CHAPITRE IV : DE L'ARMEE OUTIL DE GUERRE A L'ARMEE
FACTEUR DE PAIX REGIONALE
Ce chapitre analyse différents points dont :
Armée outil de guerre ; FRD et occupation de la RDC ; Armée
facteur de paix régionale armée instrument de légitime
défense (charte e l'ONU) ; armée instrument de maintien de la
paix (dans le cadre de l'ONU, de l'UA, du Pacte sur la sécurité,
la stabilité et développement de la région des grands
lacs.
Rappelons ici que, la géopolitique, selon une
définition du général français Pierre Maurice
Gallois, enseigne les voies de la puissance ; elle étudie les relations
qui existent entre la conduite d'une politique de puissance portée sur
le plan international et le cadre géographique dans lequel elle
s'exerce. Et la politique de puissance par excellence c'est la guerre,
activité définie par le général Prussien Von Carl
Clausewitz comme un conflit de grands intérêts réglé
par le sang et comme l'opération militaire, l'exercice de la contrainte
destinée à continuer la politique (de paix) par d'autres moyens.
Et pour souligner l'importance de la relation de la guerre avec la politique,
le Maréchal Montgomery écrit dans son histoire de la guerre que
les conflits armés ont toujours affecté foncièrement, en
bien ou en mal, les progrès de l'humanité dans tous les domaines
; le verdict des armes a constitué à tout moment le facteur
décisif dans l'évolution historique sans être le seul bien
entendu. Les guerres sont inhérentes à la nature humaine ; elle a
toujours constitué un moyen d'arbitrage quand toutes les autres
manières d'aboutir à un accord échouaient et que son
jugement dépendait plus de la force que du droit. C'est pour cette
raison que Nicolas Machiavel faisait aux princes le devoir de faire de l'art de
la guerre, leur unique étude et leur seule occupation parce que
l'existence et la grandeur d'un Etat n'étaient possibles que si le
pouvoir militaire avait sa place propre dans le système politique,
puisque une bonne organisation militaire demeure le fondement de tout Etat.
La géopolitique d'une guerre concerne donc l'analyse
des intentions des acteurs ou la perception et la définition des menaces
à contrer ou les
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ambitions à réaliser ; la mise en perspective
dans la durée des intentions et de comportements (continuité,
permanence, constantes, ruptures et changements) et surtout saisir comment ces
intentions et comportements structurant la guerre s'inscrivent territorialement
soit, l'impact sur la géographie des intentions ou opérations de
guerre. Appliquée aux institutions de paix post-conflit, la
géopolitique nous renseigne sur la qualité et la solidité
des diplomaties et des politiques de défense en présence et
surtout sur la certitude et l'efficacité institutionnelle du
système de `gouvernance post-conflit.
Il convient ici de mentionner que deux conditions sont
essentielles pour le succès d'une stratégie :
? connaître l'adversaire, ses forces, ses intentions,
ses mouvements,
? bénéficier de la surprise.
C'est pour ces raisons que le renseignement est une fonction
indispensable, un maillon incontournable de la stratégie, et que
l'espionnage est « un des plus vieux métiers du monde ».
Tout stratège se préoccupe du moral de ses
troupes et s'emploie aussi à agir sur l'esprit de l'adversaire, au
niveau de ses dirigeants et de son
opinion publique. Les manipulations de l'information,
les ruses, les mensonges sont de « bonne guerre » s'ils
permettent de tromper, d'intoxiquer, de dérouter l'ennemi.
La Stratégie militaire quant
à elle, est un nom collectif pour projeter la conduite de guerre.
Dérivé du Grec strategos, la stratégie a
été
vue comme « art de généralités". La
stratégie militaire traite la planification et la conduite des
campagnes, le mouvement et la disposition des forces, et la déception de
l'ennemi. Le père de l'étude stratégique moderne, Karl Von
Clausewitz, définit la stratégie militaire comme « emploi
49 Jean- Claude WILLAME, « Laurent
Désiré Kabila : les origines d'une anabase », in Politique
Africaine, n° 72, 1998, p. 72.
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des batailles pour gagner la fin de la guerre. ». La
stratégie militaire était une d'un trivium des « arts »
ou des « sciences » qui régissent la conduite de la guerre ;
les autres étant la tactique, l'exécution des plans et manoeuvre
des forces dans la bataille, et logistique, l'entretien d'une armée. La
ligne de frontière entre la stratégie et la tactique est
brouillée et parfois la catégorisation d'une décision est
une question d'opinion presque personnelle.
