Pour trouver une convergence entre les intérêts
dissonants de ses multiples parties prenantes, l'entreprise doit définir
ses performances économiques, sociales et environnementales comme une
contribution à un bien commun. Une telle vision de l'entreprise a
été développée pour la première fois en 1953
aux États Unis par H. BOWEN dans son ouvrage
« Social Responsibilities of the Businessman »,
auteur à qui on attribue la paternité du thème sur la
Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Le thème sur la RSE
a été véritablement développé entre
les décennies 1960 et 1970. C'est ainsi que W.
FREDERICK (1960) affirmait que les moyens de production devaient
être utilisés de telle façon qu'ils améliorent le
bien être socioéconomique global. Mc GUIRE (1963)
a mis en évidence les obligations sociétales qui incombent
à la firme (obligations qui dépassent le cadre économique
et légal). Pour ce dernier, l'entreprise doit agir équitablement
comme devrait le faire tout citoyen. DAVIS (1967) quant
à lui, souligne la dimension éthique de la responsabilité
sociétale ; pour lui, l'entreprise doit considérer les
conséquences de ses actions sur le système social dans son
ensemble.
La responsabilité sociale présente des
spécificités lorsqu'on va d'un milieu à un autre. En
effet, aux États Unis, la RSE s'inscrit dans un registre de culture
d'entreprise. Les entreprises y posent des actes socialement responsables par
volonté et non par obligation. Leurs motivations à poser des
actes sociaux ne sont ni imposées par l'État, ni exigées
par la loi, et le plus souvent, ni même attendues par la
société civile (A. B. CARROL, 1979). On peut
regrouper les activités sociales volontaires qui y ont été
menées et qui continuent de l'être, dans les actions telles que
les contributions philanthropiques la réintégration des enfants
abandonnés dans la société, des programmes de formation
des travailleurs ou non travailleurs entre autres. L'approche de la RSE aux
États Unis est de ce fait, qualifiée d'approche
normative. Ce qui n'est pas le cas ailleurs.
En effet, en Europe, les actes de RSE posées par les
entreprises sont plus ou moins régis par des lois. L'entreprise est
comme un citoyen qui a des droits et devoirs envers la société
dont elle fait partie. En Europe, le comportement de la firme est une
réponse aux forces du marché et aux contraintes légales
(E. PERSAIS, 2007). En d'autres termes, la
responsabilité sociale de la firme implique que celle-ci soit en phase
avec les normes, les valeurs et les attentes de performance sociétale.
L'actualité européenne témoigne de la richesse du
débat quant à la prise en compte des données
environnementales. C'est ainsi que la Directive N° 2004-35 du 21 Avril
2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la
prévention et la réparation des dommages environnementaux, impose
des nouvelles obligations pesant sur les entreprises. Les dommages
environnementaux couverts par le texte européen doivent répondre
à un certain nombre de conditions : être mesurable, consister
à une modification négative d'une ressource naturelle, survenir
de manière directe ou indirecte, être d'une gravité
significative sur l'environnement (I. TCHOTOURIAN, 2006).
C'est pourquoi l'approche européenne de la RSE est qualifiée
d'approche légale.
En Afrique en général et au Cameroun en
particulier, compte tenu du respect des normes environnementales, il existe une
légère hésitation quant à la fixation des
entreprises camerounaises dans l'une ou l'autre approche de la RSE. On note
quand même la présence d'actions philanthropiques de la part de
quelques multinationales opérant au Cameroun ; à l'instar du
Pari Mutuel Urbain Camerounais (PMUC) qui, en plus des emplois qu'il offre aux
citoyens camerounais, fait des dons de toute nature notamment dans les communes
urbaines et aux clubs sportifs. On peut aussi énumérer le cas de
MTN qui est le sponsor officiel du championnat camerounais de football des
première et deuxième divisions (« MTN elite
one » & « MTN elite two »,
respectivement) et qui sponsorise massivement les grands
évènements tels que les jeux universitaires, les foires et
concerts entre autres. Toutefois, au niveau des entreprises nationales et au
sein des multinationales de fabrication, on est un tout petit peu confus quant
au respect des normes environnementales et des valeurs des populations
riveraines qui sont pourtant des stakeholders à part entière. On
peut citer en guise d'exemple le cas de Sic CACAO qui, de par sa situation
géographique, pollue les populations environnantes sur plus de dix
kilomètres de diamètre. On peut aussi citer le cas de HYSACAM
dont les bacs à ordures empestent les populations des sous-quartiers,
par ce que toujours débordant d'ordures ménagères.
