Université de Provence, Aix-Marseille 1.
Anthropologie de recherche sur l'Asie du Sud-Est.
Année 2006
Mémoire de Master deuxième année.
Directeur de recherche : Mr Christian Culas.
Savoirs et savoir-faire locaux face aux politiques
agraires :
Diagnostic d'un système agraire dans un village
khamou ou du Nord Laos.
Mémoire présenté par Pierre-Yves
Heurtier.
« La terre se rappelle »
Jeune exploitant du village de Bouamphanh.
A mes parents...
Sommaire :
Contexte du questionnement de l'étude. p
.5.
Méthodologie. p.6.
1. L'environnement écologique et
socio-économique du système agraire : p.8.
1. 1. Introduction à l'environnement
écologique :
1.1.1. Situation géographique de la zone
d'étude : p.8.
Le Laos ; la province de Phongsaly; Le district de Khoua; Le
village de Bouamphanh.
1.1.2. Météorologie du Laos et de la
Province : p.10.
La pluviométrie; L'ensoleillement et les
températures.
1.1.3. Le relief de la zone d'étude.
p.12.
1.1.4. Composition des sols. p.13.
1.1.5. Les types de
végétation.
1.1.6. Les surfaces forestières du
Laos.
1.1.7. Conclusion. p.14.
1.2. Introduction à l'environnement
socio-économique : p.14.
1.2.1. La démographie : Le Laos; La
province; Le district; Le village.
1.2.2. Les groupes ethniques : La province; Le
district; Le village. p.16.
1.2.3. Économie : Un pays sous
développé : p.17.
1.2.3.1. La situation économique du village. p.21.
1.2.3.1.1. Les statistiques.
1.2.3.1.2. La ville comme modèle ?: Deux analyses.
1.2.3.1.3. Des manques dans l'étude statistique.
1.2.3.1.4. Illustrations de situations économiques
familiales : Trois familles. p .23.
1.2.3.1.4.1. Première famille.
1.2.3.1.4.2. Seconde famille.
1.2.3.1.4.3. Troisième famille.
1.2.3.1.4.4. Conclusion.
2. Le cadre juridico-politique du système
agraire étudié : p.29.
2.1. Les systèmes agraires du Laos.
2.2 Le cadre juridique agricole et forestier national
: p.30.
2.2.1. Historique.
2.2.2. La mise en place du plan d'allocation des terres.
2.2.3. Les raisons du résultat négatif de
l'allocation des terres.
2.3. Impacts sociaux de l'allocation foncière :
p.36.
2.3.1. Les réactions des populations aux projets
gouvernementaux selon un responsable.
2.3.2. Les conséquences de la loi d'allocation des
terres.
2.3.3. L'adaptation des paysans aux conséquences
négatives de la loi d'allocation des
terres.
2.4. Le cadre juridico-politique du village : p.41.
2.4.1. Le cadre juridique.
2.4.2. Le cadre politique.
2.4.2.1. Les élections.
2.4.2.2. Les taxes.
2.4.2.3. Un personnage charismatique.
3. Les caractéristiques socio-culturelles du
système agraire : Un village relocalisé pluriethnique.
p.48.
3.1. Départs et arrivées : Une nouvelle
situation.
3.2. Les villages d'origines : Hongleuc; Mmoc
Pèc.
3.3. Rester à Bouamphanh.
3.4. La piste.
3.5. L'installation à Bouamphanh et au bord de
la piste.
3.6. Localisation sociale au village.
3.7. Les langues. p .55.
3.8. La religion.
3.9. Les tabous alimentaires.
3.10. Les mariages.
3.11. L'école.
3.12. L'organisation familiale.
3.13. Le temps : Fonctionnement du calendrier khamou.
p.62.
3.14. Les marchés.
3.15. L'organisation du travail : Affaiblissement de
l'entraide. p.65.
4. Les caractéristiques techniques du
système agraire : p.67.
4.1. Les ressources :
4.1.1. La forêt.
4.1.2. Le riz et le maïs.
4.1.2.1. Les espèces de riz glutineux.
4.1.2.2. Le maïs.
4.2. Les outils : p.72.
4.2.1. Le calendrier agricole.
4.2.2. La météorologie.
4.2.3. Les ustensiles.
4.3 . L'itinéraire technique : p.76.
4.3.1. Le choix des parcelles : Appréciation de leurs
qualités.
4.3.2. Technique de coupe.
4.3.3. Le séchage.
4.3.4. Technique de brûlis.
4.3.5. L'éclaircissage du brûlis ou le
débardage.
4.3.6. Attendre entre le débardage et le semi.
4.3.7. Protéger les cultures.
4.3.8. Les semis.
4.3.9. Le semi de maïs en saison des pluies sur
souan.
4.3.10. Le semi de riz irrigué.
4.3.11. Le sarclage d'après semis.
4.3.12. Les récoltes.
4.3.13. La friche.
4.4. Les difficultés des travaux. p.91.
5. Synthèse. p.94.
6. Propositions. p.96.
Contexte du questionnement de l'étude :
Depuis 1995 et la Convention sur la Diversité
biologique1, les savoirs naturalistes locaux sont devenus quasiment
indispensables pour conserver la biodiversité.
La conférence de Jakarta permis grâce à la
promulgation de l'article 8j de valoriser << le respect, la
préservation et le maintien des connaissances, innovations et pratiques
des communautés autochtones et locales qui incarnent un mode de vie
traditionnel >>2.
De plus en plus de scientifiques et d'acteurs du
développement local voient une somme d'informations inédites,
pertinentes et précises sur les milieux naturels et la
biodiversité qui placent ces << populations locales et autochtones
>> sur un plan d'égalité avec les savoirs scientifiques.
Ils y voient aussi un remède pour lutter contre les évolutions
environnementales négatives actuelles. Ces savoirs naturalistes locaux
sont perçus comme des instruments efficaces durables qui ont fait leurs
preuves en ayant conserver leur environnement naturel jusqu'à nos
jours.
Il s'agit donc désormais de reconnaître,
sauvegarder, valoriser et diffuser ces savoirs face à la
mondialisation3 .
Des manques sont pourtant regrettables. L'inexistence d'outils
institutionnels et juridiques adaptés et éprouvés
permettant de consolider les droits des populations à travers des
législations d'accès et des contrats d'utilisation des ressources
ajoutés aux absences d'études de cas nombreuses sur les savoirs
naturalistes locaux, ne permettent pas de comparer, d'évaluer et
d'instaurer des cadres de références internationaux.
Les paysans pratiquant l'agriculture d'abattis-brûlis
composent pourtant une grande partie des agriculteurs de la planète et
jouent un rôle prépondérant dans le rapport
d'équilibre entre l'homme et la nature. Ces paysans seraient de par le
monde, entre 37 millions et 1 milliard selon les différentes
sources4. En Asie du Sud-Est, la pratique de l'abattis brûlis
s'étendrait sur environ 8 millions d'hectares5.
Faute d'informations scientifiques claires sur les
différentes raisons qui déséquilibrent l'écologie
dans les régions où s'exerce l'abattis-brûlis, les paysans
sont confrontés aux décisions politiques locales qui ne tiennent
pas forcément compte de leurs savoirs et savoir-faire locaux ni des
rapports scientifiques.
Devant la complexité des types d'agricultures
d'abattis-brûlis dans le monde6, devant l'absence
1 CDB ou CBD en anglais.
2 UNEPCBD/941.
3 Décision IV/10 de la CDB de Bratislava.
4 Lanly 1985b et Brady 1996 : 300 à 500 millions ; Giller
et Palm 2004 avec Sanchez et al. 2005 : 37 millions ; Thrupp et al. 1997 : 1
milliard.
5 Piper 1993.
6 Watters 1960 : 65 et Ruthenberg 1976 : 29-36 en
dénombrent 8. Spencer 1966 : 204-212 en dénombre 28. Kunstadter
et Chapman 1978 : 7 en dénombre 3. Sanchez 2005 n'en voit que 2. Toutes
ces catégories sont définies à partir de critères
qui varient selon les auteurs : selon l'assolement réglé ou
dispersé, la permanence ou non des villages, les techniques de semis,
d'écobuages, des techniques sans brûlis, pionnière ou en
rotation, sur friche arborée ou sur savane avec déracinements ou
pas, des cultures principales ou complémentaires, les temps de mise en
culture et en friche, les différents cultivars, les différentes
activités en associations (élevage, pisciculture...), les
différents outils utilisés...
de voix de la part des paysans appartenant
généralement aux minorités ethniques nationales, il
était donc relativement normal de tenter de renforcer, par ce travail,
les connaissances qui font défaut dans le cadre du débat sur la
responsabilité de l'agriculture d'abattis-brûlis dans la
déforestation que connaissent les pays équatoriaux et
sub-équatoriaux.
Le choix de l'étude s'est porté sur une
localité montagnarde du Nord-Laos qui est touchée par les
décisions non-scientifiques mais politiques de déplacer les
populations et d'allouer des terres dans le but affiché
d'éradiquer l'agriculture d'abattis-brûlis.
Méthodologie :
Une étude ethnographique qualitative intégrant
des études statistiques fut réalisée par entretiens
dirigés et ouverts avec l'aide de deux traducteurs, ainsi que par
l'observation participante durant un séjour de 3 mois effectifs au sein
du village de Bouamphanh habité majoritairement par le groupe ethnique
Khamou, dans le district de Khoua au sud de la Province de Phongsaly.
Cinq familles clefs ont été préalablement
sélectionné pour participer à cette étude (les
familles du chef du village, du chamane et 3 familles aux conditions de vies
différentes : la famille de Monsieur Paeng, de Monsieur Thon et d'un
jeune marié). Elles illustrent cinq statuts sociaux et
économiques distincts ajoutées aux différents villageois
qui ont bien voulu répondre à certaines questions, afin d'avoir
une panoplie assez large de situations familiales dans nos analyses.
Sachant que les travaux reposent tous sur des <<
situations très locales, valables à un instant donné pour
une zone donnée et qu'ils sont donc difficilement comparables et
généralisables »7, les entretiens ont
tenté de faire ressortir les différentes conditions de vies
familiales d'un même village, les méthodes et connaissances
communes ou singulières pour juger des qualités des travaux, des
terrains à exploiter, leurs rapports aux autorités et aux groupes
ethniques voisins, afin de pouvoir mieux appréhender les facteurs
agissants sur le bon déroulement des activités productives
villageoises et sur l'équilibre du milieu naturel villageois.
L'étude s'est donc précisément
intéressée aux systèmes de productions agricoles familiaux
dans leurs environnements respectifs.
Les questions des entretiens dirigés portèrent sur
(voir en annexes) : - Les origines familiales.
- Les ressources familiales.
- Les systèmes agraires8 familiaux.
- Les savoirs naturalistes locaux.
Les réponses des familles permettent de fonder des
critères de qualité des parcelles et des travaux de
connaître les indices qui font défaut aux familles pour avoir de
bonnes récoltes sans intrants, signe d'une fertilité des
parcelles et donc d'un équilibre écosytémique. Ces
réponses illustrent les << bonnes manières » de
pratiquer le type d'agriculture d'abattis brûlis pour chaque
7 O. Ducourtieux 2006 : 64.
8 << Un mode d'exploitation du milieu historiquement
constitué, un système de force de production adapté aux
conditions bioclimatiques d'un espace donné et répondant aux
conditions et besoins sociaux du moment ». Mazoyer 1987.
famille. Elles font comprendre les raisons d'agir
différemment de leurs voisins. Elles expliquent aussi quelles sont les
manières de faire communément admises pour chaque situation. Les
réponses apportent à la fois des singularités et des
points communs entre les différentes familles interrogées. Ce qui
est tenter ici est la démonstration qu'on ne peut pas
généraliser les conséquences d'une agriculture sur
l'état des forêts nationales mais qu'il faut comprendre les
différents critères qui malmènent l'équilibre de
chaque écosystème local puis adapter chaque type d'agriculture
à chaque situation locale. Les travaux sur l'agriculture
d'abattis-brûlis impliquent des approches multidisciplinaires, une
équation de phénomènes différents pour comprendre
les interactions dynamiques qui ont lieux.
Les systèmes agraires du Nord-Laos sont loin
d'être simplement des techniques de productions alimentaires. Elles
forment un système complexe qui englobe techniques, usage de l'espace,
relation entre voisins, entre paysans et autorités. C'est un
système d'adaptation aux changements de contextes économique,
sociaux, écologiques, juridiques et politiques.
L'analyse pourrait ensuite servir de diagnostic en identifiant
et les éléments de toute nature qui conditionnent le plus
l'évolution des systèmes de production agraires afin de
comprendre comment ils interfèrent sur les transformations de
l'agriculture.
Les réponses adaptées ne manquent plus, pas plus
que les fonds et les acteurs de l'aide internationale. Si l'amélioration
des conditions de vie des paysans et l'arrêt des déforestations
massives sont des causes nationales, le cas par cas devrait y répondre
tout en garantissant le maintient des « cultures nationales ».
Les limites :
Cette étude comporte comme il se doit des limites qui
peuvent relativiser les résultats du terrain d'enquête mais aussi
contribuer à l'espoir d'une voie d'étude prometteuse pour
l'avenir.
La première difficulté rencontrée, et non
des moindre, fut celle de la langue. Ne connaissant que succinctement les
langues thaï et lao, je dû apprendre seul sur place et à
l'aide d'amis nombreux.
Un carnet de note de vocabulaire sur lequel j'écrivais
quotidiennement de nouveaux termes, des lexiques et des dictionnaires
français-lao m'ont été indispensables pour réussir
à vivre ces trois mois au village et les 5 mois au Laos.
La seconde difficulté fut de devoir me fournir en
accréditations gouvernementales sans quoi il n'est pas possible
d'enquêter au Laos. L'administration laotienne, comme pratiquement toutes
les administrations internationales, demandent beaucoup de garanties et est
donc longue à rendre ses décisions. Cependant, elle est
composée d'hommes et de femmes particulièrement
dévoués aux activités d'ouvertures scientifiques et
culturelles de leur pays. Sans eux, cette étude n'aurait jamais pu voir
le jour.
La dernière limite à ce travail est le manque de
financements. Il a été indispensable de gérer avec
précaution le budget acquis avec les salaires intérimaires
français de l'année précédente.
La rencontre avec les villageois de Bouamphanh se fit en deux
temps. Je vins la première fois avec un ami lao qui me présenta
pour que je puisse revenir quelques jours plus tard. La prise de contact fut
une réussite et le chef du village accompagné des institutrices
de l'école demandèrent à ce que je puisse enseigner
l'anglais durant mon séjour au village. Cette demande
préfigurait l'arrangement pour être
hébergé et nourri en compagnie d'un jeune instituteur khamou
vivant avec les élèves akha de « l'internat ». Il fut
par la suite bien évident que j'offre des biens de consommation aux
élèves, à l'instituteur et aux familles qui m'offraient
des repas, pour participer aux dépenses.
Cette aide commença, après un mois, à
attiser les convoitises. Des voisins «laissés pour compte »
demandèrent que je vienne manger chez eux. Puis, devant mes quelques
refus, des rumeurs circulèrent disant que j'avais beaucoup d'argent, que
je souhaitais en faire profiter tout le voisinage et qu'un villageois en
profitait plus que les autres.
Les familles avec qui j'avais le plus de contacts sentirent un
vent de jalousie monter et me le firent savoir. Je dus ne plus sortir d'argent,
ne plus offrir de nourritures devant tout le monde durant quelques semaines et
je me mis à partager beaucoup plus souvent mes repas avec les enfants du
dortoir et leur jeune professeur.
L'arrivée de la police quelques jours plus tard, c'est
à dire approximativement un mois et demi après mon
arrivée, confirma les dires. Certains villageois, peut être par
opportunisme, s'empressèrent de me faire savoir que « si je devais
partir, je pourrai revenir, sans problèmes. Les responsables politiques
et les policiers sont différents » d'eux. Tout se passa
heureusement dans les règles. Mon autorisation des ministères de
l'Information communication et des Affaires étrangères passa de
main en main puis je pu continuer à vivre tranquillement. Les rumeurs
s'étaient calmées.
Mais comment ne pas attiser les doutes des villageois en
venant vivre 3 mois chez eux, en s'entretenant avec seulement certains
villageois, dans la confidentialité, de sujets parfois intimes ?
Même prévue, mon arrivée et ma vie avec les paysans remua
forcément des questions, des craintes, des doutes. La confiance se
construit avec l'entraide, le dévouement, l'humour, le partage, la
patience.
1. L'environnement écologique,
socio-économique et juridico-politique du système agraire :
1.1. Introduction à l'environnement
écologique :
1.1.1. Situation géographique de la zone
d'étude : Le Laos :
Enclavé au coeur de la péninsule indochinoise, la
République démocratique populaire Lao (R.P.D.L.) est le seul pays
de la péninsule à ne pas avoir accès à la mer.
Le pays s'étend entre le Mékong, qui coule du
nord-ouest au Sud-est, et la cordillère annamitique au Nord et à
l'Est.
Sur plus de 1700 km entre le 14° et le 22°30 de
latitude Nord, sa superficie totale est de 238 071 km2, ce qui en
fait un territoire à l'étendue comparable à la Grande
Bretagne et le second plus petit pays de la péninsule après le
Cambodge (181 000 km2).
Le Laos partage 505 km de frontières avec la Chine, 435 km
avec le Cambodge, 2069 km avec le Viêt-nam, 236 km avec le Myanmar et
1835 km avec la Thaïlande.
La province de Phongsaly :
Situé entre le 21e et le 22e
parallèle Nord, la province de Phongsaly est la plus septentrionale des
provinces laotiennes.
Sa superficie est d'environ 16.270 km2, ce qui
représente 7 % de la surface du pays. Elle borde la Chine au Nord et
à l'Ouest et le Viêt-Nam à l'Est.
Le district de Khoua :
Le district de Khoua est situé au Sud de la province et
s'étend sur 1.499 km2. Il compte parmi les 7 districts de la
province. Il est bordé au Sud par les Provinces d'Oudom Xay et de Luang
Phabang, à l'Ouest par le district de Boun Taï, au Nord par celui
de Samphanh et au Nord-Est par celui de May.
Le village de Bouamphanh :
Le village de Bouamphanh étendue sur 2850 ha dans le
district de Khoua se situe au sud de la province de Phongsali. La nationale 1B
carrossable traverse le village du nord au sud rejoignant Phongsaly à
Sin Xay petit village, carrefour d'une route bitumé allant de Khoua
à Oudom Xay.
Le village s'est toujours appelé
Bouamphanh9, du nom de la première famille qui vécue
près de la rivière, dans le creux du vallon, près de
l'école actuelle. Le chamane du village, Monsieur Mao, appartient
normalement à la lignée fondatrice du village.
Le village, comme son nom l'indique, est donc installé
dans le fond d'un vallon orienté nordsud. Depuis 1995, de nombreux
foyers ont dû se construire sur les versants par manque de place dans le
vallon.
Dans le fond du vallon coule une rivière appelée
Nam Noy qui se jète plus loin dans la Nam Ou.
A l'Est de Bouamphanh se trouve le village de
Hongleuk10, à l'Ouest celui de Nam Ma Tay11, au
Nord Piche-Mai et Piche-cao12 et au Sud cocprao13.
Il y aurait environ 6 entrées du village : à
pied par la Nam noy14 et ses affluents (Houai Xang Gnay, Houai Xang
Noy et Houai Kha Nga)15 ainsi que par la piste arrivant du Sud et du
Nord. La Nam noy est un affluent de la Nam Ou, second court d'eau du Laos, qui
coule dans les provinces de Phongsaly et de Luang Phabang sur 448 km avant de
se jeter dans le Mékong.
1.1.2. Météorologie du Laos et de la province
de Phongsaly16 :
9 << Le petit vallon cultivé de Monsieur Phanh
>>.
10 << La cuvette >> en langue akha.
11 Traduction non enregistrée.
12<< kapokier nouveau >> et <<
kapokier ancien >> en langue khamou ou.
13<< jujubier >> en langue khamou ou.
14 << petite rivière >> en langue khamou
ou.
15 Traductions non enregistrées.
16 Source provinciales obtenues à la station
météorologique de la ville de Phongsaly.
Le laos est soumis à un climat tropical marqué par
le régime de moussons.
Situé à l'extrême nord du Laos, la province
de Phongsaly s'écarte des normes tropicales, ce qui amène
certains géographes à considérer cette région comme
subtropicale.
La pluviométrie :
La quantité moyenne de précipitation au Laos est de
1560 mm de pluies par an.
Dans le district de Khoua où se situe le village de
Bouamphanh, 757 mm d'eaux pluviales sont tombées durant l'année
2005. Le minimum de 0 mm d'eau est tombé en février, au plus fort
de la saison sèche alors que le maximum de 205,7 mm est tombé en
juillet durant la saison des pluies..
La moyenne pluviométrique mensuelle du district durant
l'année 2005 est de 63,1 mm.
Dans le district de Boun Taï, au nord-est du district de
Khoua, la moyenne pluviométrique est de 75,4 mm et 904,3 mm d'eaux
pluviales sont tombées dans l'année 2005, 147 mm de plus
qu'à Khoua. Les mois où il n'y a eu aucune pluie sont les mois de
janvier et février et le mois où il est tombé le plus
d'eaux est le mois de juin avec 257,8 mm.
Au district de May, toujours plus au nord, 1392,4 mm sont
tombés en 2005 et la moyenne était de 116 mm de pluies par
mois.
Ainsi les districts se situant plus au Nord, dans les
montagnes, ont beaucoup plus de pluies que dans les plaines du sud.
Malheureusement dans ces vallons étroits les habitants n'ont pas la
place pour construire des rizières irriguées et leurs essarts se
retrouvent submergés d'eaux, les sols devenant impraticables.
L'isolement et la difficulté de travailler augmentent avec les
pluies.
Une autre difficulté touchant les montagnards est la
variabilité importante des pluies d'une année sur l'autre. Les
paysans ne peuvent pas s'attendre avec garantie que chaque année donnera
le même quota d'eaux pluviale aux mêmes périodes.
Cette année 2006 fut d'ailleurs l'illustration des
variabilités climatiques et des incertitudes paysannes vis à vis
de la météo. Les premiers orages arrivèrent effectivement
à la même période qu'il était prévu par les
villageois mais s'en suivi une longue période de sécheresse qui
ne fit débuter la saison des pluies que vers le 20 juin et non à
la fin mai comme les paysans l'espéraient.
L'écart type sur la quantité de
précipitation annuelle est de 170 mm sur la courte période de
1991 à 1998.
L'année 1997 fut marquée par un début tardif
de la saison des pluies, avec seulement 88 mm en juin contre 270 en moyenne
à cette période.
L'année 1999 fut marquée par un début
précoce de la saison des pluies avec 185 mm en avril contre 85 mm en
moyenne à cette période.
Ces trois années (1997, 1999 et 2006) sont touchée
par de mauvaises récolte de riz en essarts sur friche
forestière.
L'ensoleillement et les températures :
En règle générale, la province de Phongsaly
connaît une saison sèche plus fraîche que dans les
régions situées plus au sud.
Dans le district de Phongsaly, il y aurait eu 1989 heures de
soleil durant l'année 2005. Le minimum se situant au mois d'août
avec 46,5 heures de soleil. Le maximum se situe au mois de mars avec 318,4
heures de soleil.
En moyenne, le district de Phongsaly a connu une
température de 20,4°C avec un minimum de 3°C en janvier et un
maximum de 32°C en juillet de l'année 2005.
Les données en rapport avec la force des vents dans
tous les districts sont absentes. Nous savons pourtant aujourd'hui que les
vents influencent les cultures. Les données en rapport avec les
températures dans les districts de Khoua et Bountaï sont aussi
inexistantes et il n'existe pas de données pour tous les districts. Nous
nous contenterons donc des données du district de Phongsaly, en sachant
pertinemment que les températures en altitude sont plus basses que dans
les vallées et les vallons.
Cette absence de stations météorologiques dans
les districts de Bountaï, Khoua et autres montrent combien les
données du district de Phongsaly sont importantes. C'est d'abord le
chef-lieu de la province, mais c'est aussi la ville où se trouve le
bureau provincial du ministère de l'agriculture et des forêts,
bâtiment voisin de 100 m de la station météorologique,
ainsi que le projet franco-lao du P.D.D.P., voisin de 50 m, qui ne travaille
pratiquement que dans ce district. Les stations météorologiques
et leurs données, fondamentales pour qui voudrait analyser des
situations environnementales et agir dans les domaines de l'agriculture et les
forêts, ne sontelles pas influencées par la politique et ses
projets humanitaires ?
1.1.3. Le relief de la zone d'étude :
Les températures et les précipitations de la
zone d'étude sont tempérées par la basse altitude de la
zone (entre 500 et 900 m d'altitude). Toutefois l'hygrométrie montre une
teneur en humidité dans l'air plus importante dans les fonds de vallons
de basses altitudes qu'en amont.
La pression interne des mouvements continentaux survenus au
Jurassique (ère secondaire) a conduit la formation de failles. Cette
pression a plissé les couches sédimentaires formant un
système synclinal-anticlinal-synclinal d'ouest en est.
Les vallées ont très majoritairement un profil
en « V » orienté nord-sud où il n'est pas possible de
cultiver de grandes surfaces en rizières irriguées ou
inondées. L'espace est trop réduit et occupé par la
rivière, les plantations, la forêt-cimetière et des
habitations sur quelques parties de l'espace.
1.1.4. Composition des sols :
La géologie de la zone est formé de
l'accumulation et la compaction de sédiments continentaux pendant des
millions d'années conduisant à la formation de grès
siliceux, argileux et d'une
roche mère schisteuse, parfois gréseuse sur les
crêtes. Cette composition joue peu le rôle de réservoir
d'eau.
Les sols, argilo-sableux à sablo-argileux, sont
plutôt acides. Ils sont peu profonds et des blocs de roche mère
apparaissent en surface.
Des études17 ont montré qu'une terre
rouge basaltique profonde qui retient l'eau et la rend perméable est
favorable à la forêt dense à système radiculaire
profond. Si la terre est peu profonde, seule une formation herbacée peut
s'accommoder de la pénurie en eau. L'insuffisance de la couverture
végétale favorise alors le lessivage et prépare à
l'installation de la savane.
1.1.5. Les types de végétation :
Sur ce type de sol, il est probable que la
végétation climacique soit une forêt semisempervirente,
composée d'espèces ligneuses sempervirentes
mélangées avec des espèces caduques.
La forêt naturelle née sur les sommets où la
roche mère gréseuse affleure est sans doute plus claire que dans
les pentes : les strates herbacées s'y développe plus
facilement.
En fonds de vallées s'est développé une
forêt humide sempervirente que l'on retrouve aujourd'hui à de
rares endroits difficilement accessibles. Dans ces endroits, faute de
lumière, la strate herbacée est réduite à quelques
fougères et monocotylédones18.
Selon certains ethnobotanistes dont J. E. Vidal, la savane
à Impérata Cylindrica est le stade ultime de
dégradation du milieu naturel19.
1.1.6. Les surfaces forestières du Laos :
Le Laos est le pays le plus boisé d'Asie du Sud-Est et
l'un des plus riches en termes de biodiversité. Environ 10 millions
d'hectares20 sont couverts par des forêts naturelles, dont
trois millions d'hectares classées comme zones de biodiversité
exceptionnelles (NBCA)
En 2003, les zones forestières21
représentaient 41 % du territoire contre 47 % en 1992 et 64 % au milieu
des années soixante.
Les forêts ont donc vu leur superficies diminuer mais
aussi se compartimenter. Les forêts de moins de 10 ha représentent
6,7 % du total aujourd'hui contre seulement 1 % en 1992. Les forêts de
plus de 1000 ha sont passées de 88 % à 54 % de la surface totale
durant les même période.
La richesse végétale et la valeur commerciale des
forêt à considérablement diminué en
une décennie. Les agricultures d'abattis brûlis officiellement
accusées de nuire aux forêts nationales
17 J-R. Laffort et R. Jouanneau, 1998.
18 Alocasia indica.
19 Paysages, végétaux et plantes de la
Péninsule indochinoise par J. E. Vidal, 1997, Karthala.
20 O. Evrard, 2004 : 13.
21 Couvertures de la canopée d'au moins 20 % d'une zone
minimale d'un demi-hectare avec une canopée ayant une hauteur minimale
de 5 m.
ont trouvé un concurrent sérieux avec la coupe
illégale organisée qui semble pour le moment à l'abris des
réactions gouvernementales fortes.
1.1.7. Conclusion :
La zone d'étude fait partie d'une région
sub-équatoriale d'altitude où le climat permet naturellement
à la végétation d'être dense ou semi-dense. La
forêt doit donc se renouveler rapidement en cas de défrichages.
