Le risque pénal dans la constitution des sociétés commerciales en droit OHADA ( Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires )( Télécharger le fichier original )par El Hadji Abdoul Aziz FALL Université Gaston Berger de Saint- Louis Sénégal - Master 2 juriste d'affaires 2010 |
Chapitre 2: L'application des sanctions pénales aux contrevenants
La responsabilité pénale de l'auteur d'une infraction prévue dans l'acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et GIE établie, il incombe aux Etats signataires du traité de l'OHADA de fixer les peines. Le législateur par l'entremise du renvoi législatif permet aux Etats de faire preuve de leur souveraineté et en rapport aux politiques criminelles qu'ils entendent mener au sein leur enceinte territoriale de pouvoir décliner leurs stratégies en matière pénale. L'application de sanctions pénales aux contrevenants n'est pas sans prendre en compte ces divers enjeux (section 1). Mais ce procédé conduit inéluctablement à l'ineffectivité involontaire de la réception de la norme communautaire favorable aux auteurs d'infractions par l'assouplissement excessif du régime de responsabilité du fait de certaines insuffisances au plan national (section 2). Section1 : le renvoi des sanctions pénales aux Etats membresLes diverses controverses que soulève l'intervention du droit pénal des affaires par rapport aux théories de la souveraineté des Etats ont conduit de façon indirecte au système du renvoi législatif dans lequel les Etats s'engagent pour l'application des sanctions encourues104(*) par les contrevenants à la loi pénale, à fixer le quantum des peines (paragraphe1). Mais cette situation donne une part de compétence aux juridictions nationales pour connaitre des affaires pénales relatives aux infractions de constitution des sociétés commerciales précitées même si pour les mêmes infractions les peines risquent d'être inégalitaires. (paragraphe2). Paragraphe1: La fixation par les Etats du quantum des peines applicables aux infractions.Aux termes du traité « les actes uniformes peuvent inclure des dispositions d'incrimination. Les Etats parties s'engagent à déterminer les sanctions encourues105(*) ». C'est dans cette optique que l'on peut retrouver de façon éparse un dispositif de sanctions en application des dispositions pénales communautaires pris au plan interne malgré leur rareté dans certains Etats membres de l'organisation communautaire. Le Sénégal a pour sa part, adopté en 1998 une loi spéciale pour fixer les peines applicables aux infractions contenues dans l'AUSC106(*). C'est également dans cette perspective que l'on retrouve la loi camerounaise numéro 2003/008 du 10 juillet 2003 relative à la répression des infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA. Cette situation traduit un partage de compétences en matière de droit pénal entre l'ordre communautaire qu'est l'OHADA et les ordres juridiques de ses Etats membres. C'est ainsi que la doctrine n'a pas manqué de réagir sur cette forme d'organisation assez peu existante. Dans cet élan, un auteur comme ANCEL107(*) a pu soutenir que « si la politique criminelle apparaît comme une stratégie méthodique de réaction anticriminelle, il est difficilement convenable de soumettre les deux éléments de sa structure que sont le phénomène criminel et la réponse de politique criminelle à une logique différentes ».C'est ainsi donc que l'articulation entre la politique pénale de l'Etat et la sanction d'incriminations prévues au niveau communautaire peut paraitre un paradoxe. Mais si l'application des sanctions pénales incombe aux Etats membres, en raison des implications de la question de la souveraineté108(*), force est de constater la faiblesse des textes appliqués par les législations nationales dans ce sens. Le législateur national prenant la mesure des sanctions idoines, cela contraste avec même l'esprit de l'article 10 du traité dans lequel l'OHADA pose l'applicabilité directe des actes uniformes au plan national. Chaque pays donc de l'espace, déterminera les sanctions en fonction de ses propres valeurs de référence. Les fondateurs de sociétés commerciales, coupables d'incriminations prévues dans la constitution, seront sanctionnés en rapport aux sanctions prévues par l'Etat dans lequel l'infraction a été commise. Il apert donc de constater que la même incrimination puisse faire l'objet de sanctions différentes d'un pays à un autre selon la législation devant laquelle on sera en présence et selon la politique pénale qu'il mène, la sanction sera consistante ou inexistante. Lorsque le renvoi est opéré c'est-à-dire que la loi nationale applique la sanction à l'infraction, le législateur national n'a pas en fait un véritable pouvoir d'appréciation parce que la plupart du temps, c'est la loi uniforme qui, de façon indirecte, fait référence à une loi déjà prévue et incriminée au plan interne pour servir de repère à la sanction. Cette méthode ne traduit pas forcément une autorité du législateur national, encore moins une souveraineté absolue de l'Etat concerné en matière pénale car il arrive, en plus de ces circonstances que la norme communautaire fixe le comportement à sanctionner ou la façon d'y procéder109(*). Il est vrai que, dans certains cas, la norme de sanction qui se trouve en droit interne peut être aisément trouvée, l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives, choisissant lui-même une qualification qui existe déjà dans les lois nationales. Certains actes imputables alors aux commerçants, personnes physiques et aux associés de certaines sociétés commerciales sont considérés comme des cas soit de banqueroute simple, soit de banqueroute frauduleuse. Etant donné que les législations nationales comportent des dispositions sanctionnant les délits de banqueroute, il