Stratégie et la tactique sont étroitement
liées. Tous les deux traitent la distance, le temps et la force mais la
stratégie est grande échelle tandis que la tactique est petite
échelle. À l'origine on a compris que la stratégie
régit le prélude à une bataille tandis que la tactique
commandait son exécution. Cependant, dans guerres mondiales du
20ème siècle, la distinction entre la manoeuvre et la bataille,
stratégie et tactique, sont devenues brouillées. L'art des
stratégies définit les buts pour réaliser dans une
campagne militaire, alors que la tactique définit les méthodes
pour réaliser ces buts. Les buts stratégiques pourraient
être « nous voulons conquérir le secteur X », ou «
nous voulons arrêter l'expansion du y de pays dans le commerce mondial
dans le produit Z » ; tandis que les décisions tactiques
s'étendent de « nous allons faire ceci par une invasion navale du
nord du pays X », « nous allons bloquer les ports du pays Y »,
toute manière vers le bas « peloton de C attaquerons tandis que le
peloton de D fournit la couverture du feu ».
L'existence de l'espace territoriale rwandais a toujours
constitué une préoccupation pour les dirigeants de cet
Etat-cité. En conduisant la « guerre de libération » au
Congo, le Rwanda ne cache pas ses visées expansionnistes. Il veut, par
cette guerre, arriver à « l'organisation d'une conférence
internationale pour redistribuer des terres des Grands Lacs, quitte à
réviser les frontières, puisque avec une densité
démographique de 265 habitants au km2, ce pays ne peut abriter tous les
Hutus et les Tutsis devenus par Hasard des Rwandais »49 Le
manque de terre justifie ainsi la participation du
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Rwanda à la guerre de libération du Congo. Le
discours du chef de l'Etat rwandais prononcé à Cyangugu en
octobre 1996 est explicite à ce sujet : « je voudrais dire,
commence-t-il, à tous les rwandais éparpillés ici et
là à l'étranger qu'à l'arrivé des Blancs au
Rwanda (...) il s'étendait des Lacs Rweru et Cyohoha franchissant la
chaîne des volcans jusqu'au Lac Rusumo. Il s'étendait aussi de
Rusumo jusqu'aux frontières du Buhunde et (...) Même la
région appelée Bishugi et les autres situés actuellement
au Zaïre, faisaient partie du Rwanda »50. Plus loin, le
Chef de l'Etat rwandais considère les Banyamulenge comme leurs «
congénères » et les territoires qu'ils habitent comme des
espaces géographiques rwandais. Il invite les Banyamulenge à y
demeurer, à rester donc « chez eux pour corriger et donner la
leçon de savoir vivre à ceux là qui veulent les chasser
»51
Ce discours autorise-t-il à penser que le Rwanda
cherche un redécoupage des frontières territoriales ?
Tout porte à répondre par affirmative dans la
mesure où le 30 octobre 1996, la présidence de la
République rwandaise diffusait un communiqué par lequel elle
proposait la tenue d'une conférence de Berlin II qui rediscuterait des
frontières africaines.52
SECTION I. ARMÉE OUTIL DE GUERRE : ARMEE
PATRIOTIQUE RWANDAISE ET OCCUPATION DE LA R.D.CONGO
Le Rwanda s'est principalement impliqué dans la guerre
de libération au Congo pour des raisons liées à la
sécurité nationale, à l'économie (en contre partie
de l'appui que leur accorde le Rwanda dans la guerre de libération du
Congo, les responsables de l'AFDL auraient pris l'engagement d'aider les
autorités rwandaises à accéder aux richesses naturelles de
la République Démocratique du Congo) ainsi qu'à une
visée expansionniste.