Les données climatiques et géologiques comme les
températures, les durées d'ensoleillement, les pluies, la
composition des sols, les latitudes sont favorables à un renouvellement
de la végétation. Seuls la raideur des terrains et la composition
des sols, très friables à certains endroits, entraînerait
l'érosion superficielle et ralentiraient ainsi le renouvellement
végétale. Pour autant, si l'érosion naturelle n'a pas lieu
et que les activités agricoles n'en produisent pas22, la
végétation redevient majoritairement arborée au bout de 4
à 5 années. Déjà après quelques mois, les
premières essences ligneuses se développent.
Le climat permet bien au riz pluvial de se développer mais
la marge de sécurité, la garantie de bonnes récoltes, sont
très maigres par rapport aux aléas climatiques.
Seule l'expérience séculaire et les connaissances
de la région par les paysans permettent d'adapter les pratiques agraires
aux spécificités locales.
1.2. Introduction à l'environnement
socio-économique :
1.2.1. La démographie23 :
Le Laos :
D'après les recensements de 1995, le nombre d'habitants
au Laos était selon les sources laotiennes de 5.091.100 millions. Il
serait passé en 2002 à 5,7 millions et en 2005 à 5,9
millions.
En 2002 la densité de population moyenne serait de 23
habitants au km2.
En 1995, il y aurait eu 2.575.000 millions de personnes de sexe
féminin (50,58 % de la
population) et 2.516.100 millions de personnes de sexe
masculin.
La population aurait été composée en 2002
à plus de 55 % de personnes de moins de 20 ans. La province de
Phongsaly :
Il y aurait eu à Phongsaly 170.000 habitants dont
86.000 personnes de sexe féminin et 84.000 personnes de sexe masculin.
Avec ce chiffre, la province de Phongsaly était la 3e
province la moins peuplée après celles de Sékong, Attapeu
et Xaysomboun.
La tendance depuis les statistiques de 1976 est à la
progression démographique. En 1976, la province comptait 99.000
habitants, en 1980 elle en comptait 110.000, en 1985 124.000, en 1990 141.000,
en 1995 153.000, en 1999 170.000 et en 2000 probablement 174.000 habitants.
22 Par une exploitation intensive des terres cultivées en
versants qui se fragiliseraient.
23 Bureau des statistiques nationales laotiennes, Lao Census,
Vientiane, octobre 2002.
La densité de population n'aurait pas
dépassé 10 habitants par km2.
Le taux de fertilité était de 5,7 % en 1995.
Le taux de natalité était de 39 % la même
année et le taux de mortalité de 11 % toujours la même
année avec un taux de mortalité par maladie de 2,9 % et un taux
de mortalité infantile de 94 %.
44,1 % de la population aurait eu entre 0 et 14 ans, 55 % de la
population entre 0 et 19 ans, 45 % entre 20 et 75 ans et 2,2 % de la population
aurait eu plus de 70 ans.
Le nombre d'actifs aurait donc été de 43,8 %, de
la population soit 2.220.547 personnes actives. (les statistiques laotiennes
éliminant les personnes de plus de 70 ans et de moins de 20 ans).
Il y aurait eu 79.380 personnes actives sur 153.000 habitants
cette même année 1995 dans la province de Phongsaly, c'est
à dire environ 52 % de la population.
Le district de Khoua :
Au district de Khoua, il y aurait eu en 1995, 28 244 habitants
et une densité de population atteignant 18 habitants au km2.
Il est le district le plus peuplé et le densément peuplé
de la province dépassant largement les districts voisins qui stagnent
à 15, 13, 9 et 7 hab./km2. Il est donc un district
considéré comme attractif par les populations locales. Il
possède le même chiffre que la médiane nationale (plus
révélatrice de la situation démographique que ne l'est la
moyenne). Le district de Khoua dépasse aussi la densité nationale
médiane puisqu'elle est de 17 hab./km2.
Le village :
Plusieurs données en rapport avec la
démographie, le nombre d'actifs, les surfaces totale et cultivées
du finage ont été enregistré lors des enquêtes
menées en 2001 par les autorités ainsi que par l'entretient avec
le chef du village en 2006, mais aucune garantie statistique ne peuvent
confirmer les dires du chef du village. Ces informations, pourtant
indispensables pour juger de la pression foncière et du degré de
saturation des ressources foncières, doivent donc être relativiser
au regard des conclusions démographiques et économique
provinciales et nationales.
Le village de Bouamphanh comptabilisait en 2001, 74 familles
et 405 habitants dont 207 femmes référencées dans les
statistiques (51,11 % de la population). Les chiffres auraient
évolué en 2006 jusqu'à 542 habitants dont 279 femmes
(51,47 % de la population) réparties dans 92 familles et 89 foyers. La
moyenne par foyer serait approximativement de 6 membres.
Il y aurait environ 6 à 10 nouveau-nés en
moyenne par an et approximativement 2 décès par an. L'âge
moyen des villageois serait d'environ 20 ans étant donné un
nombre important d'enfants de moins de 20 ans et une moyenne d'espérance
de vie ne dépassant pas 65 ans.
Il y aurait en 2006, environ 150 villageois inactifs sur 542
habitants24 cultivant sur la moitié des 2850 ha que compte le
finage.
La densité de la population est de 19 hab./
km225 et il y aurait environ 5 ha / habitant26.
Etant donnés les résultats des pressions
démographiques (19 hab./km2) comparés avec ceux de la
province, du district et des limites tolérables pour ne pas être
en surpression démographique27, le village de Bouamphanh
semble avoir pratiquement atteint la limite d'une pression démographique
trop importante pour l'étendue de son finage.
L'éloignement des champs, la diminution du rendement
par accélération de la durée de rotation des parcelles
cultivées28, l'épuisement des ressources de la
collecte29 (pêche, chasse, pousses de bambou, cardamome...) se
font sentir. Le village de Bouamphanh semble être l'illustration d'un
développement mal organisé qui ne prend pas en compte
l'évolution des pressions démographiques.
1.2.2. Les groupes ethniques de la province :
Les groupes ethniques les plus présents dans la province
de Phongsaly sont les Phounoy, les Akha, les Ho et les Khamou.
Les Khamou sont essentiellement installés dans le Sud de
la province, ainsi que dans les provinces de Luang Phabang, Oudom Xay, Luang
Namtha et les provinces du Sud du pays. Premiers occupants du pays, ils ont
été chassé dans les montagnes par les thaïs-lao venus
pour agrandir leur royaume dans les plaines rizicoles. Les Khamou se sont donc
essentiellement installés sur les versants montagneux, laissant les
crêtes disponibles pour les groupes ethniques Tibéto-Birmans qui
arriveront avec les flux migratoires suivants.
Le district :
Le district de Khoua compte 6 ethnies plus ou moins
réparties dans 112 villages et 12 ket30. Dans ce
canton, Bouamphanh en est le chef-lieu et on y dénombre 12 villages.
Il existe toujours une cohésion ethnique dans chaque
village de la province. Au village de Mok Kouang habitent les Khamou, à
Pouly habitent les Ko et à Nam Ma Neua et Nam Ma Taï habitent les
Taï dam.
Les groupes ethniques du village :
Le village compte actuellement 542 habitants appartenant
à 92 familles dont 84 familles khamou ou réparties dans 6
clans. Le groupe ethnique Khamou est donc majoritaire au village
24 Actifs : personnes de plus de 15 ans et de moins 70 ans selon
les statistiques officielles.
25 542 hab./ 28,50 km2 = 19 hab. / km2.
26 28,50 km2 / 542 hab. = 0,05 km2 /
hab.
27 20 hab./km2 selon M. Dufumier, 1996 : 195-208.
28 Qui est actuellement de 4 ans en moyenne alors qu'elle
était de 10 à 15 dans les villages d'origines.
29 5 ha par habitant reste un chiffre faible car il prend en
compte les surfaces habité, cultivé et de collecte. Il illustre
le peu de ressource accessible par chaque habitant.
30 « Canton administratif » en langue lao.
de Bouamphanh. Les autres groupes ethniques sont
représentés par 2 familles phounoy, 4 familles akha, une famille
pala et une famille taï dam-taï deng.
Cette cohabitation ethnique se retrouve dans à peu
près tous les villages du district. L'entraide villageoise, l'esprit
d'appartenance au même village, permettent parfois de dépasser les
clivages et ainsi l'appartenance ethnique hermétique, tant mise en avant
par les Lao et les étrangers pour expliquer les singularités
locales, disparaît au profit d'une amitié et d'une
coopération sincère entre voisins. Les villageois se
prêtent volontiers leur matériel, se rendent facilement des
services, ne faisant pas de sélection ethnique avant d'aider. Il s'agit
de rapports villageois avant tout, de rapports relativement
désintéressés par l'appartenance ethnique. C'est ainsi que
l'on retrouve des couples mariés appartenant à des groupes
ethniques différents et des individus portant différents costumes
ethniques sous un même toit durant les cérémonies
annuelles. Ils boivent tous à la même jarre, participent tous aux
même mariages, cérémonies des naissances et des
décès, des nouvelles habitations et aux même repas de
chasses. Ils participent aux mêmes réunions villageoises pour
préparer les élections. Tous se sentent concernés à
différents degrés par les évènements de leur
village.
Pourtant des zones d'ombres persistent. Avec les
déplacements forcés ou non des populations, cette cohésion
pourrait s'affaiblir au profit d'une mosaïque ethnique villageoise qui
n'est pas pour plaire à tout le monde. Les nouveaux arrivants doivent
cultiver les terres restantes que bien souvent personne ne veut, se situant
loin des foyers et n'étant pas connues pour leur fertilité. Des
tensions sont palpables mais l'union officielle est toujours mise en avant.
1.2.3. Économie : Un pays sous
développé :
En 1999, l'agriculture rapportait au Laos (pour les
résidents de plus d'un an au Laos), la somme de 556.199.000.000 kips par
an (environ 55.620.000 dollars)31. Les produits de la forêt
rapportaient 52.582.000.000 kips, l'élevage rapportait 197.498.000.000
kips et les plantations de bois commerciaux 306.119.000.000 kips.
Les prix ont eu tendance à augmenter depuis 1995 mais
malgré tout, trop sensiblement.
En 1995, l'agriculture rapportait 453.684.000.000 kips, les
produits de la forêt 216.031.000.000 kips, l'élevage
178.961.000.000 kips et les plantations 216.031.000.000 kips.
En 1997, l'agriculture rapportait alors 498.683.000.000 kips, les
produits forestiers 56.939.000.000 kips, l'élevage 188.325.000.000 kips
et les plantations 253.419.000.000 kips.
En 1999, les ressources forestières représentent
34 % des recettes de l'Etat et atteignent 50 % certaines années.
Près de 80 % de laotiens utilisent quotidiennement des produits
forestiers pour leurs subsistances.
Les produits forestiers non-ligneux32 comme la
cardamome, le rotin, les résines, le miel, les champignons, pousses de
bambou, poissons, légumes, représentent quant à eux 55% du
revenu des villageois33.
31 1 dollar = 10.000 kips.
32 NTFP : Non Timber Forest Products.
33 UNDP, 2001 : 78.
Les paysans qui représentent 85 % de la population
rapportent plus de la moitié du PIB national.
Le PIB laotien serait en 2002 de 370 dollars par habitant avec
une croissance de 2,1 % par an34. Les prix
d'achats moyens nationaux en kips (monnaie laotienne) :
|
1996
|
1999
|
1 kg de riz collant
|
338
|
1.535
|
1 kg de riz normal
|
434
|
2.521
|
1 L d'essence
|
525
|
1.807
|
1 kg de tabac
|
2.052
|
10.275
|
1 kg de porc
|
2.152
|
13.699
|
1 poulet
|
1.938
|
12.857
|
Les investissements au Laos
Ils rapportèrent entre 1999 et 2000 1.463.000.000.000
kips.
Les investissements les plus importants furent dans les
domaines de la communication avec 948.000.000.000 kips, de la santé avec
109.000.000.000 kips et de l'agriculture avec 103.000.000.000 kips.
Le total des investissements pour l'année 1994-1995 furent
de 182.000.000..000 kips et de 590.000.000.000 kips pour l'année
1997-1998.
Les investissements étrangers entre 1994 et 1995
atteignirent 145.000.000.000 kips et 436.000.000 .000 kips entre 1997 et
1998.
Les investissements nationaux atteignirent 37.000.000.000 kips
entre 1994 et 1995 et 154.000.000.000 kips entre 1997 et 1998.
Les investissements étrangers se portèrent plus
volontiers dans les domaines de la communication durant les années
1994-1995, 1997-1998 et 1999-2000.
Les investissements locaux se reportèrent dans la
communication pour l'année 1994-1995, l'agriculture pour l'année
1997-1998 et de nouveau sur la communication entre 1999 et 2000.
L'industrie du bois a pratiquement cessé toutes ses
activités depuis 1999 et la chute des investissements accompagnés
de l'absence de projets dans ce domaine.
Le Laos est désigné comme un Etat éponge
sur lequel coule l'aide internationale à haut débit puisque plus
de 250 millions de dollars lui sont versés chaque année depuis
1990, ce qui représente 20 % du PIB et 50 dollars par habitant par an,
montant le plus élevé de l'Asie du Sud-Est35.
Le nombre de projet en faveur de l'agriculture et des
forêts passa du nombre de 3 en 1990 avec 435.000 dollars investis
à 10 en 1997 avec 4.333.000 dollars investis à 12 projets en 2000
avec 87.859.000 dollars investis.
34 Lao People D.R.Papper, ministère du transport laotien,
2002.
35 Banque Mondiale, Lao Logistics Development and Trade
Facilitations in Lao P.D.R., working paper, 2002.
Les ventes nationales en 1995 :
85,5 % pour les produits de l'agriculture et la pêche. 4 %
pour le tertiaire.
2,9 % pour les techniques et associations professionnelles. 2,6 %
pour l'artisanat.
Les productions laotiennes36:
Les récoltes culturales (milliers par ha) en 2000 :
|
|
Produits manufacturés (tabac, coton, café,
thé, canne à sucre...)
|
71.600
|
Riz
|
690.000
|
Riz pluvial
|
500.000
|
Riz en rizière irriguée
|
110.000
|
Riz de montagne
|
80.000
|
Maïs
|
10.000
|
Racines (pommes de terres...)
|
8.000
|
Légumes
|
40.000
|
Céréales
|
708.000
|
Les semences (milliers par ha) en 2000 :
|
|
Produits manufacturés
|
246,9
|
Riz
|
2.230
|
Riz pluvial
|
1635
|
Riz irrigué
|
465
|
Riz de montagne
|
130
|
Maïs
|
23,6
|
Racines (pommes de terres...)
|
51,9
|
Légumes
|
255,9
|
Céréales
|
2.305.500
|
Productions de la province de Phongsaly en 2000 :
|
Hectares
|
Tonnes
|
Moyenne de la province
|
moyenne du pays
|
Riz pluvial
|
7.000
|
22.500
|
|
|
Riz irrigué
|
200
|
500
|
|
|
Riz de montagne
|
9.000
|
14.400
|
|
|
Maïs
|
4.421
|
10.206
|
2.310 tonnes par ha
|
3.360 tonnes /ha
|
Racines
|
200
|
1.204
|
6.020 tonnes /ha
|
6.180 tonnes /ha
|
Légumes
|
350
|
1.106
|
3.160 tonnes / ha
|
5.750 tonnes /ha
|
Phongsaly est la 3e province la plus pauvre au Laos
en terme de production (hectares et tonnes)
36 MAF, 2000.
de riz pluvial.
Elle est la plus démunie du Laos en terme de production
(hectares et tonnes) de riz irrigué. L'importation de riz dans la
province de Phongsaly : 45.000 tonnes en 1976, 26.731 tonnes en 1996 et 4.707
tonnes en 1999.
Consommation des habitants de la province de Phongsaly en
1997-1998 :
Pour une valeur de 64.222 kips par an, voici les consommations
des produits originaires de leur province par les habitants de la province de
Phongsaly :
Riz
|
20.8 %
|
Sésame
|
0,1
|
%
|
Viande
|
2.9
|
%
|
Poisson
|
5.2
|
%
|
Fruits
|
0,2
|
%
|
Légumes
|
3.3
|
%
|
Total
|
32,5 % des consommations de la province proviennent de la
province.
|
Consommation de riz en gramme par jour selon l'âge pour
l'année 1997-1998 dans la province de Phongsaly :
De 0 à 4 ans
|
299 g
|
De 15 à 19 ans
|
597 g
|
Plus de 50 ans
|
634 g
|
Si les indices de l'économie semble se redresser depuis
quelques années et montrent un pays autosuffisant depuis 2000, il ne
faut tout de même pas négliger la 135e place mondiale
sur 175 en matière de développement humain37 et sa
catégorisation dans les Pays les moins avancés (PMA) du monde. Le
Laos a de nombreux symptômes du sous développement : Forte
croissance démographique, un niveau sanitaire médiocre, des
infrastructures économiques et sociales très réduites, un
secteur agricole38 vitale pour le pays.
De plus, les indicateurs statistiques produis par le
gouvernement laotien sont très peu fiables. La collecte statistique
laisse à désirer et elle ne prend pas en compte la
perméabilité des frontières, l'incidence de grands projets
hydroélectriques qui masquent les flux réels d'importations et
d'exportations, les quantités de bois illégalement
coupées. Il faut savoir manier les statistiques laotiennes avec
précaution39.
La comparaison économique et sociale est assez
éloquente entre les données nationales, provinciales et celles
du district de la zone d'étude qui suivent. Elles montrent toutes les
points forts agricoles et les points faibles industriels et tertiaires. Les
données illustrent aussi les
37 Le développement humain inclus : l'espérance de
vie à la naissance, le taux d'alphabétisation des plus de 15 ans
: 65 % en 2001 selon PNUD 2003, le taux brut de scolarisation combiné de
la primaire au supérieur et le PIB/ habitant. Source : Rapport mondial
sur le développement humain 2003, Economica.
38 Sylviculture, élevage, pêche, plantations,
pisciculture, cueillette, agricultures.
39 Pholsena et Banomyong, 2004.
importantes sommes d'argents qui transitent dans
l'économie nationale sans que la majorité des laotiens ne
puissent en profiter. Cette situation n'est pas sans rappeler la
majorité des pays du Sud qui manquent essentiellement de personnes
sachant manier des gestions équitables et une meilleure
répartition des richesses.
1.2.3.1. La situation économique du village40
:
Ce sous chapitre n'est pas le lieux d'exposition des raisons
de la situation économique de Bouamphanh mais uniquement un portrait
économique du village accompagné de critiques à
l'égard de la construction statistique.
Les chiffres ont été calculés sur les
bases d'un accès à la nourriture avec un minimum fixé a 16
kg de riz par mois par famille41 ; d'une possession de
vêtements non abîmés ou neufs ; d'une salubrité de
l'habitation ; d'un accès aux soins et d'un accès à
l'éducation pour les enfants. Si les familles manquent d'un de ces
éléments de référence, elles sont
désignées comme étant «pauvres ». C'est pourquoi
l'addition du nombre de familles manquant de riz, de vêtements,
d'habitations salubres, de soins et d'accès à l'éducation
aboutit à la somme des familles pauvres dans chaque village.
1.2.3.1.1. Les statistiques :
En 2001, les statistiques comptabilisaient 11 familles
possédant moins de 16 kilogrammes de riz par mois par famille, 2
familles manquant de vêtements,10 familles manquant d'habitations
salubres, 3 familles manquant de soins et 7 familles manquant d'accès
à l'éducation. 33 familles étaient donc
considérées par les autorités comme étant
pauvres.
Le village de Bouamphanh est à la septième place
des villages les plus pauvres du district avec 33 familles dites «pauvres
» car manquant soit de riz, de vêtement, d'une habitation salubre,
de soins ou d'accès à l'éducation.
Malgré ce rang, les 33 familles ne
représentaient que 13 % de la population du village en 2001, ce qui
laisse à penser que les conditions de vie au village de Bouamphanh sont
majoritairement au dessus des limites fixées pour considérer les
villageois en crise humanitaire.
Aujourd'hui, il semble que les conditions de vie ne se soient pas
améliorées, mais aucune statistiques prenant en compte le village
entier n'a pu être réalisé depuis 2001.
Selon les autorités, le village de Bouamphanh
comptabiliserait 74 porcs (0,8 porc par famille en moyenne42), 70
boeufs, 60 buffles, 161 volailles (1,75 poule par famille en
moyenne43) et 7 chèvres. Ces chiffres sont le reflet d'une
volonté politique de développer ce chef lieu du canton
numéro sept. Tous ces animaux ne sont pas l'héritage des
générations précédentes mais un don d'une ONG
américaine (Quaker) venue après demande du gouvernement laotien
pour rendre
40 Sources du bureau au plan et à l'investissement de
Phongsaly : Données sur la pauvreté dans le district de Khoua,
2001/2002.
41 Limite officielle pour être considéré en
déficit alimentaire.
42 74 porcs / 92 familles = 0,8 porcs par famille.
43 161 poules / 92 familles = 1,75 poule par famille.
attractif ce village de bord de piste. Malgré ces dons
les villageois ne possèdent pas autant d'animaux d'élevage que la
moyenne provinciale qui comptabiliserait 7 porcs et 9 poules par famille.
La situation économique de Bouamphanh reste donc
aléatoire, voire à la limite de la crise alimentaire. La
consommation moyenne villageoise de riz serait de 300 à 700 g par jour
et par personne. Elle reste au dessus des limites fixées pour être
considéré « pauvre »44 (bien que ces limites
soient très basses). Cependant elle ne dépassent pas la moyenne
de consommation de riz de la province45, ce qui peut expliquer le
septième rang du village dans l'échelle de pauvreté de
2001 et qui pourrait encore aujourd'hui laissé penser à une
situation très délicate pour les ressources alimentaires
villageoises.
1.2.3.1.2. La ville comme modèle ? Deux analyses
:
Malgré un effort du gouvernement pour cerner
statistiquement les problèmes économiques et sociaux de sa
population, nous pouvons nous demander si ces chiffres correspondent bien
à la situation locale comme il est courant de faire à chaque fois
que des statistiques sont publiées dans le monde.
Selon le tableau statistique, les villes de Khoua et de Natoun
n'auraient aucun habitant pauvre, aucun manque. Les 11 villes du district
auraient proportionnellement moins de familles pauvres que dans les villages.
Les villes seraient donc, selon les statistiques, moins pauvres que les
villages. Leurs habitants auraient plus d'accès aux
éléments de bases. Les villes seraient donc des exemples de
réussites alors que les villages seraient des illustrations d'une vie
faite de manques, une vie de pauvreté.
Après plusieurs entretiens dans le village de
Bouamphanh, une autre analyse s'était pourtant
révélée différente. Les paysans déclaraient
la vie des familles parentes et amies plus difficile en ville, à Muang
Khoua, que chez eux, par manque de rizières irriguées,
d'essarts accessibles et par trop de pression foncière.
Il semble d'ailleurs que la ville de Khoua se soit
désormais tournée vers le tourisme et non l'agriculture.
Malheureusement, les touristes affluent selon la saison entre octobre et mai,
après la saison des pluies. Contrairement aux statistiques, on retrouve
en ville beaucoup plus d'alcooliques, de drogués et de mendiants, de
violences que dans les villages. La dépendance avec l'extérieur
est beaucoup plus marquée. Est-ce un modèle de réussite
?
1.2.3.1.3. Des manques dans l'étude statistique
:
Il est intéressant de constater qu'aucun chiffre n'est
présenté pour désigner le revenu moyen par famille et par
mois, le revenu par personne et par mois et le nombre de famille qui ont un
revenu inférieur à 82.000 kips par mois, par personne. Ces
données relatives au revenu qui étaient a priori prévues
pour caractériser la pauvreté sont restées vierges.
Nous pouvons ainsi penser que les enquêteurs n'ont, soit
pas eu le temps et / ou les moyens de référencer ces trois
données, soit qu'ils ont présenté volontairement un
tableau statistique ne
44 16 kg de riz par mois et par famille, c'est à dire 89 g
de riz par jour et par personne (pour une famille de 6 membres).
45 600 g par personne par jour.
chiffrant pas les revenus familiaux pour ne pas les rendre
publiques et / ou pour ne pas rendre les analyses complexes et ambiguës en
comparant les chiffres des revenus et les données sur la nourriture, les
vêtements, la vétusté de l'habitation, l'accès aux
soins et à l'éducation.
Il est vraisemblable que des données statistiques en
milieu rural basées uniquement sur des revenus pour caractériser
la pauvreté ne seraient pas fiables. Il est probable qu'en milieu rural
la pauvreté se manifeste autrement que par les revenus du fait d'un
accès plus facile à la collecte, à la pêche,
à la chasse et à l'entraide. Un tableau présentant des
données sur l'accès à 16 kg de riz par mois, à des
vêtements, à une habitation convenable, à l'accès
aux soins et à l'éducation paraît plus juste.
Nous ne connaissons rien des critères statistiques pour
décider qu'une habitation est vétuste et à partir de quoi
les enquêteurs ont pu décider que les villageois manquaient de
vêtements ou que les vêtements n'étaient pas <<
propres >>.
L'analyse officielle qui veut que les villes soient moins
sujets à la pauvreté par rapport aux village ne nous dit pas non
plus qui ont été les personnes enregistrées officiellement
comme habitants des villes du district puis sujets des enquêtes. Les plus
pauvres des habitants de ces villes ne sont peut être pas pris en compte
comme << habitants >> et donc non enregistrés par les
statistiques.
Les manques statistiques et la fiabilité réduite
des études sont des problèmes trop importants pour analyser la
pauvreté dans le district de Khoua. Nous ne pouvons qu'être
très relatifs dans l'utilisation de ces données pour nos
conclusions.
1.2.3.1.4. Illustrations de situations économiques
familiales : Trois familles. 1.2.3.1.4.1. Première famille :
L'interviewé est un jeune marié de 22 ans,
père de famille de deux enfants âgés de moins d'un an. Il
vit avec sa femme, ses enfants, son frère et ses deux parents, soit un
nombre de sept membres dans le foyer familial.
Lors de son mariage, quelques semaines plus tôt.
Il est installé dans la maison de ses parents depuis huit
ans, depuis 1998, date à laquelle ils ont emménagé dans le
village. Ils sont originaires de la ville de Khoua.
Leur chef de village actuel leur aurait demandé de
s'installer au village de Bouamphanh pour le développer.
Son expérience de jeune agriculteur récemment
installé dans un village recomposé est caractéristique
d'un nombre important de jeunes couples khamou venus avec les parents du
marié pour « développer Bouamphanh ». Très peu
d'entre eux connaissent les langues des autres groupes ethniques habitant leur
village. L'interrogé ne peut parler seulement que deux langues, sa
langue vernaculaire, le khamou, et la langue nationale, le lao.
A la différence des anciens ils ne côtoient pas
beaucoup les Akha ou les Pala. Ils restent entre jeunes khamou et
n'hésitent pas à critiquer les pratiques fantaisistes des groupes
montagnards.
N'étant pas originaire du village, il n'a pas pu
hériter d'une rizière irriguée et a donc
dül'acheter 500.000 kips par hectare pour finalement
posséder 1,5 ha.
Ils n'ont pas pu non plus acheter de parcelles lors de
l'allocation foncière. Aussi chaque année ils ont un droit
d'usure sur 0,8 ha d'essart-jardin de maïs et 0,7 ha d'essart pluvial,
tous situés à 50 minutes du foyer à l'intérieur du
finage de Bouamphanh. Chaque année ils exploitent donc environ 3 ha de
rizière irriguée, essart de riz pluvial et essart-jardin de
maïs.
Ils doivent attendre à chaque fin de saison des pluies,
les décisions du conseil des anciens distribuant les parcelles à
chaque famille. Depuis leur installation, ils ont toujours utilisé une
seule fois la plupart de leurs parcelles de riz pluvial car elles sont en
rotation sur 6 années et ils ont emménagé à
Bouamphanh il y a 8 ans. Les parcelles de maïs qu'il exploite sont en
rotation sur 4 années. Ils possèdent en complément un
animal de trait, un buffle46, 8 poules et des poussins.
Le terrain de sa maison (15m x 40m environ) leur a
coûté 50.000 kips et il doit s'acquitter des impôts à
hauteur de 15.000 kips par an.
Ils ne commercent pas d'herbes à teinture que les
Chinois pourraient pourtant leur acheter. Ces herbes poussent sur les bas
côtés des routes et des pistes désherbées. Ils ne
désherbent pas souvent les bas côtés de la piste ce qui ne
leur permet pas de commercialiser ces herbes.
Ses enfants n'étant pas encore en age d'être
scolarisés, il n'a pas de frais scolaire.
Selon l'interrogé, personne n'aide sa famille pour les
travaux des champs et ils ne peuvent avoir de salariés n'ayant pas
suffisamment de revenu pour payer des salaires.
Il avoue que les femmes travaillent plus que les hommes, que
se soit aux champs ou au foyer. Il considère qu'elles font des travaux
de résistances, de longue haleine, comme le désherbage ou le
débardage alors que les hommes s'occupent des travaux dangereux,
techniques et de force, abattant les arbres, s'occupant des grands
brûlis, débardant de lourds volumes de bois, construisant les
cabanes et barrières des champs.
