CHAPITRE I : INSTITUTIONS ET LOGIQUES COMPORTEMENTALES
DES EX-
COMBATTANTS 64
SECTION 1 : LA STRUCTURATION DES STRATEGIES DES EX-COMBATTANTS
64
Paragraphe 1 : Les institutions comme
opportunité 64
Paragraphe 2 : Les institutions comme contrainte
69
SECTION 2 : LES RELATIONS DE POUVOIR ASYMETRIQUES ENTRE ACTEURS
75
Paragraphe 1 : Les relations entre acteurs
étatiques 76
Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les
ex-combattants 81
CHAPITRE II : POLITIQUE DE REINSERTION ET PHENOMENES DE
PATH
DEPENDENCE 88
vi
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
SECTION 1 : LA CRISTALLISATION DE LA LOGIQUE
REPRODUCTRICE 88
Paragraphe 1 : Le HCRP comme contrainte
institutionnelle 88
Paragraphe 2 : Les mécanismes de
résistance de l'institution 95
SECTION 2 : LE DOUBLE IMPACT DE LA DYNAMIQUE
D'INSTITUTIONNALISATION 101
Paragraphe 1 : Le développement d'une onction
tribunitienne 101
Paragraphe 2 : La consolidation d'une culture
politique aristocratique 107
CONCLUSION 113
BIBLIOGRAPHIE 119
ANNEXES 127
ANNEXE 1 1
ANNEXE 2 9
ANNEXE 3 11
1
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
INTRODUCTION GENERALE
La question de l'intégration des minorités
touarègues dans certains Etats africains post coloniaux (Niger, Mali,
Libye, Burkina Faso, Algérie) constitue depuis les indépendances
un des enjeux essentiels de la construction étatique et nationale en
Afrique sahélo-saharienne. En effet, le processus arbitraire «
d'importation de l'Etat-nation
»4 occidental en Afrique,
ignorant toute réalité sociologique et historique des
sociétés africaines, a créé au lendemain des
indépendances politiques des conflits souvent violents entre l'Etat et
la nation2.
Ecartelées entre six (6) Etats postcoloniaux,
l'intégration des communautés touarègues est non seulement
une question nationale mais aussi un enjeu de la géopolitique dans tout
l'espace sahélo-saharien. Au Niger et au Mali, où ces
contradictions se sont traduites par des rebellions armées, la question
touarègue est devenue un problème politique récurrent,
alimenté par une insécurité devenue chronique dans les
deux pays et le discours irrédentiste touareg qui menacent
l'unité nationale et l'intégrité territoriale des Etats
concernés.
En Afrique, l'analyse scientifique des conflits peut
être appréhendée selon les thématiques
développées par la science politique africaniste. Selon Mamoudou
Gazibo, des indépendances africaines dans les années 1960
à l'entrée de l'Afrique dans la
«troisième vague de
démocratisation» (S. Huntington), trois
thématiques ont été privilégiées par la
science politique, à savoir l'Etat, le développement politique et
récemment les transitions démo cratiques3.
C'est donc à la lumière des perspectives
d'analyse produites sur ces objets que les conflits africains ont
été expliqués. L'approche développementaliste, par
exemple, part du postulat que chaque système politique affronte dans son
processus de développement cinq (5) types de crises : crise de
légitimité, crise d'identité, crise de participation,
crise de pénétration et crise de distribution4. La
capacité du système politique à dépasser ces crises
dépend de la différentiation structurelle de ses institutions et
de la sécularisation de la culture politique des populations. Ces
théories qui considèrent les conflits politiques comme
l'antichambre de la modernité ont été critiquées
pour leurs connotations idéologiques, téléologiques et
universalistes5.
D'autres théories de moyenne portée ont
été développées pour dépasser ces
paradigmes. Selon Emmanuel Gasana et al6, deux approches se sont
longtemps affrontées dans l'explication des conflits en Afrique :
l'école essentialiste qui considère les
conflits comme résultant des clivages identitaires, et l'école
instrumentaliste qui, au contraire, s'appuie sur la
construction sociale des conflits par des acteurs intéressés.
1 Bertrand Badie, l'Etat importé :
l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992.
2 Ali Mazuri et A. Mazuri, «Interaction between the state
and the nation in Africa's experience: two decades of independence» in
Enoch Oyodele (ed), Africa : National Unity, Stability and
Development, Ibadan, Yakubu Gowon Centre, 1997, p.33
3 Mamoudou Gazibo, « L'Afrique en politique
comparée » in Revue Camerounaise de Science
Politique, vol 8, numéro spécial 2001, p. 5.
4 Lucian Pye, Crises and sequences ofpolitical
development, Princeton, Princeton University Press, 1991.
5 On peut citer les critiques de Claude Ake
(Social science as imperialism: the theory ofpolitical
development, Ibadan, Ibadan University Press, 1979) et de
Bertrand Badie (Le développement politique,
Paris, Economica, 1994).
6 Emmanuel Gasana et al, « Rwanda » in Adebayo
Adedeji (ed), Comprehending and mastering african
conflicts, Zaria, Ahmadu Bello University Press, 1999, p. 141.
