Chapitre II : Analyse des résultats et
propositions.
Section 1 : Analyse des résultats et
vérification.
Paragraphe 1 : Analyse des facteurs limitant
l'employabilité des primo-demandeurs.
Les fiches de recherche d'emploi et CV des primo-demandeurs
consultés, l'analyse des offres d'emploi, les
entretiens avec les primo-demandeurs et avec les responsables d'entreprises et
recruteurs ont confirmés que les difficultés d'insertion
professionnelle des primo-demandeurs d'emploi sont dues aux conditions
d'accès à l'emploi. La plupart de ces demandeurs ont entre 20
à 35 ans (Tb n°11, Graph. G5, p62), sont nantis d'une formation
professionnelle (Tb n°12, 13, Graph G6, G7, p63), mais ne remplissent pas
les conditions d'accès à l'emploi (Tb n°14, p64 Graph G8
p65). Il convient de souligner que les formations professionnelles restent
actuellement très théoriques et ne sont pas toujours
adaptés aux besoins du marché de l'emploi. Ce qui expliquent les
besoins en formation exprimés par les enquêtés (Tb 17, p66,
et Graph G11, p67). L'Etat devra agir pour mieux orienter les formations et les
rendre plus pratiques.
De même, l'analyse personnelle de 10 offres du Journal
« Le Matinal » et
des offres reçues ces trois derniers mois montrent
qu'en dehors de la formation, un minimum de 2 ans d'expériences et des
habiletés comportementales en rapport avec le poste sont exigés.
On constate malheureusement que les primo-demandeurs sont loin de remplir les
conditions exigées sur le marché de l'emploi (Graph G14, p69).
Le fait que les primo-demandeurs d'emploi soient
confrontés à certaines
difficultés handicape leur employabilité.
Voilà quelques difficultés identifiées au cours de
l'enquête. Il s'agit de :
§ Difficultés techniques :
o manque de formation recherchée sur le marché
de l'emploi ;
o formation peu pratique qui handicape l'obtention d'un
emploi ;
o inexistence ou manque d'expériences ;
o difficultés d'accès aux stages et ce en
rapport à leur domaine de formation.
· Difficultés
financières :
o manque de moyens financiers pour réaliser une
formation professionnelle recherchée par les entreprises ;
o manque de moyens financiers pour une formation
complémentaire ;
o manque de soutien financier pour honorer un stage non
rémunéré ;
o manque de moyens pour une recherche active et efficace de
l'emploi (difficultés pour se déplacer, se documenter, pour faire
la saisie des outils de recherche d'emploi...).
· Autres difficultés :
o manque ou inexistence d'orientation
professionnelle ;
o inexistence de projet professionnel voire celui
formalisé ;
o manque d'encadrement.
L'analyse de l'employabilité des primo-demandeurs
d'emploi de l'ANPE révèle des facteurs limitant pour ces derniers
qu'il convient d'exposer en recourant à quelques théories.
A-Les facteurs limitant l'employabilité des
primo-demandeurs
1_ La faiblesse du capital humain
Le capital humain est d'une importance primordiale dans les
perspectives d'embauche du chercheur d'emploi quelque soit sa catégorie.
Or, les primo-demandeurs ont un niveau faible de capital humain et mieux une
composition incomplète (formation inadaptée, inexpérience
professionnelle). Il serait utile ici d'apporter quelques éclairages sur
la théorie du capital social.
Le concept du capital humain fit son apparition dans les
sciences de gestion et précisément en comptabilité en
1960-1970 grâce aux travaux de Becker G. (in N'Gatier, 2006, P32) dont
l'objectif était d'intégrer les ressources humaines dans les
actifs de l'entreprise. L'être humain est
considéré comme un actif ayant une valeur monétaire
caractérisée par l'ensemble de ses aptitudes, ses connaissances
et son savoir-faire. Il doit faire l'objet d'un investissement et des
dépenses d'entretien qui procurent des avantages aux entreprises qui
l'emploient. Le capital humain se définit alors
comme « l'ensemble des capacités productives qu'un
individu acquiert par accumulation de connaissances
générales ou spécifiques, de savoir-faire etc ... ou
encore la détention d'un savoir, d'une expérience
concrète, d'une technologie d'organisation, de relations avec les
clients et de compétences professionnelles qui confèrent un
avantage compétitif sur le marché » (Delaunay, 2004,
P6).