Ils n'ont pas «besoin » d'engrais ou de
désherbants pour leurs cultures car ils
préfèrent travailler leurs cultures par eux-mêmes. Selon
eux, respecter les dates traditionnelles du
46 to couai en langue lao.
calendrier agraire, participer aux cérémonies
animistes avec le chamane, attendre qu'il plante le premier pour planter
ensuite, être respectueux des esprits du village et des défunts,
<<sont les meilleurs engrais ».
Il faut ajouter qu'ils n'ont pas accès à des
fertilisants et désherbants peu chers et proches. Il faut aller les
acheter au Viêt-nam et les utiliser sans connaissances. De plus des
histoires circulent sur les voisins akha qui en auraient utilisé et en
seraient décédés.
Ils ne plantent rien en saison sèche et ont donc des
difficultés alimentaires en période de soudure.
Ils doivent acheter du riz de mai à septembre car ils n'en
produisent pas suffisamment pour sept personnes et n'ont pas de stock
alimentaire.
Les sept membres de la famille consomment plus de trois
kilogrammes de riz glutineux chaque jour ce qui revient à plus de 428 g
de riz glutineux consommé par jour et par personne, juste au dessous de
la moyenne provinciale47 car les deux enfants en bas âge ne
mangent pas autant que leurs aînés.
Dans leur ancien essart de la ville de Khoua ils
réutilisaient le paddy non consommé pour le replanté
l'année d'après. A Bouamphanh, ils n'arrivent pas encore à
être autosuffisants et ne peuvent donc pas replanter le paddy de
l'année précédente. Ils espèrent bien arriver
à être autosuffisants dans les prochaines années et
replanter chaque année le surplus de paddy stocké qui est
considéré traditionnellement comme une richesse familiale dont un
jeune marié peut avoir besoin pour épouser une femme et vivre
avec elle.
Le riz glutineux est selon lui relativement plus cher mais de
manières coutumières et gustatives, ils ne peuvent pas manger du
riz normal.
Au village, un kilogramme de riz glutineux serait vendu d'environ
2700 kips à 3000 kips et le riz normal serait vendu d'environ 2500 kips
à 2700 kips.
Les prix varient selon les vendeurs, selon la qualité du
riz vendu, selon l'origine intra ou extravillageoise.
Le riz normal est ainsi plus cher que le riz gluant en ville
alors qu'il est moins cher que le riz gluant au village.
1.2.3.1.4.2. Seconde famille :
Monsieur Paeng, 39 ans, habite Bouamphanh avec sa famille depuis
2001.
Il a quitté le village de Salongxay, dans le district de
Khoua.
Il était alors gradé dans la police et a
abandonné cette profession pour devenir agriculteur comme ses
parents.
Il ne connaît parfaitement aucune langue
étrangère au lao hormis le khamou, sa langue natale et quelques
mots de vietnamien.
Sa femme, lui même et ses 4 enfants disaient être
athées même si ses parents pensaient que des âmes habitaient
les animaux, les objets naturels et les phénomènes.
Leurs dépenses annuelles comprennent majoritairement les
frais de scolarité et l'achat de nourriture pour une valeur
approximative de 3.500.000 kips.
47 Environ 600 g par jour et par personne. Voir le chapitre
<< Economie un pays sous-développé ».
Ils consomment généralement 3 repas par jour
dont 3,6 kg de riz48, 300g de poissons et des légumes de son
essart et de la collecte (pousses de bambou et légumes-feuilles au
quotidien) ce qui les placent bien au dessus des consommations moyennes
provinciales en riz.
Ils consomment moins de viande49 que de poisson
n'allant pas chasser, se réservant ses animaux domestiques (poules et
cochons) pour certaines occasions et n'ayant pas beaucoup d'offres de viande au
village.
Il doit acheter toute l'année du riz au marché
du village ou chez les voisins, parents et amis. Parfois il achète aussi
du poisson en conserve ou pêché par les autres lorsqu'ils n'ont
pas pu en pêcher eux-mêmes, ainsi que la viande de la chasse si les
voisins, parents et amis ne leur offrent pas.
Il doit aussi acheter des légumes s'il y a des
invités en nombres importants à nourrir. Ces moments là
(généralement les jours où des personnes viennent l'aider
aux champs et lorsque des officiers du gouvernement viennent loger au
village...) ne sont pas des jours de fête et ils ne consomment pas
forcément de viande, mais uniquement du riz et des légumes
(très fréquemment des pousses de bambous) qui sont les bases de
leur alimentation.
Durant l'année, il achète des légumes au
village pendant deux mois.
Il doit payer entre 15.000 kips par jour pour la consommation
alimentaire et 25.000 kips par jour si l'on prend en compte les frais
alimentaires et extra-alimentaires (payes des salariés, la valeur des
investissements que sont par exemple les transports commerciaux de ses semences
et récoltes, les outils agricoles et du foyer, les frais de
scolarité, les frais médicaux...). Cette année il du par
exemple payer une forte somme d'argent pour aider son frère à se
faire hospitaliser et opérer.
Il est le seul de la famille à travailler
quotidiennement dans ses champs. Sa femme, ses enfants et quelques villageois
lui portent assistance quelques jours dans l'année et il salarie chaque
année 250 villageois, payés chacun 10.000 kips par jour, pour
certains travaux.
Il travail en moyenne une demi-journée par jour.
Afin de pouvoir acheter du riz toute l'année, Monsieur
Paeng cultive et commercialise essentiellement du maïs, à hauteur
de 800 kg qui lui reviennent à 150.000 kips. Il achète les
semences de maïs au Viêt-nam qu'il revend à de nombreuses
familles appartenant à 5 villages voisins dont Bouamphanh.
Différents types de semences lui ont été proposé
lors de l'achat des semences à Dien Bien Phu. Il à
préféré choisir les semences à prix moyens (17 500
kips / 5 kg) qui permettent d'avoir deux grands épis au lieu d'un seul
ou de deux petits pour des prix légèrement plus bas. Il ne
pouvait acheter les semences plus cher qu'il ne l'a fait car les villageois
n'auraient pas eu l'argent pour les lui racheter.
Les villageois cultivent le maïs vietnamien puis Monsieur
Paeng leur rachète les récoltes qu'il revend en Chine et à
un laotien. Depuis trois années, il est le premier villageois de la
localité à avoir commencer un commerce important de maïs
entre le Viêt-nam, le Laos et la Chine. Selon des responsables
agroforestiers, ce commerce de maïs du Viêt-Nam à la Chine en
passant par la
48 600 g par jour et par personne.
49 Plus fréquemment leurs poules et leurs oeufs, du cochon
domestique pour les événements familiaux et villageois, du boeuf
et du buffle lorsqu'ils ne sont plus utiles aux travaux, des écureuils,
des oiseaux, des cervidés et des cochons de la forêt.
province, est de plus en plus pratiqué. Il semble que
Monsieur Paeng soit l'un des premiers de la région à avoir eu
cette idée.
Il vend aussi du bois aux chinois selon les besoins du
marché. Il va jusqu'à la province de Sayaburi pour couper des
espèces recherchées. Lors de son dernier voyage, il avait couper
274 arbres50 de 50 à 200 cm de diamètre allant de 15
à 40 m de hauteur. Dans la région, il n'y aurait plus d'anciens
arbres rentables et les autorités ne seraient pas conciliantes avec les
arrangements.
Il vend parfois un peu de légumes, parfois du poisson, des
pousses de bambous, les quelques poules et les deux ou trois cochons qu'il
élève.
Les voisins doivent le payer 10.000 kips par an pour son
travail de responsable de l'adduction de l'eau au village. Cependant ils
préfèrent souvent convertir ces 10.000 kips en une journée
d'aide au champ.
Le repas du midi durant la journée de travail
collectif.
Son commerce de rente de maïs est selon lui plus lucratif et
plus sécurisant que de s'auto alimenter en riz comme le font
traditionnellement bons nombres de familles au village.
Monsieur Paeng possède en 2006 deux essart-jardins d'un
hectare chacun et une rizières irriguée de 0,9 hectare qui lui
permettent d'avoir une surface totale d'exploitation de 2,9 hectares. Il
cultive sa rizière plane en saison sèche pour le maïs et en
saison des pluies pour le riz. Une partie de son champ est pour la
première fois occupée par deux bassins de pisciculture qui
contiennent des poissons entre le mois de juillet et le mois de novembre. Ses
essart-jardins sont exploités en saison des pluies uniquement
principalement pour le maïs.
Il possède aussi un emplacement pour une plantation de
mai sak (Teck) de 0,6 ha qu'il exploite pour une parente de sa famille
habitant dans un autre village. Il doit attendre 15 ans après avoir
planter le teck, pour pouvoir le vendre car les troncs doivent être de 30
cm de diamètre maximum. Ils sont vendus 13.000 bath le mètre
cube.
Le soucis de sa plantation est qu'elle se trouve sur le trajet
des villageois qui se rendent dans
50 Uniquement les espèces maï doù et
maï kràa (en langue lao) recherchées pour la
construction de maisons.
leurs champs. En passant, les adultes comme les enfants testent
les lames de leurs machettes sur les troncs et abîment ainsi beaucoup
d'arbres de la plantation.
Monsieur Paeng à rationaliser ses productions. Son
système de production agraire s'est développé, mais son
inexpérience lui fait défaut.
Les deux premières années d'installation à
Bouamphanh, il n'avait rien semé.
La troisième, quatrième et cinquième
année, il planta uniquement du maïs et des légumes.
Il sema 11 kg de maïs sur 0.6 ha en rizière
sèche en vallon la troisième année pour récolter
3,3 tonnes. Il sema 18 kg de maïs sur 1 ha d'essart-jardin la
quatrième année pour récolter 5,4 tonnes et 55 kg de
maïs sur 2.5 ha d'essart-jardin la cinquième année pour
récolter 16,5 tonnes. La sixième année il sema du
maïs, des légumes, du riz glutineux et planta des arbres pour le
commerce du bois. Il sema 50 kg de maïs sur 2.2 ha d'essart-jardin pour
récolter environ 15 tonnes. Il sema aussi 30 kg de riz irrigué
sur 0.75 ha.
La valeur des quantités de légumes ne lui
était pas connue.
Manquant de terre à cultiver, c'est dans ce dernier
0.75 ha de rizière irriguée qu'il avait préalablement
déterré de la forêt-cimetière, les corps de deux
enfants décédés. Les parents encore habitants de
Bouamphanh ne firent aucun commentaire...
L'évolution de ses semences sur six années
montre bien que Monsieur Paeng cherche la rentabilité. Il a fait
diminuer ses surfaces et ses quantités de semences de maïs pour
pouvoir augmenter celles vouées au riz et aux légumes. Ses
productions se sont donc complexifiées et diversifiées. Il a
désormais plus de chance de vendre ses produits différents et de
diversifier son régime alimentaire. Après ses deux
premières années infructueuses, il pense maintenant aux
débouchés qu'il voudrait nombreux pour pouvoir exploiter plus
intensivement ses terres «sous exploitées » selon lui. Il
voudrait bien vendre des surplus de légume et beaucoup plus de maïs
qu'à l'heure actuelle. Selon lui, il faudrait pour cela, plus
d'accessibilité aux marchés importants.
Cette augmentation de la production s'explique aussi par le
changement d'essart-jardin entre la cinquième et la sixième
année. Il pu ainsi acquérir en prime une rizière
irriguée au pied du nouvel essart-jardin, tout proche de la
rivière. Les premières années de culture, son champ
était limitrophe d'un champ de riz colonisateur réduisant ses
cultures de maïs.
1.2.3.1.4.3. Troisième famille :
Monsieur Thon à 28 ans. Il est célibataire et
habite toujours chez ses parents qui sont voisins de monsieur Leng et de
Monsieur Paeng.
Sa famille tire ses revenus de l'exploitation agricole et de
la collecte mais aussi de la préparation des outils villageois. Il
semble qu'ils ne soient pas les forgerons attitrés du village mais ils
retravaillent souvent les outils des voisins.
Ils possèdent 1 ha d'essart-jardin et d'assrt pluvial
ainsi qu'une petite plantation de Teck (moins de un hectare).
Ils ne plantent pas de maïs et ne possèdent pas de
rizière de vallon.
1.2.3.1.4.4. Conclusion :
A Bouamphanh, 10 familles au village vivent correctement
grâce à leur rizières irriguées et
leurs essarts. Toutes les autres familles (environ 82), comme
celles de Monsieur thon et du jeune marié, n'auraient pas toutes un
hectare de rizière irriguée en vallons et cultiveraient un
hectare en abatiis-brûlis pour cultiver du riz ou du maïs sans
qu'elles puissent vivre correctement de leur exploitation. Elles doivent
acheter du riz de deux à plusieurs mois dans l'année.
Le finage de Bouamphanh disposerait de 5 hectares par
habitant51 (comprennent les surfaces habitées, de collectes
et cultivées) et sa population permettrait de comptabiliser 1,54
habitant par hectare cultivé52 ce qui laisserait penser que
les habitants ont un potentiel de ressources forestières et agricoles
tout juste suffisant.
En revanche, la pression démographique de 19 habitants
par km2 et la quantité de travail par actif de 0,9 ha
cultivés par an et par actif53 semblent avoir atteins les
limites du raisonnable puisqu'ils ne devraient
théoriquement54 pas dépasser 0,9 ha par actif et 20
habitant par km255. Cette quantité importante de travail
à fournir associée à l'assolement dispersé et
à la réduction de l'entraide villageoise56 au profit
du développement d'un salariat intra-villageois57 ne
permettent pas aux exploitant de se sortir aisément de leurs obligations
agricoles.
2. Les cadre juridico-politique du système
agraire étudié :
2.1. Les systèmes agraires du Laos :
Les systèmes agraires du Laos sont principalement
extensifs et classés officiellement en trois catégories :
agriculture irriguée ou inondée dans les plaines, agriculture
commerciale (plantations de café, de teck...) et agriculture sur
brûlis dans les zones montagneuses essentiellement.
Cette dernière est pratiquée de façon
exclusive par 43 % de la population rurale (environ 100 000 foyers) sur environ
13 % de la superficie du pays. Depuis 1996, les surfaces exploitées
selon cette méthode ont diminué de 37 % et le nombre de
maisonnées pratiquant cette forme d'agriculture a lui aussi
baissé de plus de 50 %. Ces statistiques, qui doivent être
considérées avec précaution (méthode statistique
flou, écarts importants entre les régions non perçus et
essarts illégaux non pris en compte), montrent bien que la
priorité affichée du gouvernement est de réduire les
surfaces touchées par l'agriculture sur brûlis car dans le
même temps l'amélioration des conditions de vie des paysans ne
fait elle l'objet d'aucune tentative statistique et les coupes de bois massives
illégales mais organisées se poursuivent.
Officiellement, une distinction majeure est faite entre
l'agriculture d'abattis-brûlis cyclique dans laquelle un champ est
cultivé une seule année, rarement deux, puis laissé en
jachère pendant une longue période (le nombre d'année
dépendant du degré de pression foncière) et l'agriculture
d'abattis-brûlis itinérante ou « pionnière » dans
laquelle le sol est cultivé jusqu'à
51 2850 ha / 542 hab. = 5 ha / hab.
52 542 hab. / 350 ha cultivés par an = 1,54 hab. / ha
cultivé par an.
53 350 ha cultivés par / 392 actifs = 0,9 ha / actif.
54 Selon des études entreprises par M. Dufumier, 1996.
55 O. Ducourtieux, 2006 : 67.
56 Voir sous chapitre « Organisation du travail ».
57 Auquel les exploitants n'ont pas toujours la
possibilité de réaliser du fait de salaires trop importants
à payer.
épuisement puis abandonné58.
Ces classifications apparaissent cependant inadéquates
étant donné la mosaïque de techniques différentes.
La plupart des foyers subsistent grâce à une
multitude de pratiques pour leurs propres consommations ou à des fins
commerciales59.
Si toutes ces activités sont prises en compte pour
qualifier les systèmes agraires, le Ministère de l'Agriculture et
des Forêts laotien classifie dix catégories tandis de
systèmes tandis que Laurent Chazée identifie 15
catégories60.
2.2. Le cadre juridique agricole et forestier national
61 :
Sur le terrain, les diverses « appartenances »
locales peuvent se juxtaposer mais aussi se succéder, s'imbriquer ou se
superposer. La mise en place d'une politique de conservation de la
biodiversité, n'est donc pas une simple question d'articulation entre
scientifiques et acteurs locaux. C'est surtout la confrontation d'organisations
territoriales, de représentations de la nature et de la
société radicalement différentes. Les
particularités statistiques (équilibre entre les
éléments) et qualitatives (présence
d'éléments rares, d'endémisme...) qui ont pour les
scientifiques la garantie d'une bonne biodiversité, ne sont pas
forcément valorisées par les cultures locales. L'anthropologie
juridique nous apprend que les conceptions territoriales des communautés
rurales, dissociant par exemple la propriété de la terre et
l'accès à ses ressources, ne sont guère compatibles avec
les délimitations géométriques de
l'espace62.
Avec les savoirs-faire naturalistes locaux, la question des
droits de propriété intellectuelle (qui correspondent aux droits
des paysans à sélectionner et utiliser les semences) et
territoriaux sont propulsés sur le devant de la scène car ils
correspondent à des ressources biologiques à conserver.
2.2.1. Historique :
En 1975 le nouveau régime politique reconnaît que
le problème principal dans le domaine agricole n'est pas une
répartition inégalitaire du foncier mais une diffusion
insuffisante des techniques modernes retardant l'émergence d'une
agriculture moderne intensive.
Le programme de collectivisation appliqué entre 1975 et
1979 visait justement à intensifier l'usage du sol et augmenter la
production rizicole en mettant en commun les moyens de productions et en
réformant l'organisation du travail. Il fut dans une large mesure un
échec.
Dans les années quatre-vingt, une réorientation
stratégique se fait, répondant aux pressions des bailleurs de
fonds (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International) dont ils
deviennent dépendant après la disparition des aides provenant du
bloc soviétique.
58 GoL 2003 : 55.
59 UNDP 2001 : 74.
60 L. Chazée, 1998 : 186- 189.
61 Source tirée d'O. Evrard, 2004.
62 E. Le Roy, 1999; O. Evrard, 2004.
Les bailleurs conditionnent le versement de leurs aides en partie
à la réalisation d'un droit foncier63.
Dans le domaine forestier il s'agit d'établir un
recensement et un contrôle strict des surfaces boisées afin de
gérer les revenus qu'elles procurent ou pourraient procurer à
l'Etat. Il s'agit donc dans le domaine agricole de stopper la
déforestation par le développent de l'économie de
plantation et d'une agriculture sédentaire, commerciale, jugée
plus productive que l'agriculture sur brûlis cyclique. L'objectif est
ainsi d'éradiquer l'agriculture d'abattis brûlis en limitant les
surfaces disponibles à ses effets et en sécurisant les droits des
agriculteurs pour leur permettre d'investir durablement sur leurs terres. Ces
deux éléments doivent permettre d'augmenter les recettes fiscales
de l'Etat par l'intermédiaire de la collecte de taxes foncières
sur toutes les parcelles cultivées.
En 1986, le 4e Congrès du Parti Communiste
marque une libéralisation de l'économie. Les dirigeants
socialistes acceptent d'introduire la propriété privé et
la libre entreprise au Laos. Les réfugiés sont autorisés
à revenir dans le pays et l'Etat leur reconnaît le droit de
récupérer leurs terres lorsque celles ci ont été
mises en valeur pendant leur absence par des membres de leurs familles.
Les rizières nationalisées après 1975,
redeviennent propriétés des villages.
Le gouvernement, aidé par des spécialistes des
bailleurs de fonds, élaborent une législation forestière
nationale déjà débutée dans les années
soixante-dix avec cinq grandes catégories de zones forestières
(Forêts de production, de conservation, de protection, de
régénération et dégradées)64 et
mettent en place un programme d'allocation foncière visant à
sédentariser et à intensifier les systèmes agraires, let
motif de cette période.
L'allocation des terres constitue l'une des six grandes causes
nationales relatives au développement rural et à la gestion des
ressources naturelles. Les autres causes nationales pour le
développement rural sont la création de zones nationales de
conservation de la biodiversité, la sédentarisation de
l'agriculture, l'éradication de la culture de l'opium, des programmes
forestiers communautaires et les déplacements et regroupements de
populations dans les zones focales.
L'allocation foncière se donna pour but de faire
disparaître complètement l'agriculture sur brûlis d'ici
2010, d'intensifier et de diversifier l'agriculture de montagne, de
protéger les forêts des bassins versants, de protéger la
biodiversité, de classifier les sols forestiers et agricoles nationaux,
de clarifier et sécuriser les droits pour chaque parcelle, d'encourager
les investissements permettant l'intensification agricole, d'améliorer
les conditions de vie des montagnards par l'adoption de modes de vie
sédentaires.
La théorie sous-jacente de la réforme
foncière est que l'individualisation des droits permet leur
sécurisation par l'investissement sur des terres en cultures
sédentaires qui facilitent les crédits en garantissant
fiscalement les terres. Cet investissement faciliterait le développement
du secteur agricole et contribuerait à la réduction de la
pauvreté. Les marchés fonciers faciliteraient une
répartition optimum des terres, c'est à dire une affectation
approprié des terres
63 Voir la liste exhaustive des réformes structurelles
à entreprendre dans un article de Yves Bourdet : « Le processus de
transition laotien et ses résultats, 1980-1994 », Les cahiers de la
Péninsule, n°3, 1995 : 78-79.
64 La Loi sur la forêt n°96/NA11, datant de 1996.
à ceux qui ont les moyens de mettre chaque
différentes terres en valeur. Cette logique repose sur des
présupposés critiquables :
- Les systèmes fonciers coutumiers seraient totalement
étrangers au système de la propriété
privé.
- Les systèmes fonciers traditionnels seraient
nécessairement peu sécurisant.
- Ils seraient trop rigides et empêcheraient l'affectation
optimum des ressources. Le marché posséderait par contre cette
vertu.
- L'accès au crédit permettrait l'enrichissement
d'une majorité de personne.
Des expériences antérieures, comme en
Thaïlande, ont pourtant montré que la privatisation des terres
à entraîné une insécurité foncière
pour les petits agriculteurs, favorisé la spéculation
foncière et accéléré l'exode rural65.
Pour parvenir aux objectifs fixés, les programmes de
l'allocation des terres incluent un zonage des finages basé
prioritairement sur le degré de pente des terres
considérées, une planification de l'affectation des espaces
à tel ou tel type de production, l'introduction de cultures commerciales
et de vergers, l'amélioration des réseaux de transports et des
connections avec les marchés locaux, la généralisation des
systèmes de micro-finance et la délivrance de titres fonciers.
En 1996, un décret du premier ministre sur l'allocation
des terres66 insiste sur la nécessité de transformer
les terres cultivées de façon itinérante en terres
agricoles permanentes ainsi que sur les besoins de former des personnels en
charge d'appliquer ces procédures. Le programme National de
l'éradication de la Pauvreté (NPEP) identifie 47 districts
absolument prioritaires parmi les 72 districts prioritaires localisés
essentiellement dans les provinces du Nord sur les 142 que compte le pays. Les
services du ministère de l'Agriculture et des Forêts (FIPD, RSEC)
ainsi que des organismes techniques plus ou moins autonomes (NAFRI, NAFES) et
aidés par différents programmes étrangers
(Coopération bilatérale suédoise, IRD, CIRAD, FAO...) sont
donc chargés de travailler chaque année dans six districts afin
de récolter les données, former les personnels locaux, effectuer
les études de suivi, initier une dynamique d'allocation
foncière.
2.2.2. La mise en place du plan d'allocation des terres
:
La planification de l'affectation des espaces à tel ou
tel type de production que l'on nomme aussi « plan d'usage des terres
» concerne la collectivité dans son ensemble alors que l'allocation
foncière proprement dite s'effectue au niveau des maisonnées. La
première étape consiste à créer une division du
finage villageois selon les degrés de pente. Une enquête
socioéconomique est conduite dans un deuxième temps auprès
de tous les foyers. Dans un troisième temps sont établis les
plans d'usages des terres ou l'affectation productive des espaces villageois en
fonction de leurs caractéristiques et des potentiels locaux. La
cinquième étape entérine la délimitation des
différents espaces productifs. Les deux étapes suivantes mesurent
et répartissent les terres agricoles entre les maisonnées en
établissant des titres fonciers. Les dernières étapes
consistent à former à l'archivage et aux techniques de suivi.
L'ensemble du
65 Leonard R. 2004 : 16. 60 03/PM 25/06/1996.
processus demandent entre 45 et 60 jours.
Au cours de ces étapes, 4 documents officiels sont
signés par les villageois :
- ko toklong tong ban : accord villageois sur les
frontières du village et l'affectation productive des espaces (LUP). Il
s'agit parfois d'un simple accord orale entre l'administration locale et les
équipes techniques.
- Bay mob sid nam say din so khao : certificat
temporaire d'usage des terres (TLUC) qui peut se transformer en titre foncier
définitif par la suite ;
- Sanya kan nam say ti din : Contrat d'usage des
terres (LUC). Il s'agit d'un engagement de la part de l'agriculteur à
cultiver certains cultivars sur la parcelle pendant 3 années.
- pen vad ti din : carte de parcelle. L'agriculteur est
le propriétaire exclusif de sa parcelle.
L'attribution des parcelles peut s'effectuer de deux
façons différentes :
- Dans les zones couvertes directement par le projet (les
centres urbains), une attribution systématique donne lieu à la
délivrance d'un titre foncier définitif67 comprenant
un relevé géométrique de la parcelle. Les zones
concernées par ces opérations sont choisies sur la base des
critères suivants : surfaces agricoles importantes, bonnes
infrastructures et accès au marché, disputes foncières
fréquentes, chômage moyen, demande d'accès au crédit
élevée, densité humaine assez importante, taux de paiement
des taxes foncières important, demandes des villageois, potentiel pour
une augmentation des transactions foncières.
- Dans les zones adjacentes, une attribution sporadique est
effectuée à la demande des habitants à condition qu'ils
acquittent leur taxe foncière68. Elle donne lieu à la
délivrance d'un titre temporaire transformé en titre
définitif lorsqu'il est procédé à une adjudication
systématique dans la zone concernée. Lorsque la
propriété sur une parcelle ne peut être établie de
façon incontestable, il est procédé à un
relevé provisoire de la parcelle qui peut être transformé
en titre foncier après dix années d'occupation ininterrompue.
L'attribution foncière tend à se faire en
priorité et parfois exclusivement pour les parcelles bâties, les
terrains cultivés étant parfois également
enregistrés, mais de façon plus sporadique.
Depuis 2003, le MAF69 annonce que 6188 villages et
plus de 370.000 foyers se sont vus délivrer des TLUC. Chaque fermier
recevant en moyenne deux ou trois parcelles, on peut estimer qu'entre 600.000
et 1.000.000 de TLUC ont été délivrés au cours de
la dernière décennie. Cependant d'après des membres des
services techniques du MAF, de nombreux villages inclus dans les chiffres n'ont
pas encore fait l'objet d'une procédure complète d'allocation des
terres.
Les bailleurs de fonds commencent à être de plus en
plus réticents devant les résultats affichés.
67 bay ta din en langue lao.
68 phassi ti din en langue lao.
69 MAF 2003 : 65.
Ils posent une série de critères pour la
sélection des nouvelles régions dans le cadre d'une extension
géographique des allocations des terres. Ces critères insistent
principalement sur les ressources humaines et la capacité à
suivre pas à pas la méthodologie mise au point sans brûler
les étapes.
La Banque Mondiale conduit par exemple une série
d'étude sur différents sujets encore mal compris des
décideurs, dans le but d'étendre l'immatriculation aux terres
agricoles et aux zones rurales :
- Les systèmes fonciers coutumiers : Conversion des
TLUC en titres fonciers permanents.
- Caractéristiques des marchés financiers et
tendances principales dans les zones urbaines et périurbaines.
- Comptabilité du nouveau cadre juridique avec les
pratiques coutumières, y compris les systèmes d'héritage
ou l'arbitrage coutumier des divorces.
- Méthodes de classification des sols et d'affectation
productive des espaces.
- Impact socio-économiques de l'allocation des terres
étendues aux zones rurales.
2.2.3. Les raisons du résultat négatif de
l'allocation des terres :
La relative bonne participation villageoise affichée
par les autorités ne coïncide pourtant pas avec les études
menées auprès des villageois. Une enquête
commissionnée en 2003 par la Banque Asiatique du Développement
sur la pauvreté au Laos70 montre que l'allocation
foncière est citée par les villageois comme la première
cause d'appauvrissement dans trois régions sur quatre (Nord, Est,
Centre). Ce résultat très négatif provient de plusieurs
facteurs liés : l'esprit général et la méthode de
la réforme foncière, la réduction de l'accès
à la terre, la détérioration des conditions de vies
locales, l'absence d'intensification de l'agriculture et le contexte de
recompositions territoriales.
