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Savoirs et savoir- faire locaux face aux politiques agraires: diagnostic d'un système agraire dans un village Khamou ou du Nord Laos

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par Pierre- Yves Heurtier
Université Aix-Marseille 1 - Master 2 anthropologie sociale et culturelle 2006
  

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Université de Provence, Aix-Marseille 1. Anthropologie de recherche sur l'Asie du Sud-Est.

Année 2006

Mémoire de Master deuxième année. Directeur de recherche : Mr Christian Culas.

Savoirs et savoir-faire locaux face aux politiques agraires :

Diagnostic d'un système agraire dans un village khamou ou du Nord Laos.

Mémoire présenté par Pierre-Yves Heurtier.

« La terre se rappelle »

Jeune exploitant du village de Bouamphanh.

A mes parents...

Sommaire :

Contexte du questionnement de l'étude. p .5.

Méthodologie. p.6.

1. L'environnement écologique et socio-économique du système agraire : p.8.

1. 1. Introduction à l'environnement écologique :

1.1.1. Situation géographique de la zone d'étude : p.8.

Le Laos ; la province de Phongsaly; Le district de Khoua; Le village de Bouamphanh.

1.1.2. Météorologie du Laos et de la Province : p.10.

La pluviométrie; L'ensoleillement et les températures.

1.1.3. Le relief de la zone d'étude. p.12.

1.1.4. Composition des sols. p.13.

1.1.5. Les types de végétation.

1.1.6. Les surfaces forestières du Laos.

1.1.7. Conclusion. p.14.

1.2. Introduction à l'environnement socio-économique : p.14.

1.2.1. La démographie : Le Laos; La province; Le district; Le village.

1.2.2. Les groupes ethniques : La province; Le district; Le village. p.16.

1.2.3. Économie : Un pays sous développé : p.17.

1.2.3.1. La situation économique du village. p.21.

1.2.3.1.1. Les statistiques.

1.2.3.1.2. La ville comme modèle ?: Deux analyses.

1.2.3.1.3. Des manques dans l'étude statistique.

1.2.3.1.4. Illustrations de situations économiques familiales : Trois familles. p .23.

1.2.3.1.4.1. Première famille.

1.2.3.1.4.2. Seconde famille.

1.2.3.1.4.3. Troisième famille.

1.2.3.1.4.4. Conclusion.

2. Le cadre juridico-politique du système agraire étudié : p.29.

2.1. Les systèmes agraires du Laos.

2.2 Le cadre juridique agricole et forestier national : p.30.

2.2.1. Historique.

2.2.2. La mise en place du plan d'allocation des terres.

2.2.3. Les raisons du résultat négatif de l'allocation des terres.

2.3. Impacts sociaux de l'allocation foncière : p.36.

2.3.1. Les réactions des populations aux projets gouvernementaux selon un responsable.

2.3.2. Les conséquences de la loi d'allocation des terres.

2.3.3. L'adaptation des paysans aux conséquences négatives de la loi d'allocation des

terres.

2.4. Le cadre juridico-politique du village : p.41.

2.4.1. Le cadre juridique.

2.4.2. Le cadre politique.

2.4.2.1. Les élections.

2.4.2.2. Les taxes.

2.4.2.3. Un personnage charismatique.

3. Les caractéristiques socio-culturelles du système agraire : Un village relocalisé pluriethnique. p.48.

3.1. Départs et arrivées : Une nouvelle situation.

3.2. Les villages d'origines : Hongleuc; Mmoc Pèc.

3.3. Rester à Bouamphanh.

3.4. La piste.

3.5. L'installation à Bouamphanh et au bord de la piste.

3.6. Localisation sociale au village.

3.7. Les langues. p .55.

3.8. La religion.

3.9. Les tabous alimentaires.

3.10. Les mariages.

3.11. L'école.

3.12. L'organisation familiale.

3.13. Le temps : Fonctionnement du calendrier khamou. p.62.

3.14. Les marchés.

3.15. L'organisation du travail : Affaiblissement de l'entraide. p.65.

4. Les caractéristiques techniques du système agraire : p.67.

4.1. Les ressources :

4.1.1. La forêt.

4.1.2. Le riz et le maïs.

4.1.2.1. Les espèces de riz glutineux.

4.1.2.2. Le maïs.

4.2. Les outils : p.72.

4.2.1. Le calendrier agricole.

4.2.2. La météorologie.

4.2.3. Les ustensiles.

4.3 . L'itinéraire technique : p.76.