2
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le problème touareg au Niger et au Mali a fait l'objet
d'analyses aussi bien en Afrique qu'en Occident avant et après les
rébellions armées. Mais comme le soutient Modibo Keita, «
la question touarègue soulève des passions dès
qu'elle est abordée, aussi bien du côté des touaregs que
des non-Touaregs »1 Il est, en effet, difficile
de dissocier le discours savant de la littérature militante, tant de par
l'origine sociale des auteurs (Touaregs ou non-Touaregs) que de par les
positions idéologiques que certains « travaux »
prétendument scientifiques trahissent. C'est donc en relativisant le
principe de la neutralité axiologique cher à Max Weber qu'il
faudra aborder le « savoir savant » sur le problème touareg en
Afrique.
L'analyse critique de cette littérature scientifique
nous a permis de repérer plusieurs approches du problème. Dans le
cadre du présent travail, nous mentionnerons quatre (4) thèses
qui nous paraissent les plus intéressantes d'un point de vue s
cientifique2. Selon la première perspective, la
rébellion touarègue est la conséquence d'une politique
délibérée de marginalisation politique et
économique des touaregs inaugurée par la France pendant la
période coloniale et renforcée par l'Etat post
colonial3.
La deuxième thèse, au contraire,
considère la rébellion comme une manipulation des élites
touarègues soutenues par la France pour défendre le pacte
colonial menacé au début des années 1990 par l'irruption
sur la scène politique des forces politiques considérées
comme anti-françaises. Le problème touareg est donc, dans cette
grille analytique, le résultat d'une instrumentalisation des
identités culturelles au profit d'intérêts personnels et de
l'impérialisme français4. Cette position
épousée par les autorités nigériennes est mieux
exprimée par Ganda Ag Wuruwama5.
Une troisième perspective met l'accent sur les
politiques publiques de l'Etat post colonial sur la zone pastorale qui auraient
provoqué une crise du nomadisme ; la rébellion serait
l'expression brutale de cette fracture entre la rationalité d'un Etat
moderne à tendance jacobine et la logique d'une communauté nomade
qui ignore les frontières étatiques.6
Enfin, la quatrième approche postule que la
rébellion résulte d'une absence totale de vision
stratégique de l'Etat et d'une crise de gouvernance
généralisée. La marginalisation économique du nord
Niger n'est que le reflet de la nature néo coloniale de l'Etat post
colonial qui joue encore le rôle à lui assigné par le
système colonial.7 En d'autres termes, le conflit au Nord
1 Modibo Keita, « La résolution du conflit touareg
au Niger et au Mali », Note de recherche n°10, GRIPCI, Juillet 2002,
p. 5.
2 Il est important de préciser que ces thèses ne
sont pas forcément antagonistes. Certaines sont d'ailleurs
complémentaires.
3 Cette thèse est exposée par Mano Dayak dans
Touareg, la tragédie, Paris, J.C.
Lattès, 1992 (en collaboration avec Michael Stuhrenberg et Jérome
Strazzulla.). C'est aussi le cas de Hélène Claudot-Hawad,
«Bandits, rebelles et partisans : vision plurielle des
évènements touaregs, 1990-1992 » in Politique
Africaine n°46, 1992, pp. 143-149.
4 André Salifou, La question touarègue
au Niger, Paris, Karthala, 1993.
5 Ganda Ag Wuruwama, « La rébellion «
touarègue » : genèse et solutions » in SNECS,
Eléments de réponse au programme cadre de la «
Résistance Armée», juin 1994, p. 51.
6 André Bourgeot, Touarègues :
nomadisme, identité, résistance, Paris, Karthala,
1995 et « Le désert quadrillé : des touaregs au Niger »
in Politique africaine n°38, juin 1990. C'est
aussi la position de Mohamed Tiessa-Farma Maiga (Le Mali : de la
sécheresse à la rébellion nomade, chronique et analyse
d'un double phénomène du contre développement en Afrique
sahélienne, Paris, L'Harmattan, 1997).
7 Pr Djibo Hamani, « Les enjeux stratégiques
autour du Sahara à travers l'histoire », Communication à
l'Atelier sur le thème « Conflit au nord Niger : analyse des enjeux
stratégiques et impacts sur le cadre démocratique»
organisé par l'Association Nigérienne de Défense de Droits
de l'Homme (ANDDH) et Alternative Espaces Citoyens, Niamey, 11 août 2007.
Voir aussi Djibo Hamani (interview) in As-Salam,
n°93, août 2007, p. 6.
3
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
reflète l'incapacité des élites
politiques au Niger à rompre avec les déséquilibres
structurels introduits entre les régions par le système colonial
français.
Ces travaux sont d'une richesse indubitable. Les grilles
d'analyses sur lesquelles ils s'appuient sont d'une fécondité
heuristique incontestable. En effet, ils mettent en relief les variables
essentielles telles que les politiques de l'Etat, la question nationale, les
interventions extérieures, le rôle des facteurs écologiques
etc. Ils témoignent ainsi de la multiplicité des causes dans
l'origine du conflit qui relèvent des facteurs à la fois
subjectifs et objectifs. Ceci n'occulte pas des limites d'ordre
épistémologique. De l'ensemble des grilles d'analyse se
dégage un invariant épistémologique : le holisme.
Cette perspective scientifique, chère à Emile
Durkheim, insiste sur les déterminants sociaux qui gouvernent les agents
(un terme significativement préféré à celui
d'acteur) et explique les faits sociaux moins par les rationalités des
acteurs que par des variables objectives liés aux conditionnements
sociologiques. Ces travaux, pour la plupart réalisés par des
historiens et anthropologues, se sont focalisés sur les objets macro
sociaux comme les facteurs écologiques, économiques et culturels
sans donner une place suffisante à des variables d'ordre
stratégique ou institutionnelle. C'est pourquoi, dans le cadre de cette
étude, nous leur accordons "une valeur heuristique
plutôt qu'explicativei1 dans l'analyse de notre
objet.
