Les partenariats publics privés santé comme outils d'amélioration de la responsabilité sociétale des entreprises au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Bidossessi Gwladys ADANDEDJAN Ecole supérieure polytechnique- Université Cheikh Anta Diop - Master commerce et management des affaires internationales 2011 |
B- PARTENARIATS MULTI ACTEURS ET ROLE DES ENTREPRISESD'un point de vue général, le PPP est une forme de partenariat délicate tant dans sa conception que sa gestion à cause de la nature opposée des deux acteurs qui contractent : d'une part le privé avec ses buts lucratifs, et d'autre part le public, qui priorise le bien-être social et économique et non le profit. Un article de Benoît Aubert18 et Michel Patry19 répertorie les dix conditions de succès d'un Partenariat Public-Privé :
18 Professeur agrégé et directeur du groupe de recherche en systèmes d'information à HEC Montréal 19 Professeur titulaire et directeur adjoint au corps professoral et à la planification stratégique à HEC 16 Les PPP, dont les premières expériences sont parties de la Grande Bretagne, se sont ensuite largement diffusés dans les pays du monde entier, suscitant l'intérêt de plusieurs chercheurs et auteurs autour de ce concept. Toutefois, les travaux sur les PPP dans les PED ne sont pas nombreux. Certains auteurs se sont penchés sur leurs domaines d'application dans ces pays. L'un d'entre eux, par Peter Farlam (2005), a étudié des exemples de PPP existants dans cinq secteurs notamment le transport, la télécommunication, l'eau, l'énergie et le tourisme. Mais son analyse tend plus à tirer des leçons de chaque exemple de PPP, que de faire une typologie des domaines d'application des PPP. Par contre, Marty, Voisin et Trosa (2006) eux, ont fait une analyse des domaines d'application des PPP en fonction des PED. Leurs recherches spécifient que les PPP en Asie portent beaucoup plus sur les infrastructures nouvelles à savoir l'énergie, les télécoms, les assainissements, tandis qu'en Amérique Latine et en Afrique, les secteurs les plus concernés sont les transports et l'eau. Plus loin, leurs recherchent mettent en exergue, les inégalités sectorielles et géographiques de la réalisation des PPP dans les PED. Les partenariats se sont concentrés dans les pays les plus financièrement attractifs à savoir l'Asie et l'Amérique Latine au détriment de l'Afrique. Philippe Marin (1965), concernant les domaines d'application des PPP, a appesanti son analyse sur le secteur de l'eau, pour en faire un bilan des expériences dans les PED. Selon lui, les PPP dans le secteur de l'eau dans les PED sont les plus utilisés et les plus structurés. Il atteste que leur efficacité globale est moyennement satisfaisante, qu'ils représentent une solution pour les services d'eau des PED, mais que de nombreux PPP entrepris n'ont pas toujours atteint les objectifs contractuels des partenaires. Le bilan sur les performances des PPP en eau est donc mitigé. En dehors de ces domaines privilégiés en matière de PPP dans les PED, la santé devient une nouvelle piste d'expérimentation des PPP, surtout dans le cadre de la réalisation des OMD. La littérature existante sur les partenariats santé, abordent le thème sous divers angles, surtout celui des partenariats des firmes pharmaceutiques avec les PED et leurs responsabilités dans l'accès à la santé dans ces pays. Dans un article consacré à ce sujet, Bruno Boidin (2009) envisage ces partenariats comme une stratégie répondant au double enjeu rencontré par les pays pauvres dans leur recherche d'un accès amélioré à la santé à savoir : 17 18 19 - l'horizontalisation des actions de santé (développement d'approche multi acteurs) - le décloisonnement des disciplines de la santé pour appréhender efficacement les problèmes des pays pauvres. Ces partenariats reposent selon lui sur la théorie des parties prenantes ce qui présente la limite de négliger les rapports de force entre ces firmes et les états ou ONG faibles des pays pauvres. Il