4.3.1. Le choix des parcelles : Appréciation de leurs qualités.

4.3.2. Technique de coupe.

4.3.3. Le séchage.

4.3.4. Technique de brûlis.

4.3.5. L'éclaircissage du brûlis ou le débardage.

4.3.6. Attendre entre le débardage et le semi.

4.3.7. Protéger les cultures.

4.3.8. Les semis.

4.3.9. Le semi de maïs en saison des pluies sur souan.

4.3.10. Le semi de riz irrigué.

4.3.11. Le sarclage d'après semis.

4.3.12. Les récoltes.

4.3.13. La friche.

4.4. Les difficultés des travaux. p.91.

5. Synthèse. p.94.

6. Propositions. p.96.

Contexte du questionnement de l'étude :

Depuis 1995 et la Convention sur la Diversité biologique1, les savoirs naturalistes locaux sont devenus quasiment indispensables pour conserver la biodiversité.

La conférence de Jakarta permis grâce à la promulgation de l'article 8j de valoriser << le respect, la préservation et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent un mode de vie traditionnel >>2.

De plus en plus de scientifiques et d'acteurs du développement local voient une somme d'informations inédites, pertinentes et précises sur les milieux naturels et la biodiversité qui placent ces << populations locales et autochtones >> sur un plan d'égalité avec les savoirs scientifiques. Ils y voient aussi un remède pour lutter contre les évolutions environnementales négatives actuelles. Ces savoirs naturalistes locaux sont perçus comme des instruments efficaces durables qui ont fait leurs preuves en ayant conserver leur environnement naturel jusqu'à nos jours.

Il s'agit donc désormais de reconnaître, sauvegarder, valoriser et diffuser ces savoirs face à la mondialisation3 .

Des manques sont pourtant regrettables. L'inexistence d'outils institutionnels et juridiques adaptés et éprouvés permettant de consolider les droits des populations à travers des législations d'accès et des contrats d'utilisation des ressources ajoutés aux absences d'études de cas nombreuses sur les savoirs naturalistes locaux, ne permettent pas de comparer, d'évaluer et d'instaurer des cadres de références internationaux.

Les paysans pratiquant l'agriculture d'abattis-brûlis composent pourtant une grande partie des agriculteurs de la planète et jouent un rôle prépondérant dans le rapport d'équilibre entre l'homme et la nature. Ces paysans seraient de par le monde, entre 37 millions et 1 milliard selon les différentes sources4. En Asie du Sud-Est, la pratique de l'abattis brûlis s'étendrait sur environ 8 millions d'hectares5.

Faute d'informations scientifiques claires sur les différentes raisons qui déséquilibrent l'écologie dans les régions où s'exerce l'abattis-brûlis, les paysans sont confrontés aux décisions politiques locales qui ne tiennent pas forcément compte de leurs savoirs et savoir-faire locaux ni des rapports scientifiques.

Devant la complexité des types d'agricultures d'abattis-brûlis dans le monde6, devant l'absence

1 CDB ou CBD en anglais.

2 UNEPCBD/941.

3 Décision IV/10 de la CDB de Bratislava.

4 Lanly 1985b et Brady 1996 : 300 à 500 millions ; Giller et Palm 2004 avec Sanchez et al. 2005 : 37 millions ; Thrupp et al. 1997 : 1 milliard.

