Chapitre II : L'EXTENSION DE LA PROTECTION SOCIALE EN
MATIERE DE SANTE PAR D'AUTRES TECHNIQUES
Garantir une protection sociale en matière de
santé, par le biais des assurances sociales, pour toute la nation est
une utopie difficile à réaliser pour un pays en voie de
développement ayant opté pour la conception professionnelle.
C'est pour cette raison que l'Etat doit venir au secours des catégories
sociales les plus vulnérables par l'organisation de l'assistance
médicale (section 2) et par la
réglementation d'autres formes d'assurances (section 1)
pour ceux qui ont besoin d'une couverture maladie
complémentaire1.
Section 1 : LE ROLE COMPLEMENTAIRE D'AUTRES FORMES
D'ASSURANCES
La réforme du régime d'assurance maladie,
prévue par la loi n°2004-71 du 2 Août 2004, prévoit un
régime de base et des régimes complémentaires d'assurance
maladie (Paragraphe 2). L'organisation de ces
régimes complémentaires va permettre de lutter contre les dangers
de "marchandisation" de la sécurité sociale par les assurances
commerciales et les mutuelles (Paragraphe 1).
Paragraphe 1 : LES ASSURANCES COMMERCIALES ET LES
MUTUELLES
Présentant des techniques collectives de protection
contre les risques sociaux, les assurances commerciales (A)
et les mutuelles (B) ont historiquement
préparé le terrain à la naissance de la
sécurité sociale.
A. Les assurances commerciales
Les assurances commerciales peuvent présenter une
garantie de protection face aux risques inhérents à la vie
quotidienne de l'être humain dont notamment les
1 L'opposition entre l'assurance commerciale
complémentaire qui profite aux " riches " et l'assistance
médicale gratuite au profit des catégories sociales
vulnérables rappelle l'opposition ressortie par Alain SUPIOT entre un "
droit des forts " et un " Droit des faibles ". V. à ce propos, J-M.
BELORGEY, « La protection sociale dans une union de citoyens », Dr.
Soc. n°2, 1998, p.160.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 124
risques sociaux. Ainsi, en tant que technique collective, elle
ressemble dans ses éléments de définition ainsi que dans
ses effets à l'assurance sociale (1).
Cependant, à but lucratif, les assurances commerciales
risquent de conduire à une "marchandisation" de la
sécurité sociale (2).
1. Distinction des assurances commerciales des
assurances sociales
L'assurance commerciale est une technique qui permet de
personnaliser la protection en fonction des moyens de l'intéressé
pour couvrir ses besoins. Elle permet de garantir un droit à la
protection par un assureur pour un assuré en contre partie du versement
d'une prime par ce dernier.
L'assurance se présente ainsi comme un contrat ou
« une Convention par laquelle une entreprise d'assurance ou assureur
s'engage, en cas de réalisation du risque ou au terme fixé au
contrat à fournir à une autre personne appelée "
assuré" une prestation pécuniaire en contrepartie d'une
rémunération appelée prime ou cotisation
».1
Ainsi, un droit à la protection contre les risques
sociaux possibles et touchants à la santé, notamment la maladie,
les accidents de travail et les maladies professionnelles,2 est
garanti pour l'assuré pris individuellement ou pour un groupe
homogène d'assurés, d'où la naissance de l'assurance
groupe.
Des contrats d'assurance groupe peuvent être
conçus en application de l'article 120 de la loi n° 60-30 du 14
décembre 1960 qui prévoit la possibilité de créer
des régimes Conventionnels pouvant assurer, à titre
complémentaire, des avantages dépassant ceux
conférés par le régime légal.
Le contrat d'assurance de groupe, aux termes de l'article 31
du code des assurances, « est le contrat souscrit par une personne
morale ou chef d'entreprise en vue de l'adhésion d'un ensemble de
personnes physiques répondant à des conditions définies au
contrat, pour la couverture des risques de maladie et / ou les risques portant
atteinte à l'intégrité physique de la personne ou
liés à la maternité. Les adhérents doivent avoir un
lien de même nature avec le souscripteur ».
1 Art. 1er du code des assurances.
2 Cf. L. CAUSSAT, «
Sécurité sociale : pour l'assurance », Dr. Soc. n°
11,1994, p. 902 et s.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 125
Ainsi, l'assurance de groupe en tant qu'assurance de personnes
se rencontre avec l'assurance sociale dans les éléments suivants
:
- Elles présentent une garantie face aux risques
inhérents à la vie humaine dont notamment les risques touchant
à la santé.
