Le fondement de l'ordre social et politique chez Jean- Jacques Rousseau. Une lecture de " du contrat social "( Télécharger le fichier original )par Oscar OMARI NGABO Institut supérieur de philosophie et de théologie de Kolwezi RDC - Graduat en philosophie 2007 |
I. 2 NAISSANCE DE L'INEGALITE ET GENESE DE LA SOCIETECIVILELes différentes caractéristiques de l'homme de la nature montrent pratiquement que ce dernier n'avait pas de liens sociaux à proprement parler. Ce faisant, seuls comptaient ses besoins immédiats. En effet, toutes ses potentialités naturelles resteraient à l'état virtuel si des circonstances fortuites les amenaient à en faire des capacités réellement utilisées. Car, plus l'esprit s'éclaire, plus l'humanité se transforme. L'homme naturel va donc entrer dans l'histoire pour des raisons contingentes. Cependant, contrairement à Hobbes8(*) qui lie la naissance de la société civile à la crainte réciproque que les hommes affichaient l'un à l'égard de l'autre, Rousseau la situe pratiquement à la propriété privée, laquelle, selon lui, n'est pas naturelle. Car, dit-il, « le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile »9(*). Néanmoins, Proudhon10(*) en défendant la propriété privée pour qui c'est un droit naturel, condamne formellement la propriété foncière qui s'avère perpétuelle et empêche l'autre de devenir aussi propriétaire. L'acquisition du sens de la propriété se fait, en effet, au terme d'un long cheminement. Les difficultés pratiques, l'expansion démographique, conduisent les hommes à se côtoyer pour traiter des problèmes d'intérêt commun. Ainsi, apparaissent un noyau d'organisation, des langages primitifs, des habitations sommaires, des liens familiaux. Tous ces éléments, en raison de la perfectibilité humaine, vont s'améliorer sans cesse et les relations humaines se renforcer. Ainsi surgissent le besoin de considération et les maux qui lui sont associés (haine, vengeance, cruauté, ...). Malgré cela, pour Rousseau, il s'agit d'un véritable "âge d'or", une sorte de nouvel état de nature dans lequel l'homme a déjà commencé à se transformer: «Ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature, ...»11(*). Il revient à noter, dès lors, que ces communautés sont dépourvues de lois, et ce sont les passions et non les besoins qui les cimentent. Ce sont donc les premiers progrès qui feront naître une sorte de société civile. C'est ainsi que la division du travail, la métallurgie et l'agriculture viendront mettre fin à cet état de "vie égale et équilibrée"; un état de vie heureuse. Ce sont, en effet, le fer et le blé qui, pour Rousseau, sont à la base de la civilisation des hommes et la perte du genre humain. Alors disparaîtra l'égalité et naîtra la propriété qui ouvre la porte à la misère et à l'esclavage : inégalité, propriété, misère, esclavage ont une origine sociale, et non pas naturelle, comme le soutiendraient la plupart des philosophes. La propriété conduit à créer des règles de justice destinées à la protéger. Mais elle donne aussi naissance à une inégalité croissante, due aux différences de talents. L'homme a profondément évolué. Et Rousseau de le dire: « Voilà donc nos facultés développées, la mémoire et l'imagination en jeu, l'amour-propre intéressé, la raison rendue active et l'esprit arrivé presque au terme de la perfection, dont il est susceptible »12(*). Se créent, par le développement des sciences et des arts, une multitude de besoins qui avilissent l'homme à la fois à la nature et à ses semblables quel que soit le rang social. Progressivement, le règne d'une violence généralisée, avec les usurpations des riches, mais aussi les révoltes des pauvres, va dégénérer.