reste à reporter ces dispositions pour trouver la norme de référence. En ce qui concerne le droit des sociétés commerciales qui régit les règles de constitution, le renvoi est un peu plus avantageux dans le respect de la souveraineté des Etats dans l'établissement des sanctions. L'élaboration de sanctions pour les incriminations est une obligation en vertu des dispositions de l'article 5 al-2 du traité110(*). Mais pour l'auteur de l'infraction, même si la loi prévoit sa responsabilité pénale pour ses agissements prohibés, il demeure que la sanction reste tributaire des politiques pénales des Etats membres. C'est ainsi qu'il arrive que la sanction soit difficilement mise en application vue le caractère éparse des textes nationaux qui touchent d'une façon ou d'une autre une sanction et n'en prévoient pas une autre, mais aussi l'absence notoire de dispositions prévues dans l'arsenal juridique d'un Etat membre est une réalité. Il arrive également que le renvoi trouve au plan national un texte de sanction qui n'est pas un modèle de clarté par rapport à l'incrimination prévue et qui peut contribuer à l'affaiblissement du principe de légalité par l'octroi au juge d'un pouvoir d'interprétation qui peut s'avérer excessif. Les fondateurs, auteurs des infractions de constitution peuvent souvent bénéficier d'un régime d'exonération puisque la lourdeur de la peine rencontre des difficultés souvent liées à l'organisation interne de la législation qui doit sanctionner l'infraction. Même si le droit des sociétés commerciales OHADA prévoit leur responsabilité pénale, force est de constater la difficulté qui en accompagne la mise en oeuvre. Le résultat est une hétérogénéité des sanctions. Mais il faut rappeler que des raisons principales ont poussé l'organisation communautaire à justifier l'attribution de compétences aux Etats membres. C'est dans cet élan que la loi sénégalaise de 1998 portant sur les sanctions pénales applicables aux infractions contenues dans l'acte uniforme relatif aux sociétés commerciales propose dans son exposé des motifs que la raison s'explique à travers la différence des systèmes pénaux des Etats signataires du traité donnant ainsi pleine justification à l'affirmation de Portalis 111(*). A cette raison principale, une autre relative à la rupture de légalité des justiciables de l'OHADA trouve son explication à travers la différence des niveaux de développement au sein de l'espace112(*). L'autre explication est d'ordre économique puisque la justice pénale est le monopole des Etats, il faut qu'ils la prennent en charge avec toutes les implications que cela engendre en terme de politique économique car, rappelons le, l'objectif dans l'espace est avant tout le développement économique même s'il faut utiliser des moyens juridiques qui doivent favoriser l'intégration, les échanges et le développement. Ainsi donc, la méthode utilisée par l'OHADA pour la fixation des peines applicables surtout dans le cadre des incriminations prévues dans l'acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et GIE est celle qui accompagne la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des auteurs des infractions d'affaires ou de constitution des sociétés commerciales. Le renvoi législatif aux Etats membres justifie aussi l'application du droit communautaire par les juges nationaux qui ont compétence en premier ressort et en appel des infractions commises par les fondateurs. Mais les peines risquent d'être inégalitaires quant à leur réception par les contrevenants à la loi pénale. * 104 L'engagement des Etats à déterminer les peines applicables aux infractions prévues dans l'acte uniforme découle de l'article 5 du traité précité avant. Il s'agit là d'un éclatement de l'élément légal selon le professeur DIOUF Ndiaw. Et cette position est tout à fait compréhensible dans la mesure où le texte qui incrimine n'est pas celui qui sanctionne. Cf. a ce propos les incriminations prévues dans l'AUSCGIE dont le texte qui établit les sanctions au Sénégal trouve sa référence à la loi 98-22 du 26 mars 1998. JORS n°5798 du 25 Avril 1998. * 105 Art 5 alinéa 2 du traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique. * 106 Cf. La loi 98-22 du 26 mars 1998. JORS n° 5798. P. 303. Cette loi est spécialement adoptée pour fixer les peines applicables aux infractions contenues dans l'AUSCGIE. * 107 ANCEL Marc * 108 Relativement à la question de la souveraineté en droit pénale, VILLARY Michel décrit la matière pénale dans son cours général de droit international public comme celle au coeur du sanctuaire de la souveraineté, 1983, p 124.. * 109 Cette situation est très perceptible à l'analyse des actes uniformes organisant les suretés (article 97dernier alinéa sur les peines prévues pour les délits d'abus de confiance...), des procédures simplifiés de recouvrement et des voies d'exécution. * 110 Le Sénégal a, pour sa part adopté une loi spéciale pour fixer les peines applicables aux Infractions contenues dans l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d'intérêt économique ; il s'agit de la loi n° 98-22 du 26 mars 1998, JORS n° 5798 du 25 avril 1998 p. 303. * 111 PORTALIS a affirmé que « la lecture des lois pénales d'un peuple peut donner une juste idée de sa morale publique et de ses moeurs privés ». Et c'est une justification de cette affirmation que l'on trouve dans l'exposé des motifs de la loi 98-22 du 26 mars 1998 lorsqu'elle donne la raison juridique du renvoi législatif. * 112 Voir à ce propos S.E. le juge BEDJAOUI Mohammed, « Remarques conclusives » in actes du huitième congrès annuel de la SADIC, sur le thème « l'intégration régional est-elle une solution aux problèmes économiques de l'Afrique? » Le Caire, 2 au 4 septembre 1996. |
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