50 Discours du Pasteur Bizimungu, ex- président
de la République du Rwanda, prononcé à Cyangugu, le 10
octobre 1996 cité par Jean Claude Willame, les
Banyarwanda...op.cit, p. 41
51 Idem
52 MULAMBA NGELEKA : « Alliances
stratégiques et conflits armés dans la Région des Grands
Lacs : op.cit
70
Dans une interview accordée au Washington Post, le
Général Kagame avait dit avoir planifié la marche de
l'AFDL sur Kinshasa53. Pour lui, « les rebelles congolais ne
jouent qu'un rôle d'appoint à un processus mené de bout en
bout par le Rwanda »54 qui cherche à tout prix à
« extirper du zaïre le reliquat des ex-forces armées
rwandaises et des milices extrémistes hutus »55 tant que
ceux-ci se servaient « de centaines de milliers de boucliers humains
». Le général rwandais confirme que son « plan de
bataille était simple. Le premier était de démanteler les
camps. Le second était de détruire la structure de l'armée
hutu et des milices (Interahamwe) basés dans et autour des camps, soit
en les contraignant à rentrer au Rwanda, soit à les combattre ou
à les disperser. Le troisième but était plus large :
abattre Mobutu »56. Paul Kagame avait pris cette grave
décision à l'issue d'un voyage qu'il avait effectué aux
États-Unis d'Amérique au mois d'août 1996. Au
département d'Etat américain, il avait déclaré que
« les camps des refugiés devraient être
démantelés et que si les Etats- Unis ne s'en chargeaient pas,
quelqu'un d'outre pourrait le faire » 57
La sécurité nationale commandait une telle
mesure quand on sait que des milliers des Hutus fuyant le Rwanda, à la
suite de la victoire de l'APR sur les Hutus, s'étaient entassés
dans des camps des réfugiés en RDC. Dans certains camps comme
ceux de Panzi, Kashusha, Mugunga « qui abritaient surtout les
réfugiés Hutus, les entrainements avaient continué, tous
les jeunes en âge de porter les armes avaient été
recrutés et formés en milices lesquels effectuaient des
expéditions-commandos au Rwanda, dans le but d'éliminer les
témoins gênants, des survivants Tutsis, ou à s'attaquer aux
autorités communales qui avaient eu l'imprudence de collaborer avec le
régime de Kigali » 58 . Les autorités de Kigali avaient une
autre raison particulière d'en vouloir au régime de Mobutu.
Celui-ci allié au Président Juvénal Habyarimana lui avait
prêté main forte en octobre 1990, en lui
53 DIALOGUE, n° 201 Cité par Mulamba
Ngeleka, Op.cit P. 321
54 Jean Claude Willame Op.cit p. 75
55 Frederic FRISTER, in Le Monde, 18 mars 1997, p.2
56 John POMFERT, « Rwanda led revolt in
Congo» in Washington Post, 9 juillet 1997. P.127
57 Jean Claude Willame, Laurent Désiré.
Op.cit
58 Colette BRAEKMAN et al. Kabila prend le
pouvoir, Bruxelles, GRIP, 1998. P.98
71
envoyant un contingent de 500 hommes pour aider les F.A.R
à repousser l'A.P.R
Le Rwanda mène une politique d'une rigidité et
d'une fermeté impressionnante qu'il amène à garantir ses
intérêts régionaux immédiats par les forces des
armes en cela, elle mène une politique de puissance agressive. Par cette
agressivité, le Rwanda entend instaurer un équilibre de forces
à sa manière, pour ne pas avoir à subir la loi des
autres.
La priorité est faite à la
sécurité. Celle-ci, en même temps qu'elle favorise une
gestion durable du génocide de 1994, permet de faire face à la
menace que constituent les bandes armée appelées « forces
négative » d'idéologie génocidaire opérant au
Burundi et en RDC Joseph MUTABOBA déclare à cet effet «
qu'après tous les conflits que nous avons eus (...) la
sécurité reste la priorité des priorités ».
Sans doute ceci explique-t-il l'écart déjà comblé
par le Rwanda en matière d'armement pour pouvoir compter sur la
scène régionale et rendre vaine toute tentative d'agression ou de
déstabilisation. En effet, l'armée rwandaise paraît
être la plus redoutable de la région. Elle est dotée d'une
impressionnante capacité de projection. Cette notion signifie qu'elle
peut intervenir et employer une force adaptée à
l'extérieur des frontières, incluant des hommes, système
d'armes et logistiques à plusieurs milliers de Kilomètre dans un
bref délai, avec la possibilité de la soutenir dans la
durée, voire préparer le retour de la paix. Elle est
également dotée de moyens de prévention (renseignements,
alliances) extérieures et présentent un atout dissuasif qui
protège le territoire national.
C'est de cet avantage offensif que provient l'orgueil dont le
Rwanda se vante dans la région des Grands Lacs. Cela avait
déjà été démontré lors de l'agression
de la RDC de 1996 à 2003. Elle a constitué par la suite un
puissant instrument de pression sur le gouvernement congolais, chaque fois que
le Rwanda menaçait d'intervenir militairement en RDC depuis la
transition, alors que le gouvernement congolais était accusé
d'armer et de coopérer avec les FDLR, forces négatives
menaçant en permanence l'intégrité territoriale du Rwanda.