Dès lors, avec un contrat social, l'inégalité va s'institutionnaliser. Par la ruse des puissants, il s'établit une société pourvue d'institutions stables, avec un pouvoir suprême gouvernant selon les lois. Les riches créent des lois, qui constituent un contrat des dupes, et vont devoir imposer celles-ci, instituant la société civile, lois qui leur sont entièrement favorables. Par ailleurs, cette société civile, constituée d'abord par un pacte simple entre tous les partisans, dégénère rapidement en violences, car les conventions sont trop faciles à tourner; elle conduit à la possession du pouvoir par quelques magistrats : ainsi, la recherche de la sécurité va mener directement le peuple à l'esclavage. Les magistrats se transformeront donc progressivement en despotes. De ce qui précède, il faut affirmer que l'égalité naturelle n'est pas seulement une expression prônée autrefois, mais qu'elle est actuelle. C'est un "slogan" qui parcourt non pas seulement les siècles, mais qui, aujourd'hui dans toutes les constitutions presque, traduit la volonté des hommes, quoique idéale, à promouvoir la vie sociale. En République Démocratique du Congo (RDC), par exemple, dans sa constitution au Titre II concernant les droits humains, les libertés fondamentales et les devoirs du citoyen et de l'Etat; le chapitre Ier, en ses articles 11 et 12 stipule que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits »13(*). Et par la suite, « tous sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois »14(*). Cette égalité prônée, donnerait la chance à tous les hommes, et aux congolais en particulier, de jouir des mêmes droits et privilèges; ce qui est paradoxal quand nous la confrontons avec les réalités de nos sociétés. C'est dire que les hommes ne s'aiment pas naturellement en tant qu'hommes. Ce manque d'amour amène, en effet, aux choix et à la préférence dans les relations humaines. En fait, aimer l'autre serait non pas parce qu'il partage mes sentiments ou adhère à mes convictions, mais parce qu'il est homme comme moi. Ainsi donc, l'honneur et l'utilité ne seraient plus les principes de base pour un certain choix d'un compagnon, d'un ami, car, tous, nous sommes conditionnés à nous aimer naturellement. Cependant, diverses activités font réunir les hommes, non pas parce qu'ils veulent rester ensemble et poursuivre un but commun afin de construire une société solide et fraternelle, mais parce que chacun cherche à promouvoir ses intérêts privés. D'ailleurs « la vie de grandes nations se caractérise par le commerce, et par conséquent par la distinction entre riches et pauvres. Tout homme peut rechercher le profit dans le cadre établi par l'Etat. L'argent est le critère de la valeur humaine et la vertu est oubliée. Le calcul de son propre avantage privé est le fondement des relations humaines; il se peut que cela n'aboutisse pas à la guerre perpétuelle, mais néanmoins, cela anéantit les fondements de la confiance et d'une socialité aisée, et cela conduit à l'égoïsme et à une concitoyenneté médiocre »15(*). Pareille assemblée où chacun cherche à conquérir et à posséder conduit souvent à des luttes entre les hommes. Cela est même l'une des causes primordiales des guerres entre les personnes, les communautés, les nations et même les continents à travers les siècles. De tout ce qui précède, on peut, par extension, établir une analogie entre l'état de nature et l'anarchisme d'autant plus que ce dernier, du point de vue politique se définit comme une doctrine politique reposant sur le postulat selon lequel les hommes sont par nature bons et sociables et que l'organisation des masses en communautés est spontanée. L'anarchisme rejette en conséquence toute intervention de l'Etat et de son autorité en se donnant pour but la destruction de celui-ci pour le remplacer par la libre association toujours réversible entre les individus.
* 8 HOBBES, Le citoyen ou les fondements de la politique, Paris, Flammarion, 1982, p.90. * 9 ROUSSEAU, J.-J., Op. Cit., Cf. http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.roj.dis3. * 10 «Pour Proudhon, la propriété est bien moins le droit pour un homme de jouir d'une chose que celui d'empêcher les autres d'en jouir. Elle est le droit de priver les autres; son caractère principal, c'est qu'elle est exclusive de toute prétention des tiers». Cf. PROUDHON, P.-J., Qu'est-ce que la propriété ou recherches sur le principe du droit et du gouvernement. (Introduction et chronologie par Emile James), Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p.28. * 11 ROUSSEAU, J.-J., Op. Cit., Cf. http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.roj.dis3. * 12 Ibid. * 13 Constitution de la République Démocratique du Congo, Article 11, Kinshasa, 18 Février 2006. * 14 Ibid., Article 12, Kinshasa, 18 Février 2006. * 15 STRAUSS, L. et CROPSEY, J., Histoire de la philosophie politique (traduit de l'américain par Olivier Sedeyn), Paris, Quadrige/PUF, 1994, p.616. |
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