En d'autres termes, elles nous serviront de point de
départ pour aborder notre problématique qui relève du
champ disciplinaire de la science politique. Outre ces considérations
épistémologiques, il importe de constater que beaucoup de ces
études se rapportent aux causes de la première rébellion
armée dans les années 1990, ou traitent de la
problématique de l'intégration des minorités
touarègues dans l'Etat. Mais depuis le retour de la paix au Niger
à la faveur des différents Accords de Paix signés entre le
Gouvernement du Niger et la Rébellion touarègue, le
problème du Nord Niger semble avoir perdu son intérêt
scientifique pour les chercheurs en sciences sociales.
En effet, comme objet d'étude, la question
touarègue n'a pas nourri de nouveaux travaux, notamment en ce qui
concerne la gestion post conflit. Comme le souligne avec regret Katrina S.
Rogers2, les travaux scientifiques en sciences sociales
s'intéressent plus au conflit qu'à la coopération.
Celle-ci est perçue comme un non événement et «
pour chaque page écrite sur la coopération, ily a 40
autres écrites sur la guerre »3. C'est
ainsi que les politiques publiques de gestion post conflit
élaborées et mises en oeuvre par l'Etat depuis 1995 en vue
d'appliquer les clauses des Accords de Paix et de consolider la paix au Nord
n'ont pas suscité le même engouement de la communauté
scientifique que pour l'analyse du conflit.
Ces politiques étaient formulées sur la base des
Accords de Paix, c'est-à-dire comme les outputs
résultant du traitement par le système politique
des inputs articulés par les rebelles
touaregs, pour employer le langage systémique. D'une part, on distingue
les politiques destinées à honorer des engagements souscrits par
le Gouvernement, à savoir la décentralisation, la gestion de la
sécurité dans le Nord, la réinsertion des ex-combattants
etc. D'autre part, il existe des politiques symboliques destinées
à consolider une culture de la paix, renforcer le sens de l'unité
nationale et de la démocratie. La cérémonie Flamme de la
Paix, la célébration du 24 avril, date de la signature
1 Raymond Boudon, cité par Phillipe Braud,
Sociologie politique, Paris, L.G.D.J., 2006, p.691.
2 K. S. Rogers, «Sowing the seeds of cooperation in
environmentally induced conflicts» in M. Suliman (ed),
Ecology, politics and violent conflicts, London, Zed
Books, 1999, p.259
3 ibid.
4
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
des Accords de Paix définitifs en 1995 comme fête
nationale, les politiques de socialisation à l'école en sont
quelques exemples.
Toutes ces politiques ont eu des impacts, des
outcomes non seulement sur le processus de paix lui-même
mais aussi sur le système politique dans son ensemble. De ce fait, il
apparaît évident qu'elles ont inauguré de vastes chantiers
de recherches pour des disciplines comme la science politique et la sociologie.
Elles offrent ainsi l'occasion de réhabiliter, sinon d'introduire la
question touarègue comme objet d'étude dans la science politique
en tant qu'enjeu de la politique nigérienne.
Jusqu'ici monopolisé par l'histoire et l'anthropologie,
le problème touareg reste largement inexploré dans certains de
ses aspects les plus essentiels liés à la gestion post-conflit.
C'est pour contribuer à enrichir la littérature savante que nous
nous proposons d'analyser la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs. Notre démarche se démarque ainsi des travaux
antérieurs en ce qu'elle aborde non pas la problématique du
conflit, mais l'étude d'une politique publique issue de celui-ci.
Beaucoup de mutations qualitatives ont été
induites par les politiques de gestion post conflit. La politique de
réinsertion des ex-combattants qui nous intéresse dans ce travail
semble montrer ses limites depuis quelques années. La naissance du MNJ
depuis février 20071, même si elle n'est pas au centre
de notre problématique, n'en constitue pas moins une justification
éloquente. Rien qu'en nous limitant à la qualité des
acteurs de la nouvelle rébellion, il apparaît que
désormais, aucune analyse du problème touareg ne saurait faire
l'économie de l'étude des politiques de gestion post conflit en
général et de la politique de réinsertion des
ex-combattants en particulier.
En outre, bien avant la résurgence de la
rébellion dans le Nord, de nombreux indices de crise alarmants
autorisaient tout chercheur à s'interroger sur les effets réels
de la réinsertion sur le processus de paix. Les phénomènes
de désertions, de révocations des combattants touaregs
intégrés au sein des corps militaires et para militaires,
l'insécurité sporadique dans le Nord, l'inflation des
revendications des ex-combattants, les conflits internes, souvent violents, au
sein des ex-Fronts pour ne citer que ceux-là, étaient autant de
contradictions issues de la gestion post-conflit dont l'analyse s'avère
incontournable pour appréhender la résurgence du conflit dans le
Nord.
Notre étude s'articule autour de la question de
recherche suivante : Quel est l'impact des institutions sur la
politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs ? Le
traitement de cette question appelle à une rupture
épistémologique avec les cadres conceptuels et théoriques
jusqu'ici en vogue. Nous l'aborderons dans le cadre de l'analyse des politiques
publiques.