Comme composantes du capital social, nous avons,
l'éducation et la formation au sens large, les formes d'acquisition
d'expériences, la santé (élément clé du
développement et du bien-être physique et mental des individus) et
tous autres facteurs permettant aux individus de bien produire (par exemple
l'environnement de travail), Gazier (1992) in N'Gatier (2006, P6).
Schultz (1961) et Becker (1964) in Samier (1991-1992)
considèrent le capital humain comme facteur incontournable de
productivité et de performance des entreprises et de
compétitivité pour les salariés (employabilité et
bonne rémunération). Ils proposent une méthode
d'activation à travers des investissements dans le recrutement, la
formation, l'apprentissage des tâches et d'organisation du travail. Comme
le confirme un rapport de l'OCDE en 1998 le stock de capital humain de la
population en âge de travailler est mesuré à travers trois
éléments : le niveau de formation, les qualifications
directes par les tests ou des entretiens, et la valeur de ce capital sur le
marché eu égard aux niveaux de rémunération. Par
exemple, comme l'indique le rapport de l'OCDE (1998), les personnes ayant un
niveau de formation inférieur au 2nd cycle du secondaire
passeront deux fois plus de temps au chômage pendant leur vie active que
les diplômés des enseignements supérieurs. Malgré
l'importance du capital humain, l'on ne saurait s'en tenir à lui seul
pour décrocher un emploi.
2_ La faiblesse du capital social
Le capital social apparaît de plus en plus comme l'un
des facteurs clé de l'employabilité car, les connaissances et les
capacités théoriques restent insuffisantes pour décrocher
un emploi. Il est défini comme « l'ensemble des ressources
actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un
réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées
d'interconnaissances et d'inter-reconnaissances » Bourdieu in De
Coster (1999, p99). En d'autres termes c'est le capital relationnel dont
dispose durablement chaque individu aux plans politique, professionnel et
culturel et dont il peut tirer profit professionnellement ou non. Par
conséquent, cela lui confère un pouvoir qui n'est rien d'autre
que la capacité à influencer autrui ou les choses. Cependant ce
capital fait généralement défaut aux demandeurs d'emploi.
Les résultats de l'enquête (Tb n°14, p64) ont montré
que les demandeurs d'emploi restent unanimes sur l'importance du capital social
dans la recherche d'emploi. Malheureusement, la grande majorité (75%)
reconnait ne pas en disposer, ce qui constitue pour eux, un frein à
l'obtention d'un emploi. Très peu sont membres d'une association et y
restent actifs. Ces derniers ne se sont pas non plus organisés en
association en vue de travailler à leur employabilité. Ainsi et
pour preuve, dans le cadre du lancement des programmes de l'ANPE, il est
souvent difficile de les contacter individuellement. Malgré les
campagnes d'information de lancement des programmes à travers les radios
et télévisions, nombre de demandeurs se présentent
à l'ANPE après la clôture du lancement des programmes. La
plupart des primo-demandeurs ayant bénéficié d'un stage
académique ou professionnel affirment l'avoir obtenu grâce
à un parent ou un ami.
Le capital social représente « l'ensemble des
ressources relationnelles que les acteurs individuels peuvent mobiliser
à travers leurs réseaux de relations sociales »
(Bourdieu et Wacquant, 1992, Colemen, 1990, Putman, 1995) in Arregle ,
Phillipe, (1998, p2). De même, Nahapiet et Ghoshal (1998) reconnaissent
l'importance du capital social pour l'entreprise et pour le
salarié et confirment son impact sur le capital
intellectuel d'une entreprise représentée par les savoirs et
capacités d'apprendre des membres, qui favorisent les échanges.
