CONCLUSION
Au terme de cette recherche intitulée
la presse écrite au Cameroun à l'ère des
revendications d'indépendance : approche
historique, la non-publication par les organes de
presse des sujets d'actualité liés aux réclamations de
souveraineté formulées par les nationalistes a constitué
notre problème de recherche. Pour cela, nous avons formulé une
problématique cherchant à trouver les raisons
déterminantes du silence observé par les journaux sur les sujets
liés aux revendications de l'autonomie complète du Cameroun. Une
problématique encrée théoriquement sur l'école
historiographique des Annales qui recommande au chercheur de poser une
question et de trouver des réponses par la recherche de plusieurs
causes selon le modèle proposé par Marc Bloch que nous avons
adopté dans ce travail.
La question principale de cette recherche est celle de savoir
pourquoi les organes de presse écrite ne publiaient pas les sujets
d'actualité liés aux revendications de souveraineté
formulées par les nationalistes. À cette interrogation
fondamentale, plusieurs questions secondaires sont posées; la
première formulée ainsi qu'il suit : la non-publication par
les organes de presse des sujets liés aux réclamations de
souveraineté était-elle causée entre autre par le soutien
que les journaux publics apportaient à une administration coloniale
soucieuse de maintenir sa présence au Cameroun ? Pour cela,
l'hypothèse suivante a été énoncée : la
non-publication par les organes de presse des sujets liés aux
réclamations de souveraineté était causée entre
autre par le soutien que les journaux publics apportaient à une
administration coloniale soucieuse de maintenir sa présence au Cameroun.
Pour la valider, nous avons pris comme cas d'étude les journaux publics
les plus importants de la période coloniale à savoir
Informations Radio-presse et Le journal des villages du
Nyong et Sanaga. Il a été montré après analyse
des thèmes contenus dans ces périodiques que 794 articles
publiés par ces journaux sur 1319 étaient consacrés aux
seules activités de l'administration coloniale soit 60,19% du nombre
total des articles de presse de ces publications. Le contenu de ces organes de
presse nous a ainsi indiqué qu'ils servaient de soutien aux actions de
l'administration coloniale dont ils étaient les principaux organes
d'information. Ce soutien étant perceptible à travers la
prépondérance des sujets liés aux activités
menées au Cameroun par les autorités françaises. Or,
précisément l'administration coloniale a affiché une
opposition à toute forme de revendication de l'autonomie complète
du Pays. Cette position anti-indépendantiste de l'administration
coloniale a été visible notamment en décembre 1952 et en
décembre 1953 lorsqu'elle a envoyé des émissaires
contredire M. Um Nyobé, Secrétaire général de l'UPC
lors de sa prise de parole à l'ONU où il réclamait
l'indépendance du Cameroun. Ce qui nous a donc amené à
dire que l'une des causes du silence observé par les journaux sur les
faits concernant les réclamations d'indépendance est le soutien
que les organes de presse publics apportaient à une administration
coloniale soucieuse de maintenir sa présence au Cameroun. Ce qui valide
la première hypothèse secondaire formulée dans ce
travail.
Quant à la deuxième question secondaire, elle
est formulée de la manière suivante: une autre cause de la
non-publication par les journaux des sujets concernant les revendications
d'autonomie est-elle le soutien que les organes de presse qui appartenaient
aux hommes politiques français vivant au Cameroun apportaient à
leurs promoteurs anti-indépendantistes? L'hypothèse
énoncée pour cette interrogation est présentée
comme suit: une autre cause de la non-publication par les journaux des sujets
concernant les revendications d'autonomie est le soutien que les organes de
presse qui appartenaient aux hommes politiques français vivant au
Cameroun apportaient à leurs promoteurs anti-indépendantistes.
Ainsi, pour la valider nous avons procédé à l'analyse
des thèmes contenus dans les journaux édités au Cameroun
par les hommes politiques français dont les plus représentatifs
étaient Le Cameroun demain, organe de presse fondé par
le Dr. Louis-Paul Aujoulat, homme politique français vivant au Cameroun
et Le Cameroun libre, organe des Français libres du Cameroun
dont le promoteur était M. Henri Coulouma. À cet effet, il a
été montré au cours de ladite analyse des thèmes
que ces supports d'information servaient de soutien aux idées et
actions politiques de leurs fondateurs car 52,3% de l'ensemble des articles
publiés par eux étaient consacrés aux activités
politiques et aux idées défendues par leurs promoteurs.