L'analyse des politiques publiques est « l'un
des secteurs les plus dynamiques de la science politique
»2 comme le soutient Philippe Braud. Pour Pierre
Muller, l'analyse des politiques publiques est « la science de
l'Etat en action »3. La littérature
savante regorge d'une multitude de définitions du concept de politique
publique.4 Le concept est défini par Jean Claude Thoenig
1 Le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) est
le nom de la nouvelle rébellion touarègue qui a
débuté ses attaques en février 2007. Elle est
animée sur le terrain par d'anciens rebelles touaregs
intégrés dans les corps militaires et para militaires à la
suite des Accords de Paix.
2 Phillipe Braud, op cit, 597.
3 Pierre Muller, Les politiques
publiques, Paris, LGDJ, 2000, p. 543
4 J. C. Thoenig en recensait déjà une
quarantaine de définitions dans sa présentation du Tome IV du
Traité de Science Politique dirigé par
J. Léca et M. Grawitz, p. XII.
5
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
comme désignant « les interventions
d'une autorité investie de puissance publique et de
légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique ou du
territoire »1.
Ces politiques se caractérisent par leur triple forme :
« elles véhiculent des contenus, se traduisent par des
prestations et génèrent des effets
»2. Il n'est pas aisé de dissocier
l'analyse des politiques publiques de l'analyse classique de la science
politique. En effet, étant « des ensembles
structurés, réputés cohérents d'intentions, de
décisions et de réalisations imputables à une
autorité publique, locale, nationale ou supranationale »,
les politiques publiques apparaissent comme les résultats
du jeu politique ; car la politique (politics)
implique nécessairement la production des politiques publiques
(public policies) qui s'expriment dans l'action ou
l'inaction de l'Etat.
Pour le politiste américain Harold Lasswell, l'essence
de la politique réside dans « qui obtient quoi, quand
et comment? »4. Dans une perspective similaire,
David Easton en définissant la politique comme «
l'allocation autoritaire des valeurs » place les
politiques publiques au centre de l'action politique. Ceci témoigne de
la forte filiation entre la politics et la
public policy5. Mais celle-ci n'occulte
pas cependant des divergences d'approches, et même d'objet d'étude
entre les deux perspectives.
La démarche de la science politique peut être
illustrée par les paradigmes pluralistes et élitistes. Comme le
constate Marc Smyrl, «pour les pluralistes, l'Etat est avant
tout une arène où s'affrontent des intérêts divers.
Les politiques publiques dans ce schéma ne sont que les enjeux de cette
compétition. Une fois trouvée la réponse à la
question fondamentale « qui gouverne », la question subsidiaire
«pourquoifaire » trouve d'elle-même sa réponse
»6. Cette appréhension des politiques
publiques est aussi perceptible dans la théorie élitiste qui
considère les politiques publiques comme « une
traduction fidèle des relations de pouvoir qui les produisent
»7. Paul Pierson conclut ainsi que les
politologues appréhendent les politiques publiques comme une variable
dépendante résultant des rapports de forces, mais jamais comme
une variable indépendante, c'est-à-dire un des
déterminants de ces rapports de forces8.
L'analyse des politiques publiques a constitué une
avancée significative dans l'analyse politique. Pour Pierre Muller,
« ce qui caractérise le mieux le renversement
opéré par l'analyse des politiques publiques est le fait qu'elle
entend saisir l'Etat à partir de son action, c'est-à-dire
à partir de ses outputs »9. Ce champ
d'étude a ainsi permis de « sociologiser notre regard
sur l'Etat » (P. Muller), en même temps qu'elle a
révélé que « lesfonctions de gouvernement
sont irréductibles aux processus de représentation politique et
que l'on ne peut pas «déduire» le contenu et les formes des
actions gouvernementales (en tant qu'activités spécifiques) des
caractéristiques de la «politique
électorale» »10.
1 J. C. Thoenig, «Politique publique» in Laurie
Boussaguet et al (dir), Dictionnaire des politiques
publiques, Paris, Presses de Science po, 328.
2 Ibid.
3 Phillipe Braud, op cit, p. 597.
4 Cité par Adesina Sambo, « What is public policy
? » in R. Anifowose and F. Enemuo (eds), Elements of
Politics, Lagos, Malthouse Press Limited, 1999, p. 299.
5 Ibid.
6 Marc Smyrl, « Politics et policy dans les approches
américaines des politiques publiques : effets institutionnels et
dynamiques de changements » in Revue Française de
Science Politique, vol 52, n°1, février 2002, p
39.
7 Ibid ;
8 Paul Pierson, « When effects become causes
», World Politics, 45 (4), 1993, p. 595
cité par Marc Smyrl, ibid.
9 Pierre Muller, « L'analyse cognitive des politiques
publiques : vers une sociologie de l'action» in Revue
Française de Science Politique, vol 50, n°2, p.
190.
10 Ibid.
6
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Par ailleurs, comme toute discipline, l'analyse des politiques
publiques est traversée par plusieurs théories explicatives.
Celles-ci peuvent se résumer en deux grandes tendances, à savoir
les approches étatiques et les
approches pluralistes1. Entre ces deux
extrêmes se positionnent des théories médianes, plus
récentes et plus éclectiques. C'est le cas du
néo-institutionnalisme. L'institutionnalisme historique qui en est une
variante constitue notre cadre théorique d'analyse dans la
présente étude.
Le néo-institutionnalisme s'est développé
comme perspective théorique en science politique au début des
années 80 en réaction aux courants behavioristes et
structuro-fonctionnalistes en vogue depuis les années 502.