Ils opèrent une analyse du capital social selon trois
dimensions :
· la dimension structurelle : réseau
formé par les relations entre les acteurs ;
· la dimension relationnelle : nature des relations
que les acteurs développent entre eux à travers leur histoire,
leur sentiment d'obligation, de confiance, de normes...
· la dimension cognitive : ressources fournissant
une représentation partagée et un système de
représentation entre les acteurs. Par exemple un langage partagé,
des codes, des histoires ou expériences communes.
Toutes ces composantes du capital social sont
constituées grâce à des facteurs favorables comme le temps,
l'interdépendance, les interactions et l'accessibilité (par
droit de sang ou ascription), Nahapiet et Ghoshal, (1998). Par exemple sans
interaction les relations disparaissent. La coopération au sens du
réseau social se nourrit de contacts, de dialogues réguliers,
autrement dit de sociabilité entre les membres du réseau. On peut
affirmer aisément que le réseau relationnel, les réseaux
de contacts, les réseaux de connaissances, de savoirs et de
compétences auxquelles appartient l'individu dépassent largement
le simple investissement en formation.
3- L'incapacité à la recherche
d'emploi
Face aux exigences nouvelles et fluctuantes du marché
de l'emploi, la recherche de l'emploi ne saurait relever de l'improvisation.
Elle requiert des aptitudes et des attitudes voire une technicité
comparable à une prospection commerciale. Malheureusement, 90% des
primo-demandeurs comme le confirment nos enquêtes ne possèdent pas
ces aptitudes (Tableau n°14, p64). L'ANPE s'efforce de juguler cette
situation par l'organisation mensuelle des formations sur les TRE animée
par les conseillers.
La mise en pratique de la théorie du « Job
search » apparaît comme une solution aux difficultés de
recherche d'emploi. Une démarche qui responsabilise le demandeur
d'emploi et qui se traduit par :
· la définition d'un objectif
professionnel et ou Projet Professionnel;
· l'identification préalable des atouts et
faiblesses ;
· la recherche d'informations sur les bassins et nids
d'emploi ;
· la connaissance de l'environnement ;
· la maîtrise et la bonne réalisation des
supports de recherche d'emploi ;
· la prospection des entreprises ;
· l'identification du salaire de réservation
(salaire minimum préfixé pour lequel le demandeur accepte de
travailler).
Le « Job search » a un coût en
termes de durée, de temps, de moyens de réalisation de dossier et
d'interactions avec les partenaires, entrainant ainsi un gain en retour.
De même, on peut observer un « chômage
de recherche » (Lippman et Mc.call, 1998) in N'Gatier (2006, p 49)
qui est la conséquence du refus de l'individu d'accepter un emploi tant
que les salaires pratiqués sur le marché de l'emploi ne
correspondent pas à « son salaire de
réservation ». Ainsi, les diplômés de
l'enseignement du supérieur recherchent généralement un
emploi en corrélation avec leur niveau de formation et répondant
à leur salaire de réservation. Or, très souvent, ce niveau
de formation n'est pas celui recherché par les employeurs. Le nombre
pléthorique de ces niveaux de formation entraine la
dépréciation du salaire de réservation. Par
conséquent le marché de l'emploi impose aux jeunes une
adaptabilité pour être employable car l'incapacité à
la recherche de l'emploi pour faute de moyens et le fait de se fier au salaire
de réservation réduisent nombre de demandeurs d'emploi à
« un chômage de recherche ».
S'il est vrai que le capital humain, le capital social et la
capacité à la recherche d'emploi sont importants, il n'en demeure
pas moins que la discrimination à l'embauche d'une catégorie
d'individu est réelle et mérite analyse.
4-La discrimination à
l'embauche
La discrimination à l'embauche constitue l'un des
freins de l'employabilité des demandeurs d'emploi, corollaire de
l'organisation sociale du travail. Cette discrimination peut être
positive ou négative selon les critères de choix à
savoir : l'âge, le sexe, le statut matrimonial, l'aptitude physique,
la situation de nationaux ou d'étranger, le secteur d'activité,
le niveau d'instruction... Par exemple, pour le poste de secrétaire qui
nécessite une grande disponibilité (présence au
delà des heures réglementaires de travail), les femmes
mariées sont de plus en plus discriminées négativement.