- Le MAF opère une distinction théorique claire
entre une forme cyclique et pionnière d'agriculture sur brûlis.
Une politique restrictive et contraignante est généralement
appliquée vis à vis des culture sur brûlis cycliques. Les
jachères sont tolérés pour un maximum quatre
années71. L'article 35 de la loi sur la forêt de 1996
met en place des incitations financières pour les agriculteurs acceptant
de ne pas couper les arbres sur les jachères de cinq années et
plus. L'article 20 indique que les forêts de
régénération deviennent ensuite des forêts <<
de protection >> ou des forêts de << conservation
>>.
Il s'agit donc de contraindre les agriculteurs à
changer leur systèmes de production en réduisant leur espace
disponible, ou en d'autres termes à créer artificiellement de la
pression foncière, sans considération pour le coût social
d'une telle politique.
Cet impact socioéconomique globalement négatif
est aussi généralement attribué aux méthodes peu
participatives, à l'absence de concertation entre les services
concernés par les mises en oeuvres des allocations foncières et
à la volonté des services du MAF de réaliser l'allocation
le plus vite possible, de façon identique
70 ADB 2001 : 38-39.
71 Durée à partir de laquelle un recru forestier
est considéré comme une forêt en
régénération, dans laquelle les coupes ne sont pas
autorisées.
dans tous les villages72.
- La détermination des services techniques du MAF
à réduire les surfaces disponibles pour l'agriculture sur
brûlis s'affiche clairement dans les statistiques du RSCEC : 82 % des
surfaces allouées depuis 1995 ont été classées
comme zones forestières73. Parmi celles-ci, les forêts
d'usage courant74 représentent un quart du total, les
forêts « en régénération »75,
15 % et les forêts dégradées76 seulement 2 %.
Partout à l'issue de l'allocation foncière, les surfaces
protégées sont plus étendues que celles destinées
à l'usage.
- Cette réduction des espaces disponibles
s'opère au détriment des conditions de vie et de la
sécurité alimentaire des foyers, lesquelles ne font l'objet
d'aucune enquête statistique. Avec une réduction du temps de
friche (3 à 4 ans désormais contre 10 à 15 ans avant la
mise en place de l'allocation foncière) et dans un contexte où
les techniques n'évoluent pas ou peu, la fertilité des sols
d'altitude décroît fortement, les récoltes de paddy chutent
parfois de plus de la moitié77 et le temps nécessaire
au désherbage ne cesse d'augmenter en raison de la prolifération
des adventices herbeux. En raison de la pression foncière et
démographique, de nombreux produits non-ligneux indispensables se font
rares.
- Face à la réduction des ressources naturelles,
les agriculteurs ne disposent pas d'alternatives viables sur le long terme. Le
soutien technique des services publiques reste faible. L'étude
commissionnée par la Banque Asiatique du Développement
révèle que sur 91 villages étudiés dans 43
districts, aucun n'avait reçu d'aide technique directe pour
l'intensification de l'agriculture78. Une étude du NAFRI
menée en 2000 montre que parmi les 49 agriculteurs interrogés,
seuls 40 % d'entre eux ont pu augmenter leurs surfaces de rizières
tandis que dans 60 % des cas, l'allocation foncière n'a eu aucun impact
direct sur l'intensification agricole. Cette politique apparaît
même contraire à ses objectifs puisque dans les régions du
Nord, la production de riz d'essart a augmenté dans 47 % des cas
étudiés79.
- La réforme se déroule dans un contexte
défavorable de recompositions territoriales. L'allocation
foncière ne pourra donner de bons résultats que lorsque cesseront
les déplacements continuels de populations. Lorsque de nouvelles
populations arrivent en grand nombre sur un site, l'allocation des terres
devrait s'interrompre en attendant que les arrivées cessent. Certains
villages se retrouvent avec deux fois et demi moins de terres que
nécessaire pour maintenir ou améliorer leurs conditions de vie et
ce même en comptant les terres agricoles mises en réserves lors du
zonage et de l'allocation (entre 10 et 15 % en moyenne dans chaque village).
Depuis trois
72 O. Evrard, 2004.
73 MAF 2003 : 43.
74 pa som say : cueillette , récolte de bois,
chasse.
75 pa feun fou : jachères de plus de cinq ans
retirées des surfaces agricoles utilisables.
76 pa soud som : essartage toléré avec des
jachères de trois ans maximum.
77 Chamberlain et Phomsombath, 2003 : 35-39.
78 UNDP, 2001 :81.
79 Keoketsy et Bouthabandid et Noven, 2000 : 14.
décennies, le gouvernement lao encourage les villages
montagnards à s'installer dans les vallées. Dans la plupart des
districts montagneux, les objectifs sont de faire chuter le nombre de village
en déplaçant des milliers de familles. Le nombre de village
serait redescendu à 613 en 1999 alors qu'ils étaient 600 en 1985,
656 en 1990 et 662 en 199580. Les raisons évoquées
pour déplacer ces populations sont de l'ordre de la sauvegarde des
bassins versants dans lesquels sont situés certains villages, la
présence de cultures d'opium, l'implantation d'activités de
développement trop difficile, des populations inférieures
à 50 familles qui ne présentent donc pas officiellement un
<< village ». Il s'agit en fait de mieux contrôler les
populations mais également de rentabiliser les dépenses
d'infrastructures en regroupant les villageois dans des zones plus facilement
accessibles. Le coût humain de cette politique (mortalité
importante des populations allogènes) et le cynisme d'un gouvernement
lao qui incite les populations à se déplacer en leur promettant
une aide technique puis demande aux projets de développement
internationaux d'assumer cette responsabilité, ne sont pas
évoqués dans les résultats officiels de la
réforme.
2.3. Impacts sociaux de l'allocation foncière :
2.3.1. Les réactions des populations aux projets
gouvernementaux selon un responsable81 :
Selon les dires d'un responsable de la province de Phongsaly,
toute la population de la province coopère avec les autorités
pour faire respecter les décisions gouvernementales vis à vis de
la réduction des forêts défrichées.
Les populations ont suivi les projets gouvernementaux, souvent
aidés par des organismes internationaux spécialisés, et
ont commencé à planter des arbres destinés à la
vente, essentiellement de l'hévéa et du teck, qui remplaceront
les gains de la culture sur brûlis.
<< Toute la population est contente de ces projets car
les plantations commerciales sont plus durables et rentables que la culture sur
brûlis ». Lorsque le chef du bureau provincial parle de
<<toute la population », il précise qu'il s'agit autant des
villageois que des fonctionnaires qui cultivent un peu.
Les quelques personnes récalcitrantes à changer
leurs pratiques conformément aux directives ministérielles,
<<ne comprennent pas les mauvaises conséquences qui arriveront,
car ils sont trop pauvres et mal éduqués. Il est
nécessaire de les éduquer pour qu'ils comprennent les
problèmes ».
Pour cette raison, les villageois ont besoin d'être
rappelés à l'ordre par les responsables agroforestiers des
villages, des districts et des provinces et par des écriteaux, aux
entrées de villages, rappelant les zones forestières
protégées et expliquant par un poème les
conséquences malheureuses d'une déforestation :
<< Si il n'y a plus de forêt sur la terre, il n'y
a pas d'ombre, les bons sols fertiles deviennent rouge, comme le désert,
l'eau sèche et le soleil brûle tout,
les animaux meurent et disparaissent ». (Monsieur Hier).
80 Basic statistics of Lao P.D.R., State Planning Comittee
National, Statistic Centre, 1975-2000 .
81 Entretient avec le chef du bureau ministériel <<
Agriculture et Forêt » de la province de Phongsaly, à
Phongsaly.
Les paysans montagnards seraient, selon le responsable,
souvent jaloux des voisins qui ont accès à de nouvelles
techniques agricoles, rentables et reposantes. Ils ne comprennent pas que tout
le monde ne peut pas y avoir accès, qu'il faut un capital de
départ et que le gouvernement ne peut pas les aider.
La situation est qu'ils acceptent mal de passer un contrat
avec des responsables qui ne font que les brimer et avec des projets qui
réduisent encore plus leur chance de s'en sortir en réduisant les
surfaces, en baissant leurs temps de jachère, en bouleversant leur
traditions82.
2.3.2. Les conséquences de la loi d'allocation des
terres :
De façon directe ou indirecte, la réforme
foncière a donc eu pour première conséquence
d'accroître la pression foncière dans presque tous les villages,
à la fois pour les terres cultivables, les lieux de pêche ou les
lieux de cueillette.
Des tensions apparaissent donc fréquemment entre les
immigrants venus à l'appel des autorités s'installer dans leur
nouveau village et les premiers occupants de celui-ci. Le cas de Bouamphanh en
est une illustration. Des désaccords sont perceptibles lors des choix
des dates et des lieux des travaux agricoles. La représentation des Lao,
Khamou et autres différents groupes ethniques, considère les
groupes ethniques pauvres (Akha...) comme n'ayant pas beaucoup de
considération pour l'environnement. Eux mêmes tenteraient à
l'inverse de faire respecter des espaces protégés.
Certains Khamou du village de Bouamphanh disent de leurs
voisins qu'ils sont des kroun ki du, des personnes qui n'en font
qu'à leur tête et défrichent où cela les tentent.
Ils ne prennent pas en considération les raisons de ces
défrichements illégaux. Les villageois qui défrichent les
espaces protégés près des cours d'eaux naturels sont des
familles dans le besoin. Elles n'ont bien souvent d'autres choix que de ne pas
respecter les lois.
De plus, ces familles ont eu pour habitude de puiser l'eau en
amont, près de leur foyer. Elles ne se servent pas de l'eau de « La
petite rivière » en aval comme s'en servent les villageois de
Bouamphanh. L'érosion dans la rivière et le débit faible
ne les touchent pas.
Le souci d'un débit d'eau réduit après
défrichage des bassins versants, a débuté récemment
il y a seulement deux ans. Avant, il ne semblait pas créer autant de
tensions entre responsables agroforestiers et villageois et entre
villageois.
Une autre source de tension est la surexploitation des terres
par certains exploitants après l'annonce d'une fin imminente de
l'abattis-brûlis en 2010. Les villageois tentent de maximiser leurs
essarts pour ce que le chef du village et son voisin Monsieur Paeng
considèrent comme la fin de leurs pratiques agricoles.
Des tensions apparaissent aussi entre villages voisins en
raison de l'introduction d'une nouvelle conception de la frontière.
Là où existaient des zones gérées par plusieurs
villages à la fois ne subsistent plus désormais que des espaces
administratifs83 séparés les uns des autres. Avec
l'appropriation exclusive apparaît plus fréquemment des querelles
relatives aux droits de pêches, cueillette et chasse. Des
experts84 pensent que si des terres de gestion pluri-villageoises
82 Suppression des sacrifices animaux, réduction du
pouvoir des chamanes, nouvelles planifications territoriales, nouveaux
aménagements touristiques, routiers...
83 khèt phok khong ban
84 O. Evrard 2004.
étaient légalisées, cela permettrait de
diminuer sensiblement le nombre de querelles frontalières.
Contrairement aux objectifs poursuivis, l'immatriculation
foncière ne semble donc pas avoir réduit le nombre de disputes
foncières. Par contre le temps nécessaire pour résoudre
ces disputes est plus court et le type de disputes évolue : les disputes
relatives aux limites de parcelles ou de finage sont de moins en moins
fréquente mais sont remplacées par des disputes ou des tensions
relatives soit à l'héritage (43 % des disputes concernent le
partage de l'héritage familial) soit à des pollutions
liées à des usages particuliers de parcelles voisines.
Dans la grande majorité des cas, les disputes sont
réglées au village.
Une autre conséquence liée à la
précédente est la réticence des villageois à
participer à l'allocation foncière lorsque ceux-ci ne sont pas
encore concernés par l'allocation des terres. Ils se rendent compte des
difficultés rencontrées par leurs voisins et jugent ainsi leur
système coutumier plus flexible et plus juste.
Les populations allogènes originaires des villages
d'altitude et les familles pauvres originaires des villages d'arrivée
sont les plus désavantagées par l'allocation foncière.
D'abord la mise en oeuvre de la réforme se fait postérieurement
aux zones urbaines dans lesquelles l'adjudication est systématique et
concentrée sur les terrain bâties, contrairement à
l'adjudication sporadique concentrés en zones rurales, sur les terrains
cultivables où les paysans doivent financer la procédure. Les
zones périurbaines où sont installées les populations
issues des minorités ethniques ne peuvent être concernées
par le projet d'immatriculation foncière, les terrains appartenant
souvent à l'Etat85. L'immatriculation foncière rapide
des terres agricoles par l'adjudication sporadique en zones périurbaines
prendrait le risque d'accroître la spéculation foncière et
d'accélérer le rythme de l'urbanisation86.
Ensuite, les villages d'altitude qui n'ont pas encore eu
l'occasion de sécuriser leurs droits fonciers n'ont pu, bien souvent,
garantir leurs droits coutumiers d'occuper leurs parcelles, aucun document
n'ayant été rédigé par le chef du
village87. Les villageois affirmaient faire entièrement
confiance à leur chef pour enregistrer la transaction et servir de
témoin et le droit coutumier n'avait jamais reconnu à un individu
le droit d'aliéner une terre, même si il dispose d'un droit
individualisé d'usage. La formation des chefs aux nouvelles
procédures d'allocation foncière apparaît donc
évidente.
Les procédures d'allocations foncière avantagent
donc les familles originaires des villages d'immigration. Seules 37 % des
maisons enquêtées sont installées depuis trente ans et 25 %
d'entre elles occupent leur parcelle depuis moins de 10 ans.
L'occupation des parcelles, et essentiellement des plus
fertiles, est plus souvent accréditée aux familles
installées depuis longtemps et ne laissent plus de rizières
inondées ou irriguées accessibles aux nouveaux arrivants.
Seules les parcelles éloignées des foyers et peu fertiles
85 MoF 2003 : 49 et 83.
86 L'immatriculation transforme la terre en garantie bancaire et
lorsque le populations ont peu d'expérience de ce type de
procédure, ou bien lorsqu'elles ont besoin d'argent, elles peuvent
être amenées à vendre leur terre sans saisir pleinement les
implications de cet acte. Elles risquent alors de se retrouver dans une
situation plus difficile que par le passé, d'où l'importance de
la vulgarisation mise en place avant l'immatriculation foncière.
87 85 % des parcelles avaient fait l'objet de transactions non
enregistrées et il y avait une moyenne de 2 transactions non
enregistrées par parcelles.
leurs sont accordées.
La réforme foncière a aussi porté
préjudice aux relations entre les sexes, comme se fut le cas pour une
autre « cause nationale » que fut (au passé officiellement)
l'éradication de l'opium. La réforme de l'allocation
foncière établie majoritairement les titres au nom du chef de
famille et la diffusion des nouvelles technologies favorise également
les hommes. L'allocation foncière profite donc à la
perpétuation et le renforcement d'inégalités entre les
sexes très présentes dans l'organisation sociale
coutumière des minorités ethniques.
La perpétuation des systèmes sociaux coutumiers
favorables aux hommes a aussi été stimulé par l'autre
cause nationale qu'est l'éradication de l'opium et qui est lié
entièrement à la disponibilité des terres pour des
cultures « propres », commercialisables sur les marchés
internationaux et qui font désormais partie des finages disponibles pour
l'allocation foncière.
Selon les villageois, le temps de travail occupé à
cultiver l'opium s'est reporter désormais sur les autres
activités de productions et de loisirs (fumer, se rendre visite,
boire...)
Les femmes qui étaient le plus souvent chargées
de s'occuper des cultures d'opium n'ont par contre pas gagné de temps
libres. Elles travaillent toujours autant, mais à d'autres
activités que les hommes ne partagent pas avec elles si ils sont
mariés (lessives, vaisselles, tissage, couture, collectes des pousses de
bambous et des légumes-feuilles...). Elles travaillent plus de temps que
les hommes et ont moins de loisirs qu'eux.
Selon les villageois interrogés, l'opium aurait
été totalement éradiqué du village de Bouamphanh
cette année. Cette plante qui était auparavant très
cultivée dans les villages d'origines et qui permettait de
sécuriser financièrement les périodes de
difficultés alimentaires aurait désormais disparue. Un taux de
forte dépendance (40 à 50 opiomanes avant 2006) aurait
été constaté au village et des médecins Lao de
Muang Khoua accompagnés d'équipes américaines seraient
venues apporter des aides aux opiomanes88.
Malgré la réticence à discuter de ce
sujet encore sensible, une critique modeste, en comparaison des pertes
économiques familiales, a émergé des entretiens sur ce
sujet. L'éradication fut appliquée vigoureusement trop vite ce
qui ne laissa pas le temps aux familles de trouver des alternatives afin
d'acheter tout ce que l'argent de l'opium permettait d'acheter
(vêtements, machettes, réserves d'argent pour les périodes
de difficultés alimentaires...).
Enfin, une autre conséquence de la manière forte
laotienne d'éradiquer « officiellement »
l'abattis-brûlis, est de changer les termes de références
pour désigner « essarts de maïs ». Il semble que ces
changements de termes soient motivés par le besoin pressant du
gouvernement à éradiquer officiellement l'agriculture d'abattis
brûlis comme ce fut le cas de l'exploitation de l'opium. Les bailleurs de
fonds de l'aide internationale attendent des résultats de la part du
gouvernement afin de poursuivre l'aide financière. Changer les termes
cachent la réalité d'une agriculture d'abattis brûlis en
progression dans les districts des provinces du Nord.
L'origine du terme souan et de son utilisation
officielle sont litigieuses. souan qui signifie «
essart-jardin » a remplacé le terme hay qui signifiait
« essart de riz ». Il faut voir dans ce
88 Destructions rapides des cultures et apports de produits de
substitutions...
changement de vocabulaire, la volonté du gouvernement
laotien de sédentariser l'agriculture d'abattis-brûlis.
Le terme hay a très longtemps servi pour
décrire l'essart de riz pluvial exploité une seule année
puis mis en friche 10 à 15 ans. En utilisant le terme souan on
perd en même temps la notion de friche longue et l'unique année
d'exploitation pour un maximum d'exploitation en souan de 3
années reconductibles, ainsi que la culture de riz pluvial pour celle du
maïs.
Aussi, la technique d'essartage n'a pas réellement
changée puisqu'il faut toujours défricher, brûler,
débarder, semer et sarcler avant de récolter sur une parcelle
inexploitée.
Les réelles changements n'ont pas apportés les
bénéfices escomptés pour la richesse forestière.
Une exploitation continue d'un cultivar à l'espèce unique n'est
pas plus bénéfique pour la fertilité des sols que ne
l'était le hay qui laissait les terres se reposer et associait
plusieurs espèces de riz, de légumes, d'épices permettant
aux sols de redevenir fertiles.
Les seuls avantages gagnés par le souan sont
de faire croire aux financeurs mondiaux, à l'éradication de
l'abattis-brûlis sous sa forme la plus connue, le hay, ainsi que
de développer une production nationale de maïs et de la commercer
avec le Viêt-Nam , la Chine, la Thaïlande et le reste du monde.
2.3.3. L'adaptation des paysans aux conséquences
négatives de la loi d'allocation des terres :
Les solutions locales pour échapper à la crise
étaient par le passé, la migration géographique
pionnière d'une partie de la population à la recherche de
nouvelles terres à défricher89, une
accélération de la rotation des parcelles afin d'intégrer
de nouvelles parcelles dans la rotation ou l'adoption de nouvelles techniques
pour intensifier l'agriculture90.
Les deux premières solutions sont désormais
obsolètes. Les villageois ne peuvent pas migrer pour rechercher de
nouvelles terres et les autorités contrôlent l'étendue des
surfaces exploitées. Seules la troisième pourrait encore avoir se
pratiquer.
Pour parvenir à maintenir leur conditions de vie, c'est
à dire pour accéder à de nouvelles terres qui leur
permettront de compenser les rendements décroissants de leurs essarts
infertiles, les stratégies sont les suivantes :
- Les villageois ne cherchent pas à obtenir plus de
terres par les autorités, mais défrichent illégalement
dans des zones forestières reculées91 ou dans des
régions non revendiquées par les premiers occupants. 70 % des cas
de ce type ont été recensés dans la moitié Nord du
pays92. Ces défrichements sont souvent facilités par
l'autorisation donnée par les autorités pour pratiquer une
résidence alternée entre l'ancien et le nouveau site. L'amende
que les villageois payent pour leurs essarts illégaux est
considérée comme une façon de légaliser leur
occupation.
La pratique du brûlis ne disparaît pas, elle tend
à se faire de façon plus anarchique que par le passé.
89 Mazoyer et Roudart 1997 a.
90 Hunt 2000.
91 En 2002 ; la province de Phongsaly dénombrait 84896
foyers dépendants des pratiques d'agricultures d'abattis brûlis et
58000 ha défrichés par ces pratiques. La province en
dénombre un an après 87596 foyers et 59845 ha. Données du
SCREC, Novembre 2003.
92 Keoketsy et Bouthabandid et Noven 2000 : 11.
- La location des terres devient de plus en plus
fréquente. Le dédommagement s'effectue soit en nature, soit sous
forme de paiement de la taxe foncière à la place du
propriétaire. Cette situation favorise les résidents les plus
anciens. Une tendance à la location de terres cultivables pour la
plantation d'arbres de rente (teck...) à des personnes
extérieures aux villages est observée fréquemment. Ceci
procure de l'argent mais réduit leurs surfaces agricoles et menace leur
avenir.
- L'achat de terres devient aussi plus courant que par le
passé. L'ancien occupant vend son TLUC comme preuve de cession mais elle
est doublement illégale. D'une part le TLUC ne peut être vendu et
de plus leur périodes de validités a en général
expiré au moment de la transaction.
2.4. Le cadre juridico-politique du village :
2.4.1. Cadre juridique :
A Bouamphanh après un programme d'allocation des terres
exécuté en 2000, la surface officielle admise pour les cultures
est de pratiquement 500 ha, soit 20 % des 2850 ha que compte la surface totale
du finage villageois. L'assolement est dispersé93.
Le finage n'est pas le même qu'à la
création du village en 1969. Il s'est vu agrandit grappillant les
territoires voisins où les populations ont du déménager
pour <<développer Bouamphanh ». Les autorités locales
des bureaux de l'Agriculture et des forêts donnent
régulièrement des rendez-vous aux villageois pour faire le point
sur les décisions gouvernementales récentes et sur
l'évolution de la situation locale. Une fois par mois, les responsables
du district viennent à Bouamphanh, <<car ce village est une cible
importante »94.
En cas de besoin de terres, les paysans doivent s'adresser
à leur chef de village et aux responsables villageois qui en
référeront à leurs supérieurs. La réponse
n'est donc pas immédiate, les décisions pour augmenter les
surfaces cultivables, contraire à l'évolution
générale et aux volontés politiques, ne sont pas prises
à la légère.
Des villageois ont été choisis par les
responsables locaux en contre partie d'un maigre salaire, pour s'occuper de
l'agriculture, de l'élevage et des forêts du village. Ils sont au
nombre de six hommes appartenant au groupe ethnique Khamou. Ils font surtout
très attention à ce que les villageois ne défrichent pas
près des ruisseaux, des sources et des points d'eaux afin de ne pas
assécher le village. Que des familles ne respectent pas les consignes
légales soit une chose mais qu'elles rendent difficile la vie de leurs
voisins sans eau, n'est pas toléré.
L'autre aspect très suivi par ces
délégués agricoles et forestiers est la surveillance des
coupes illégales. Il existe dans cette région du Sud de
Phongsaly, beaucoup de sortes d'arbres très recherchés par le
marché chinois et thaï. La plupart sont des bois doux comme les
kapokiers
93 Chaque famille exploite des parcelles plus ou moins
réparties dans la friche. L'assolement réglé serait
l'exploitation en commun d'un pan forestier unique.
94 Le chef lieu du canton numéro 7 du district de Khoua
selon le chef du bureau provincial gérant l'agriculture et les
forêts.
sauvages Bombax malaboricum, cratoxylon, Wrightia tomentosa,
Alstonia Scholaris, ainsi que d'autres espèces.
Sur ce finage, il semble qu'aucune dérogation ou
arrangement ne soit permise. C'est pour cette raison que certains habitants
partent jusqu'à la province de Sayabouri pour défricher dans les
parcs nationaux avec l'accord des autorités mais à l'encontre des
lois.
Les délégués ont été
formés par les responsables de la province qui leurs ont appris ce que
sont des terres fertiles. Selon eux, il faudrait qu'elles aient une couleur
mauve associée à la couleur noire, mélange de sable et
d'argile avec une profondeur de 25 à 30 cm. Sur les plateaux de la
province de Phongsaly, la fertilité serait «moyenne » avec une
couleur brune du sol et une profondeur de 30 à 50 cm.
Sur 2850 ha, le village de Bouamphanh possède les 5
catégories de terrains officiels.
Carte peinte sur des planches en bois à l'entrée du
village.
Elle représente le zonage du finage. Elle fut
dressée en 2000 par les autorités.
-La « forêt de production »95 : Zones
forestières utilisées pour les besoins de collecte, pêche
et chasse dans des quantités imposées.
-La « forêt dégradée »96
: Zones forestières destinées à la plantation ou à
l'allocation foncière pour des besoins économiques en accord avec
les planifications par les autorités.
-La « forêt de régénération
»97 : Friches de moins de 5 ans protégées pour
permettre aux arbres d'atteindre leur maturité et à
l'écosystème d'atteindre un certain équilibre naturel.
-« forêt de conservation »98 : Zones
forestières protégeant les espèces animales et
végétales après 5 années de friches.
-La «forêt de protection »99 : Zones
forestière protégeant les bassins versants contre
l'érosion ainsi que des zones de « sécurité nationale
».
Les villageois ont des droits et des devoirs dans chaque partie
autorisée à être utilisée. Le principal devoir
est de ne pas défricher, brûler et cultiver dans les parcelles
protégées par les
95 Pa Tang kam palit en langue lao.
96 Pa sasoy en langue lao.
97 Pa hongham en langue lao.
98 Pa sangouane en langue lao.
99 Pa pong kan leng nam en langue lao.
autorités de la province. En contre partie ils ont le
droit de cultiver librement sur le territoire réservé aux
cultures.
Le second devoir est de réduire les surfaces agricoles
qui ne font pas partie des terres officiellement cultivables. Le chef du
village pense qu'il «peut le faire ». Son positivisme ne semble
cependant pas prendre en compte le décalage énorme qui
s'opère entre les droits fonciers du village et les pratiques
réelles mises en place.
Alors que 500 ha, soit 20 % des 2850 ha du finage étaient
officiellement autorisées à être exploitées
après l'allocation des terres, 1400 ha soit 50 % du finage le sont
réellement.
Les 92 familles exploitent chacune 12 ha en rotation sur 4
années et environ 10 % du finage, soit 300 ha sont mis en réserve
en cas de nécessité100.
Selon certaines sources, les surfaces exploitées en
agriculture d'abattis-brûlis sont moins contrôlées chaque
année.
Les autorités locales sont tolérantes. Selon les
entretiens, les surfaces autorisées à être cultivées
en abattis-brûlis seraient aujourd'hui de 1 ha par famille par an.
De plus, de l'avis des villageois et des autorités, si
une famille défriche, brûle et cultive dans une zone
protégée, les autorités locales ne lui demandent pas de
payer immédiatement l'amende officielle. La famille est en sursit. Elle
cultivera pendant une année cette parcelle défrichée
illégalement mais il ne faudra pas qu'elle recommence une autre fois,
sinon l'amende tombera.
Les autorités locales ne se pressent pas pour appliquer
les instructions gouvernementales. Si des paysans possédaient des champs
sur des terres qui n'étaient pas encore protégées et
qu'ils doivent désormais les abandonner pour en cultiver d'autres
peut-être moins fertiles ou qu'ils ne peuvent pas changer d'emplacements
rapidement pour différentes raisons, les autorités demandent de
réduire peu à peu les surfaces mais pas de tout bouleverser du
jour au lendemain.
Si les autorités acceptent de réduire
progressivement les surfaces cultivées, c'est à dire de
réduire le nombre d'emplacements qui tournent dans un cycle de rotation
annuel réduit à 4 ans depuis 10 ans, et donc de réduire
les temps de friche des emplacements qui restent, c'est avant tout pour laisser
progressivement s'adapter les paysans pratiquant des cultures
itinérantes à un mode de production sédentaire, sans
rotation des parcelles. Les responsables agricoles et forestiers acceptent
d'ailleurs parfois que certaines familles élargissent leurs surfaces
cultivables pour qu'elles puissent retrouver une meilleure situation
économique. Il s'agit d'une sorte de contrat entre les 5 groupes de
travail paysans et les autorités : Nous acceptons de vous laisser le
temps, nous serons tolérants à propos des surfaces
défrichées illégalement, à propos du nombre
d'année de jachère et à propos des réductions des
surfaces cultivables, mais vous devrez d'ici 2010 ne plus avoir d'essart en
rotation, ne plus défricher de nouvelles parcelles, devenir des paysans
respectueux des lois nationales et des défis nationaux, comme la lutte
contre la déforestation.