déclare donc que : « Si les nouvelles formes de partenariats reposent uniquement sur une approche contractualiste, il ne faut probablement pas faire porter de grands espoirs sur les potentialités qu'ils offrent pour les pays pauvres, dans la mesure où ils portent en eux un danger de marginalisation des acteurs faibles (les pouvoirs publics des pays les plus pauvres, les populations marginales, les ONG de petite taille...) ». Cela suppose qu'il faille rééquilibrer les relations entre les partenaires, pour que ces partenariats portent le fruit espéré et de façon durable. Le même auteur et Lucie Lesaffre (2010), s'interrogent dans un autre article sur les résultats à long terme des partenariats pluri acteurs santé. Ils utilisent le cas des partenariats ASAQ entre Sanofi Aventis et la DNDI, et de COARTEM entre Novartis et l'OMS pour montrer qu'ils répondent globalement au double enjeu énoncé plus haut, mais en revanche, ils posent des problèmes quant à leur durabilité et la qualité des médicaments. Ce qui constitue une menace pour la pérennité de ces partenariats, et l'accès à la santé des pays pauvres dans le long terme. Lucie Machuron (2008) dans ses travaux sur les PPP santé, a évalué deux programmes de donation de médicaments par les entreprises pharmaceutiques dans le cadre de la prise en charge du sida : le cas de la névirapine et du fluconazole en Afrique. Son bilan des avantages et inconvénients de leurs initiatives s'accorde aux conclusions de Boidin et Lesaffre. Les conseils apportés par ces partenariats permettent un travail de qualité entre le public et le privé, et les programmes de dons favorisent une meilleure prise en charge des malades. Ce bilan positif des partenariats étudiés est contrebalancé par les inconvénients listés de la stratégie des firmes pharmaceutiques, qui remettent en cause l'efficacité et la légitimité de leurs partenariats avec les états des pays pauvres. Il s'agit : - de l'aide à court terme que ces firmes offrent aux PED ne permettant pas l'élaboration d'un plan à long terme ; - un assistanat de la part des laboratoires court-circuitant le marché des génériques ; - une aide ne respectant pas les pratiques locales et déstructurant les systèmes de santé ; - une aide se caractérisant par la formation de coûts annexes. Ces différents travaux de Boidin, Lesaffre et Machuron, dévoilent la responsabilité des firmes pharmaceutiques dans l'accès des pays pauvres à la santé : l'industrie pharmaceutique ne parvient pas à opérer les changements systématiques nécessaires permettant de répondre à la demande des PED et assumer sa responsabilité qui est de fournir des médicaments accessibles à tous. Mais Robert Sebbag, Vice -Président `Accès au médicament de Sanofi Aventis prend le contrepied de cette thèse en affirmant : « Le médicament joue un rôle majeur, mais il ne règle pas le problème à lui tout seul »20. Il entend que pour améliorer l'accès aux soins dans les PED, la seule mise à disposition de médicaments n'est pas suffisante, mais que la solidité des structures locales de soins est toute aussi déterminante, de même que la volonté politique et le manque de personnel qualifié. Cet argumentaire est également défendu par les représentants des Entreprises du Médicament, qui estiment n'avoir pas démérité en matière d'efforts pour l'accès à la santé dans les pays pauvres ce qui relance le débat de la responsabilité des firmes pharmaceutiques dans l'accès à la santé des pays pauvres. Le rôle des états et entreprises des PED dans l'amélioration de la santé de leur population a pu être révélé à travers diverses études. Suite à l'enquête publiée par le forum économique mondial en 2006 auprès de 8000 dirigeants africains pour faire l'état des lieux des pertes économiques dues au paludisme, de grandes multinationales africaines, se sont lancées dans des PPP Santé. C'est le cas d'AngloGold Ashanti au Ghana, en collaboration avec l'OMS. Les résultats étaient si pertinents que le gouvernement ghanéen s'en est