Avec le développement des nouvelles technologies, certaines formations
spécialisées en informatique de gestion sont plus cotées.
Les cas de discrimination sont aussi remarquables dans la fonction publique
béninoise : 30035 agents dont 21895 de sexe masculin et 8140 de
sexe féminin en 2003(TBE, 2003, p21). Les hommes sont de loin plus
nombreux pour la catégorie A : 5852 contre 1346 femmes.
L'employabilité étant « la
probabilité que peut avoir une personne à la recherche d'un
emploi d'en trouver un » Lebrut, R. (1980-1990) in Certain et Burgat
(2007), certains facteurs comme l'âge, la scolarité,
l'état de santé, la formation scolaire, professionnelle et
académique, la motivation, l'attitude au travail, les
mentalités...pourraient impacter cette employabilité (Fontan,
1990). De même, la typologie de l'employabilité de Danvers
(2003) : employabilité technologique, économique,
socio-industrielle, moyenne et différentielle renforce l'idée de
l'existence des formes de discrimination. L'analyse de De Coster (1999) a
aussi fait cas des formes de discrimination existantes sur le marché de
travail. Il s'agit de :
· la supériorité du travail intellectuel
sur celui manuel induite par les divisions manuelles et intellectuelles
du travail ;
· la supériorité du travail des hommes sur
celui des femmes conséquence de la division sexuelle du
travail ;
· la discrimination issue des divisions fonctionnelles et
techniques du travail.
5-Le pouvoir financier
Le pouvoir est la capacité d'agir, d'un individu,
d'influencer les hommes et les choses et qui tire ses sources de l'information,
de l'expertise, des ressources financières, des règles... (Morin,
2004, p39). L'argent est alors l'une des nombreuses sources de pouvoir. Pour
preuve, les demandeurs d'emploi qui disposent de ressources financières,
de par leurs conditions sociales et familiales, ont la possibilité de
bien de se former dans les meilleures écoles. Ils ont aussi les moyens
pour leur recherche d'emploi (frais de dossiers, de déplacement) et
arrivent à valoriser leur capital social (membre actif d'un
réseau relationnel : association sportive, professionnelle,
mystique...). Comme l'affirmait Marx dans ses Grundrisses (1958-1968) in De
Coster (1999, p100), « Le pouvoir qu'exerce un individu sur
l'activité d'un autre ou sur la richesse sociale, il le tient de ce
qu'il est propriétaire de valeurs d'échange, d'argent. Il a
ainsi dans sa poche tout son pouvoir sur la société ainsi que ses
relations avec elle ».
6-Les fluctuations du marché de
l'emploi
Les fluctuations du marché de l'emploi qui se
traduisent par le déséquilibre entre l'offre et la demande
constituent un handicap à l'employabilité des demandeurs
d'emploi. La division du travail synonyme d'enrichissement (la polyvalence) et
d'élargissement (spécialisation) des tâches dans le cadre
de l'organisation du travail au sein des entreprises, le pléthore et la
dépréciation de certains diplômes, les nouvelles
technologies de l'information, les interactions entre les acteurs du
marché (demandeurs, acteurs du système éducatif,
employeurs) sont autant d'éléments qui induisent des
complexités au niveau du marché de l'emploi. De telles
complexités ne saurait être contrôlées avec une
approche adéquationniste emploi-formation (Jose R., 2000, pp 73-83)
exposé dans la revue de la littérature. Les différents
acteurs ont davantage à gagner à travers une synergie d'actions
flexibles. D'où la nécessité d'opter pour une logique
adaptationniste afin d'obtenir les ajustements nécessaires.
§ Degré de vérification des
résultats de la première hypothèse.
La première hypothèse selon
laquelle « Les difficultés d'insertion professionnelle
des primo-demandeurs d'emploi sont dues aux conditions d'accès à
l'emploi salarié ou indépendant » se trouve
vérifiée.
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