Face à ces deux situations extrêmes, il serait
difficile de statuer sur les habitudes réelles des entreprises
camerounaises en termes de responsabilité sociale ou sociétale.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes intéressés au
thème intitulé « pratique de
responsabilité sociale des entreprises au
Cameroun »
Dans son ouvrage « Social Responsibilities of
the Businessman », H. Bowen analyse les
facteurs expliquant l'émergence de la RSE : « Pourquoi
est-ce que les hommes d'affaires d'aujourd'hui se sentent concernés par
leurs responsabilités sociales ? [...] Il est possible de diviser la
réponse à cette question en trois parties : (1) parce qu'ils ont
été forcés de se sentir plus
concernés ; (2) parce qu'ils ont été
persuadés de la nécessité de se sentir plus
concernés et (3) parce que la séparation entre
propriété et contrôle a créé des
conditions qui ont été favorables à la
prise en compte de ces responsabilités » (p. 103), (J.
P. GOND, 2006).
Si au cours des années 1980 les chercheurs tels que
A. Carroll, Jones, Wartick & Cochran, Epstein, Mc Guire et J.
PASQUERO entre autres, s'attèlent plus à montrer le lien
ou l'absence de lien entre CSR (Corporate Social Responsibility) et performance
économique, c'est au cours de la décennie 1990 que le concept de
CSR a servi de point d'ancrage à de nombreux courants de pensée
partageant la même philosophie : existence d'une
responsabilité extra économique de l'entreprise (Eric
PERSAIS, 2007). En effet, la place de l'entreprise dans la
société a été véritablement une
préoccupation depuis le début des années 1990, avec
« les comportements opportunistes des firmes privées mais
aussi parfois publiques, qui ont conduit à des mises en cause
sérieuses de la légitimité des entreprises et de
l'éthique de leurs dirigeants qui se sont rendus coupables d'errements
divers, à cause d'une gestion exclusivement
financière » (AMADIEU in LE DUFF, 1999).
C'est ainsi que dans la deuxième moitié de la décennie
1990, de nouvelles théories du management sociétal ont
progressivement vu le jour. Il s'agit notamment des: stakeholder theory,
business ethics, corporate citizenship.
Au niveau mondial, le mouvement autour de la RSE n'a pris de
véritable ampleur qu'au milieu de la décennie 1990 pour se
généraliser au début du troisième
millénaire (E. PERSAIS, 2007). Le thème sur la
Responsabilité Sociale de l'Entreprise (RSE) constitue l'un des sujets
phares de la recherche en sciences de gestion en ce début de
troisième millénaire (A. BENSEBAA et A.
BÉJI-BÉCHEUR, 2008). Aujourd'hui en Europe, Elle se
caractérise ainsi par : une démarche volontaire visant à
aller au-delà des obligations légales et des conventions
collectives ; un souci d'intégrer durablement les vues des
différentes parties prenantes de l'entreprise ; et un engagement
à une certaine transparence (Commission européenne,
2001). Mais une telle vision de la RSE concilie mal avec la perception
que les managers d'entreprises se font du libéralisme
économique.
En effet, outre ses avantages commerciaux indéniables,
le libéralisme économique a contribué à certaines
déviances au niveau du comportement des firmes (exemple : recherche
de la rentabilité à tout prix au détriment du bien
être des parties prenantes). Un tel comportement associé aux
pratiques de corruption et aux trafics d'influence ont accru la demande pour
une moralisation des activités économiques. La publication en
2001 du livre vert sur la RSE par la Commission
Européenne atteste la volonté de faire de cette
problématique, un élément central de la politique
économique de l'union.
Toutefois, les contraintes économiques qui se
traduisent par des compressions de personnel et des délocalisations
concilient mal avec l'ambition affichée par certaines grandes
entreprises de pratiquer un management responsable. C'est ainsi qu'en France
par exemple, des entreprises telles ST Micro ou Hewlett Packard peuvent-elles
à la fois revendiquer leur statut d'entreprise socialement responsable
et fermer certains de leurs sites en France pour développer leurs
activités dans de pays où la main d'oeuvre
bénéficie de moins d'avantages sociaux
(Bénédicte .D & Christine .N, 2006). C'est
également le cas de DELL cette année.
La RSE est un concept flou par nature ; puisqu'il est
difficile de dire où commence et où s'arrête cette
responsabilité (E. Persais, 2004b). Le fait de
s'interroger sur la nature même de la RSE permet de mieux comprendre ce
qui touche à sa mise en oeuvre dans les pratiques d'entreprises.