- La protection est gagnée par les cotisations ou les
primes que verse l'assuré au compte de l'assureur (assurance
privée ou caisse de sécurité sociale).
- Les membres de la famille de l'assuré qui
répondent aux conditions exigées bénéficient de la
couverture du droit à la santé dans les deux cas.
- Les contrats d'assurance de groupe sont conclus par
l'employeur agissant au
nom de tout ou partie de son personnel et traitant avec un
organisme d'assurance, en contre partie des cotisations supportées par
l'employeur et les travailleurs selon une clef de répartition
variable.1
En effet, aux termes de l'alinéa troisième de
l'article 34 du code des assurances
ajouté par l'article 3 de la loi n° 2002-37 du
1er avril 2002, « est considéré comme un
contrat groupe d'assurance, le contrat souscrit par une personne morale ou un
chef d'entreprise en sa qualité, en vue de l'adhésion d'un
ensemble de personnes physiques répondant à des conditions
définies au contrat. Les adhérents doivent avoir un lien de
même nature avec le souscripteur ».
Ainsi, va se développer tout un système
complémentaire de sécurité sociale qui permettra d'adapter
la couverture contre les risques sociaux aux désirs d'un individu ou
d'une collectivité. Ce système va se nourrir des insuffisances
des régimes légaux de sécurité sociale et le
développement progressif et continu du niveau de vie dans la
société tunisienne. Ce développement va, par la suite,
donner naissance à des besoins évolutifs en matière de
santé cherchant surtout à accéder aux prestations de soins
dans les conditions les plus confortables.
Par leurs recours aux assurances de groupe, les travailleurs
auront une possibilité d'avoir une protection sociale qui répond
mieux à leurs besoins, ils seront libres de choisir les médecins,
les praticiens de toute sorte et les établissements de soins, quitte
à payer directement les frais et à se faire rembourser sur la
base de tarifs
1 N. LAADHARI, Op. cit., p.120.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 126
officiels, avec des tickets modérateurs. Cette
technique d'assurance groupe a permis à un certain nombre de grandes
entreprises, d'améliorer la couverture des soins de santé et de
compléter le système de la prestation directe de soins par le
système du remboursement.
Le libre choix des prestataires de soins qu'offre
d'adhésion aux assurances de groupe présente une faveur qui
permet d'éviter les longues durées d'attente et les rendez-vous
lointains auprès des polycliniques de la C.N.S.S. et des
établissements publiques de santé1.
Les assurances de groupe présentent donc une correction
aux insuffisances du système de soins que garantit l'assurance maladie
aux assurés. Ainsi, pour certains, « pour avoir
réellement accès aux soins, il faut bénéficier
d'une couverture complémentaire »2. Cette
couverture complémentaire est directement liée au niveau de
revenu et va présenter une source d'inégalité vu les
écarts parfois considérables entre les revenus des
assurés. Toutefois, il faut signaler que les inégalités
surgissant dans le système tunisien ne lui sont pas
propres.3
Si le secteur des assurances en Tunisie est « de
l'avis de plusieurs professionnels encore sous -développé
»4, il a fallu penser à des corrections suite
à la promulgation du code des assurances par la loi du
9/03/19925, mais ces corrections n'ont touché ni de
prés ni de loin l'assurance maladie. En effet, la promulgation de la loi
n° 94-28 du 21 Février 1994 ne serait pas sans effet sur les
compagnies d'assurance. « La première retombée du
nouveau régime est la perte d'un important portefeuille
géré autrefois par les compagnies, donc une diminution du chiffre
d'affaires des entreprises d'assurance est à enregistrer
»6.
1 « Les assurés sociaux se plaignent de la
médiocre qualité du service dans les hôpitaux en raison,
notamment de l'encombrement, de la surcharge des médecins, de
l'équipement parfois déficient... », par I. LAHRIZI,
« Régime d'assurance sociale et d'assurance- groupe du personnel
d'entreprise », La Revue de l'Entreprise n°10, mars- avril 1994.
2 P. VOLOVITCH, « Santé : qui rembourse
quoi ? » Alternatives économiques, n° Hors série
n° 58, 4ème trimestre 2003, p. 26.