Monsieur Leng, chef du village, décrit les responsables
du district et de la Province comme les
100 92 multiplié par 12 égal 1104 ha plus 300
égal 1404 ha autorisés à l'exploitation agricole en
rotation sur 4 an. La surface cultivée par an est donc de 350 ha (1400
ha autorisés aux cultures / 4 ans de rotation des parcelles = 350 ha
cultivés / an).
principaux décideurs du calendrier agricole, de la
répartition des terres entre les villageois et entre les terres
protégées et celles mises en cultures. < Les responsables
agricoles viennent à notre aide ». Comme son voisin Monsieur Paeng,
il a intégré les principes des autorités laotiennes et ne
semble pas vouloir les critiquer.
A Bouamphanh, <les habitants ne partagent pas les terrains
disponibles entre tout le monde ». Certains villageois ont
hérité des parcelles et d'autres se les sont attribuées
durant l'allocation foncière. Ils ont tous les meilleures terres,
principalement des rizières irriguées. Les autres villageois
n'ayant pas eu d'ancêtres à Bouamphanh ni assez d'argent pour
acheter les parcelles doivent cultiver des essarts qui sont libres d'être
cultivé après l'avis du conseil des anciens101. Le
conseil des ancien distribue les parcelles non attribuées pour un temps
définit entre une et cinq années. Ce laps de temps relativement
court permet de faire circuler à tous les villageois les meilleures
terres.
Généralement le conseil des anciens distribue
les parcelles en fonction de la force de travail familiale ( l'accès
à un motoculteur ou un buffle pour le labour des rizières
irriguées, le nombre d'actifs par famille, l'accès aux outils
indispensables...), les rendements connus des parcelles adaptés aux
familles, la position sociale des chefs de famille (leur ancienneté au
village, leur statut professionnel, leurs liens avec les autorités...)
et en fonction des accords entre particuliers.
Une fois la distribution effectuée, les villageois sont
libres de s'entendre pour échanger les parcelles. Chaque année
quelques villageois ne respectent pas les décisions et défrichent
des parcelles qui leurs conviennent, parfois dans la zone autorisée mais
contre l'avis du conseil et parfois en dehors de la zone autorisée.
Le choix des essarts à la fin de la saison des pluies
revient donc aux chefs de familles. Ce choix se fait en connaissance des
terrains fertiles. Chaque chef de famille a une propriété ou un
droit d'usure sur environ 3 ha par an occupés par différents
cultivars. Les parcelles des familles sont des essarts de riz pluvial (hay
en lao) qui s'étendent généralement sur 0,5 hectare
par famille, une rizière irriguée (na en lao) d'un
hectare maximum, un essart-jardin (souan en lao) de 0,5
hectare102 et parfois une plantation ou un verger sédentaire
de moins d'un hectare. Certain chef de famille utilisent un même type
d'essart dans deux lieux du finage et ne possèdent pas certains autres
types de parcelles.
Si la famille possède un essart-jerdin, elle devra
exploiter ce même emplacement tous les ans durant 3 ans et devra faire
une demande aux autorités pour renouveler la culture de maïs dans
un autre lieu du finage.
Avec un temps de friche de 4 ans pour les essarts de riz
pluvial, les paysans doivent avoir 4 essarts en rotation. Chaque année
ils défrichent une parcelle en friche. Ils n'ont aucun devoir de
paiement, car les essarts de riz (hay) ou de maïs (souan) associés
aux légumes, piments, tabac ou coton, sont gratuits et libres
d'accès. La plupart des villageois ont hérité des
emplacements depuis de longues années, mais les nouveaux arrivants
doivent d'abord attendre que le conseil des anciens tolère leur
installation sur le territoire. Certaines très bonnes terres en friches
sont redistribuées régulièrement. Les
bénéficiaires prioritaires seraient <les familles qui font de
la
101 Qui comprend le chef du village, le chaman, les chefs de
familles, la responsable de L'union des femmes lao ;
102 Ces données obtenues grâces aux entretiens avec
différents villageois concordent avec celles d'O. Ducourtieux qui nota
en moyenne 2,2 ha d'essarts par famille dans d'autres village du nord de la
province. O. Ducourtieux 2006.
culture commerciale ».
Officiellement, «tout le monde a de bonnes terres »
dans la région. Cependant les voisins akha de Hongleuc demandent parfois
d'emprunter pour une année des emplacements sur le territoire de
Bouamphanh. Ce don est, semble t-il, gratuit et personne ne s'offusque de
devoir prêter les parcelles du village. La solidarité entre
voisins d'ethnies différentes semble officiellement fonctionner.
Tout le monde suivrait les décisions communes car
l'économie des familles s'en trouverait bénéficiaire.
Le chef du village ne fait aucune critique en défaveur des
autorités. Selon ses déclarations, tout se passerait bien
grâce aux décisions gouvernementales et communales.
2.4.2. Le cadre politique :
2.4.2.1. Les élections :
Des élections législatives de mars 2006 se sont
déroulées dans tout le pays. Chaque province présentait
six candidats très majoritairement masculins et devait élire deux
députés. Ils sont tous des représentants du Pathet Lao
(parti communiste) qui gouverne le pays. Leurs seules différences sont
leurs origines ethniques et leurs expériences professionnelles qui sont
inscrites sur les panneaux électoraux.
La venue des candidats au village et leur origine ethnique
sont en fait les seules différences importantes pour les
départager puisque les expériences professionnelles se valent
souvent sur le papier.
Les élections sont donc l'occasion de connaître
l'ethnie qui aura le plus de pouvoir d'influence sur les responsables locaux de
la province et des districts et au parlement de Vientiane.
En règles générales, la province de
Phongsaly vote plutôt pour les Khamou et parfois les Phounoy qui ont
tissé des liens étroits avec les autorités de
Vientiane103 et qui sont les ethnies majoritaires dans la province.
Les Lao ne se sont pas installés en grands nombres dans les forêts
et les montagnes. Leur représentation politique est donc limitée
à Phongsaly. Toutefois cette infériorité numérique
et politique des Lao peut changer avec le développement des
communications qui est le domaine d'activité le plus subventionné
(routes, pistes, téléphones, télévisions,
Internet...). Serait se alors la fin de l'isolement et du pouvoir khamou ?
Au village, une seconde élection a permit d'élire
un nouveau chef de village avec un adjoint. L'ancien chef du village avait
été élu deux fois trois années légales
depuis 1995 et il devait théoriquement rester encore un an de mandat,
cependant il demanda à faire des élections anticipées. La
fatigue, les responsabilités pour un salaire dérisoire (18.000
kips par mois) et les pertes de temps pour les travaux aux champs, l'avaient
convaincu d'abandonner sa fonction. Comme les élections
législatives, les Khamou remportèrent une nouvelles fois le poste
de chef et d'adjoint au chef de village comme ce furent les cas des 6 chefs
précédents depuis 1990.
Pour toutes les élections, la méthode est simple.
L'éligibilité est admise à l'âge de 21 ans et
le droit de vote à partir de 18 ans. Il suffit ensuite de rayer
secrètement 3 noms sur 5 candidats. En
103 Ils ont précocement aidé le Pathet lao, le
parti communiste laotien au pouvoir depuis 1975, à influencer
politiquement les groupes récalcitrants pour prendre position au
côté du parti communiste.
additionnant les noms de chaque candidat non rayés on
obtient un chef et un second chefadjoint.
Durant chaque élection, les étrangers ne sont pas
permis de rester et les responsables politiques venus du chef lieu du district
tiennent à coeur cette loi.
Ils vivent au village durant plusieurs jours, logés et
nourris par les habitants.
Leurs venues impliquent un dévouement aveugle des
villageois qui ont soudainement moins de temps et de nourriture pour leurs
familles et leurs travaux des champs. Des tensions sont discernables. La
préparation des élections est longue et le séjour des
responsables politiques aussi.
2.4.2.2. Les taxes :
Impôt foncier sur les rizières irriguées :
33.000 kips par an par personne de plus de 15 ans. Impôt sur la collecte
de bois : 20.000 kips par an par famille.
Impôt sur le revenu (même si il n'y a pas de revenu)
: 30.000 kips par an, non proportionnels aux salaires.
Impôt animalier : 6000 kips par an
Impôt foncier de la maison : 15.000 kips par an.
2.4.2.3. Un personnage charismatique :
Malgré les bons rapports avec ses voisins Monsieur
Paeng agit de manière marginale. Son expérience d'agriculteur et
sa connaissance des terres de Bouamphanh restent limitées. Contrairement
à son voisin, le chef du village, il persiste à semer du
maïs en saison sèche qui ne servira qu'à nourrir ses cochons
pour deux semaines. De plus, il a déjà perdu par le passé
une récolte de maïs et deux récoltes de riz irrigué.
Enfin, cette saison il fut à la limite de pouvoir semer. Il attendit
trop longtemps pour brûler son essart-jardin et dû attendre encore
que l'essart sèche à nouveau après les premières
pluies. Il sarcla deux fois son essart-jardin alors que normalement un sarclage
des adventices suffisait. Ce sarclage de trop lui coûta cher en payes des
salariés, énergie et temps. Il tente pourtant de relativiser, ne
reconnaissant pas être différents de ses voisins. Il dit
<<travailler en fonction des habitudes de leurs ancêtres et des
habitudes prises à Bouamphanh». Cependant il fut l'un des derniers
à brûler, à sarcler, deux fois, et à semer.
Une autre preuve de son inexpérience est la
prévision de bons rendements au début de la coupe. Il disait
avoir trouvé une bonne parcelle contenant une végétation
riche pour la fertilité de son sol qui l'était déjà
par sa couleur rouge et sa dureté bénéfiques à la
culture du maïs. Il regrettait même à l'avance de ne pas
avoir assez de débouchés commerciaux pour pouvoir vendre toutes
ses productions. A l'arrivée, le bilan est beaucoup moins glorieux et la
<< bonne terre » avec assez d'arbres dessus est devenue une <<
mauvaise terre » avec insuffisamment d'arbres.
Les raisons de ces erreurs ne sont pas uniquement dues
à sa relative inexpérience de ses terres. Il travaille souvent
seul dans ses champs. Ses enfants vont souvent pêcher, ne loupent aucun
cours car leur mère institutrice veille au grain. Comme ses enfants,
elle n'aide pas beaucoup son mari faute de douleurs au ventre. Alors qu'au
moment de la coupe, il disait n'avoir besoin d'aucune aide, il se retrouve
obligé d'accepter pour le second sarclage de trop, les aides de la jeune
infirmière et d'un jeune étranger français qui ne
travaillent jamais aux champs d'ordinaire. Ceci marque une situation critique
des travaux agricoles de la famille.
Ancien gradé dans la police, marié à une
des institutrices de l'école, homme d'affaires locales dans les
marchés du maïs et du bois, il se comporte différemment des
autres villageois. Il pu déterrer deux enfants d'une
forêt-cimetière et défricher pour créer un champ. Il
ironisait souvent par rapport aux croyances animistes des voisins et par
rapport au chamane. Sans suivre la tradition, il réussit à
devenir un homme important à Bouamphanh. Son succès social est
aussi du à son investissement auprès des villageois. Il a pris la
responsabilité de l'adduction de l'eau après avoir
été formé par l'O.N.G. «Quaker». Les voisins
doivent le payer 10.000 kips par an pour ce travail mais ils
préfèrent souvent l'aider une journée de travail dans son
champ.
Il a intégré les raisonnements des responsables
lao qui demandent de faire cesser les sacrifices animistes, les rituels
médicinaux, la perception d'une vie meilleure avec des essarts et
promulguent la hiérarchie ethnique avec à sa tête les
groupes ethniques Lao et Khamou, reléguant les autres groupes ethniques
à des rangs inférieurs. Monsieur Paeng n'hésite cependant
pas à inviter chez lui les voisins de toutes ethnies confondues. Avec
son ancien statut de gradé dans la police, il garde des liens
étroits avec les autorités et se permet donc d'être le chef
officieux du village, critique en vers ses voisins. Il ne veut toutefois pas
être candidat aux élections du village. Ses informations m'ont
été d'un grand intérêt pour pouvoir percevoir quels
étaient les perceptions des autorités dont il se faisait souvent
le porte parole (vis à vis de la religion animiste, des productions
paysannes peu intensives et productives...) et quel était sa
différence d'approche par rapport aux autres villageois. Il rationalise
beaucoup plus que ces voisins toutes ses méthodes de travail et son mode
de vie (il souhaite avoir plus de potentiels de vente pour épuiser ses
productions de légume ; il est devenu l'intermédiaire locale pour
la commercialisation des productions de maïs ; il se rend à
Sayaburi pour défricher « en fonction des besoins en bois du
marché chinois » ; il serait d'accord pour abandonner sa pratique
agricole d'abattis-brûlis si il pouvait être formé à
une autre activité ; il n'a soit disant pas peur des esprits en
forêt, étant officiellement athée et ce malgré ses
origines locales) comme le voudrait un « laotien moderne ».
3. Les caractéristiques socio-culturelles du
système agraire : Un village pluriethnique :
3.1. Départs et arrivées, une nouvelle
situation :
Depuis 1995, environ une cinquantaine de nouvelles familles se
sont installées au village et deux familles ont
déménagé en ville. Il y aurait eu avant les
arrivées, approximativement la moitié de la population
actuelle.
Depuis 3 ans il y aurait eu 112 nouvelles personnes au
village.
Les familles emménageant à Bouamphanh arrivent de
Muang Maï, Muang Khoua, Ouai lig, Lat sang, Moc pèc, Hongleug,
Piche Mai et Piche cao...
Le village compte désormais environ 80 % de villageois
de l'ethnie Khamou et 20 % de la population qui appartiennent aux groupes
ethniques Tai deng, Tai dam, Akha, Phounoy et Pala.
Les habitants arrivent pour «développer
Bouamphanh», y cultiver du maïs en essart-jardin et rizière
plane sèche ainsi que du riz de rizière irriguée et en
essart de riz pluvial. « Ce sont les autorités qui les
rassemblent à Bouamphanh pour qu'ils développent ce village
». A l'arrivée
des nouveaux habitants, tout le monde fut, semble t-il
très solidaires. Mais cette donnée est à relativiser car
un certains nombre d'habitants semblent être en relations très
étroites avec les autorités. Ils ne divulgueront donc pas les
défauts des politiques laotiennes. Tout va bien dans le meilleur des
mondes !
3.2. Les villages d'origines :
Hongleuc104 :
4 territoires avoisinent directement Bouamphanh. Il s'agit du
village de Hongleuc, habité par l'ethnie Akha, du village de
Piche-maï habité essentiellement par les Akha, du village de Coc
prao habité par les Khamou et du village de Coc ngniou habité
aussi par les Khamou.
Le village de Hongleuc est à 1h30 de marche depuis
Bouamphanh.
Il est habité par le groupe ethnique Akha. Ils se
dénomment singulièrement << Akkha de Hongleuc ».
Installé juste au-dessous d'une crête arborée d'anciens et
majestueux arbres de 10 à 15 m de hauts, le village est posé sur
une plate forme légèrement creusée, surplombant les champs
en contrebas, d'où le nom de << cuvette ». Le village est
ceinturé par une couronne de 2.000 m2 de forêt
cimetière indéfrichable. Le finage aurait été
définit officiellement depuis 1995, date à laquelle les
villageois ont vu leur surface territoriale se réduire au profit de
l'agrandissement de leur voisin Bouamphanh.
300 familles akha vivent dans des situations précaires
en l'absence de points d'eaux proches (seulement deux points mais se situant
à 15 minutes du centre du village, obligeant à emprunter des
sentiers glissants, raides et sinueux avec les jarres lourdes de l'eau
puisée) et de débits suffisants en eaux (un filet d'eau
permettait aux villageois de se laver après leur journée et une
file d'attente de plusieurs dizaines de personnes venues aussi pour remplir les
jarres), en raison de l'éloignement des champs à plus de 2h du
village, obligeant les hommes à quitter le village et à partir
plusieurs jours aux champs, en raison aussi du manque de sols de qualité
disponibles et du manque d'aide des projets comme celui de Quaker à
Bouamphanh.
Certains villageois sont partis du lieu d'habitation
communautaire pour se rapprocher des terres de meilleures qualités. Ils
vivent désormais seuls du mois d'avril au mois d'octobre, période
des travaux agraires essentiels.
La période du nouvel an lao (12-16 avril à
Bouamphanh), faste pour les fêtes communautaires n'est pas suivie par les
Akha qui fêtent le nouvel an akha en décembre. Leur calendrier
diffère de ceux des Lao et des Khamou qui ont une semaine de 10 jours.
Les Akha ont un cycle de base (semaine) comptant 12 jours, avec des jours
tabous pour certains travaux et certaines nourritures. Ils chôment un
jour sur 12.
Le chef du village touche un salaire mensuel de 18.000 kips
pour le travail accompli dans son village, plus 2.000 kips pour aider à
gérer un autre chef voisin, trop jeune pour s'en sortir seul. Un jeune
professeur de Bouamphanh vient souvent à Hongleuc voir le chef de
Bouamphanh, officieusement pour l'aider à gérer les
problèmes de la communauté et de l'école où vit un
professeur marié mais seul, rencontrant sa femme à la ville de
Khoua tous les 3 mois.
104 << la cuvette » en langue akha.
Moc pèc105 :
Moc Pèc n'est pas un village limitrophe de Bouamphanh
mais il est l'un des villages d'origine de plusieurs villageois ayant
emménagé à Bouamphanh. Un de ces villageois se trouve
d'ailleurs être le chef du village, Monsieur Leng, sa femme et leurs deux
filles. Les deux parents sont nés à Moc pèc, y ont
vécu leur jeunesse, s'y sont mariés et ont
déménagé en 1995. Dans ce village de crêtes, les
souvenirs de leur jeunesse rejaillissent, ceux des amis, des parents à
qui l'ont rend visite avec bonheur mais aussi les souvenirs des parents
absents. Les 125 bombardements américains durant 4 jours de 1974 sur ce
petit village ont laissé des traces dans la mémoire collective.
Le chef avait alors une dizaine d'anneés avant la retraite
américaine, mais ses souvenirs des fuites dans la forêt, des
mobilisations forcées de ses oncles et de son père
séparés dans des camps opposés, resurgissent à Moc
pèc.
Tout comme Bouamphanh mais dans une plus large mesure, Moc
pèc est habité par le groupe ethnique Khamou ou.
Situé à 7 heures de marche au sud de la route qui
relie la ville de Xay à celle de Khoua, il faut compter 9 heures avec
les transports routiers pour se rendre de Bouamphanh à Moc
pèc.
Tous les ans, à la période du 12 au 16 avril des
villageois originaires de Moc pèc y retournent pour
célébrer le nouvel an lao (pimaï), y prier l'esprit
des défunts d'être favorables aux villageois durant la nouvelle
année106 et retrouver leurs anciens voisins et amis pendant
les cérémonies des soukhouane. Cette année
rassembla beaucoup plus de monde que les années
précédentes car vingt statuettes représentant Bouddha
furent amenées au temple de Moc pèc par dix moines venus de
Thaïlande, de Vientiane et de Phongsaly, une occasion particulière
pour ce village isolé.
L'une des filles du chef, âgée de 14 ans, en profita
donc pour accompagner son père pour la première fois dans le
village où elle était née.
Durant ces quelques jours de fêtes, les invitations sont
nombreuses. Toutes les familles décident de rendre un hommage à
leurs parents défunts. Une cérémonie personnelle est
pratiquée. Les familles viennent prier au temple, assis en tailleur
devant le bâtiment, à même le sol, tout en faisant couler
par intermittence quelques filets d'eau à terre. Certaines familles
décident de rendre un hommage plus important que les années
précédentes. Ils rassemblent le plus de monde possible autour de
leurs plats. Les invités doivent ainsi participer aux prix pour abattre
des boeufs, des buffles, poulets et cochons et offrir des biens ou de l'argent
au chef de famille pour qu'il puisse rendre un hommage respectable, luxueux,
à ces parents défunts lors de la cérémonie
collective au temple. Les discours lors des repas sont souvent les mêmes
: << Nous vous demandons pardon pour le peu que nous avons à vous
offrir mais nous sommes heureux107 de vous voir et de partager un
bon moment ensemble108. Nous vous donnons le meilleur de ce que nous
avons, mangez tout... ».
Le choix d'abattre un animal se fait en fonction du prix que les
hôtes et les invités peuvent
105 <<village de la montagne aux pins » en langue
khamou.
106 Cérémonie du tham boun tham tahan.
107 Muan en langue lao.
108 samaki, terme de langue lao qui revient souvent pour
traduire le partage, l'unité, la bonne manière de vivre,
ensemble.
payer, mais aussi en fonction de la fécondité de
l'animal. Un buffle coûte approximativement 24.000.000 de kips et un
boeuf 3.000.000 de kips. Les villageois choisiront donc plutôt un
mâle castré relativement imposant mais laisseront de
côté les jeunes, les femelles fécondes ou les mâles
trop imposants et donc chers.
Abattre un animal n'est pas forcément signe d'un
sacrifice, d'une offrande aux esprits. Si une cérémonie
n'accompagne pas l'abattage, il s'agirait simplement de tuer et consommer
collectivement d'importantes quantités de viandes sur une courte
durée pour des occasions particulières. Durant le reste de
l'année, les villageois de tous les villages des versants de montagnes
ne consomment que très peu de viande. Ils en consomment en contre partie
énormément en une semaine. Les difficultés de manger des
régimes de riz, poissons, légumes laissent la place aux plaisirs
de partager énormément de bonnes viandes durant les occasions
importantes pour les communautés (mariage, construction de nouveaux
foyers, nouvel an, repas de gibiers...).
C'est ainsi que les villageois khamou de Moc pèc et
Bouamphanh ou akha de Hongleuc gardent en vie leurs élevages toute
l'année. Ils ne les tueront que lorsqu'il y aura des occasions
importantes. En attendant les animaux sont libres de parcourir le village et
parfois de s'endormir sur la piste, ce qui créé parfois des
accidents et donc des pertes économiques.
Durant ces quelques jours, le village se métamorphose.
Un jour il est un village paisible couronné par une
végétation arbustive servant de coupe-vent et de cimetière
dans lequel seuls les enfants de moins de 15 ans y sont enterrés et les
plus vieux incinérés et répartis en cendres dans ce
bois-cimetiere. Un autre jour il devient une véritable foire avec un
grand bal le premier soir, des vendeurs venus de villages voisins pour
épuiser leurs produits alimentaires que l'on offre ou consomme, des tirs
aux fusils et aux pistolets pour faire fuir les mauvais esprits des
cérémonies, de la musique et des soukhouane tous les
soirs.
Durant ces rituels villageois, aucune intervention des moines
n'est réalisée. Chacun rend visite à ses voisins ou
anciens voisins, amis et parents et l'on marque ces retrouvailles par des
gestes forts. L'invité offre de l'argent à l'hôte
essentiellement pour les frais du repas puis la famille de l'hôte offre
à son tour des bracelets de coton109 censés
représenter les bonnes auspices offertes par la famille. Ces bonnes
auspices n'entreront effectivement en application lorsque les khene
auront été porté 3 jours. Ainsi, que l'on offre de
l'argent ou que l'on soit amical, on apporte notre contribution heureuse
à cette période et les villageois nous le rendent en nous offrant
des marques d'amitiés pour nous << porter bonheur ». Ces
rituels sont donc des moments de partages, de joie d'être avec les
autres, de dons aux autres, de voeux pour les autres qui pourraient se
résumer par èt boun, mi boun110.
Il est bien évident que durant ces quelques jours,
l'alcool coule à flot et les hommes comme les femmes sont parfois
abusés par l'alcool.
Au premier abord, nous pourrions penser qu'il s'agit d'une
période de relâche pour tout le monde, mais en définitive,
malgré l'apparente dépravation de certains, tout est fait pour
rendre un hommage réussie aux défunts par l'intermédiaire
du temple et d'un circuit fermé d'échanges d'argent et de
biens.
Une grande partie de l'argent que reçoivent les
hôtes lors des repas est investie dans les
109 Khene en langue lao.
110 << fait le bien , ait le bien ».
offrandes honorifiques pour l'hommage aux parents
défunts. L'argent que les petits vendeurs se font dans le village est
souvent offert aux hôtes ou directement au temple pour leurs propres
parents défunts. Ainsi l'aspect de relâche festive est une
occasion importante de revoir les parents et amis encore vivants et de
célébrer ensemble les parents et amis
décédés. Il s'agir du rassemblement des défunts et
des vivants le plus important de l'année.
Selon Monsieur Leng, chef du village de Bouamphanh, il y a 30
ans le territoire de Moc pèc était couvert d'arbres anciens.
Depuis une dizaine d'années la forêt a laissé la place
à une savane ou une forme de maquis. Les propositions des responsables
agroforestiers de Phongsaly les ont incitées à abandonner ces
maquis peu productifs et à s'installer à Bouamphanh pour
<<développer » le nouveau village où des
rizières de vallons étaient disponibles.
A Moc pèc, les paysans plantaient le riz d'essart
à la fin du mois d'avril, bien avant Bouamphanh qui plante au mois de
juin. Le climat des crêtes, fraîchement venté, et un
environnement forestier dense, permettaient de trouver de la fraîcheur et
de l'humidité plus tôt dans l'année. Les montagnards des
versants et de crêtes sont les premiers à commercialiser leur riz
glutineux dans les villes. Ils avaient de l'avance sur la commercialisation des
riz lao de plaines. Aujourd'hui, avec les productions en rizières
irriguées et en essarts, plus intensives que par le passé, le
déménagement vers des territoires plus en aval, anciennement
exploités, plus secs, les villageois khamou n'ont plus le monopole des
ventes de riz durant les mois d'août et septembre. De plus ils ont
imité les techniques agraires lao, devenant dépendants des
engrais, des engins motorisés, des bonnes volontés des
responsables agroforestiers locaux, du marché mondial et régional
écrasé par le yen que les migrants chinois nombreux utilisent.
Les Chinois affluent selon les besoins du marché. Les
migrants chinois sont vendeurs de glaces ambulants rejoignant quotidiennement
à mobylette Phongsaly à Oudom Xay, des hommes d'affaires
emménageant à Oudom Xay pour monter des chambres d'hôtes,
des hôtels, des restaurants ou des transporteurs routiers...
A Bouamphanh comme à Hongleuc, Sin xay et Moc
pèc, le temps de jachère moyen est de 4 à 5 ans. La
parcelle de forêt la plus ancienne atteint seulement 15 ans d'âge,
les surfaces cultivées atteignent plus de la moitié du finage
alors qu'elles devraient officiellement représentées environ 20 %
du finage des territoires et une pression foncière poussent les
villageois défricher les derniers espaces disponibles. Même les
forêts protégées sur les berges des courts d'eaux sont
attaquées par des bûcherons invisibles. Une partie de la
forêt-cimetière avait, elle, été
défriché par Monsieur Paeng à Bouamphanh et dans les
villages visités, les chefs pensaient faire de même.
3.3. Rester à Bouamphanh !:
Les nouveaux arrivants sont aujourd'hui très heureux
d'habiter Bouamphanh car ils ont plus de potentiels d'achats et de vente, plus
d'aides extérieures, une mobilité plus importante, plus de
relations avec leurs parents et amis.
Ils se sont aussi installés à Bouamphanh pour
l'attrait que comportait la disponibilité des rizières
irriguées de vallons.
Ils ne souhaitent donc pas retourner dans leur ancien village
dans lequel ils avaient encore plus de difficultés alimentaires sans
rizières de vallons. << La vie était plus difficile avant !
».
Les rizières sont pour eux plus importantes que les
produits forestiers et donc plus importantes
que la forêt. Ils préfèrent vivre dans un
village qui a des rizières irriguées sans forêts
plutôt que dans un village qui n'a pas de rizières irriguée
mais plus de forêts.
3.4. La piste :
La piste 1B qui traverse Bouamphanh fut construite de 1978
à 1996 par des techniciens chinois et des ouvriers locaux et chinois.
Les premiers véhicules circulèrent difficilement en saison
sèche de l'année 1980. Les villageois de Bouamphanh se sentent
avantagés par rapport à ceux n'ayant pas de piste dans leur
villages111.
3.5. L'installation à Bouamphanh et au bord de
la piste :
Beaucoup de familles ayant emménagé
récemment disent être venues volontairement.