Cependant, une telle responsabilité ne saurait
être simplement vécue comme une obligation légale ou
réglementaire. Elle se manifeste au contraire par des actes libres et
volontaires, susceptibles justement d'aller au delà des
définitions qu'en donnent les juristes (Cornu .G,
2004) : « une obligation de répondre d'un
dommage devant la justice et d'en assumer les conséquences civiles,
pénales, disciplinaires, etc. (soit envers la victime, soit envers la
société). La suggestion de Carroll (1991)
d'aborder la RSE au travers du concept de partie prenante est
intéressante. Ainsi, dans le contexte camerounais actuel, la
problématique apparaît beaucoup plus complexe dans une conception
extensive où, la RSE confronte le management à toutes les parties
prenantes dont les intérêts sont concernés par les
résultats et le développement de l'entreprise.
Dans un contexte d'internationalisation de l'économie,
la question de la RSE prend une importance croissante. Face aux critiques
formulées par les groupes de pressions vis-à-vis de comportements
opportunistes, les entreprises sont désormais tenues de démontrer
qu'elles inscrivent leurs actions dans le cadre d'une économie
responsable. En général, l'éthique de l'entreprise est
surtout un moyen d'entretenir une image positive de celle-ci, aux yeux de ses
différents publics, internes et externes. Son développement est
incontestablement lié à l'importance croissante de l'opinion des
différents publics de l'entreprise : actionnaires, salariés,
clients, partenaires économiques, pouvoirs publics (G. Bressy
& C. Konkuyt, 2000). Elle est un des moyens récents
utilisés par les firmes pour tenter de maîtriser leur image. Ceci
dit, si la question de la RSE reste au centre des préoccupations
liées à l'entreprise et à son rôle dans la
société, tel n'est pas le cas dans les pays en voie de
développement, notamment en Afrique.
Dans les pays africains, les réglementations ne sont
pas pour encourager la mise en oeuvre de la RSE. En effet, le
sous-développement, la misère et la pauvreté poussent les
États et les politiques gouvernementales à s'intéresser
uniquement à la rentabilité des entreprises.
Au Cameroun, on assiste dans les entreprises
spécialisées dans la fabrication des matériaux de
construction, à une mise en chômage technique qui se transforme
progressivement en chômage définitif (cas vécu par deux
employés de la SOBAF que nous avons rencontré). Que dira t-on des
employés à temps partiel embauchés par les
sociétés de construction des routes, qui sont remis au
chômage en fin de travaux ? L'incidence des contraintes
économiques sur la RSE a aussi été observée en
Janvier 2009 à la SCR MAYA (entreprise spécialisée dans la
fabrication des matières grasses) où les employés ont
dû observer deux semaines de congé non payant, le temps
d'écouler la surproduction réalisée pendant les
périodes des fêtes de fin d'année 2008.
Par contre au Cameroun, le comportement des entreprises
à l'égard des exigences de RSE est surprenant. En effet, il est
de coutume de retrouver, des entreprises qui se veulent citoyennes de par
certaines oeuvres sociales et qui, en même temps nuisent aux populations
qui leur sont riveraines. C'est le cas par exemple de la société
Sic CACAO qui a mis à la disposition des populations environnantes, un
forage (oeuvre sociale) et qui en même temps, pollue l'atmosphère
sur plus de dix kilomètres à la ronde. Le cas des
« Brasseries du Cameroun » qui, en dépit des
évènements sportifs pour jeunes qu'elle organise (coupe top),
pollue la zone de Koumassi où elle brasse du vin. Ou encore la Guinness
qui, elle aussi, pollue l'environnement des populations environnantes
malgré le puits d'eau potable qu'elle met à la disposition de ces
mêmes populations.
Face à cet état des choses, on est enclin de se
demander : quelles sont les réalités de la RSE au
Cameroun ? En d'autres termes, les préoccupations et les
pratiques réelles des entreprises camerounaises correspondent-elles
véritablement aux valeurs véhiculées par le concept de
RSE ?
Cette question principale suscite les sous-questionnements
suivants :
- Peut-on caractériser la RSE au Cameroun ?
- Quelle est la spécificité de la RSE dans les
entreprises au Cameroun ?
- Vers quel modèle la RSE tend-t-elle au
Cameroun ?
L'importance majeure de ce thème sur la
Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) est qu'il constitue l'un
des sujets phares de la recherche en sciences de gestion en ce début de
troisième millénaire.