5 Piper 1993.

6 Watters 1960 : 65 et Ruthenberg 1976 : 29-36 en dénombrent 8. Spencer 1966 : 204-212 en dénombre 28. Kunstadter et Chapman 1978 : 7 en dénombre 3. Sanchez 2005 n'en voit que 2. Toutes ces catégories sont définies à partir de critères qui varient selon les auteurs : selon l'assolement réglé ou dispersé, la permanence ou non des villages, les techniques de semis, d'écobuages, des techniques sans brûlis, pionnière ou en rotation, sur friche arborée ou sur savane avec déracinements ou pas, des cultures principales ou complémentaires, les temps de mise en culture et en friche, les différents cultivars, les différentes activités en associations (élevage, pisciculture...), les différents outils utilisés...

de voix de la part des paysans appartenant généralement aux minorités ethniques nationales, il était donc relativement normal de tenter de renforcer, par ce travail, les connaissances qui font défaut dans le cadre du débat sur la responsabilité de l'agriculture d'abattis-brûlis dans la déforestation que connaissent les pays équatoriaux et sub-équatoriaux.

Le choix de l'étude s'est porté sur une localité montagnarde du Nord-Laos qui est touchée par les décisions non-scientifiques mais politiques de déplacer les populations et d'allouer des terres dans le but affiché d'éradiquer l'agriculture d'abattis-brûlis.

Méthodologie :

Une étude ethnographique qualitative intégrant des études statistiques fut réalisée par entretiens dirigés et ouverts avec l'aide de deux traducteurs, ainsi que par l'observation participante durant un séjour de 3 mois effectifs au sein du village de Bouamphanh habité majoritairement par le groupe ethnique Khamou, dans le district de Khoua au sud de la Province de Phongsaly.

Cinq familles clefs ont été préalablement sélectionné pour participer à cette étude (les familles du chef du village, du chamane et 3 familles aux conditions de vies différentes : la famille de Monsieur Paeng, de Monsieur Thon et d'un jeune marié). Elles illustrent cinq statuts sociaux et économiques distincts ajoutées aux différents villageois qui ont bien voulu répondre à certaines questions, afin d'avoir une panoplie assez large de situations familiales dans nos analyses.

Sachant que les travaux reposent tous sur des << situations très locales, valables à un instant donné pour une zone donnée et qu'ils sont donc difficilement comparables et généralisables »7, les entretiens ont tenté de faire ressortir les différentes conditions de vies familiales d'un même village, les méthodes et connaissances communes ou singulières pour juger des qualités des travaux, des terrains à exploiter, leurs rapports aux autorités et aux groupes ethniques voisins, afin de pouvoir mieux appréhender les facteurs agissants sur le bon déroulement des activités productives villageoises et sur l'équilibre du milieu naturel villageois.

L'étude s'est donc précisément intéressée aux systèmes de productions agricoles familiaux dans leurs environnements respectifs.

Les questions des entretiens dirigés portèrent sur (voir en annexes) : - Les origines familiales.

- Les ressources familiales.

- Les systèmes agraires8 familiaux.

- Les savoirs naturalistes locaux.

Les réponses des familles permettent de fonder des critères de qualité des parcelles et des travaux de connaître les indices qui font défaut aux familles pour avoir de bonnes récoltes sans intrants, signe d'une fertilité des parcelles et donc d'un équilibre écosytémique. Ces réponses illustrent les << bonnes manières » de pratiquer le type d'agriculture d'abattis brûlis pour chaque

7 O. Ducourtieux 2006 : 64.

8 << Un mode d'exploitation du milieu historiquement constitué, un système de force de production adapté aux conditions bioclimatiques d'un espace donné et répondant aux conditions et besoins sociaux du moment ». Mazoyer 1987.

famille. Elles font comprendre les raisons d'agir différemment de leurs voisins. Elles expliquent aussi quelles sont les manières de faire communément admises pour chaque situation. Les réponses apportent à la fois des singularités et des points communs entre les différentes familles interrogées. Ce qui est tenter ici est la démonstration qu'on ne peut pas généraliser les conséquences d'une agriculture sur l'état des forêts nationales mais qu'il faut comprendre les différents critères qui malmènent l'équilibre de chaque écosystème local puis adapter chaque type d'agriculture à chaque situation locale. Les travaux sur l'agriculture d'abattis-brûlis impliquent des approches multidisciplinaires, une équation de phénomènes différents pour comprendre les interactions dynamiques qui ont lieux.

Les systèmes agraires du Nord-Laos sont loin d'être simplement des techniques de productions alimentaires. Elles forment un système complexe qui englobe techniques, usage de l'espace, relation entre voisins, entre paysans et autorités. C'est un système d'adaptation aux changements de contextes économique, sociaux, écologiques, juridiques et politiques.