Ceux-ci avaient eux-mêmes été construits comme
dépassement de l'ancien institutionnalisme, très critiqué
pour son approche idéaliste et formaliste des phénomènes
politiques. Le néo-institutionnalisme partage avec l'ancien
institutionnalisme l'utilisation des institutions comme variables explicatives
autonomes, mais s'en démarque non seulement par une définition
plus large de l'institution, mais aussi par son champ d'investigation allant
au-delà des seules institutions formelles.
Alors que l'ancien institutionnalisme se focalise sur la
démocratie et ses institutions, le néo-institutionnalisme
s'intéresse à des objets et thématiques comme
l'étude traditionnelle de l'Etat, la démocratisation, les luttes
pour le contrôle du pouvoir, le rôle des grandes entreprises, les
politiques publiques etc. En outre, contrairement à la définition
formelle de l'institution propre à l'ancienne tradition
institutionnelle, le néo-institutionnalisme offre une définition
qui couvre les institutions formelles, les normes sociales, les symboles et les
idées3. Si cette approche s'est développée dans
des domaines divers, c'est surtout en politique comparée et en
politiques publiques qu'elle s'est imposée.
Le néo-institutionnalisme s'inscrit dans un
débat scientifique autour des facteurs explicatifs des
différences de trajectoires des Etats occidentaux en matière de
politiques publiques. Dans les années 70 et 80, trois thèses
dominaient ce débat. La première s'articule autour des «
valeurs nationales» et établit un lien
entre les vues socio-économiques d'une population et les prestations
sociales de l'État. La seconde postule que la taille de l'Etat
Providence est fonction du niveau de développement économique
d'un État. La dernière, enfin, défend l'idée que
les politiques sociales sont tributaires de la capacité de mobilisation
des acteurs4. L'apport du néo-institutionnalisme a
été d'introduire la variable institutionnelle dans l'analyse.
Toutefois, en science politique, le
néo-institutionnalisme n'est pas une approche homogène, il
renvoie à trois écoles ou variantes : l'institutionnalisme
historique, l'institutionnalisme des choix rationnels et l'institutionnalisme
sociologique. Selon Peter A. Hall et Rosemary C.R Taylor5, il existe
deux questions fondamentales pour toute analyse qui se veut institutionnelle
:
- Comment se construit la relation entre institution et
comportement ?
1 Pierre Muller et Yves Surel, L'analyse des
politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998, pp 33-52.
2 Mamoudou Gazibo, « Le néo-institutionnalisme
dans l'analyse comparée des processus de démocratisation »,
Politique et Sociétés, vol 21,
n°3, 2002, p.139.
3 Ibid, 140.
4 Daniel Béland, «Néo-institutionnalisme et
institutions sociales : une perspective sociologique» in
Politique et Sociétés, vol 21,
n°3, 2002, pp. 24-25.
5 Peter A. Hall, Rosemary C.R. Taylor, « La science
politique et les trois institutionnalismes », Revue
Française de Science Politique, vol 47, n°3-4,
1997.
7
La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
- Comment expliquer les processus par lesquelles les
institutions naissent ou se maintiennent ?
L'institutionnalisme historique est une réaction aux
analyses politiques en termes de groupes en politique1 et au
structuro-fonctionnalisme2. Contrairement à la
première perspective, l'institutionnalisme historique recherchait les
explications des situations politiques dans la distribution inégale des
pouvoirs et des ressources, dans l'organisation institutionnelle de l'Etat et
des structures économiques. En cela, et tout en élargissant la
notion d'institution, cette grille d'analyse fait justice à une ancienne
tradition en science politique qui met au centre de ses analyses les
institutions officielles.
Face à la deuxième perspective,
l'institutionnalisme historique considère l'organisation
institutionnelle ou l'économie politique comme facteur fondamental de
structuration des comportements collectifs, contrairement à la tendance
fonctionnaliste à privilégier des paramètres propres aux
individus comme régissant le fonctionnement du système
politique3. Aussi, l'institutionnalisme historique se distingue des
théories pluralistes ou néo-marxistes en accordant une attention
centrale à l'Etat. Celui-ci n'est plus conçu comme «
un agent neutre arbitrant les intérêts concurrents,
mais un complexe d'institutions capable de structurer la nature et les
résultats des conflits entre groupes
»4.
Les travaux de Theda Skocpol sur les révolutions
sociales ont été pionniers dans la redécouverte des
institutions et l'introduction de l'approche stato-centrée dans
l'analyse politique5. L'explication de la gestion post conflit sous
cet angle exige, par ailleurs, une opérationnalisation de la
théorie. C'est de cette démarche que procèdent nos
hypothèses de recherche qui sont inspirées de
l'institutionnalisme historique. Notre recherche a consisté, en effet,
à tester les trois hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 : Les institutions
existantes, lors de l'émergence de la politique de réinsertion
des ex-combattants touaregs, exercent une influence structurante sur la
configuration de la politique elle-même et des institutions qui en ont
résulté.
Hypothèse 2 : Les institutions de
gestion post conflit influencent les comportements des acteurs à travers
une structuration de leurs choix et stratégies et la configuration
asymétrique des pouvoirs qu'elles imposent.
Hypothèse 3 : Les institutions de
gestion post conflit et la politique de réinsertion engagent la
dynamique de leur reproduction en raison des intérêts
matériels et symboliques qu'elles conf$rent aux
acteurs.