3 Cf. C. DORIVAL, «
Inégalités, exclusion et solidarité en Europe »,
Alternatives économiques, n° Hors Série, n°58,
4ème Trimestre 2003, p. 28.
4 M. TEBASSI, « Le secteur des assurances en
Tunisie : une industrie qui se cherche », L'expert n°8, du 20 au 26
décembre 1996, p. 31-33.
5 Notamment par les lois n° 2001-91 du 7
Août 2001, n°2002-37 du 01 Avril 2002 et n°2005-86 du 15
Août 2005.
6 M. MELLITTI , « L'assurance accident du
travail : les retombées du transfert de la gestion des compagnies
d'assurances à la C.N.S.S », L'expert n°8, du 20 au 26
décembre 1996, p. 39.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 127
Pour dépasser les difficultés financières
qu'elles connaissent les entreprises d'assurance élèvent
généralement le taux des primes que paient les assurés.
Cette solution risque de mener vers une "marchandisation" de la
sécurité sociale.
2. Les risques d'une "marchandisation" de la
sécurité sociale
Le revenu des patients conditionne directement leurs
décisions de consommations de soins... « Si les consommations
de soins sont croissantes avec le revenu, on peut comprendre que le recours aux
soins des plus pauvres soit sensible à leur degré de couverture
maladie »1. Cette relation établie entre le revenu
et le degré de couverture maladie est la même établie entre
le revenu et l'accès à une couverture maladie
complémentaire par les assurances commerciales.
Les assurances commerciales, ayant pour finalité une
individualisation du droit à la sécurité sociale, peuvent
conduire à une commercialisation sans limites des risques sociaux. En
effet, les compagnies d'assurances, par la hausse parfois excessive des primes
d'assurance au titre des risques maladie, maternité et risques
professionnels, vont créer des inégalités.2
Par le recours aux assurances commerciales, l'assuré
social entend "acheter" une couverture complémentaire qui répond
mieux à ses besoins, ainsi que ceux de sa famille, d'où la
naissance des inégalités en matière de santé
puisque celui qui paye le plus conserve mieux sa santé.
Cette finalité lucrative, qui anime les compagnies
d'assurances, risque de ce fait de dévier la protection
complémentaire en matière de sécurité sociale,
confiée à ces organismes, de sa finalité principale
à savoir une individualisation de la protection sociale dans le cadre
d'une solidarité collective entre un groupe d'individus.3
Le risque de "marchandisation" de la sécurité
sociale a un double effet :
D'une part, à l'égard les adhérents qui
risquent de payer trop cher cette couverture complémentaire.
1 P. DOURGNON, M. GRIGNON et F. JUSOT, «
L'assurance maladie réduit-elle les inégalités sociales de
santé ? questions d'économie de la santé »,
Problèmes économiques 19-26 mars 2003, n°2-802, p 31.
2 Cf. N. DUFOURCQ, «
Sécurité sociale : le mythe de l'assurance », Dr. Soc.
n° 3, 1994, p. 291-297.
3 Cf. S AISSA, « Relation assuré
- assureur : la crise », L'expert, n° 8 du 20 au 26 décembre
1996, p. 34.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 128
D'autre part, à l'égard les fluctuations
énormes des dépenses de santé par rapport au
P.I.B.1
D'où la nécessité pour certains de
réguler les dépenses de santé par une régulation
intelligente et transparente des assurances commerciales afin d'éviter
« une concurrence entre les assureurs de soins » qui risque
de peser lourdement sur les assurés.2
Pour d'autres, « la forme la plus radicale de
concurrence dans l'assurance maladie consiste à laisser l'assuré
choisir son niveau de couverture sur un marché privé. La prime
que paye chaque individu doit alors être fonction du risque qu'il
représente et du niveau auquel il souhaite se couvrir
».3
La régulation du secteur des assurances en Tunisie doit
prendre en compte le besoin des individus à une couverture sociale
complémentaire, sans pour autant ignorer l'objectif de
sécurité sociale, ni même le but lucratif des assurances
commerciales.
Ce risque de "marchandisation" de la sécurité
sociale semble être inévitable puisque la finalité
lucrative des assurances commerciales ne peut pas être ignoré.
C'est pour cette raison que les travailleurs préfèrent chercher
la couverture complémentaire auprès des mutuelles.
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