L'analyse pourrait ensuite servir de diagnostic en identifiant et les éléments de toute nature qui conditionnent le plus l'évolution des systèmes de production agraires afin de comprendre comment ils interfèrent sur les transformations de l'agriculture.

Les réponses adaptées ne manquent plus, pas plus que les fonds et les acteurs de l'aide internationale. Si l'amélioration des conditions de vie des paysans et l'arrêt des déforestations massives sont des causes nationales, le cas par cas devrait y répondre tout en garantissant le maintient des « cultures nationales ».

Les limites :

Cette étude comporte comme il se doit des limites qui peuvent relativiser les résultats du terrain d'enquête mais aussi contribuer à l'espoir d'une voie d'étude prometteuse pour l'avenir.

La première difficulté rencontrée, et non des moindre, fut celle de la langue. Ne connaissant que succinctement les langues thaï et lao, je dû apprendre seul sur place et à l'aide d'amis nombreux.

Un carnet de note de vocabulaire sur lequel j'écrivais quotidiennement de nouveaux termes, des lexiques et des dictionnaires français-lao m'ont été indispensables pour réussir à vivre ces trois mois au village et les 5 mois au Laos.

La seconde difficulté fut de devoir me fournir en accréditations gouvernementales sans quoi il n'est pas possible d'enquêter au Laos. L'administration laotienne, comme pratiquement toutes les administrations internationales, demandent beaucoup de garanties et est donc longue à rendre ses décisions. Cependant, elle est composée d'hommes et de femmes particulièrement dévoués aux activités d'ouvertures scientifiques et culturelles de leur pays. Sans eux, cette étude n'aurait jamais pu voir le jour.

La dernière limite à ce travail est le manque de financements. Il a été indispensable de gérer avec précaution le budget acquis avec les salaires intérimaires français de l'année précédente.

La rencontre avec les villageois de Bouamphanh se fit en deux temps. Je vins la première fois avec un ami lao qui me présenta pour que je puisse revenir quelques jours plus tard. La prise de contact fut une réussite et le chef du village accompagné des institutrices de l'école demandèrent à ce que je puisse enseigner l'anglais durant mon séjour au village. Cette demande

préfigurait l'arrangement pour être hébergé et nourri en compagnie d'un jeune instituteur khamou vivant avec les élèves akha de « l'internat ». Il fut par la suite bien évident que j'offre des biens de consommation aux élèves, à l'instituteur et aux familles qui m'offraient des repas, pour participer aux dépenses.

Cette aide commença, après un mois, à attiser les convoitises. Des voisins «laissés pour compte » demandèrent que je vienne manger chez eux. Puis, devant mes quelques refus, des rumeurs circulèrent disant que j'avais beaucoup d'argent, que je souhaitais en faire profiter tout le voisinage et qu'un villageois en profitait plus que les autres.

Les familles avec qui j'avais le plus de contacts sentirent un vent de jalousie monter et me le firent savoir. Je dus ne plus sortir d'argent, ne plus offrir de nourritures devant tout le monde durant quelques semaines et je me mis à partager beaucoup plus souvent mes repas avec les enfants du dortoir et leur jeune professeur.

L'arrivée de la police quelques jours plus tard, c'est à dire approximativement un mois et demi après mon arrivée, confirma les dires. Certains villageois, peut être par opportunisme, s'empressèrent de me faire savoir que « si je devais partir, je pourrai revenir, sans problèmes. Les responsables politiques et les policiers sont différents » d'eux. Tout se passa heureusement dans les règles. Mon autorisation des ministères de l'Information communication et des Affaires étrangères passa de main en main puis je pu continuer à vivre tranquillement. Les rumeurs s'étaient calmées.

Mais comment ne pas attiser les doutes des villageois en venant vivre 3 mois chez eux, en s'entretenant avec seulement certains villageois, dans la confidentialité, de sujets parfois intimes ? Même prévue, mon arrivée et ma vie avec les paysans remua forcément des questions, des craintes, des doutes. La confiance se construit avec l'entraide, le dévouement, l'humour, le partage, la patience.

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