inspiré pour sa politique nationale de santé. Au Maroc, le Ministère de la Santé a engagé une réforme pour le développement du PPP avec une politique visant l'institutionnalisation de partenariats pérennes avec les ONG et les professionnels de la santé exerçant dans le privé. Cette réforme a permis un partenariat ente le Ministère de la Santé, les collectivités locales et l'UNICEF pour réduire le taux de mortalité de femmes enceintes ou sur le point d'accoucher, et celle des enfants de moins de cinq ans. Au Kenya, Marie Stopes constitue un exemple de PPP Santé, lancé en 2004, pour étendre les services de santé sexuelle et de la reproduction à travers des prestataires existants du secteur privé. Au Sénégal, un partenariat entre le Ministère de la Santé du Sénégal, le gouvernement Canadien, la compagnie minière Teck Ressources, l'ONG Initiative pour les micros nutriments, fournit des traitements à base de zinc contre la diarrhée. Dr Mbaye Gueye Dime déclare à propos de ce partenariat : « le soutien technique et financier que nous apporte ce partenariat, nous donne les ressources nécessaires pour élargir ce nouveau traitement à tout le pays et ainsi sauver des vies d'enfants »21. Il faut noter par ailleurs, que les expériences de PPP au Sénégal, ne sont pas très avancées que ce soit au niveau de la santé que d'autres domaines. A ce propos, le rapport de Chemonics International (ND) sur le potentiel des Partenariats Public-Privé au Sénégal, établit les causes de l'échec ou des difficultés de réalisation des PPP dans ce pays. ? D'abord, la non cohérence et harmonisation du cadre
juridique et règlementaire vis-à- ? la Loi 2004-06 sur le Code des Investissements22 : le Code évoque comme secteurs concernés par le recours aux PPP, les services fournis dans les sous-secteurs de la santé et de l'éducation, et l'infrastructure portuaire, aéroportuaire et ferroviaire. Cependant, il reste muet sur les autres secteurs commerciaux susceptibles d'être soumis aux contrats PPP. Le résultat est que ces secteurs ne bénéficieraient pas des garanties d'investissement établies dans le Code. ? Le Décret 2002-550 sur le Code des marchés publics : pendant que l'article 3 du Code des Marchés Publics stipule que les « contrats de concession et d'affermage sont soumis aux règles de publication et d'ouverture à la concurrence selon des conditions déterminées par décret», ce sont les dispositions de la Loi CET23 qui régissent désormais les contrats de concession et d'affermage. Ainsi, il existe apparemment un conflit entre les deux textes en ce qui concerne la procédure de soumission d'offres. De même, il existe une confusion entre les deux lois (l'article 424 du Code des Marchés 21 http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/national/archives/2011/06/20110627-172904.html 22 Le code des investissements régit les garanties accordées aux investisseurs qui souhaitent faire des affaires au Sénégal. 23 Loi relative aux contrats de Construction-Exploitation-Transfert d'infrastructure datant du 13 février 2004 et définissant le cadre juridique régissant les PPP au Sénégal. 24 Article 4 : « Les contrats de marchés publics sont des contrats administratifs qui sont écrits et signés par l'État, les organisations locales, les établissements publics, les entreprises nationales et les sociétés anonymes à participation publique majoritaire afin d'acheter des fournitures ou d'obtenir des services ou l'exécution d'une tâche. » 20 Publics et l'article 1 de la loi CET) sur ce qui distingue les contrats de marchés publics des contrats de PPP. ? La Loi 76-66 sur le Code du domaine de l'État : porte sur le régime de propriété publique et privée au Sénégal. Elle n'est pas assez harmonisée avec la loi CET et avec les concepts liés aux contrats PPP. ? L'Achat obligatoire : les textes législatifs sur l'achat obligatoire de droits immobiliers pour des motifs d'intérêt public prévoient le paiement d'une compensation à l'individu touché par un achat obligatoire. L'expérience