Ces hypothèses constituent en même temps nos axes
principaux de recherche. Elles tentent de répondre à trois
questionnements essentiels propres à toute problématique
d'analyse institutionnelle. Il s'agit de l'origine des institutions, du lien
entre institutions et comportements des individus et enfin du maintien des
institutions.
1 Arthur Bentley fut un des précurseurs de la
group theory of politics et de la
behavioural revolution avec son Process
of Government (New York, Alfred A. Knopf inc, 1908). Pour lui,
l'essence de la politique est à rechercher dans la dynamique des groupes
comme il l'exprimait en ces termes : « When the groups are
adequately stated, everything is stated. When i say everything, i mean
everything. The complete description will mean the complete science, in the
study of socialphenomena, as in any other field». L'analyse
en termes de groupes fut approfondie par David Truman dans the
Governmental process (Illinois, Evanston, 1951). Voir Alan
Isaak, Scope and methods ofpolitical science,
Homewood, The Dorsey Press, 1969, p. 208.
2 G. Almond et G. Powell, Comparative politics: a
developmental approach, Little, Brown & co, 1966.
3 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p 470.
4 Ibid, p 471.
5 Mamoudou Gazibo, Jane Jenson, La politique
comparée, Montréal, Presses de l'Université
de Montréal, 2004, p.201
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
La première hypothèse permet de saisir le poids
des institutions existantes, c'est-à-dire de la continuité
historique sur la nature des institutions nouvelles et de la politique de
réinsertion. Il s'agit précisément de répondre
à la question suivante : dans quelle mesure la politique de
réinsertion des combattants touaregs et les institutions de gestion du
conflit portent-elles l'empreinte des institutions existantes1 ? Les
institutions, soulignent les néo-institutionnalistes, émergent
dans un monde saturé d'institutions, lesquelles exercent une influence
sur la nature et la forme des nouvelles institutions. La valeur heuristique de
cette proposition permet d'appréhender les éléments de
continuité et de rupture tels qu'ils s'expriment dans les institutions
issues du conflit touareg.
La deuxième hypothèse se rapporte à
« une question cruciale pour toute analyse institutionnelle
»2, à savoir comment les institutions
affectent-elles les comportements des individus ? Le lien entre institution et
comportement des acteurs est analysé selon une double démarche.
Dans une perspective calculatrice, il s'agit d'abord de montrer comment
l'institution structure les choix et les actions des acteurs impliqués
dans la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs. Les
institutions, « tout en modelant la façon dont les
acteurs perçoivent ou comprennent leurs propres intérêts
»3, fournissent également à ceux-ci
des informations sur les comportements possibles des autres acteurs.
Ensuite, la structuration des comportements des acteurs est
analysée en termes de relations asymétriques de pouvoirs que
toute institution impose aux acteurs. La configuration institutionnelle, en ce
qu'elle distribue inégalement les ressources et les pouvoirs entre
acteurs, constitue une variable indépendante dans l'explication des
situations politiques. Cet aspect important de l'hypothèse offre la
possibilité d'examiner l'impact des inégalités issues du
cadre institutionnel de la gestion post conflit et également celui des
normes de répartition des ressources entre les ressortissants de la
politique.
La troisième hypothèse repose sur la
théorie de path dependence. Dans son essence,
cette notion part du postulat que « les institutions durent
parce qu'une fois créées, elles génèrent les
conditions de leur permanence en engageant la dynamique de leur reproduction
»4. L'analyse des processus de maintien et de
reproduction des institutions issues de la politique de réinsertion
permet de mesurer l'impact du policy legacy et du
rôle des effets d'auto renforcement.
La notion de path dependence met en
exergue la dynamique d'institutionnalisation des politiques publiques et leur
tendance à élever le coût politique de toute
velléité de rupture avec les choix politiques et institutionnels
antérieurs. En clair, cette hypothèse permet de décrire le
processus par lequel les institutions de gestion post conflit se transforment
en « contrainte institutionnelle» et les
effets induits par celle-ci sur le système politique.
Par ailleurs, comme préalable à toute recherche,
il est indiqué de clarifier certains concepts de base utilisé
tout au long du travail afin d'en préciser la signification, et par
delà, faciliter la compréhension du document. Les concepts de
réinsertion, d'institutions
et de gestion post conflit sont ainsi
à comprendre dans les sens ci-après.
1 Ce type d'explication remonte à Alexis de Tocqueville
dans son l'Ancien Régime et la Révolution
où il montre que la rupture prétendument
provoquée par la Révolution n'en était pas une
véritablement. On retrouvait dans les nouvelles institutions de nombreux
éléments qui témoignent de l'héritage de la
Monarchie.
2 Peter Hall et Rosemary Taylor, op cit, p. 472.
3 Sven Steinmo, « Néo-institutionnalismes » in
Laurie Boussaguet et al, op cit, p. 293.
4 Mamoudou Gazibo et Jane Jenson, op cit, p. 209.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger :: analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
La réinsertion désigne
le processus par lequel les ex-combattants touaregs démobilisés
après les Accords de Paix ont été
réintégrés à la vie civile normale. De par sa
nature, la réinsertion est une politique
rédistributive1,
c'est-à-dire une politique qui accorde des avantages à une frange
de la population jugée lésée. Cette politique a
revêtu trois modalités.