Selon les villageois, le village de Bouamphanh a plusieurs
avantages qui ont motivé leurs venues. Des rizières
irriguées étaient libres d'exploitations et une infirmerie, une
école, un marché et une piste rejoignant le Nord du Sud de la
province étaient en prévisions à l'époque de leurs
arrivées.
Nous pouvons noter que tous ces avantages n'ont
été rendu possibles que par l'exécution du programme
d'allocation des terres qui permis un zonage précis du finage, puis par
le caractère convaincu des villageois voisins de Bouamphanh que le
village avait un potentiel à développer et qu'il fallait venir
s'y installer pour exploiter ses terres. Une fois le nombre d'habitants ayant
dépassés les 500, le village pu recevoir l'aide d'une O.N.G.
américaine qui développa les infrastructures scolaires,
sanitaires et agricoles112 et permis un meilleur amortissement des
frais de développement.
Ces informations tirés des entretiens rejoignent les
conclusions de plusieurs autres travaux sur les motivations des migrations.
Yves Goudineau113 y avait vu trois facteurs principaux. Le
gouvernement autorisait et facilitait les départs des villages aux
conditions de vies difficiles (villages isolés sans accès aux
ressources étrangères hormis les leurs, aux soins...). Les
déplacements résolvaient le problème de
l'épuisement des essarts de riz pluviaux en proposant d'accéder
à des rizières irriguées, symboles de rendements
supérieurs et de développement économique et social, sur
l'exemple des Lao-Thaï. Une nouvelle génération de
villageois refuse de vivre comme autrefois et veut changer de métier,
acquérir de nouveaux savoirs, bénéficier d'infrastructures
et de services publics de proximité.
Les populations ont bien été convaincus par les
autorités d'immigrer vers des localités oà«
l'opportunité d'aides extérieures » et le « recours des
différentes agences de développement » allait faciliter les
nouveaux arrivants.
111 Les ruraux avec et sans accès aux routes et pistes
: 556 villages de la province ont accès aux routes ou pistes sur une
moyenne nationale qui atteint 590 villages par province ayant accès aux
pistes et routes. 679 villages de la province n'ont pas d'accès aux
routes et pistes de la province sur une moyenne nationale de 608 villages par
province n'ayant pas accès aux pistes et routes. Source : Basics
Statistics of Lao PDR. State Planning committee, National statistical centre,
1975-2000.
112 L'O.N.G. Quaker construisit une école plus grande avec
dortoir, une infirmerie avec plusieurs lits et deux infirmières, des
canalisations en ciment pour irriguer les rizières, apporta l'eau des
bassins versants dans 4 points du village, forma un responsable aux
problèmes d'adduction des eaux des bassins versants, offrit des animaux
d'élevage et une formation à leur gestion (accouchements,
vaccinations, fabrications d'enclos assez grands et adaptés au relief
escarpé...).
113 Goudineau Y. 1996.
Les buts inavoués des recompositions villageoises
pluriethniques comme à Bouamphanh étaient donc bien
l'amortissement des dépenses d'infrastructures sanitaires et sociales,
l'émergence d'une nouvelle génération de citoyens laotiens
et la disparition des anciens clivages ethniques.
L'installation des foyers près de la piste
poussiéreuse, serait aussi une volonté de leur part.
Le vallon où est situé le village est
étroit. Les rizières irriguées prennent les moindres
emplacements plats, près de la rivière. Le cimetière et
les pentes raides ne laissent qu'un espace réduit, le long de la
piste.
L'installation près de la piste leur permet ainsi de
vendre plus facilement les marchandises de leurs épiceries. Cinq
familles ont pu ainsi ouvrir des épiceries plus ou moins
achalandées. Cependant ils se plaignent souvent de ki
foun114. Les véhicules qui traversent leur village
roulent souvent trop vite et soulèvent des nuages de poussières
qui aveuglent et étouffent les riverains. Ils sont obligés de
toujours mettre leur mains à la bouche et devant leur nez en se
retournant pour ne pas en avoir dans les yeux.
Les premiers foyers du bord de piste sont blanchis par la
poussière qui vole et pénètre partout dans la maison et
les épiceries.
3.6. Localisation sociale au village :
Les foyers sont installés sur 1km dans le creux d'un
vallon et sur ses versants boisés ou essartés.
Les familles sont réparties dans 89 foyers
divisés en 3 grands ensembles d'habitations, tous situés proche
de la piste.
Arrivant du Sud, le premier ensemble de foyers est
regroupé près de l'infirmerie et du dortoir de l'école en
amont ainsi que de l'école et du chaman en aval. Le chef du village,
Monsieur Paeng et Monsieur Thon y vivent avec leur famille. Trois points
d'eaux, deux commerces et la maison du village utilisée pour les
réunions villageoises, sont installés dans la zone. Le groupe
ethnique Khamou y compose la très large majorité. Cette zone est
la plus importante du village, concentrant la majorité des
infrastructures et des personnalités importantes du village (le chamane,
le chef du village, les infirmières, deux institutrices et un
instituteur, Monsieur Paeng). La partie aval de cette zone est le lieu de
fondation du village, très exactement l'emplacement du foyer du chamane.
Il semble le lieu important du village se soit donc légèrement
déplacé en amont, se rapprochant ainsi de la piste sans
s'éloigner de son origine.
Dans le second ensemble de foyers, une plus importante partie
des habitants sont d'origines akha et pala. Les Khamou sont toutefois toujours
majoritaires. Dans cet ensemble, il n'y a pas de foyers éloignés
de la piste ni amont ni en aval. Un seul point d'eau est utilisable.
Dans le troisième ensemble de foyers se situe le
marché et trois épiceries, dont la principale du village. Deux
points d'eaux ont été installé. Plusieurs dizaines
d'habitations forment un quartier à l'écart de la route.
La séparation entre les 3 ensembles se fait par la
présence unique des greniers à riz au bord de la piste sur plus
de 200 m. Ces greniers sont construits à l'écart des habitations
pour éviter qu'ils ne prennent feux en cas d'incendies des foyers.
Les espaces entre les ensembles d'habitations peuvent atteindre
200 m, mais il s'agit ici encore
114 « beaucoup de poussière ».
non d'une volonté délibérée des
habitants mais d'une obligation géographique. La topographie de ces
espaces ne permet pas de construire de foyers. Les versants sont trop pentus et
friables. Seuls des greniers à riz et des enclos à cochons et
poules sont installés.
3.7. Langues :
A Bouamphanh, 5 langues sont parlées dont 4 appartenant
aux groupes ethniques. La plus utilisée est la langue nationale, le
lao115, que partage tous les groupes minoritaires et plus
particulièrement les Taï dam et Taï deng qui l'utilise
traditionnellement. La seconde langue majoritaire du village est le khamou Ou,
légèrement différente du khamou rook parlé dans la
province de Luang Nam Tha. Arrivent ensuite des langues des groupes ethniques
minoritaires au village : le phounoy, le akha et le pala.
Bouamphanh, chef lieu du canton numéro 7 est
marqué par son caractère pluriethnique. Bien que 80 % environ de
la population soit de culture khamou ou, presque 20 % de la population
rassemble les Akkha, Phounoy, Taï dam et Taï deng et Pala. Pour
chaque ethnie, la connaissance des langues étrangères,
utilisées pourtant dans un même village, est significative des
rapports ethniques.
Il a été noté que les Akha parlent plus
fréquemment khamou et lao que ne parlent akha les Khamou et les Lao.
Pour autant, certains villageois khamou connaissent quelques mots de
vocabulaire akha qui amusent la galerie Khamou.
Les Phounoy ont par contre beaucoup moins de connaissances de
la langue khamou. Ils utilisent uniquement le lao comme langue
étrangère à la leur.
Ainsi, les Phounoy utilisent fréquemment la langue lao et
très peu les autres langues ethniques lorsqu'ils discutent avec leurs
voisins.
Les Khamou utilisent le lao plus fréquemment que le khamou
lorsqu'ils discutent avec d'autres groupes ethniques que les Khamou.
Les Akha manient plus souvent le lao que le khamou ou le akha
lorsqu'ils rencontrent des groupes ethniques différents du leur.
Les Lao-Taï usent plus du lao que du khamou pour discuter
avec les autres groupes ethniques.
Les Akha nomment d'abord les ethnies voisines par le
auto-nominations propres de chaque ethnies voisines. Pour parler d'une personne
du groupe ethnique Khamou, ils diront d'abord qu'il est Khamou puis qu'il est
Lao Theung.
Les Khamou , Phounoi, Taï dam, Taï deng et lao
utilisent d'abord le terme générique Lao Soung puis Ko ou
Iko116 pour les désigner. Ils font d'abord
référence à l'appartenance laotienne (<< Lao soung
») avant d'appeler les Akkha par les termes Ko ou Iko que les Akha
n'utilisent jamais.
Les Lao utilisent aussi très souvent en premier terme de
désinence : << Lao theung » pour désigner les
Khamou. Les autres groupes ethniques appartenant officiellement au groupe
Lao-
115 Langue appartenant à la famille linguistique
thai-kaday.
116 Ko, Iko ou Kha sont d'anciens termes désignant les
<< esclaves » sous le royaume du Lane Xang puis sous les
régimes coloniaux. Ces termes ont désormais la connotation de
<< minorité d'altitude » ou d'une personne en étant un
des membres : Iko.
Theung sont donc souvent assimilés aux Khamou.
Nous pouvons ainsi percevoir avec l'utilisation des langues
étrangères pour chaque ethnie et avec les termes utilisés
pour présenter les ethnies voisines, comment se jouent les rapports
à la nation et au pouvoir. Les Akha, plus isolés, moins aider par
les O.N.G. et le gouvernement, n'ont pas été laocisé comme
ont pu l'être les ethnies vivant en aval. Ils sont rester très
respectueux des auto- nominations qu'ont choisi les ethnies voisines.
Les Khamou et Phounoi, Taï dam et Taï deng,
laocisés, respectent beaucoup moins les termes que choisissent les
ethnies voisines pour se singulariser. Ils font souvent référence
à l'appartenance laotienne de leurs voisins avant leur appartenance
ethnique.
Les instituteurs khamou, les infirmières, le chef du
village et les personnes qui travaillent ou ont travaillé en dehors du
village, utilisent souvent la classification Lao loum, Lao theung, Lao soung
pour ranger les ethnies minoritaires nationales. Cette classification
arbitraire du gouvernement laotien tente de ranger les ethnies par lieux
d'origines géographiques117. Cette classification ne rend pas
compte des différences culturelles entre toutes les ethnies
rangées dans la même appellation. Les villageois se trompent
d'ailleurs souvent en affirmant << Il parle lao soung >> pour
présenter une personne akha. Cette normalisation de ces appellations
crée peu à peu une incompréhension entre les
communautés, une homogénéisation des particularismes. La
langue lao soung n'existe pas puisque la catégorie Lao soung regroupe
différents groupes ethniques parlant différentes langues.
Lorsqu'une personne dit d'une autre qu'elle parle lao soung, elle veut souvent
dire qu'elle parle akha car les Akha sont les représentants
communément acceptés des Lao soung, comme le sont les Khamou pour
les Lao theung.
Les singularités sont pourtant recherchées par
toutes les ethnies. Chacun se nommera devant les autres ethnies, avec son
appartenance ethnique avant l'appartenance nationale (<< je suis Khamou,
Lao theung >>, << Je suis Phounoy >>...). Mais les ethnies
laocisées présenteront leurs voisins d'abord par leurs
références laotienne puis ethnique. Sa propre singularité
par rapport à celle des autres est plus développé chez les
ethnies laocisées. Viendrait elle d'un sentiment de
supériorité ou d'une tendance forte chez certains groupes
ethniques à vouloir gommer les singularités quand d'autres
ethnies la recherche ?
3.8. Religion :
La religion principale est l'animisme alors que la minoritaire
est le Bouddhisme.
Un chamane khamou118 officie trois
cérémonies communautaires et tente des guérisons à
l'aide de plantes médicinales. Il demande chaque année aux
esprits durant des cérémonies coutumières de
protéger les cultures contre les prédateurs et de favoriser les
plants cultiver pour avoir de bonnes récoltes. Il assure donc la
fertilité du terroir en maintenant l'ordre entre les esprits, les
ancêtres, les anciens et les jeunes villageois119. Il peut
aussi faire passer des messages des esprits aux hommes. Ils les a reçu
durant les rêves ou durant des méditations.
Le chamane habite au village avec sa famille jusqu'en juillet
puis il part vivre en forêt pour
117 << Lao loum >> : les lao d'en bas, << Lao
theung >> : lao de moyenne altitude, << Lao soung >> : lao du
haut en langue lao.
118 legoune en langue lao.
119 << Les activités agricoles et leur formalisation
juridique ne peuvent être considérées indépendamment
d'un ensemble de << croyances >>, de représentations des
relations entre l'homme et la nature d'une part, entre les vivants et les
ancêtres d'autre part, auxquels sont liés des << actes
>>, des pratiques rituelles >>. O. Evrard, 2001 : 167.
pratiquer des cérémonies, collecter des plantes, se
lier aux esprits.
Les autorités ont désormais interdit de
sacrifier des animaux, de les offrir en offrandes aux esprits tutélaires
et de se servir de leur sang pour les cérémonies animistes.
L'argument tient de l'hygiène et de l'économie des denrées
alimentaires dans des régions pauvres, manquant surtout de viande. Le
chef ajoute qu'aujourd'hui <<il y a un hôpital au village »,
marque d'une laocisation et d'un certain recul par rapports aux sacrifices
animistes. Le chef <<comprend que le gouvernement demande de supprimer
les anciennes croyances, surtout animistes. Il veut développer notre
village ». Le chef et d'autres villageois sont << pour l'application
de la direction du gouvernement ». Ces réduction des pratiques
sacrificielles se rencontre chez tous les villageois relocalisés. Yves
Goudineau120 faisait tout de même remarquer que ces sacrifices
pouvaient être plus fréquemment pratiquées si les
résultats des déplacements s'avéraient être des
échecs au bout de quelques années.
Monsieur Mao est le chamane du village. Tous les villages voisins
abritent aussi un chamane. Sa famille forme des chamanes de père en fils
car ils auraient été les premiers, en 1969, à s'être
installés à Bouamphanh sur le seul terrain plat du vallon, proche
de la rivière.
Toutes les autres habitations sont sur les versants, près
de la route par manque d'emplacements plats non utilisés par les
cultures et proches de la <<petite rivière ».
Il effectue trois cérémonies villageoises pour
<< traiter respectueusement les esprits »121 et
bénéficier de leurs bonnes grâces pour les
récoltes.
Il a sa place au conseil des anciens qui décide et
organise les attributions annuelles des parcelles, de l'installation de
nouvelles familles au village...
Lorsque le conseil a accorder un emplacement pour le nouveau
foyer, Monsieur Mao demande aux esprits d'accepter les émigrants, de ne
pas leur créer de problèmes. La demande en aide n'existe pas.
Seule une demande de non-intervention des esprits est effectuée.
Il connaît très précisément la
faune et la flore médicinale sauvage, leurs combinaisons
bénéfiques accompagnées des paroles sacrées. Il
peut ainsi guérir traditionnellement certains villageois qui viennent le
voire avant d'aller à l'infirmerie. Pour les maux de ventre, il utilise
des plantes qu'il nomme en langue khamou coc boulr, coc tam
ngoud ou cua fat en langue lao. Pour les fièvres et les
maux de tête, il utilise calenglroï et pour empêcher
la jaunisse des nouveau-nés, les femmes enceintes consomment du coc
séé ou to bong122 en lao. Contre les
venins de serpents, il a besoin de tchom home mélangé
à sa salive et à une partie du poulet.
La première cérémonie qu'il effectue se
déroule avant les travaux de coupe des parcelles villageoises. Il
utilise pour cela deux poules et deux verres d'alcool de riz qu'il offre aux
esprits mauvais123, aux esprits de la forêt124, du
riz125 et des défunts126 afin de ne pas avoir
d'accidents pendant la coupe des essarts.
120 Y. Goudineau, 1996.
121 Pooua phi en langue lao.
122 bambusa tulda
123 phi crouang en langue lao.
124 phi paa en langue lao.
125 phi krao en langue lao.
126 phi paèl en langue lao.
La seconde cérémonie se déroule lorsque
les gerbes de riz sont à une taille approximative de 80 cm. Il utilise
alors un cochon domestique et plusieurs pièces illisibles d'une ancienne
monnaie. Cette cérémonie est encore un voeu collectif demandant
aux esprits de faire de bonnes auspices. La troisième
cérémonie se produit avant de récolter. Monsieur Mao a
alors besoin de riz, des outils utilisés pour la récolte et des
produits des essarts que les villageois déposent, durant l'officie, dans
un panier installé sur une table basse.
Toutes ces cérémonies coûtent 10.000 kips
par famille afin d'acheter les matériaux indispensables aux rituels
(alcool de riz, poules, cochon...) et d'apporter un maigre don pour les
propitiations de Monsieur Mao.
Toutes les cérémonies collectives s'effectuent
en extérieur, dans deux lieux réservés aux rituels
collectifs. La première cérémonie de la coupe se
déroule dans la forêt-cimetière, près de la
rivière, au sud du territoire, à cinq minutes des habitations et
les deux cérémonies suivantes se déroulent près des
champs, au nord du territoire, à 20 minutes de marche des
habitations.
Durant les cérémonies et dans les lieux de leurs
exécutions, les interdits touchant à la coupe et à la
collecte du bois sont nombreux.
A chaque lieu cérémoniel, la coupe des arbres
est traditionnellement interdite sur 0.5 hectare. Les lieux doivent garder
leurs caractères traditionnels, le souvenir du passé. Ils doivent
être l'espace de relation avec les esprits. Un lieu désertique,
sans vie, sans lien avec le passé, n'aurait aucun
intérêt.
Les Khamou portent un grand respect aux arbres anciens, aux
lianes colorées qui tombent jusqu'à terre, aux troncs
impressionnants par leurs tailles et les formes de leurs formes. Les oiseaux
aiment y venir, y faire une chorale joyeuse dans les branches. L'arbre de
Bouddha127 et d'autres espèces ligneuses sont des
protégées. Certains Khamou, bouddhistes, y voient la
présence de bons esprits. Ils apportent donc des présents aux
pieds de ces arbres et demandent aux esprits de les laisser vivre en paix.
Les jours des cérémonies, aucune coupe ou collecte
de bois n'est permise et les bois qui ont servi à transporter des morts
ne peuvent plus être utilisés. Ils sont abandonnés en
forêt.
Selon le jeune marié, un arbre spécifique,
considéré comme sacré, abrite des esprits128.
Les villageois y viennent lors des cérémonies communautaires ou
lors d'occasions familiales pour apporter aux esprits qui l'habitent, respect,
gratitude, reconnaissance et une bonne cohabitation. Lors de ces
cérémonies publiques ou familiales, les villageois lavent
l'écorce avec de l'eau, déposent des donations alimentaires, des
offrandes à leurs pieds. Ces cérémonies
particulières sont liées aux respects des tabous, des dates
traditionnelles, du chamane, dans le but de ne pas contrarier les esprits. Ces
derniers ne sont ni bons ni mauvais à l'origine mais peuvent devenir
l'un ou l'autre selon l'attitude des villageois.
La peur des esprits dans les villages isolés a
peut-être développé la solidarité, le
communautarisme et la soumission des villageois aux forces invisibles. Les
moyens de communications (pistes et engins motorisés relativement
rapides, téléphones, télévision...) ont
diminué les distances et ont pu faire s'amenuiser le sentiment
d'isolement et son corollaire, la solidarité sécuritaire. La
relation entre le sentiment de proximité et la réduction des
solidarités n'est cependant pas certaine. Mon étude ne portant
pas sur cette question, il serait préférable de
127 kok pho ou mac ral en lao, ton sal
en thaï.
128 Nom de l'espèce non enregistrée.
ne pas débattre plus avant inutilement. Beaucoup de
facteurs entrent en cause pour expliquer la réduction des
solidarités villageois observées et enregistrées
après entretiens.
3.9. Les tabous alimentaires :
D'après le jeune marié, des tabous alimentaires
existent et sont hérités de père en fils et de mère
en fille. Pour tout le monde, la coupe et la chasse des espèces tabous
sont autorisées mais pas la collecte ni la consommation. Il s'agit
d'espèces végétales ou animales qui auraient
provoqué chez les ancêtres, des maladies, des décès
et qui laissent encore aujourd'hui une peur persister lorsque les anciens
rappellent les histoires se rapportant aux origines des tabous.
3.10. Mariages :
Depuis 5 années, il y a eu plusieurs mariages
réunissant des couples appartenant à différents groupes
ethniques, preuves que les groupes ethniques ne sont pas hermétiques les
uns des autres. Les unions sont cependant plus souvent le fait de personnes
appartenant au même groupe ethnique. Il y eu deux mariages
réunissant des couples lao-akha, un mariage réunissant un couple
akha et 11 mariages réunissant des couples khamou.
Cette année 2006 fut aussi riche en unions puisque qu'il y
eu 6 mariages dont les origines ethniques ne m'ont pas été
communiqué.
Durant les cérémonies des mariages khamou, les
époux sont assis en tailleur devant deux tables basses
ornementées de feuilles de bananes, d'argent, de bonbons, de verres
d'alcool. Les parents masculins des jeunes mariés sont assis côte
à côte, de l'autre côté des tables, en face des
époux. Les parents de sexe féminins sont assis en tailleur dans
un coin de salle, derrière les époux à droite.
Le chef du village lit un discours officiel écrit par
lui même sur une feuille de papier cahier déchirée.
L'officialisation passe par le tampon du bas de page, que chaque chef
possède, plus que par le discours, car après les plusieurs verres
d'alcool de riz bus tôt le matin, bien des points du discours sont
sautés et le chef du village a bien du mal a lire convenablement son
texte. Une fois terminé, la lettre est remise aux époux, comme
preuve de l'officialisation de leur union.
Aucun mariage arrangé n'est pratiqué à
Bouamphanh. Tous les époux ont vécus d'abord une longue
période ensemble avant de se marier. C'est un choix
délibéré de leurs parts.
Une fois le discours achevé, chaque membre des deux
familles s'approche des mariés pour leur remettre un bracelet de fils en
coton enroulés avec de l'argent à chaque poignet et leurs
souhaiter les meilleurs auspices. C'est ensuite au tour des proches de la
famille et voisins. Les voeux sont généralement la partie la plus
longue mais la plus émouvante de la cérémonie. Les
époux qui jusque là étaient rester de glace,
concentrés, savourant leur mariage, ne peuvent laisser échapper
des sourires d'émotions devant tant de gentillesse.
La dernière étape de la cérémonie
est le voeux collectif que tous les parents et amis proclament en coeur tout en
touchant la table basse, intermédiaire entre les participants et les
époux. Les femmes ne participent pas à ces voeux collectifs, mais
les amis peuvent y participer.
3.11. L'école :
L'école de Bouamphanh est une école primaire
composée des classes officielles. Les collèges se trouvent
à Lat sang et à Muang Khoua. Seuls quelques élèves
iront s'y inscrire.
130 élèves sont inscrits à l'école
dont 30 originaires des villages voisins et dormant dans un dortoir. Ces
<< internes » vivent avec l'instituteur Jay Pèt qui a sa
chambre particulière près du dortoir et qui est responsable de
leur vie périscolaire. Toutes les semaines, un nouveau groupe de 5
<< internes » est responsable de collecter et de cuisiner pour
eux-mêmes et leur instituteur avec qui ils partagent leurs repas des
midis et des soirées. Les repas du matin sont souvent déjà
consommer par les enfants avant que Jay Pèt ne se réveille.
Chaque groupe d'enfant est chargé de la vaisselle, de
la cuisine, de la collecte lorsque l'instituteur leur demande et de l'arrosage
du potager commun.
Ce dernier n'est pas très grand (15 m2) pour
fournir des légumes toute l'année à ces groupes
<<d'internes ». Le chef du village n'a pas accepté de laisser
agrandir le potager car selon lui << sa surface est suffisante pour des
instituteurs qui ne restent que deux ». L'instituteur ne doit pas avoir de
temps pour cultiver, il n'est pas agriculteur.
L'instituteur Jay Pèt tient la 3e et
4e classe de primaire au village. Il déclare gagner 120.000
kips par mois pour son travail. Son niveau n'est pas le plus
élevé dans l'ancienneté scolaire, ainsi les autres
instituteurs plus expérimentés, mariés avec des enfants,
habitants à part entière du village, gagnent 300.000 kips par
mois.
Comme lui, les plus jeunes instituteurs sont mutés tous
les deux ans dans une nouvelle école. Très souvent d'origine
khamou locale, plus rarement d'origines akha ou phounoi et rarement d'origine
Lao, les instituteurs du district doivent s'intégrer à un nouveau
village, une ethnie différente de la leur, des conditions de vie souvent
plus pauvres que dans leurs familles.
Ils doivent ainsi s'installer dans leurs nouvelles chambres ou
chez de nouveaux villageois (souvent le chef des villages). Durant deux ans, la
vie de ces jeunes instituteurs n'est pas facile. Etant donné leurs
salaires et le temps mis à les recevoir, ils n'arrivent pas à
garder assez d'argent chaque mois et vont tenter de se procurer de la
nourriture. Ils demandent aux élèves d'aller collecter en
forêt ou vont seuls, chercher des pousses de bambous, des légumes
feuilles, des petits gibiers pris à leurs pièges, des poissons.
Ces temps de collecte sont très fatiguant pour des instituteurs qui
travaillent réellement 7 heures par jour. Ils vendent aussi quelques
photos de leurs appareils, échangent des services contre des aides
alimentaires ou se font offrir par les villageois quelques kilogrammes de riz
pour plusieurs semaines, des morceaux de gibiers quelques fois imposants, des
produits de la collecte. Ces dons des villageois et leurs accueils chaleureux
au sein de leurs familles marquent pour longtemps ces jeunes instituteurs. Au
bout de deux ans, leur village de mutation est devenu leur village, leur
famille.
Après la fin des cours, les responsables de
l'éducation au district et au canton129 viennent faire les
bilans avec les instituteurs. Les mauvais résultats des enfants akha et
pala du village sont, selon tout le monde, le fruit d'une presque
impossibilité de pouvoir articuler et concevoir la langue lao, qui est
le principal enseignement des instituteurs. Les enfants seraient, par leurs
origines ethniques, incapables de pouvoir écrire et parler
convenablement lao.
Le dilettantisme des instituteurs n'est pas remarqué.
Leurs absences répétées pour voir des
129 muat : canton scolaire, différent du canton
administratif.
parents hors du village, pour aller travailler autre part
qu'à l'école, ne sont pas prises en compte.
Selon des études D'Yves Goudineau130 sur les
effets des déplacements de population, l'école serait contre
toute attente un facteur de l'intégration laotienne des nouveaux
arrivants, enfants comme adultes. Par l'école et la maîtrise de la
langue lao (tout comme une proximité plus grande aux marchés et
aux voies de communication), les familles auraient de plus grandes chances de
s'intégrer et par la même de voir leurs conditions de vies
s'améliorer.
Une fois leurs contrats terminés le 10 juin, leurs
isolements dans les villages lointains achevés, ils souhaitent partir en
ville, au moins quelques pour travailler dans les constructions de
bâtiments pendant leurs congés ou aller rejoindre une petite amie
ou une femme inaccessible pendant les plusieurs mois
précédents.
Leurs souhaits pour l'année suivante sont de rester
instruire en ville, près d'une piste ou d'une route. Les montagnards
sont pour eux de très bons amis mais ils ne peuvent se résoudre
à vivre comme eux. Cependant ils savent bien que leurs chefs ne les
muteront pas en ville d'ici une dizaine d'année.
Les élèves ont dit préférer vivre
à Bouamphanh plutôt que dans leurs villages, car il y aurait une
école primaire avec toutes ses classes officielles et un marché.
Toutefois, ce discours ressemble à celui d'un adulte, peut-être
celui de leurs parents.
Un élève avoue préférer Bouamphanh
pour son animation, sa télévision le soir, ses karaokés en
VCD les matins et soirs, les allées et venues d'étrangers au
village.
Très peu d'élèves préfèrent
leur village à Bouamphanh même si certains disent avoir plus de
copains au village de leurs parents. La famille n'est pas mentionnée
dans les raisons de préférer son village ou Bouamphanh.
3.12. L'organisation familiale :
Un foyer compterait en moyenne 6 membres dont les
grands-parents, les parents mariés, veufs ou célibataires et
leurs fils célibataires, leurs filles et leur concubins attendant
d'avoir assez d'argent pour se marier et aller vivre chez les parents du mari,
leurs fils mariés avec leur femme et leurs enfants.
Dès que les maris ont assez d'argent, ils construisent
un nouveau foyer près de celui des parents et vivent avec leur femme et
leurs enfants. Il y aurait approximativement deux enfants par couples.
Cinq foyers au village vivraient avec plus de dix personnes,
essentiellement les familles akha et pala.