L'opposition de ces derniers aux revendications d'indépendance a
été visible sur plusieurs points : le 24 octobre 1952, le
Dr. Louis-Paul Aujoulat, fondateur de Le Cameroun de demain et
Président de l'ATCAM et M. Charles Okala, Président de l'USC, ont
envoyé une correspondance au siège des Nations unies pour
s'opposer à l'intervention de l'UPC à l'Assemblée
générale de l'ONU prévue en décembre de la
même année. De Même, M. Henri Coulouma, promoteur de Le
Cameroun libre était l'un des fondateurs en 1945de l'ASCOCAM, une
association de colons dont le but était de s'opposer à toute
forme de mesures prises visant à l'indépendance du Cameroun. Il
était par ailleurs l'un des chefs de file du RPF au Cameroun, un parti
opposé aux idées de souveraineté défendues par les
nationalistes. Ce qui indique donc une opposition donc une opposition de ces
hommes politiques, qui étaient en même temps éditeurs de
journaux, à toute forme de revendications indépendantistes. Ce
qui précède dénote donc qu'une autre raison
déterminante de la non-publication des sujets concernant les
réclamations de souveraineté formulées par les
nationalistes tient du soutien que les journaux qui appartenaient aux hommes
politiques français apportaient à leurs promoteurs
anti-indépendantistes. La deuxième hypothèse secondaire de
cette recherche se trouve donc également validée.
Pour ce qui est de la troisième question secondaire de
ce travail, elle est formulée ainsi : les pressions exercées
par l'administration coloniale sur des journaux constituent-elles
également l'une des raisons déterminantes du silence
observé par ceux-ci sur des informations liées aux
réclamations indépendantistes ? L'hypothèse relative
à cette question est présentée de la manière
suivante: les pressions exercées par l'administration coloniale sur des
journaux constituent également l'une des raisons déterminantes du
silence observé par ceux-ci sur des informations liées aux
réclamations indépendantistes. Pour la valider, nous avons fait
appel à plusieurs sources écrites ayant fourni des informations
sur l'attitude de l'administration coloniale après des
dénonciations contenues dans les organes de presse fondés par les
nationalistes notamment dans les journaux La voix du Cameroun et
Kamerun mon pays. La confrontation de ces sources a indiqué que
les journaux édités par les nationalistes ont subi de fortes
pressions de l'administration coloniale. Ces pressions qui constituent des
contraintes d'ordre administratif sont perceptibles à travers les
interdictions temporaires de ces journaux par les autorités coloniales,
comme ce fût le cas pour La voix du Cameroun entre mai 1950 et
janvier 1952, et à travers les saisies comme celle du numéro 33
de Kamerun mon pays le 27 novembre 1956 à Douala qui a
été orchestrée sur ordre du chef de la région du
Wouri. Ces pressions ont entraîné la non-publication par ces
journaux des sujets d'actualité liés aux réclamations de
souveraineté. Ainsi, pendant la période d'interdiction temporaire
de La voix du Cameroun, les nationalistes ont organisé des
manifestations pour réclamer l'indépendance du Cameroun, c'est le
cas de la conférence publique tenue à Douala le 12 juillet 1951.
Le journal La voix du Cameroun étant à cette date
là le seul organe de presse publié par les nationalistes, n'a pas
pu relayer cette information à cause de sa suspension par
l'administration coloniale. De même, lorsque le numéro 33 de
Kamerun mon pays a été saisi, les informations contenues
dans ce journal n'ont pas été portées à l'attention
de ses lecteurs. Ce qui indique donc qu'une autre cause de la non-publication
des nouvelles liées aux revendications d'indépendance par les
journaux tient des pressions que ceux qui étaient édités
par les nationalistes subissaient de la part des autorités coloniales.
D'où la validation de la troisième hypothèse secondaire de
cette recherche.
Quant à la quatrième question secondaire, elle
est posée comme suit : le souci des hommes d'affaires de satisfaire
et de conserver leur clientèle d'origine française peut-il
également être une cause de la non-publication par les journaux
des faits d'actualité concernant les réclamations de
souveraineté formulées par les nationalistes? À cette
interrogation, l'hypothèse ci-après a été
formulée : le souci des hommes d'affaires de satisfaire et de
conserver leur clientèle d'origine française constitue
également une cause de la non-publication par les journaux des faits
d'actualité concernant les réclamations de souveraineté
formulées par les nationalistes. Ainsi, il ressort de l'analyse des
thèmes contenus dans les journaux L'Éveil du Cameroun
et La presse du Cameroun, les publications les plus importantes
fondées par des hommes d'affaires, que 59,2% de l'ensemble des articles
de presse (soit 449 sur 1293) étaient consacrés à la
politique intérieure de la France et aux activités de
l'administration coloniale. Des thèmes qui n'intéressaient pas au
premier chef les nationalistes mais plutôt les ressortissants
français qui vivaient au Cameroun. Cette analyse a donc fait dire que
ces journaux qui ignoraient les faits liés aux réclamations de
souveraineté étaient destinés aux Français vivant
au Cameroun. La prépondérance des articles de presse concernant
les sujets liés à la politique intérieure de la France et
aux activités de l'administration coloniale sur les autres faits
d'actualité a donc dénoté un souci de ces hommes
d'affaires de satisfaire leur clientèle constituée de
ressortissants français car c'est eux qui étaient manifestement
intéressés par ces thèmes. La tendance
anti-indépendantiste affichée par les Français qui
vivaient au Cameroun a donc laissé interpréter que les journaux
édités par les hommes d'affaires ne publiaient pas les nouvelles
liées aux revendications d'indépendance à cause du souci
de leurs propriétaires de satisfaire et de conserver leur
clientèle française. Ce souci constituant d'ailleurs une
contrainte d'ordre économique pour ces hommes qui ne voulaient pas
perdre une clientèle opposée aux manifestations de
réclamation de l'auto-détermination du Cameroun. Ainsi le 17
décembre 1952 lorsque M. Um Nyobé, Secrétaire
général de l'UPC a pris la parole devant les membres de la
7ème session de l'Assemblée générale de
l'ONU pour réclamer l'indépendance du Cameroun, il a
été contredit par deux émissaires de l'administration
française à savoir MM. Okala Charles et Alexandre Ndumbé
Douala Manga Bell. Seule l'information concernant la prise de parole des deux
envoyés des autorités françaises a été
publiée dans les colonnes de L'Éveil du Cameroun ;
celle de M. Um Nyobé ayant été ignorée par cette
publication. Ce qui a donc fait dire qu'il en a ainsi été
à cause du souci du propriétaire de ce journal de satisfaire et
de conserver son lectorat voire sa clientèle constitué de
ressortissants français qu'il ne voulait pas perdre en publiant des
nouvelles concernant les réclamations d'indépendance qui du reste
s'opposaient au désir des colons français de rester au Cameroun.