L'intérêt de travail apparait principalement
à deux niveaux :
- Vu sous un angle purement académique, ce travail va
contribuer au renforcement de la recherche sur les thématiques de la
RSE, particulièrement dans le contexte camerounais. En effet, la
littérature abonde ailleurs sur le thème de la RSE, mais au
niveau camerounais, il y a un vide à combler ;
- Pour les entreprises, ce travail s'inscrit dans le cadre de
la recherche par celles-ci, d'objectifs extra économiques
(environnementaux et sociaux) à moyen et long terme. En plus, ce travail
servira d'outil de positionnement stratégique aux entreprises, par
rapport à leur environnement endogène et exogène.
Pour répondre aux questions posées plus haut,
nous nous sommes fixés un certain nombre d'objectifs. De manière
générale, ce travail vise à caractériser la
Responsabilité Sociale des Entreprises au Cameroun. Pour y
arriver, il faudra spécifiquement :
- Découvrir la réalité de la RS au sein
des entreprises ;
- Ressortir la spécificité et la logique de la
RSE dans les entreprises camerounaises ;
- Déterminer un modèle de RSE convenable aux
entreprises camerounaises.
Si les problèmes d'ordre sociaux concernent aussi bien
les entreprises commerciales qu'industrielles, il va de soi que les
problèmes d'ordre environnementaux (la pollution par exemple) font
majoritairement recours aux entreprises de fabrication. C'est dans cette
perspective que nous avons mené une étude exploratoire sur une
population majoritairement constituée d'entreprises du secteur
industriel.
Après avoir parcouru la littérature sur la RSE,
nous avons effectué une première descente sur le terrain (dans
les zones industrielles de Ndobo-Bonaberi, MAGZI de Bonaberi et MAGZI Douala
Bassa) où nous avons constaté que les pratiques des entreprises
en matière de responsabilité sociale étaient ambigües
et prêtaient à confusion. Aussi avons-nous décidé
d'appliquer à la fois les méthodes qualitatives et quantitatives
de la recherche. Le volet qualitatif ayant pour objectif de comprendre le
phénomène étudié, consiste en une approche
constructiviste appliquée à quatre entreprises de la place (par
voie d'entretiens semi-directifs). Le volet quantitatif ayant un objectif de
généralisation, consiste à analyser vingt-huit
questionnaires administrés à autant d'entreprise, pour confirmer
ou infirmer les résultats de la recherche exploratoire. Nous nous sommes
limités uniquement à la ville de Douala, parce que, non seulement
Douala est la capitale économique, mais aussi, la principale ville
industrielle du Cameroun.
Nous avons donc procédé par voix d'enquête
sur un échantillon d'entreprises qui opèrent dans les domaines
d'activités suivants : matériaux de construction, parfums et
produits de toilettes, imprimeries, entreprises brassicoles, industries
agro-alimentaires, industries textiles, savonneries, matières
plastiques, peintures, câbles électriques, incinération des
déchets. La sélection au sein de chaque sous secteur s'est faite
de manière probabiliste.
Notre recherche étant exploratoire, la collecte des
données s'est faite par voie d'entretiens avec les responsables de la
mise en oeuvre de la RSE. Nous avons nous-mêmes effectué ces
entretiens (observation participante) afin d'éviter l'introduction des
biais dans les résultats de recherche.
Enfin, les données collectées ont
été analysées à l'aide de deux outils d'analyse
pour une bonne lisibilité du phénomène. Nous avons
premièrement procédé par analyse du contenu, ensuite, pour
répondre aux objectifs de spécificité et de
modélisation de la RSE au Cameroun, nous avons procédé par
tri-croisé, notamment les tableaux et coefficients de contingence.
L'ensemble du travail rapporté dans
ce mémoire s'articule autour de deux parties :
La première partie reprend de manière
dynamique, les appuis théoriques existants sur la thématique de
la responsabilité sociale d'entreprise. Elle est subdivisée en
deux chapitres : le premier explore et retrace la genèse et
l'évolution du concept de responsabilité sociale à travers
les théories modernes existantes à cet effet, et aborde les
différents domaines d'application et instruments de mise en oeuvre de
responsabilité sociale. Le second chapitre est consacré aux
enjeux, aux risques et à l'importance croissante de la
responsabilité sociale dans un contexte de mondialisation.
La deuxième partie, la phase empirique de notre
travail, comprend elle aussi deux chapitres. L'un s'intéresse à
la démarche adoptée, tout en revenant sur la population
étudiée, et l'échantillon de notre recherche. L'autre
chapitre (le dernier), présente les résultats obtenus, en fait
une analyse détaillée, les interprète et propose un
modèle de responsabilité sociale propre aux entreprises
situées au Cameroun.
PREMIÈRE PARTIE :
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