de PPP sur des projets d'infrastructures montre que, quoique largement utilisés, ces textes sont inadaptés aux incidences que ces projets peuvent avoir sur la population directement touchée. ? Ensuite, le manque d'informations des entreprises sur les PPP et ses enjeux sociaux et environnementaux, qui se traduit par la méconnaissance par les entreprises, et même les populations des effets de modernisation et autres pouvant résulter des PPP ( nouveaux systèmes de gestion pour assurer de nouveaux services, des investissements dans les nouvelles technologies et les équipements, l'importance donnée à des sous secteurs compétitifs qui entraîneront des investissements supplémentaires, la création de nouveaux emplois, l'augmentation de la production, toutes choses pouvant améliorer la vie des sénégalais. ? Et enfin le manque de ressources pour financer la mise en place des PPP, cause d'échec, qui pour ce rapport, découle de la faiblesse du secteur bancaire, de l'insuffisance de la profondeur financière et du manque de diversification des instruments financiers. Le rapport de Chemonics International, a pu ainsi identifier les raisons d'échec des PPP en général, raisons qui pourront même être éventuellement confirmées, à travers les enquêtes menées dans le cadre de cette étude, sur les PPP Santé en particulier. Par ailleurs, le rapport conclut aussi que les PPP, ne sont pas fondés sur une vision de développement du pays, mais plutôt sur des actions de correction de problèmes. Autrement dit, les efforts pour établir des PPP au Sénégal ont eu pour objet de résoudre un problème grave, au lieu de mettre en place de nouvelles infrastructures et de nouveaux services fondés sur une approche stratégique devant entraîner un Développement Durable. C'est le cas pour la SDE, le PPP est venu en réponse à de graves pénuries d'eau ; l'autre exemple est celui de la ligne de chemin de fer Bamako-Dakar, réalisé pour répondre à l'inefficacité et au déclin des services de fret. 21 Les conclusions de ce rapport trouvent un écho intéressant dans les travaux de Thomsen Stephen (2005). Ce dernier ajoute à ces causes d'échec des PPP précédemment citées: - la gouvernance publique via les conflits entre autorités publiques, - les procédures d'attribution qui manquent de transparence et ne reposent pas sur des critères d'évaluation objectifs, - la corruption dans le choix des partenaires (sous-traitants), - le traitement de faveur envers certains fournisseurs de services déjà en place (surtout publics), - et l'implication des responsables politiques. Thomsen, en écrivant : « Si de nombreux PPP ne sont pas parvenus à satisfaire leurs participants, c'est peut être parce que les autorités des PED, ou les investisseurs, (ou les deux) nourrissaient d'attentes démesurées quant aux résultats escomptés », dénonce le manque d'objectivité à la base lors de la contractualisation des PPP. Pour pallier ces difficultés liées à la mise en oeuvre efficace des PPP, il propose que l'Aide Publique au Développement (APD) soit orientée de façon optimale vers les PPP. Primo pour renforcer les capacités institutionnelles des PED, et secundo, pour atténuer les risques pour les partenaires privés grâce à l'aide des donneurs ; c'est pourquoi il déclare : « une participation multilatérale dans les PPP, peut rassurer les investisseurs privés sur le fait qu'ils ne resteront pas sans soutien si le gouvernement modifie sa politique d'infrastructure ». En somme, ces travaux montrent, que les politiques RSE des entreprises diffèrent selon que l'on se situe dans les pays développés, ou dans les PED. Aussi, ils révèlent par ailleurs le rôle plus ou moins passif que jouent les pouvoirs publics dans la règlementation du domaine de la RSE, le libre arbitrage pratiqué par les entreprises pour leurs actions RSE, l'insuffisance de leurs pratiques RSE pour impulser une amélioration durable des conditions sociales et environnementales. |
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