3.13. Le temps : Fonctionnement du calendrier khamou.
Le cycle lunaire constitue la base du décompte du
temps. Les mois comptent 28 jours et commencent avec la pleine lune.
Néanmoins, un calendrier basé seulement sur les cycles lunaires
ne pourrait servir de base pour l'agriculture, dans la mesure où une
année lunaire compte 10,8 jours de moins qu'une année solaire et
que les saisons se décaleraient chaque année dans le calendrier.
Pour cette raison, un mois intercalaire est rajouté tous les trois
ans
130 Yves Goudineau, 1996.
après les 3e, 4e ou le 5 e mois pour
rétablir l'équilibre avec le cycle naturel. Le calendrier khamou
est donc basé sur l'observation de la nature (les cycles de la lune, du
soleil et des saisons) et sur des calculs mathématiques.
La << semaine » khamou comporte 10 jours auxquels font
souvent référence les villageois. Le cycle dénaire est
utilisé à la fois dans les villages khamou et les villages
Thaïs.
1er jour : Kaa ou Skaa, 2e jour:
Kaap ou Skaap, 3e jour: Rap ou
Slrab, 4e jour: Ouaï ou
Slaouaï, 5e jour: Meng ou Smeng, 6e jour:
Pek ou Splec, 7e jour: Cut ou Scut, 8e
jour: Cod ou Scod, 9e jour : Rouang ou
Slrhouang, 10e jour : Tao ou Stao.
Au village de Bouamphanh, les villageois ne travaillent pas les
jours où leur père est décédé. Pour chaque
foyer, un jour chômé est donc différent de celui de son
voisin.
Pour le chef du village il s'agit du jour Meng. Il ne
pourra pas travailler ou faire de soukhouane car il n'a pas de chance
ni de courage à donner ce jour là. Il ne peut donc créer,
produire et faire des voeux durant les soukhouane. Il doit être
humble et accepter de ne rien réaliser devant la mémoire de son
père défunt. Un rituel privé est réalisé
dans la maison et la forêt-cimetiere à l'écart des
regards.
Le jour de l'esprit du village131 ou << jour
du village »132 est aussi très important. C'est un jour
chômé collectivement. Il faut honorer l'esprit ou l'âme du
village en lui apportant de la nourriture à l'extérieur de la
zone des habitations, en récitant des paroles sacrées en langue
khamou et en respectant les interdits. Chaque village à un jour
différent pour honorer ses esprits. Le jour de l'esprit de chaque
village est très souvent le jour du marché au village. A
Bouamphnanh il s'agit du jour Rouang.
Sur ce cycle de 10 jours se superpose un cycle de soixante
jours obtenu par la combinaison des termes de la première liste de 10
jours et de 12 nouveaux termes d'une nouvelle série qui ne s'emploie que
combinée avec le cycle dénaire. Les termes de la série
dénaire sont employés cinq fois et ceux de la série
duodénaire six fois.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Tche plao nji mao si se snga mot sén rao sét
ke
1 Kaa Kaa plao Kaa mao Kaa se Kaa mot Kaa rao Kaa ke
2 Kaap kaap tche kaap nji kaap si kaap snga kaap sén
kaap sét
3 Rap Rap plao Rap mao Rap se Rap mot Rap rao Rap ke
4 Ouaï Ouaï tche Ouaï nji Ouaï si
Ouaï snga Ouaï sén Ouaï sét
5 Meng Meng plao Meng mao Meng se Meng mot Meng rao Meng
ke
6 Pek Pek tche Pek nji Pek si Pek snga Pek sén Pek
sét
7 Cut Cut plao Cut mao Cut se Cut mot Cut rao Cut ke
8 Cod Cod tche Cod nji Cod si Cod snga Cod sén Cod
sét
9 Rouang Rouang plao Rouang mao Rouang se Rouang mot Rouang
rao Rouang ke
10 Tao Tao tche Tao nj Tao si Tao snga Tao sén Tao
sét
Olivier Evrad133 avait élaboré un
diagramme légèrement différent de celui-ci, les termes
collectés dans la région de Luang Nam Tha n'étant pas dans
le même ordre que les termes collectés à Muang Khoua. Les
villages dans lesquels il avait travaillé était bien
habités par l'ethnie Khamou mais du sous groupe Khamou rook et non du
sous groupe ethnique Khamou
131 Nang Phadèng Poupa est le nom de l'esprit du
village de Bouamphanh.
132 Tayanin : 1994.
133 O. Evrard, 2001 : 207.
ou de Muang khoua. Ceci explique peut-être les
différences. La chronologie des jours que Olivier Evrard avait
établie ne peut plus être validée avec ce nouveau
diagramme. Il ne sera donc pas proposé de termes chronologiques
journaliers.
On trouve chez les Thaïs des calendriers basés sur
ce même cycle de soixante et présentés sous la forme d'un
diagramme similaire. La combinaison de séries dénaire et
duodénaire semble provenir de la tradition chinoise dans laquelle elle a
servi depuis longtemps à compter les jours, les mois et les
années134.
Chaque terme combiné entre le cycle dénaire et
duodénaire figure des situations particulières et donnent des
indications relatives à l'organisation des activités humaines,
profanes ou sacrés chez les Khamou. Les indications relatives à
l'activité humaine peuvent être de l'ordre de l'interdit ou au
contraire de l'acte bénéfique. Les figures organisant les
agissements humains peuvent être relatives aux légendes, à
l'observation des cycles naturels, aux évènements de la vie,
lesquelles on se doit de rendre hommage135.
Les activités humaines, domestiques, agricoles,
profanes ou sacrés sont donc dépendantes des significations du
calendrier. Chaque activité doit être réalisée sous
de bonnes auspices, les bons jours du calendrier.
1er jour : Kaa ou Skaa, le jour des «
corbeaux >>.
2e jour: Kaap ou Skaap, le jour de « la
prière >>.
3e jour: Rap ou Slrab, le jour du « don
>>.( Bon jour !)
4e jour: Ouaï ou Slaouaï, le jour du
« tigre >>. (Très bon jour pour les brûlis.) 5e jour:
Meng ou Smeng, le jour de « l' élévation
>>.
6e jour: Pek ou Splec, le jour de «
l'ébullition >>.
7e jour: Cut ou Scut, le jour de la «
coupe >>.
8e jour: Cod ou Scod, le jour de « l'ombre
>>.
9e jour : Rouang ou Slrhouang, le jour
« où bascule la fleur de riz >>.(Jour de l'esprit du village
de Bouamphanh. Jour de marché. Le choix de ce jour pour honorer l'esprit
du village tient d'une histoire locale datant de plus de 35 ans. Personne n'a
pu la raconter.)
10e jour : Tao ou Stao, le jour de
« la tortue >>.
3.14. Les marchés :
Les villageois se rendent principalement aux marchés de
leur village, à Pak Nam May et à Sam
134 Le cycle de soixante est également utilisé chez
les Khamou pour nommer les années : 1995 était une année
raapke d'où un siècle de 60 ans.
135 Tayanin 1994 : 62-63-65.
Phan Xay. Chaque marché a lieu tous les 10 jours. Le
premier marché local est à Sin Xay. Le lendemain le marché
à lieu à Lat sang, le sur-lendemain à Bouamphanh et enfin
à Muang Khoua.
Le plus gros marché se situe à Lat Sang. A 60 km
de bouamphanh, à mi chemin entre Sin Xay et Khoua, il est
localisé sur la route bitumée qui se poursuit jusqu'au
Viêt-nam, à Dien Bien Phu.
Le village de Sin Xay est pourtant le véritable
carrefour dans la région. Il est situé à l'intersection
des routes qui mènent à l'Est et au Nord. Il pourrait être
le marché le plus attrayant. Les habitants des montagnes au nord d'Oudom
Xay, Muang La, Lat sang et Khoua se trouvent approximativement à la
même distance de Sin Xay.
Les responsables du village m'ont d'ailleurs fait savoir que
les responsables du district de Khoua souhaitaient développer Sin Xay.
La première maison en ciment a été construite cette
année. De nombreuses familles viennent s'y installer pour monter des
épiceries-restaurants pour les voyageurs et une famille à
construit une maison d'hôte modeste de 2 chambres et 6 places. Un
commissariat et de nombreux policiers sont présents pour contrôler
les allers et venues des groupes ethniques montagnards.
Développer Sin Xay serait un avantage pour les villageois
de Bouamphanh qui ne seraient lus qu'à 20 km et 30 minutes du plus
important marché avoisinant.
Aux marchés, il fut intéressant de constater que
les villageois ne savaient pas quelle origine avait le riz qu'ils achetaient.
Aucun écriteau ne pouvait leur faire connaître les provenances des
biens de consommations et les vendeurs parlaient rarement lao mais chinois.
Sans l'expérience de certains villageois, ils n'auraient pas pu
connaître l'origine de ce qu'ils mangeaient. Il semble que l'absence
d'indication sur les origines des denrées alimentaires ne soit pas un
soucis pour les villageois.
3.15. L'organisation du travail villageoise :
Affaiblissement de l'entraide.
Les parcelles ne sont pas travaillées en commun avec
d'autres familles. L'assolement est dit dispersé après
l'exécution du programme d'allocation des terres entériné
en 2000. Chaque famille est relativement indépendante pour choisir les
modalités d'exploitation de leurs parcelles. Les cinq groupes de travaux
agricoles, constitués par le conseil des anciens, servent aux besoins
urgents. L'entre aide régulière n'est donc pas
appliquée.
Ces manques sont dus à différentes raisons.
D'abord à une moyenne d'âge très jeune de
la population ne permettant pas d'avoir une main d'oeuvre disponible et
expérimentée toute l'année (uniquement en période
de vacances scolaires : deux mois).
La privatisation des terres, l'assolement dispersé et
le caractère pluriethnique villageois combinés renforcent aussi
les liens. Les identités ethniques s'en trouvent raffermies (« Ici,
c'est un village khamou », « Il y a beaucoup d'ethnies, Cinq
!»), faisant bien savoir que les Khamou sont majoritaires et que la
présence des autres ne changera pas l'appartenance khamou de
Bouamphanh.
Le manque de terre tant affiché par certain villageois ne
peut s'envisager que pour certains paysans pauvres en comparaison de leurs
voisins.
Il s'agit bien souvent des nouveaux arrivants appartenant aux
minorités ethniques villageoises qui connaissent des difficultés
souvent combinées : un manque de main d'oeuvre du au jeune âge des
membres de la famille et parfois à leurs états de santé
médiocres ; un manque d'entraide ; une réduction des surfaces
cultivables ; un appauvrissement des terres ; des outils de mauvaises
qualités et parfois de l'inexpérience des terrains du nouveau
village ;
l'impossibilité d'accéder à des
rizières de vallons pourtant plus productives que les essarts.
Cependant, un nombre important de familles khamou se plaignent d'un manque de
terres pour vivre mais souhaiteraient en faire des productions de rente.
Si un manque de terres cultivables est réel, les
priorités doivent aller aux bénéfices des plus pauvres du
villages qui n'ont pas assez de terres pour vivre et non pour commercer. Le
souhait communautaire devrait être que toutes les familles soient
autosuffisantes. Cependant l'avis général serait plutôt de
faire des réserves financières sans s'occuper des nouveaux
arrivants qui n'ont pas de quoi être autosuffisants.
Un certain caractère privatif et individualiste se
développe donc au village et l'entraide commence à donner des
signes d'essoufflement.
Il est remarquable de noter qu'Yves Goudineau136
avait déjà noté dans un village similaire à
Bouamphanh, habité par des populations khamou de la province de
Phongsaly, relocalisées depuis 10 ans, que l'entraide villageoise avait
diminué au profit d'un salariat villageois. Les villageois les plus
anciens ne faisaient pas tourner les meilleures parcelles.
Dans le cas de Bouamphanh, la situation est comparable puisque
la majorité des rizières irriguées est désormais
acquise en droit de propriété. L'exploitation de ces parcelles ne
sera pas villageoise. Elles ne pourront pas être redistribuées
à de nouvelles familles malgré l'importance qu'elles avaient dans
le choix de venir s'installer à Bouamphanh. La privatisation des terres
paraît être le premier facteur de l'amoindrissement de l'entraide.
L'assolement dispersé qui rend relativement indépendante chaque
exploitation familiale est aussi la source de la diminution de l'entraide.
L'assolement réglé présentait pourtant
des avantages vis à vis de l'économie de travail pour les
clôtures (clôturer en commun un seul pan de forêt villageois
est une économie de temps et d'énergie), un mode de travail en
commun qui permet l'entraide sur des parcelles adjacentes lors de certains
travaux où la main d'oeuvre nombreuse est indispensable (sarclage). Ce
mode d'assolement réglé réduit donc les
différenciation sociales et l'écart économique entre les
familles.
Le passage de l'assolement réglé au
dispersé serait dû, selon certains travaux,137 à
la réduction de la surface disponible à la culture après
l'exécution de l'allocation des terres et aux tensions villageoises qui
en découlent pour la gestion agricole. Il serait dû aussi à
l'augmentation de la densité de la population comme dans le cas de
Bouamphanh.
Les dépendances intra-villageoises sont les faits des
cérémonies auxquelles ils doivent participer pour fertiliser les
parcelles, des dates suivants celles que le chamane choisira pour semer, des
dates que leurs voisins de parcelles choisiront pour brûler leurs
champs138.
136 Y. Goudineau, 1996.
137 Keonuchan 2000.
138 Voir « Technique de brûlis » dans «
L'itinéraire technique ».
4. Les caractéristiques techniques :
4.1. Les ressources :
4.1.1. La forêt :
Les produits forestiers139 de la chasse, de la
pêche ou de la collecte ont encore une grande importance pour les apports
financiers, la diversité alimentaire et à la nécessaire
quantité de nourriture des villageois.
Préparation de l'écorce de mûrier à
papier indispensable pour des ressources financières familiales
très réduites.
Les villageois reviennent toujours des champs avec une
denrée alimentaire collectée sur le parcours du retour à
la maison. Le riz est la base de leur alimentation, mais ils ont besoin de
diversifier leurs régimes alimentaires avec des poissons,
différentes légumineuses sauvages, des rongeurs... La chasse, la
collecte, la pêche ne sont pas des amusements. Les enfants et les groupes
d'adultes peuvent avoir l'air de se faire plaisir à collecter et
à se rendre en forêt, mais revenir bredouille signifie ne pas
mangé beaucoup au retour. Ils ne mangent d'ailleurs pas souvent de
gibier car ils ne sont pas de très bons chasseurs. Les jours où
ils parviennent à tuer un cochon ou un cervidé sauvage, le
chasseur vend des morceaux plus ou moins importants aux voisins. Il peut aussi
décider d'offrir un repas pour la communauté. Dans ce cas, les
voisins qui avaient acheté la viande la ramèneront pour la
cuisiner et participer au frais du repas. Ces repas de chasse sont rares. Les
villageois sont de plus grands pêcheurs que chasseurs. Ils
n'hésitent pas à rester des heures la têtes baissée
dans l'eau avec une arbalète de fortune pour tenter de toucher un
poisson rapide et si petit que l'on se demande pourquoi tant de fatigue pour
quelques arrêtes.
Monsieur Paeng dit passer moins de temps en forêt que n'en
passaient ses parents et pense que la nouvelle génération ne
connaît pas la forêt aussi bien que leurs parents.
Il n'est pas un forestier. Les jours où il passe le
plus de temps en forêt sont ceux de la coupe. Ceux où il ne va
jamais en forêt sont ceux de l'attente de la récolte. Il ne passe
pas son temps en forêt comme le font d'autres chefs de famille qui aiment
chasser et pêcher.
139 NTFP : Non Timber Products forest ou SPAF : Sous Produits
agroforestiers : Pousses de bambous, l'écorce de mûrier à
papier (possa en lao), cardamome, champignons,
légumes-feuilles...
Il va toujours en forêt pour y travailler au champ, y
collecter rapidement et pêcher sans perdre de temps à
l'électricité mais jamais pour y chasser ou collecter, travail
voué aux femmes et aux enfants.
L'endroit où il va le plus souvent est celui où
il doit couper des arbres ou des lianes pour faire des clôtures.
Monsieur Paeng dit ne jamais aller à la source de la
rivière Houai Kha Nga, seul lieu du territoire où il n'a aucun
intérêt d'y aller.
Il peut aller seul en forêt s'en s'y sentir
apeuré. Il ne connaît aucune ancienne histoire locale
racontée à toutes les générations d'enfants qui se
déroule en forêt. Ses craintes viennent des serpents et des
chasseurs qui peuvent le prendre pour un gibier.
Il ne connaît aucun lieu porteur de chance mais avoue
que certains lieux pourraient être habités par des esprits depuis
30 ans. Par contre d'autres villageois en sont persuadés et en ont
peurs.
Le jeune marié pense que les villageois khamou de
Bouamphanh sont frugaux à la différence des Akkha qui se
complaisent à vivre dans la forêt. C'est pourquoi, en comparaison
à ces voisins, le territoire de Bouamphanh possède moins de
forêts protégées que de parcelles (jachères
comprises). Selon le jeune marié, les villages qui aiment faire de
grands repas communautaires, s'inviter à manger entre voisins, sont plus
proches des modes de vies laos et khamou que akkha, nous pourrions
préciser plus proches des agriculteurs que des forestiers.
Malgré cette différence qu'il émet entre
Khamou et Akkha, il ne pense pas que les techniques agraires soient
différentes entre eux. Les Khamou auraient des propensions plus grandes
à une utilisation extensive des terres, alors que les Akkha seraient
plutôt portés sur les produits de la forêt.
Cette utilisation extensive des sols a obligé le
village de Bouamphanh à replanter des arbres pour avoir de belles
forêts dans les années à venir et ainsi pouvoir
commercialiser les bois des plantations, avoir plus de gibier et d'autres
produits forestiers. Une <<belle forêt » est d'abord
considérée par son apparente densité, sa haute
canopée continue, son âge, sa couleur foncée, la
présence de certaines espèces de bois et de
bambous140, puis par les potentiels de son exploitation villageoise.
Les villageois, vivant des produits de la forêt (nous pouvons
considérer aussi bien les cendres végétales utiles aux
essarts, le bois de constructions, de feux, le gibier, les pousses de bambou et
les légumes-feuilles...) sont conscients qu'il faut avoir de
<<belles forêts » pour avoir des récoltes suffisantes,
une alimentation convenable.
Malgré tout, ils ne font pas quotidiennement
référence au conflit forêt-champ. Ce sujet revient à
certaines occasions, lorsque les officiers du ministère Agriculture et
Forêt viennent au village, lorsque l'eau des points d'eau s'amenuise
suite au défrichage de lieux normalement réservés à
l'eau ou lorsque la terre des parcelles s'érode dans la rivière
et empêche les villageois de pêcher à vue. Malgré
leur conscience qu'il faut avoir une <<belle forêt » pour
vivre, ils regrettent de ne pas avoir plus de terres à cultiver et
pensent corollairement avoir assez de territoires forestiers. Pour eux, soit
leurs rizières sont trop petites à cause de l'étroitesse
des vallons, soit leurs essarts ne sont pas assez étendus à cause
de la faible altitude des reliefs.
Si les villageois pensent ne pas avoir suffisamment de terres
cultivables et assez de terres forestières, les officiers pensent le
contraire. Cependant, les villageois font part de leur avis
140 Ce qui peut paraître paradoxale mais qui prouve la
présence d'eau dans le sol et qui peut aussi montrer une certaine
différence d'interprétation de ce qu'est une belle forêt
pour les villageois.
sans critiquer directement l'avis des officiers.
Plus fréquentes sont les critiques directement
dirigées vers <<ceux qui n'en font qu'à leur tête
>>, les kroun kidu et déboisent en zones
protégée des bassins versants, rendant ainsi le débit de
l'eau pratiquement inutilisable pour tous les besoins familiaux.
Si les Khamou de Bouamphanh connaissent des périodes
alimentaires difficiles, regrettant de posséder de bas reliefs et des
vallons étroits, ils préfèrent cependant vivre dans leur
village plutôt qu'en milieu forestier montagnard comme leurs voisins
akha. Ils reconnaissent que la vie y est plus difficile, le travail plus
pénible.
Ils souhaiteraient rester vivre à Bouamphanh et garder
<<la tradition des parents >> tout en ayant les opportunités
techniques des Lao. Un certain nombre de souhaits ont donc été
énuméré : l'accès à
l'électricité publique, à une cuisinière, à
des canaux d'irrigation cimentés, à des motoculteurs, des outils
de qualité comme les pioches, les pelles, des bêches en
quantités, des taules pour les toitures, plus sures que les herbes
à paillotes en saison des pluies, à une route enrobée plus
rapide, moins dangereuse et moins poussiéreuse et à un potentiel
commercial plus important (un marché plus grand, l'accès à
plus de marchés, la venue de plus de clients extérieurs),
favorisant l'économie de rente préférée à
l'autosuffisance qui semble peu à peu délaissée car trop
juste pour la sécurité financière des familles.
Selon la famille du jeune marié, les villageois
passeraient moins de temps à collecter en forêt, à chasser
et à pêcher que ne le faisait les anciens. Certaines personnes
peuvent passer au maximum une dizaine d'heures dans la forêt à
l'occasion des travaux de coupe et lors des sorties de chasses. Ils passeraient
au minimum 30 minutes en forêt par jour pour aller collecter les produits
alimentaires forestiers de bases que sont les pousses de bambous, les
légumesfeuilles et petits animaux piégés dans les
différents emplacements installés par les villageois. Le temps en
forêt n'est pas le seul outil d'analyse pour savoir si leur rapport avec
la forêt est prolongé ou occasionnel. Dans le cas où il
serait prolongé on peut facilement concevoir qu'ils souhaitent garder
leur environnement végétale source d'alimentation, de plaisir
collectifs à être entre amis pour les collectes, et de
repères spatiaux.
Selon le jeune marié, la forêt peut être un
lieu apaisant, intime ou les couples vont travailler mais aussi s'y sentir bien
lors des moments de repos. Le jeune marié dit d'ailleurs que
malgré le fait qu'un mari marche devant sa femme dans les lieux publics
du territoire, ils aiment se retrouver ensemble en forêt.
La forêt est aussi un lieu qui fait peur. Certains
couloirs de végétation non coupés (ruisseaux de vallon
où s'amoncelle la végétation non entretenue), où
personne n'est passé depuis longtemps peuvent abriter de mauvais
esprits, des animaux sauvages qui rendent les villageois attentifs aux moindres
bruits suspects. Les esprits seraient localisés dans les versants, les
parties d'anciennes forêts, plus denses que les forets clairs, des lieux
où il n'y a pas traces de passages humains, ainsi que dans la
forêt- cimetière proche du village. Aucun esprit ne logerait sur
les sommets.
Les différentes activités, légendes qui
sont en rapport avec la forêt sont des marqueurs culturels et
économiques importants pour distinguer les rapports humains à la
forêt. Nous pouvons nous apercevoir que les Khamou passent moins de temps
en forêts que les Akhas et qu'ils recherchent à étendre les
cultures, en acceptant les méthodes lao d'exploitation sédentaire
intensive des terres prônée par les autorités laos. La
conservation de la forêt n'est pas leur soucis premier. Ils seraient plus
tentés de l'exploiter sans limite comme le font déjà
certains
thaïs ou lao qui n'hésitent pas à
défricher de vastes zones protégées dans les parcs
nationaux de Sayaburi et de Phongsali. Lorsque la dépendance
économique à la forêt diminue, sa conservation n'est plus
primordiale et il faut alors concevoir un intérêt
écologique qui n'est pas encore l'apanage des villageois de la
région.
4.1.2. Le riz et le maïs :
A Bouamphanh, les villageois ont désormais choisi de
produire autant de maïs que de riz glutineux (environ 40% de chacune des
productions). Le sésame et les plantations d'arbres arrivent en second
plan (20% des productions selon le chef) avec les légumineuses, le
coton, le tabac et les piments. Ces proportions égales de productions de
riz et de maïs n'est pas aussi marquée à l'échellle
nationale comme nous avons pu le constater dans le chapitre << Economie :
Un pays sous développé >>. Le cas de Bouamphanh, sans
être rare est significatif des changements agraires qui s'opèrent
dans la région.
4.1.2.1. Les espèces de riz glutineux
cultivés au village : Les espèces de riz les plus cultivés
:
- Le riz << de pierre >>141 qui se plante
de préférence dans le haut de l'éssart et a besoin de 3
mois de levée.
- Le riz << plein >> qui se plante de
préférence dans le bas de l'éssart et à besoin de 3
mois de levée. Il est considéré de meilleur qualité
que les autres espèces et coûte en contre partie plus cher.
- Le riz << propre >> qui se plante dans le bas de
l'éssart et a besoin de 3 mois de levée.
Les espèces de riz les moins cultivées :
- Le riz << violet >> qui se plante autour de la
cabane d'éssart et a besoin de 4 mois de levée. - Le riz <<
gagnant >> qu a besoin de 5 mois de levée.
- Une espèce non traduite qui se plante dans le bas et a
besoin de 3 mois de levée.
Toutes les espèces n'ont pas été
énuméré. Il conviendrait de poursuivre leur inventaire. Le
Laos est le second contributeur de la banque mondiale de germeplasmes de
l'IRRI142. 12 555 échantillons dont 6717 échantillons
de riz glutineux proviennent du Laos.
<< Ces espèces sont différentes autant du
point de vue de leurs maturités, de leurs tailles, de leurs odeurs, de
leurs goûts >>143, de leurs prix, des habitudes
familiales, de leurs quantités mises en réserves par chaque
génération, de leurs utilisations régulières dans
chaque famille, de leurs accessibilité locale sur les marchés,
chez les voisins. Les raisons de cultiver des espèces plutôt que
d'autres tiennent autant à des facteurs pratiques et rationnels
qu'à des facteurs irrationnels, psychologiques et sociaux.
Lorsque nous interrogeons les villageois sur les raisons de
préférer consommer du riz glutineux
141 Toutes les traductions sont du mot à mot.
142 Institut de Recherche Rizicole International.
143 Jeune marié de 22 ans.
plutôt que du normal, aucune raison n'est donnée,
sauf une petite moue de dégoût vis à vis du riz normal.
Tous les riz glutineux auraient la capacité d'être
cultivés dans tous les essarts du territoire comme le sont les
espèces de riz normaux cultivées par les voisins akha.
4.1.2.2. Le maïs :
Les villageois utilisent en moyenne un essart-jardin de 0,5
à 1 ha par famille pour y planter essentiellement du maïs d'origine
vietnamienne apporté, acheté et vendu à Monsieur Paeng qui
contrôle donc toute la chaîne commerciale au village. Les
villageois cultiveront un maximum de 3 années. Après cette date
ils devront redemander aux responsables agroforestiers locaux l'autorisation de
cultiver cette même parcelle ou une autre.
Le monopole des semis de maïs n'est pas perçu comme
un facteur d'appauvrissement des terres.
Les essarts-jardins ont un objectif de rente pour ensuite
pouvoir acheter le riz. Ces champs ne sont donc pas autant
contrôlés, surveillés que ne le sont les essarts de riz qui
sont pour l'autoconsommation familiale. L'appauvrissement des essarts-jardin de
maïs n'est pas aussi critiqué que ne l'est l'appauvrissement des
essarts de riz. Les villageois ne voient pas en quoi le développement du
maïs pourrait leur porter préjudice. Pourtant ils sont conscients
qu'exploiter les mêmes sols sur plusieurs années
consécutives appauvrissent les terres, ne permettent pas à la
végétation de reprendre et donne à la longue des mauvaises
récoltes.
Les terres rouges, désertiques ne peuvent elles pas
être crées par l'absence prolongée de
végétation protectrice de l'assèchement ?
L'association des différents cultivars et
espèces sur un même terrain est considérée par les
paysans comme bénéfique pour la fertilité des sols. Cette
considération fut d'ailleurs confirmée au village par l'O.N.G.
« Quaker » qui les rassura dans leurs techniques traditionnelles.
La développement du maïs qui prend peu à
peu la place des cultures de riz n'est cependant pas critiqué. Il semble
que le maïs était autrefois exploité en association avec les
cultures d'opium. Depuis que ces cultures ont disparues, celles du maïs
ont colonisées les espaces vides.
L'artisanat n'est pas répandu au village, mais beaucoup de
familles pauvres arrachaient l'écorce des mûriers à papier
pour l'effiler au village et le vendre en tas en ville.
4.2. Les outils
4.2.1. Le calendrier agricole :
Selon le chef du bureau provincial chargé de
l'agriculture et des forêts144, dans le Sud de la province de
Phongsaly, les premiers brûlis commencent en février, car le
climat y est plus sec qu'au Nord, la mousson arrivant par le Sud, les
calendriers agricoles déterminent d'effectuer les travaux plus tôt
au Sud qu'au Nord de la province. Les dernières coupes s'effectuent
à a mimars car il faut encore un mois pour faire sécher et
brûler l'abattis avant les pluies qui viennent à la date butoir du
nouvel an bouddhiste, vers le 12 avril. Ses informations ont été
vérifiées au
144 Source : Entretient.
village de Bouamphanh avec le calendrier agricole du village
suivant.