Face à la menace des forces négatives, le Rwanda conçoit
le Kivu, en RDC, comme une zone tampon, sur laquelle importent
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ses problèmes d'insécurité, en
créant une force de barrage qui permet d'assurer une
sécurité relative à ses frontières. Il s'agit
là d'un mécanisme subversif visant à créer une
menace chez autrui pour assurer sa sécurité. C'est dans ce cadre
que nous comprenons le soutien longtemps décrié du Rwanda, aux
rébellions en RDC depuis 2004. De la guerre de 14 jours à Bukavu
en 2004 à la dernière guerre du CNDP de NKUNDA que nous appelons
« guerre du Kivu de 2004 à 2009, la main invisible du Rwanda a agi
à travers ses intermédiaires congolais.
L'existence de cette alliance à toujours
été à la base de sérieuses inquiétudes du
côté rwandais, ce qui a expliqué cette fermeté du
Rwanda à l'égard du Congo. Le poids de l'ingérence aurait
été d'autant plus lourd en cas d'une éventuelle
réconciliation du gouvernement rwandais avec les rebelles Hutus. Dans
ces conditions, le Rwanda serait alors un gouvernement contrôlé.
La meilleure solution donc serait d'inverser les rôles en concevant un
mécanisme de pénétration du côté congolais.
Cette dernière option concourt notamment à la volonté du
Rwanda d'avoir des hommes de confiance dans le régime en place en RDC.
L'intégration du CNDP au sein de l'armée et des institutions du
pays verra cette dernière se réaliser.
§ 1. Armée facteur de paix régionale
Chaque Etat sérieux doit se doter d'une politique
régionale, nous sous entendons ici son comportement, ses orientations,
et ses options politiques, diplomatiques et stratégiques adoptées
et appliquées une région spécifique.
La région des Grands Lacs africains, pour le rappeler,
est une zone de guerre s'étendant de Luanda à Asmara, espace
géopolitique compris entre l'océan Atlantique et l'océan
Indien. Cet espace a connu cinq grandes crises, mieux six mais dont trois ont
fait l'objet d'un processus régional de paix : la crise de l'Angola, du
Burundi et de la RDC ; tandis que celles de l'Ouganda, du Rwanda et de
l'Éthiopie-Érythrée ont connu une fortune
différente.
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Cinq de ses six crises avaient une origine interne,
excepté celle de l'Éthiopie-Érythrée qui
était une guerre internationale de dispute des frontières. Ces
crises dues à l'instabilité politique interne ont eu un
rebondissement régional. Trois de ces cinq crises ont fait l'objet d'un
processus de paix avec implication de missions onusiennes de maintien de la
paix ; seule la crise congolaise et celle du Burundi ont connu des processus de
paix à dimension régionale : le processus d'Arusha pour le
Burundi et celui de Lusaka pour la RDC. Ces deux processus auraient eu les
mêmes
faiblesses que celui de la crise angolaise ; soit, la
difficulté vraiment de dominer la conjoncture et d'accoucher d'un
changement de contexte et de solutions de paix durable et consensuelle. Dans
tous ces cas l'objectif stratégique aura été de sauver la
médiation ou la facilitation plutôt que d'aplanir les
différends. La paix obtenue aura été souvent fragile et
précaire ; elle n'est devenue durable en Angola par exemple que par la
victoire militaire du MPLA sur l'Unita à la suite de la mort de Jonas
Savimbi.
La quête régionale de paix et de stabilité
dans la crise de la région des Grands Lacs en RDC aura eu ceci de
particulier, l'incapacité des pays de la région de parvenir par
la guerre à mettre en place un semblant d'ordre sécuritaire
régionale ou de parvenir à un règlement
général et global de la première guerre mondiale africaine
au moyen d'une architecture régionale de sécurité et de
stabilité engageant tous les intervenants externes. La guerre
d'agression contre la RDC traitée comme une guerre civile
internationalisée aboutit à un creux ou un vide
stratégique là où avait existé l'ex-Zaïre
comme pivot géopolitique de l'équilibre régional parce que
la stabilité recherchée dans le cadre de la Conférence
internationale de la région des Grands Lacs manquait et manque
aujourd'hui encore cruellement de supports nationaux et régionaux.
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