Ainsi, si les journaux qui étaient édités par des hommes
d'affaires ignoraient les sujets liés aux revendications
d'indépendance, c'est à cause d'une contrainte d'ordre
économique qui est le souci de leurs propriétaires de satisfaire
et de conserver leur clientèle d'origine française (qui du reste
était hostile aux idées d'autonomie complète du Cameroun).
Donc, le souci des hommes d'affaires de satisfaire et de conserver leur
clientèle d'origine française constitue également une
cause de la non-publication par les journaux des faits d'actualité
concernant les réclamations de souveraineté formulées par
les nationalistes. La quatrième hypothèse secondaire de ce
travail est donc de ce fait également validée. Ce qui
précède indique donc que les procédures scientifiques
employées laissent voir que les différentes causes de la
non-publication par les organes de presse des nouvelles liées aux
revendications d'indépendance sont différentes selon les
catégories de journaux.
L'hypothèse principale de cette recherche est
formulée de la manière suivante : si les organes de presse
ne publiaient pas les informations liées aux revendications
d'indépendance c'est non seulement parce que certains soutenaient leurs
propriétaires qui étaient anti-indépendantistes mais aussi
en raison des contraintes auxquelles d'autres faisaient face. De ce fait, la
validation de nos hypothèses secondaires nous a indiqué les
différentes causes de la non-publication par les journaux des faits
liés aux revendications d'indépendance. Il s'agit : du
soutien des journaux publics à une administration soucieuse de maintenir
sa présence au Cameroun, du soutien des organes de presse fondés
par les hommes politiques français vivant au Cameroun à leurs
promoteurs anti-indépendantistes, des pressions de l'administration
coloniale sur les supports d'information fondés par les nationalistes et
du souci des hommes d'affaires de satisfaire et de conserver leur
clientèle d'origine française. En regroupant ces quatre causes on
a le soutien de certains journaux à leurs propriétaires
anti-indépendantistes et les contraintes auxquelles les autres faisaient
face; ces contraintes sont liées aux pressions de l'administration
coloniales sur les journaux fondés par les nationalistes et au souci des
hommes d'affaires de satisfaire et de conserver leur clientèle d'origine
française. Ce qui revient donc à indiquer que si les organes de
presse ne publiaient pas les nouvelles liées aux revendications de
souveraineté formulées par les nationalistes c'est non seulement
parce que certains soutenaient leurs propriétaires qui étaient
anti-indépendantistes mais aussi en raison des contraintes auxquelles
d'autres faisaient face. De ce fait, notre hypothèse principale se
trouve ainsi validée.
Cette recherche pourrait présenter certaines
limites:
L'une d'elles tient du fait qu'elle n'a fait appel qu'aux
sources écrites ; en effet, même si celles-ci
présentent l'avantage d'être faciles à critiquer et
à exploiter, il n'en demeure pas moins que l'histoire peut
également s'écrire avec d'autres types de sources notamment
les images, les témoignages oraux...;
L'autre étant la structure thématique qui a
été adoptée alors que d'autres chercheurs auraient
certainement proposé une autre manière de présenter ce
travail.
La présente recherche laisse toutefois entrevoir
d'autres perspectives sur lesquelles des chercheurs en histoire des
médias à l'ère des revendications indépendantistes
pourraient se pencher. Il s'agit entre autres du rôle de la presse
écrite pendant cette période et de l'application du cadre
juridique de la presse écrite au Cameroun pendant cette période.
De même, les sources de financement de la presse écrite à
l'ère des réclamations d'indépendance pourraient
constituer une piste pour des chercheurs.
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