Il s'agit d'abord de l'intégration
qui a consisté à recruter les ex-combattants dans
différents corps de l'Etat (FDS, Fonction Publique, Université
etc.) selon leurs compétences. Ensuite, la
réintégration par laquelle les
ex-combattants ont été replacés dans leurs corps
d'origine, notamment les étudiants ou élèves et les agents
de l'Etat ayant quitté respectivement leurs institutions de formation et
leurs postes. La troisième modalité est la
réinsertion socio-économique qui a
concerné la majorité des ex-combattants dont le niveau
d'instruction ne permettait pas de bénéficier d'une
intégration. Elle s'est appuyée sur des projets communautaires
dans lesquels les ex-combattants ont bénéficié des
subventions et des appuis techniques afin de mener des activités
génératrices de revenus (coopératives, élevage
etc.).
La notion d'institution est
fondamentale dans toute analyse néo-institutionnaliste. André
Lecours distingue deux définitions2. Une définition
matérialiste des institutions qui renvoie aux
organes formels de l'État (parlements, tribunaux etc.), aux
constitutions et autres arrangements juridiques (systèmes de partis,
division territoriale etc.). C'est cette définition qu'adoptent les
institutionnalistes historiques. Une définition normative
qui analyse les institutions en termes de normes pouvant prendre
la forme de paramètres culturels et cognitifs, de règles et
procédures.
La notion d'institution désigne dans ce travail trois
catégories de phénomènes. Elle désigne d'abord,
dans le sillage de la posture matérialiste, les institutions formelles
telles que le Gouvernement, la Présidence de la République, le
HCRP ainsi que les normes formelles qui régissent leur fonctionnement.
Dans une deuxième acceptation, les institutions se rapportent aux
politiques publiques de gestion post conflit elles-mêmes, notamment la
politique de réinsertion des ex-combattants qui forme avec le cadre
institutionnel de sa mise en oeuvre (le HCRP), un ensemble d'institutions. La
discrimination positive sur laquelle s'est basée la gestion post conflit
est donc à considérer comme une institution. Enfin, les
institutions désignent, dans une perspective normative, les normes
informelles, les mécanismes et procédures officieuses de
décisions inhérentes au cadre institutionnel de la politique.
La notion de gestion post conflit
est proche du concept de peace
building3 qui se rapporte aux actions visant à
reconstruire une société sortant d'un conflit armé. Cette
démarche va au delà des approches classiques car elle
intègre les causes structurelles des conflits, notamment politico
institutionnelles, socioculturelles, économiques et
environnementales4. La gestion post conflit au Niger a donné
lieu à trois types de réponses de la part de l'Etat : une
réponse politique avec la décentralisation accompagnée
d'un investissement symbolique et idéologique, une réponse
1 Theodore Lowi distingue quatre types de politiques publiques
selon leur nature : les politiques distributives,
rédistributives,
régulatrices et
constitutives. Voir Johnson O. Olaniyi,
Foundations of public policy analysis, Ibadan, Sunad Publishers
Limited, 2001, p.21.
2 André Lecours, « L'approche
néo-institutionnaliste en science politique: unité ou
diversité ? » in Politique et
Sociétés, vol 21, n°3, 2002, p. 11.
3 Dans son An agenda forpeace,
(Report of the Secretary General, 17 juin 1992), Boutros Boutros Ghali a
défini quatre types d'interventions de l'ONU en matière de
règlement de conflits : le peace enforcement, le peace keeping, le peace
making et le peace building.
4 Necla Tshirgi, Peace building as the link
between security and development:: is the window of opportunity
closing?, New York, International Peace Academy Studies in
Security and Development, 2003.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
économique avec des politiques volontaristes de
réduction des disparités régionales et une réponse
sociale consacrée par la réinsertion des ex-combattants
démobilisés.
En termes de méthodologie, notre recherche a
été réalisée à partir de trois techniques,
à savoir l'analyse documentaire, les entretiens et, dans une certaine
mesure, l'observation participante. Outre les publications scientifiques
(ouvrages, articles etc.), nous avons travaillé avec la documentation
administrative. L'essentiel de celle-ci a été analysé au
Haut Commissariat à la Restauration de la Paix (HCRP), institution qui
produit et centralise toutes les données sur le processus de paix. Une
partie de la documentation a été obtenue aux Archives Nationales
du Niger et au Service de la Documentation du Cabinet du Premier
Ministre.
Les entretiens ont été réalisés
sur la base d'un guide d'entretien selon la qualité de
l'enquêté et les axes de recherches. Ils ont concernés
trois catégories d'acteurs : les ex-combattants, les acteurs
étatiques (surtout les cadres du HCRP) et les personnes ressources
(chercheurs, leaders d'opinion, acteurs de la société civile
etc.) qui ont joué un rôle quelconque dans le processus de paix
avec l'ex-Rébellion. Notre recherche a été
facilitée principalement par trois facteurs.
Le premier est lié à notre qualité
d'agent du HCRP où nous travaillons en tant d'Appelé du Service
Civique National depuis le 21 février 2006. A ce titre, nous avons
bénéficié d'un accès direct aux archives de
l'institution et à toute la documentation sur la gestion post conflit.
Nous avons également participé aux activités du HCRP dans
plusieurs cadres (réunions de travail, Ateliers etc.) et ainsi
noué des liens empreints de confiance avec beaucoup d'acteurs
impliqués dans le processus de paix. C'est en ceci que nous parlons
d'observation participante. Il faut dire qu'en dehors de sa vocation
scientifique, notre recherche est aussi le témoignage d'une
expérience de travail dans une administration publique
nigérienne.
