B. La sous-affiliation dans les secteurs informels
Il est évident que des remèdes aux insuffisances
de certains régimes particuliers de sécurité sociale,
institués dans le cadre d'une adaptation du système
général aux caractéristiques des populations
précaires ou "mobiles", sont préconisés
(2). Ces remèdes vont permettre de lutter
contre les facteurs de la sous affiliation caractérisant les
activités précaires (1).
1. Les causes de la sous affiliation
Le faible nombre des adhérents dans certains
régimes spéciaux de sécurité sociale, notamment
celui prévu par la loi de 2002 instituant un régime particulier
à certaines catégories de travailleurs, peut être dû
à plusieurs facteurs dont :
? L'exercice par certains travailleurs de plusieurs
activités de différents secteurs chez divers employeurs pour des
durées de temps trop limitées, ce qui rend trop difficile leur
déclaration auprès de la C.N.S.S.
? La discontinuité de l'emploi de ces travailleurs, ce
qui va influencer leurs gains et par la suite leur capacité
contributive.
? La faiblesse des revenus des travailleurs fait de la
satisfaction de leurs besoins alimentaires une préoccupation presque
unique.
? L'absence de cultures et de traditions de couverture pour
ces catégories dont le niveau culturel n'est pas très
élevé.1
? L'éloignement des lieux du travail des structures
régionales de la C.N.S.S.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 120
? La dispersion des petites exploitations agricoles et le travail
saisonnier qui caractérise l'activité agricole.
? L'exercice de l'activité agricole, ainsi que
l'activité artisanale dans un cadre familial (ascendants, descendants,
frères, soeurs, conjoint, beaux frères et belles soeurs de
l'exploitant).2
Le faible taux d'affiliation dû aux facteurs
précités suscite des solutions afin de remédier aux
insuffisances de la couverture par ces régimes particuliers de
sécurité sociale.
2. Les remèdes
préconisés
Dans un système de sécurité sociale
fondé sur une conception professionnelle, si l'universalisation de la
sécurité (a) pourrait présenter
un défi difficile à abattre dans un pays en voie de
développement, une autre solution peut être retenue et consiste en
l'institution d'une couverture sociale adaptée à ces
catégories (b).
a) L'universalisation des régimes
particuliers
L'universalisation de la sécurité sociale
paraît être séduisante puisqu'un droit à la
santé et aux prestations de soins va être reconnu pour toute la
population, du fait que le financement s'opérera par le biais de
l'impôt et sera donc à la charge de toute la communauté.
Ainsi, il serait en faveur des travailleurs précaires,
le fait d'instituer un système universel pour les régimes
précaires et informels. Cette solution semble être opportune pour
une population relativement importante, mais présente, toutefois, une
source d'inégalité sociale puisqu'« il est certain que
confiner les gens à être des récipiendaires des prestations
sans effort contributif de leur part pourrait les encourager dans
l'oisiveté et ils pourraient de ce fait se complaire dans un
système
1 K. ESSOUSSI, « L'extension de la couverture
sociale aux populations économiquement vulnérables vers un
nouveau système », R.T.D.S., n° spécial
sécurité sociale, n°10-2004, p. 143.
2 A. MOUELHI, « Essai sur les
difficultés d'extension de la sécurité sociale dans le
secteur agricole en Tunisie », Revue tunisienne d'administration publique
(SERVIR) n°9, 3ème Trimestre 1993, p.17.
- V. aussi le même Art. R.I.S.S. n° 4,1993, p.
27-42.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 121
d'assistance loin d'encourager l'initiative pour
s'insérer dans le circuit économique 1».
De surcroît, il parait que la conception professionnelle
a réussi dans la couverture des catégories socioprofessionnelles
organisées dans des régimes structurés2 et par
la suite la sous affiliation dans les régimes particuliers n'est pas due
à l'option pour la conception professionnelle.
C'est pour cette raison que la solution pourrait être
recherchée dans le système professionnel par l'aménagement
des conditions d'affiliation vers l'institution d'une couverture sociale
adaptée au travail précaire.
b) L'institution d'une couverture sociale
adaptée au travail précaire
Vu l'importance du travail précaire3 et
l'important nombre des travailleurs précaires qui se trouvent dans
l'immense majorité des cas dépourvus de leurs droits sociaux,
notamment leur droit à la santé, s'est émergée
l'idée d'institution d'un système de sécurité
sociale aménagé qui correspond mieux aux
spécificités du travail précaire. Cette idée repose
sur les éléments suivants :
? L'adoption d'un régime transversal pour ces
catégories précaires consiste à acquérir des droits
des différentes activités exercées par le travailleur, il
s'agit d'une totalisation des droits acquis par un travailleur poly-actif dont
la spécificité est de changer fréquemment d'employeurs.
? Le prélèvement collectif des cotisations
employeurs par secteur d'activité, ce qui va permettre d'éviter
la déclaration des travailleurs occasionnels qui seront tout de
même couvert puisque le prélèvement des cotisations
employeurs se fera de façon collective que ceux-ci emploient ou non les
précaires.
? La mise à la charge du travailleur mobile de se faire
valoir ses droits puisque l'obligation de déclaration n'incombe plus
à l'employeur. Cette charge peut être assurée par des
"chèques tri volets" qui correspondent à des journées de
travail.
1 K. ESSOUSSI, Art. Préc., p. 145.
2 Dans ces régimes structurés
où les prestations sont consistantes, les taux d'affiliation sont assez
significatifs avoisinant les 100%.
3 Cf. M. LAAJILI, Le droit à la
sécurité sociale et la précarité de l'emploi,
mémoire pour l'obtention du mastère en Droit social,
Faculté de droit de Sfax, 2006-2007.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 122
A chaque journée de travail l'employeur muni de ces
chèques peut faire preuve d'un certain nombre de jours de travail et
peut ainsi se prévaloir de ses droits.
? La couverture du droit aux prestations de soins par le
paiement d'une cotisation forfaitaire minime qui est de l'ordre de 10 dinars
par trimestre et que le travailleur doit acquérir (sous forme de timbre)
à l'occasion du versement des chèques tri volets.1
Il y lieu de noter que la couverture du droit aux soins de
santé pour ces catégories de travailleurs précaires aurait
due présenter une préoccupation majeure pour le
législateur lors de l'adoption de la loi de 2004 instituant le nouveau
régime d'assurance maladie, puisque avec une réforme semblable il
n'aurait pas dû rester des exclus.
Avec les insuffisances constatées et les remèdes
préconisés, le système de sécurité sociale
en Tunisie, fondé sur la conception professionnelle, pourrait
étendre la protection sociale par d'autres techniques de
sécurité sociale.
1 K. ESSOUSSI, Art. préc. P. 146-147.
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accès au droit à la santé 123
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