolé et al., 2008).
La prise d'alcool pendant le premier trimestre de la grossesse
a aussi des effets connus sur le développement foetus (O'Leary et al.,
2010). Mais les conséquences d'une consommation légère
occasionnelle et d'une consommation importante régulière, bien
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que dépendant par la dose, ne sont pas toujours les
mêmes dans tous les cas: c'est l'effet « dose et modulation »
par susceptibilités individuelles variables (génome de la
mère et du foetus).
L'alcool est responsable d'une
dégénérescence neuronale par apoptose. Il perturbe
notamment le métabolisme des neurotransmetteurs en bloquant les
récepteurs N-Méthyl-D-Aspartate (NMDA) et en activant les
récepteurs Acide-Gama-Amino-Byturique (GABA).
L'importance de l'apoptose dépend de la quantité
totale d'alcool ingérée et de la durée pendant laquelle
elle est ingérée. Les effets de l'éthanol sur le foetus
peuvent se classer en 4 catégories : retard de croissance, anomalies
neurologiques, dysmorphies faciales et autres malformations (Gillerot et Dan,
2005 ;Gillerot et Mols, 2009).
Dans notre étude, il apparait que le fait pour les
mères de ne pas consommer d'alcool durant leur grossesse constitue un
facteur protecteur par rapport au risque de donner naissance à un enfant
malformé (OR=0.21, IC : 0.09-0.48, p=0.00002).
Il est à noter qu'ici également, seule une
petite proportion (12.5 %) de femmes avec enfant malformé a reconnu,
sans doute aussi par peur de culpabilisation, avoir consommé
régulièrement de l'alcool durant la grossesse.
Malformations congénitales cliniquement visibles à
Lubumbashi/Mémoire de spécialisation 2010-2011
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