Aussi, nous avons déjà soutenu un mémoire
de maîtrise en science politique sur le conflit touareg en
20051. Nous avons, tout en capitalisant cette expérience,
cherché à aborder la question touarègue avec une nouvelle
problématique. Enfin, au cours de nos recherches, et compte tenu de
l'actualité de notre thème, nous avons été
sollicité à deux reprises par des acteurs de la
société civile pour présenter des communications sur la
gestion post conflit au Niger2. Les échanges issus de ces
débats nous ont été d'un concours très
précieux.
Toutefois, il faut reconnaître que ce travail souffre de
certaines limites. La première résultait de l'inexistence d'un
service de documentation au HCRP. En deux ans de prospection documentaire, les
données que nous avons pu reconstituer n'ont pas été
à la hauteur de nos ambitions. Il faut également noter la
difficulté à rencontrer certaines personnalités ayant
joué un rôle important dans le processus de paix en raison de
leurs fonctions. C'est le cas des anciens Haut Commissaires à la
Restauration de la Paix, comme le Général Seyni Garba et le
Colonel Hamidou Maigari, occupant respectivement les fonctions de Chef
d'État-major Adjoint des FAN et de Commandant de la Garde
Présidentielle.
1 Saidou AbdoulKarim, Poverty, economic
marginaliDation and political conflicts in contemporary Africa: A case study of
the Tuareg rebellion in Niger Republic (1990-1995), Bachelor of
Science (Bs c) in Political Science, Ahmadu Bello University, Zaria, Nigeria,
2005.
2 Nous avons présenté à cet effet deux
communications : «Conflit armé dans le Nord : analyse des causes
internes et ingérences extérieures » à la
Journée de Réflexion de l'ANDDH et Alternative Espaces Citoyens
le 11 août 2007 et «Conflit au Nord Niger: esquisse d'explication
à partir de la gestion post conflit » le 5 mai 2008 à
l'Atelier du RODADDHD sur la Stratégie Nationale de Prévention
des Conflits et les Mécanismes de Prévention des Conflits au
Niger.
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La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Un autre facteur limitant était lié au contexte
de suspicion et de psychose né depuis 2007 de l'avènement de la
rébellion du MNJ que le Gouvernement nigérien associait à
un groupe de bandits armés. Les mesures de répression contre
toute velléité de connexion avec le MNJ1 et la passion
qui alimentait cette question ont été autant de facteurs
handicapants.
Le chercheur que nous sommes a été souvent vu
comme un espion au service du Gouvernement de la part de certains
ex-combattants. Certains qu'entre eux qui ont accepté l'entretien ont
refusé d'aborder certaines questions délicates pour leur propre
sécurité, tandis que d'autres ont carrément refusé
la discussion. Et dans certains cas, notre expérience sur cette question
nous a souvent indiqué que les réponses fournies étaient
biaisées par l'actualité et la subjectivité.
Aussi, pour notre propre sécurité, nous avons
circonscrit le champ spatial de recherche à Niamey, le Nord étant
sous un régime militaire appelé « état de mise en
garde ». Bref, l'enquête aurait pu être elle-même
biaisée si elle n'avait pas débuté bien avant
l'avènement du MNJ. Beaucoup de nos entretiens ont en effet
été réalisés entre 2005 et 2006.
Une précision importante est à faire en ce qui
concerne le lien entre les données collectées et le thème
du mémoire : l'ensemble des conclusions issues de cette recherche est
extrapolable aux ex-combattants toubous, arabes et peulhs qui ont
été réinsérés à la vie civile avec
les ex-rebelles touaregs. Bien que chaque catégorie d'acteurs se soit
distinguée dans le processus en termes de comportement politique et que
l'impact dans les communautés soit variable, il est clairement ressorti
que la politique de réinsertion a induit dans ces groupes des logiques
politiques largement similaires. C'est pourquoi, bien que l'étude se
focalise sur le cas des ex-combattants touaregs, certaines analyses sont
illustrées par l'expérience des ex-combattants toubous, peulhs ou
arabes.
De manière générale, cette étude a
permis d'aborder la problématique de la gestion post conflit au Niger
sous deux grands axes. Il s'est agit d'abord, après un détour par
l'histoire, d'analyser l'impact des institutions sur le processus
d'émergence de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs. Cette démarche montre que, nonobstant des
éléments de rupture, la politique de réinsertion des
ex-combattants et les institutions de sa mise en oeuvre ont été
largement modelées par les institutions antérieures
(Première Partie).
Les institutions issues de ce processus de gestion post
conflit se sont, à leur tour, transformées en variables
indépendantes à travers un mécanisme de
rétroaction. L'analyse montre qu'elles ont contribué à la
structuration des comportements des acteurs en canalisant leurs choix et
stratégies, mais aussi engagé une dynamique d'autonomisation et
de path dependence. Si ce policy lock in
a engendré des dynamiques de stabilisation du
système politique, il n'en demeure pas moins qu'il a en même temps
impulsé un processus de déstabilisation de l'État de droit
au Niger (Deuxième Partie).
1 Un de nos collègues, Mohamed Aghali, agent des FNIS,
chauffeur et garde du corps du Haut Commissaire, est d'ailleurs détenu
à la Gendarmerie depuis le 28 mai 2008 suite à des écoutes
téléphoniques. Il est soupçonné comme Moussa Kaka,
le correspondant de RFI au Niger, de complicité avec le MNJ.
La problématique de la gestion post con~lit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
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