Le respect des traditions par le suivi des dates, des dictons
et des choix du chamane ainsi que les connaissances personnelles des
prévisions météo et les adaptabilités
matérielles, économiques, sociales et sanitaires sont les
facteurs importants de la qualité des travaux et des récoltes.
Le calendrier tient compte des dates qu'ont choisi les
différentes familles du village. Les premières familles pourront
commencer un nouveau travail pendant que d'autre n'auront pas fini le
précédent.
Les travaux de brûlis et de débardage-sarclage
doivent obligatoirement être réalisés avant les pluies
persistantes sinon il faudra attendre que le soleil sèche à
nouveau l'abattis et sarcler à nouveau des adventices qui repoussent
très vite avec les quelques heures de pluies. C'est pourquoi nous avons
indiqué les dates des premiers orages, qui correspondent aux dates du
nouvel an lao, ainsi que les dates des premières pluies persistantes.
1. Du 25 février au 25 mars : coupe des essarts à
riz.
2. Du 5 mars au 10 avril : séchage de l'abattis de riz et
de maïs.
3. Du 8 avril au 10 avril : coupe des essart-jardins de
maïs.
4. Du 8 au 13 avril : brûlis des essarts de riz.
Le 12 avril : Le premier orage.
Du 13 au 16 avril : la nouvelle année lao.
5. Du 12 au 28 avril : brûlis des essart-jardins de
maïs.
6. Du 14 au 30 avril : débardages, nouveaux sarclages des
essart-jardins de maïs. Le 21 avril : Premières pluies
persistantes.
7. Du 17 avril au 14 mai : semis de maïs, constructions ou
réhabilitation de cabanes de champs.
8. Du 22 avril au 30 mai en interruption : Constructions de
barrières et de cabanes de rizières irriguées. Sarclage de
leurs adventices et reconstruction des canaux d'irrigation.
9. Du 20 Mai au 10 juin : semis de riz pluvial.
10. Fin mai-début juin : Semis de riz irrigué.
11. Juillet : un sarclage et récolte de certains
légumes (courges...).
12. Août : un sarclage. Récolte de certains
légumes (sésame, manioc, concombres, aubergines, feuilles de
coriandre...)
13. Mi-Septembre : Récolte de maïs.
14. Fin septembre : Récolte de riz pluvial.
15. Octobre : Récolte de riz irrigué.
Approximativement à partir du 10 avril (date des
premiers brûlis) jusqu'au mois de juillet (date des seconds sarclages),
les villageois ne chôment pas. Il s'agit de la période de
l'année la plus chargée en travaux agricoles.
Le quantité de travail par actif (0,9 ha cultivé
par an par actif) associé à un assolement dispersé et un
manque d'entraide villageois participent à densifier les travaux sur une
courte période qui va des mois de février à la mi-juin.
L'entraide aurait pu étaler plus facilement les travaux, laissant des
temps de repos entre les étapes agraires.
Le calendrier de Bouamphanh semble à la limite de son
fonctionnement. Les délais deviennent trop courts !
4.2.2. La météorologie :
Les anticipations au jour précédent ou au matin
même sont bien souvent hasardeuses. Les villageois changent souvent
d'avis pour diagnostiquer d'éventuelles pluies. Une des sources
sérieuses pour prévoir l'arrivée de la pluie est sans
conteste un vent violent accompagné de nuages noirs. Leurs
prévisions météo ne sont donc pas infaillibles. Ils
doivent s'adapter au jour le jour pour savoir quels travaux effectuer dans les
champs.
Selon le jeune marié, la météo doit
correspondre aux travaux agricole. Le jour du semi, les membres de la famille
ont besoin d'une période ensoleillée afin d'éviter que ne
s'érodent les sols sous les pluies et les travaux manuels. Pour le semi
du riz en rizière irriguée ils ont par contre besoin d'une
période de pluie.
Afin de savoir quel jour effectuer les travaux, ils
prévoient la météo avec trois ou quatre jours d'avance.
Ils regardent le temps tous les matins et s'adaptent beaucoup plus au jour le
jour qu'ils n'anticipent la météo. Il se servent de l'observation
de la direction des nuages, de leurs couleurs, à la présence
d'étoiles la veille au soir qui prévoirait une journée
ensoleillée le lendemain, à la force du vent quelques heures
avant des orages.
Si la pluie a décidé de tomber toute la
matinée, ils travailleront moins et iront s'abriter dans leurs cabanes,
mais sortiront de temps en temps sous le crachin pour avancer un peu leur
travail et ne pas trop perdre de temps sur la saison des pluies qui arrive. Les
prévisions météorologiques sont d'ailleurs peu fiables,
puisque le jeune marié donnait 50 % de probabilités aux
prévisions et que celles-ci changeaient très souvent du tout au
tout en l'espace d'une heure et les dates traditionnelles du début de la
saison des pluies ne concordaient plus depuis 5 ans. Cette année 2006,
les premiers orages arrivèrent le vers le 20 avril, mais les pluies de
plus d'une heure durent attendre le 15 mai et les crachins d'une
journée, le début de la saison des pluies selon eux,
arrivèrent le 4 juin.
Les dates traditionnelles sont par contre respectées
car elles ne sont pas qu'utiles aux prévisions
météorologiques villageoises...
La prévision des travaux par les prévisions
météo se fait en fonction des dictons météo :
«Pendant la lune montante, le riz monte en montagne et
pendant la lune descendante le riz redescend de la montagne", ce qui implique
qu'il faille intervenir pour certains travaux lors de la croissance du riz,
lors du jour le plus symbolique, le plus marquant, le dernier du cycle de 15
jours de la lune croissante, la pleine lune, avant que ne décroît
le riz.
Les prévisions des travaux se font aussi en fonction
des dates traditionnelles145, et de l'attente de la première
plantation de riz d'essart de l'année qui doit être
pratiquée par le chamane, Monsieur Mao.
Monsieur Paeng pense lui aussi que les villageois travaillent
plus souvent en fonction des changements climatiques quotidiens et moins
souvent en fonction de la croyance habituelle. Cependant, il est conscient que
la croyance correspond en partie à la régularité des
changements météo. Selon Monsieur Paeng, les paysans doivent
s'adapter aux changements
145 Ils doivent brûler leurs abattis avant le 13 avril,
date du début des cérémonies du nouvel an bouddhiste lao
et laotien.
météo quotidiens car << le climat change, il
ne pleut plus à temps car on a détruit la nature ».
Il peut cependant tenter de prévoir des changements
météorologiques à 30 jours d'anticipations, mais il y a
selon lui 50 % de probabilité que ces prévisions soient
justes.
Il connaît quelques dictons météorologiques
qui l'aide à prévoir la météo :
- << Si depuis le matin du 27 avril jusqu'au soir du 28
avril (dernier jour de la lune décroissante), il ne pleut pas, il
fera sec durant une quinzaine de jours encore ».
- << Si les grenouilles croassent, il pleuvra demain
».
- << Si les boeufs rentrent au village, il pleuvra dans une
heure ».
Il se fie cependant beaucoup plus à la
météo de chaque matin qui doit leur permettre d'avoir les
conditions climatiques optimales pour les cultures, c'est à dire selon
lui, environ 35 jours de pluie et 55 jours de soleil accompagné d'un
léger vent.
4.2.3. Les ustensiles :
Les ustensiles des travaux agraires sont un facteur important
du succès des récoltes. Leurs qualités permettent de ne
pas perdre de temps à fixer sans cesse la lame des machettes dans leur
manche ou à racheter tous les deux mois de nouvelles machettes qui se
brisent facilement.
La possession d'animaux de labour est aussi une fonction
primordiale pour les exploitants. L'aventure récente du chamane
l'illustre.
Monsieur Mao possède un hectare de rizière
irriguée et 1.5 hectare d'essart à riz.
Il n'a plus utilisé sa rizière irriguée
depuis 3.5 ans car, la chance l'aurait quittée en faisant mourir de
maladie son unique buffle irremplaçable, selon lui, pour labourer la
rizière plane.
Il pense aussi que la qualité des outils est
très importante pour la qualité des travaux agricoles. Elles sont
fonctions de l'origine des outils. Les meilleurs outils viendraient de
Thaïlande. Leurs lames seraient plus solides, moins cassables, elles ne se
désolidariseraient pas de leur manche et n'auraient pas besoin
d'être aussi fréquemment aiguiser que les outils chinois qui
durent donc moins longtemps.
Une machette qui dure un an coûterait 8.000 kips. Une
machette qui dure 3 an coûterait 10.000 kips. Une machette qui dure 5 ans
coûterait 15.000 kips.
Comme les mobylettes ou les briquets, les objets fabriqués
en Chine sont décriés mais plus utilisés par rapport
à ceux de Thaïlande, car ils sont moins chers.
La plupart des villageois n'utilisent pas de fertilisants
organiques ou minéraux. Ils appliquent parcimonieusement des
désherbants chimiques146 sur les digues des rizières
irriguées ou dans les essarts pluviaux pour alléger les pointes
de travail dû au sarclage d'avant et d'après semi. Ces herbicides
sont vendus à Phongsaly. Ils ne sont normalement pas autorisés
à être vendus et utilisés puisque le gouvernement laotien
à signer la charte de Rotterdam le 24 février 2004,
146 Observation validée par d'autres écrits dont
Kato et al. 1999 et Roder et al. 1995 d.
recommandant l'étiquetage sur les conditions
d'utilisation et les risques élevés des produits. Les villageois
les utilisent pourtant sans protection et ne connaissant ni les doses ni la
nature des produits147.
4.3. L'itinéraire technique148 :
4.3.1. Le choix des parcelles : Appréciation de
leurs qualités :
Le sommet des reliefs est parfois cultivé selon la
qualité des sols. Les villageois n'ont pas fait de
références à la présence ou non d'esprits à
ne pas déranger comme on peut le rencontrer chez d'autres groupes
ethniques. Les essarts pluviaux n'étant pas payants, une fois les
décisions connues du conseil des anciens à propos des zones du
finage où il n'est pas possible de cultiver cette année, chaque
chef de famille juge si il est convenable de cultiver une parcelle plutôt
qu'une autre. Chacun se fie aux indices de la friche qui lui permettent de
prendre la décision de la cultiver ou non.
Le jeune marié pense que son essart pluvial est de bonne
qualité.
Il est fait d'un sol de couleur noir, de terre
argileuse-sableuse. Cela lui paraît convenable pour planter du riz.
Son essart-jardin est selon lui de bonne qualité
puisqu'il est composé d'une terre de couleur rouge faite d'argile et
d'une végétation épineuse qui y pousse. Tout cela est
compatible avec la plantation de sésame149 et de
maïs.
Beaucoup de terres à Bouamphanh sont argileuses, rendant
les villageois heureux d'avoir des parcelles fertiles, mais dangereuses pour
les risques de leur friabilité régulière.
Selon le jeune marié il n'y aurait plus beaucoup de
terrains fertiles disponibles pour de nouveaux arrivants. Toutes les bonnes
terres sont désormais occupées du fait de la réduction des
surfaces autorisées à être cultivées.
Le jeune marié souhaiterait que le village soit encore
plus étendu qu'il ne l'est aujourd'hui. Les nouveaux arrivants n'ont
désormais plus de rizières irriguées disponibles ni
d'essarts à moins d'une heure des maisons, ce qui les obligent à
dormir dans leurs cabanes pour chaque travail à y effectuer.
Le jeune marié ajoute ensuite que coule un ruisseau au
pied de ses essarts, ce qui permet à ses champs d'être
relativement plus humides que d'autres champs sans eaux à
proximités.
Les meilleurs champs sont d'ailleurs toujours à
proximité des cours d'eau, mais ils appartiennent aux habitants
originaires de la localité et qui ont hérité de ces bons
emplacements.
Ses essarts sont exposés à l'Est. Il pense aussi
que cette exposition est bénéfique pour avoir une chaleur et une
lumière matinale dans ses champs et des orages l'après-midi.
147 O. Ducourtieux, 2006.
148 « La suite logique et ordonnée
d'opérations culturales appliquées à une espèce
végétale cultivée permettant de faire la part vis à
vis d'un rendement de ce qui provient des techniques et de ce qui
résulte du milieu et de ses interactions avec les techniques ».
Sébillotte 1990 : 166.
149 mac mangua en langue lao.
Les sols exposés à l'Ouest auraient le soleil plus
asséchant l'après-midi accompagné d'orages en fin de
journées qui lessivent les sols et créent l'érosion
très fréquente dans la localité.
Une bonne terre est symboliquement ce qu'il nomme une
«terre froide >>, un emplacement dans un vallon, à
proximité de l'eau, ayant un soleil plus fort le matin que
l'après midi pour ne pas assécher la terre et les cultures.
Monsieur Paeng se rappelle lorsqu'il était petit qu'il
voyait ses parents travailler la terre, mais il n'est pas lui même un
agriculteur expérimenté. Depuis son mariage il n'avait pas encore
eu le temps d'exploiter ses parcelles comme il le voulait, mais depuis octobre
2005 il a acheté une rizière irriguée à un
héritier de Bouamphanh et il l'exploite toute l'année.
Il pense que la terre de Bouamphanh est bonne à
cultiver. Il est très content de ses parcelles qui sont selon lui
très fertiles pour les cultures du riz et du maïs de saisons
sèche et des pluies et qui sont près du village (5minutes). Il ne
souhaite pas en changer car il ne les a que depuis 8 mois (octobre 2005) et n'a
pas encore cultivé de riz irrigué dessus. Il souhaite donc
essayer, voir si ses prévisions heureuses sont justifiées.
Selon Monsieur Paeng et d'autres villageois, le meilleur champ
du village est une rizière. Elle se situe près du cours d'eau
Houay sang. La composition de son sol est une terre de couleur noire ayant un
mélange d'argile un peu jaunâtre. L'absence de pierres est
favorable à la culture du riz et des arbres fruitiers.
Cependant sa réelle spécificité est que ce
soit une rizière localisée à l'Ouest du territoire. Pour
lui, «les meilleurs champs n'ont pas de pentes >> et sont donc des
rizières irriguées.
Selon lui, un champ laisser sans culture plus d'un an est une
friche.
Après plus de trois ans la friche peut être
considérée comme une forêt. Cependant il existe
différentes forêts définit selon leurs
végétations : forêts de bambou, forêts d'arbustes,
forêts de grands arbres. Sa conception d'une forêt rejoint toujours
celle des autorités laotiennes qui considèrent qu'un friche
devient une forêt à protégée après 4 ans de
recrû forestier.
Dans les forêts de ses essarts, il existe environ 350
bambous et 500.000 arbres de plusieurs espèces différentes. Les
plus gros arbres mesurent environ 8 cm de diamètre.
Monsieur Paeng est conscient que pour un essart, la bonne
récolte dépend en grande partie de la présence des
espèces de la friche et de leurs tailles. De «grands arbres
>> ou «des bambous de plus de 3 mètres >> sont
bénéfiques aux bons rendements. Les herbes sont par contre
néfastes aux bonnes récoltes.
La fertilité du sol est perçue par la
présence d'espèces caractéristiques comme des bananiers
sauvages et des pousses de bambous de plus de 3 mètres, marques d'une
humidité du sol importante et donc de probables récoltes
satisfaisantes. C'est aussi le signe que les années de friche ne sont
pas le facteur principal d'une bonne récolte selon eux. Si une
végétation ayant besoin d'eau reprend, le terrain sera
considéré comme fertile même après une seule
année de jachère.
Il va même plus loin en reprenant les discours officiels
qu'il faut un temps de jachère court de 3 ans car après cette
limite couper les arbres reviendrait à assécher le terrain.
Selon lui, les racines des arbres sont profondément
encrées dans le sol pour puiser et apporter l'humidité à
la terre. Si on coupe les arbres on stoppe le circuit de l'eau et de la
fertilité.
Il ajoute que si aujourd'hui les bonnes récoltes sont
fonction de la qualité des sols et de leur végétation,
«les techniques et les engrais » modernes sont des fonctions plus
importantes des bonnes récoltes si les agriculteurs peuvent les
obtenir.
Selon Monsieur Leng, le chef du village, une friche de 4 à
5 ans a retrouvé sa fertilité grâce à une
végétation de bambous et d'épineux qui donnerait de bon
rendements de maïs150.
La terre de son essart est de couleur rouge, de très bonne
augure selon lui pour planter du maïs mais d'une mauvaise composition pour
le riz pluvial.
Cet emplacement était une friche de 15 ans à la
limite du territoire de Hongleuc, c'est à dire à 30 mn de leur
foyer.
L'âge de la friche est vu par le diamètre des
troncs. Une friche de 15 ans possède des troncs d'environ 15 cm de
diamètre.
Monsieur Leng ne possède cette année qu'une
rizière irriguée et un seul essart. Il décida tout de
même de prévoir d'associer les semis de maïs, de
légumes et de riz pluvial qui a pourtant besoin d'une terre noire, selon
le chef.
Selon le chamane, Monsieur Mao, un sol rouge composé
essentiellement de cailloux est parfait pour le maïs et le sésame
qui n'ont pas besoin de sols aussi humides que le riz.
Les sols noirs composés de cailloux sont le signe d'une
fertilité argileuse. Point trop friables, ils sont maintenus par les
cailloux.
Il pense aussi que les meilleurs champs sont les rizières
irriguées. D'abord parce qu'ils donnent plus de rendement mais aussi
parce qu'ils sont plats et non en pente, sujets à l'érosion.
La présence d'épineux151 à
défricher est mauvaise pour la parcelle.
Comme son voisin Monsieur Paeng, il pense que les parcelles se
trouvant à l'Ouest du territoire sont très fertiles car on y
défriche de grands arbres et une forêt arbustive plus dense car
plus humide qu'ailleurs. A l'Est, les sols sont secs, il y fait chaud, la
friche est herbacée, les terrains donnent de mauvaises récoltes.
Trop exploités, l'humidité à presque totalement disparue
de ces emplacements. La végétation arbustive a beaucoup de mal
à s'y développer. C'est pourquoi on trouve beaucoup
d'essarts-jardins de maïs à l'Est, avoisinant le territoire des
Akha et des essarts de riz à l'Ouest.
Plusieurs indices permettent donc de juger de la
fertilité d'une parcelle lorsqu'elle est encore une friche : la
composition des terres (les sols de couleur rouge, signe de présence
d'argileux semblent bénéfiques à la culture du maïs
et du sésame tandis que les sols noirs sont favorables à la
culture du riz pluvial. La présence de pierre est parfois perçue
comme bénéfique pour le maintient des sols en culture de
maïs), la topographie des parcelles (un terrain plat ou en pente
légère sont préférés), les bons rendements
passés de la parcelle, gage d'une fertilité de la parcelle,
l'appréciation des végétaux de la friche (taille des
éléments ligneux de la friche : le diamètre des troncs, la
biomasse dense, la présence d'espèces indicatrices de phases
postpionnières de la régénération de la parcelle :
bambous et parfois épineux pour la culture de
150 « L'hypothèse que les effets de la friche
soient proportionnels à sa durée semblent logique mais pas
démontrée ». O. Ducourtieux 2006 :36. Mertz 2002 a
examiné 330 études pour conclure que la relation directe entre le
rendement et la durée de la friche n'est pas évidente et
proportionnelle.
151 maï tiou en langue lao ou cratoxylon en
latin.
maïs ; bananiers pour la culture de riz pluvial. Leurs
présences symbolisent de l'humidité dans le sols ainsi
fertilisés), l'exposition de la parcelle (à l'Ouest du territoire
et avec une exposition des parcelles à L'Est), au voisinage des
parcelles (une rivière, une forêt protégée...).
L'âge de la friche, tant valorisée pour être un indice de la
fertilité de la friche dans les travaux scientifique antérieurs,
n'est pas aussi importante pour les paysans du village. L'état
d'avancement de la régénération de la friche est plus
important pour sélectionner une parcelle et elle ne dépend pas
seulement de son âge contrairement aux conceptions gouvernementales
laotiennes qui considèrent qu'une friche devient forêt
après un certain nombre d'année (4 ans).
4.3.2. Technique de coupe152 :
Selon Monsieur Paeng, la coupe des grands arbres est
pratiquée en faveur d'une bonne récolte. Il vaut mieux couper
tous les arbres, n'en garder aucun.
Chaque année, durant 10 à 15 jours, il a besoin
de salarier 25 à 30 personnes pour la coupe. D'habitude il commence le
premier mars de chaque année parce qu'il doit brûler son champ
avant le nouvel an lao (du 12 au 16 avril).
Cette année, les autres villageois avaient
déjà défriché lorsque Monsieur Paeng
commença a défricher une semaine avant le nouvel an. Il ne fit
donc pas comme ses voisins, mais cela s'explique par la nature de la friche
d'essart-jardin à couper. Cette dernière était
âgée d'un an, ne possédant qu'une végétation
herbacée. L'herbe coupée juste avant la limite acceptable du
nouvel an, fut donc rapidement sèche et brûla le 11 avril, la
veille du Jour de l'An lao. Cependant, cette action signa la
marginalité, l'individualisme de Monsieur Paeng, qui ne faisait pas
comme ces voisins et risquait de s'approcher temporairement trop près
des premiers orages interdisant tout brûlis, de chevaucher les dates
limites traditionnelles et d'une certaine façon les habitudes
respectueuses des traditions, des esprits et de leurs sentiments vis à
vis des mauvaises façons de faire. Monsieur Paeng ne s'en souciait pas,
au contraire de ses voisins. Il réussit le tour de force de gérer
lui-même le choix de la date de défrichage, sans le calendrier
traditionnel et avec ses connaissances et adaptations personnelles
limitée de la météorologie.
Il n'y a pas de répartition du travail. Tout le monde
travaille ensemble, en ligne, du bas vers le haut de l'essart, coupant
partiellement trois arbres en montant, puis un arbre entièrement qui
s'écroule sur les autres et fait tout tomber comme des dominos. Les
travailleurs suivent les choix du propriétaire qui choisit souvent de
commencer la coupe dans le bas de l'essart à un endroit où il y a
le moins d'arbres à couper, pour pouvoir commencer doucement la
coupe.
Le travail dans son essart n'est pas ressenti comme
énormément éprouvant car il y fait frais grâce
à l'humidité des ruisseaux proches et aux grands arbres, et les
déplacements sont faciles grâce à la présence des
grands arbres et non des herbes.
Les difficultés des travaux de coupe viennent des
dangers que l'on doit éviter en portant des chaussures et des gants sous
une chaleur de saison sèche, déséquilibré par une
pente parfois très raide et circulant dans une végétation
parfois épineuse, augmentant encore la pénibilité du
travail.
Monsieur Paeng comme d'autres villageois parlent souvent de la
fatigue153, de la pénibilité du
152 thang pa en langue lao.
153 muai lai en langue lao.
travail. Leurs objectifs quotidiens sont de travailler rapidement
à leurs activités puis de rentrer se reposer, manger et passer
une bonne soirée entre amis.
Seuls les enfants ne participent pas à la coupe, trop
dangereuse pour eux. Il y a 19 ans, une jeune fille de 6 ans se trouvait dans
un essart en train d'être coupé et reçu un tronc qui
s'abattit sur sa tête. Elle tomba longtemps dans le coma et devint sourde
et muette. Aujourd'hui Mademoiselle Sang ne vit plus au village. Elle a
déménagé en ville et revient quelques jours par an voir sa
mère, seule avec les cadets. Mademoiselle Sang n'apprécie
guère le milieu rural dans lequel elle est née mais a, par-dessus
tout, peur de se rendre en forêt. Les travaux de coupe sont donc
considérés comme dangereux, essentiellement pour les enfants,
mais un manque de main d'oeuvre et d'engins mécaniques les oblige
à aider leurs parents.
Tout le monde amène sa machette à lame droite.
Un villageois se propose d'aiguiser les lames les jours
précédents la coupe. Ses parents Il recevra pour une
journée de travail, environ 3000 kips. Aux champs, les travailleurs
aiguisent leurs outils à peu près toutes les heures et demies.
Une machette de mauvaise qualité (environ 10.000 kips) peut ne
s'utiliser que 5 jours après avoir été endommagé
durant la coupe. Les meilleures machettes à lames droites doivent,
selon
Monsieur Paeng, avoir 4 cm de large, 35 à 40 cm de long
et 1.3 cm d'épaisseur. Le manche oàest fourré
la lame doit être en bambou et non en bois. Ces machettes de
qualité proviennent de
Thaïlande, coûtent 20.000 kips et les machettes de
qualités moyenne coûtent 18.000 kips et viennent de Chine comme
les outils de mauvaise qualité. Ces prix élevés pour des
villageois khamou obligent souvent à préférer acheter des
machettes à 10.000 kips de mauvaises qualités. Tous les
villageois utilisent pratiquement les mêmes machettes, s'approvisionnant
dans les marchés locaux.
La coupe ou le défrichage de parcelles correspond au
premier travail du paysan. Cette première étape
déterminera l'évolution des travaux. Le choix des dates de coupe
sont fonctions de multiples aléas. D'abord fonction des obligations
traditionnelles : les jours de coupe ne coïncident-ils pas avec le jour
des parents défunts et le jour de l'hommage aux esprits du village,
dates auxquelles tout travail est interdit ?, les aléas sociaux : la
main d'oeuvre est-elle disponible aux bons moments ?, le paysan respecte t-il
le milieu traditionnel dans lequel il vit et travaille ?, a t-il
l'expérience de la coupe, du terrain ? Il faut absolument couper les
arbres de manière à ce qu'ils se chevauchent les uns sur les
autres et qu'il n'y est pas d'espaces vides. Toute la parcelle doit être
un amas de bois, de feuilles et d'herbes. Dans ces conditions, le feu
d'après séchage consumera de façon régulière
l'abattis et ne laissera pas de bois seuls à rebrûler.
Pour faire chevaucher les arbres de l'abattis, les paysans
commencent toujours par couper les arbres de bas de la parcelle pour remonter
vers le haut. Ils ne coupent pas tous les arbres entièrement. Ils
attaquent à 1 m-1,40 m les deux cotés des troncs de 3 arbres qui
se superposent et coupent entièrement le quatrième qui tombe sur
les trois du dessous. Les paysans conservent ainsi leur énergie pour les
longues journées dans l'abattis.
4.3.3. Le séchage prend, selon
Monsieur Paeng, entre 30 et 40 jours. Durant cette période, les
villageois préparent des herbes à paillotes pour construire une
cabane dans chaque champ et préparer des bois pour faire des haies de
champs protectrices des prédateurs.
4.3.4. Technique de brûlis154 :
Le brûlis s'effectue durant la période la plus
sèche de la l'année et de la journée, vers 13 heures, au
moment où souffle un vent sec et où les bois abattus seront les
plus facilement inflammables. Cela permet au feu de ne durer qu'une petite
demi-heure. Traditionnellement, il faut que les champs soient brûler
avant le nouvel an lao. Les brûlis ont donc lieu les 10, 11 et 12 avril
de chaque année.
Les villageois allument de fines tiges de bambous
coupées, longues de 2 à 3 mètres à l'aide d'un
briquet et font démarrer les brûlis aux endroits les plus
exposés aux vents, où il y a de la pente et du bois très
sec. Ils évitent de faire partir les feux sur les herbes afin d'avoir de
grandes flammes que le vent attisera rapidement. La direction des flammes, la
gestion du brûlis est fonction du vent. Le bois très sec, la pente
et le vent créent un impressionnant brasier qui monte très vite
dans le versant.
Les villageois ne peuvent que prévoir les
départs du brûlis et se préparer à
d'éventuels changements de direction du vent en fauchant la
végétation périphérique de l'abattis pour
créer un couloir de sécurité où les flammes ne
pourront brûler quoi que se soit et se propager dans la
végétation voisine. Afin de sécuriser le brûlis, les
hommes sont nombreux (5 à 6 personnes par parcelle), prêts
à éteindre les flammes. Chacun doit être muni d'une
machette pour pouvoir couper des branches susceptibles d'être
brûlées et s'en servir pour éteindre les flammes
indésirables. Ils éloignent tous les produits inflammables qui
peuvent se trouver dans les habitations à proximité des
brûlis. Des étincelles volent très loin emportées
par le vent et peuvent redescendre sur ces produits inflammables. Il n'y a
jamais eu d'incendies accidentels à Bouamphanh car les villageois font
très attention à la sécurité et surtout à ne
pas devoir payer une amende pour avoir incendié des emplacements de
forêts protégées.
Pourtant, en périphérie des brûlis sont
toujours calcinés les alentours des forêts adjacentes. Olivier
Ducourtieux a calculé qu'une bande d'un ou deux mètres sur tout
la périphérie des forêts avoisinantes revenait à
brûler inutilement 1,3 % de la surface cultivée de chaque parcelle
soit pour le village de Bouamphanh : 0,37 ha des 350 ha défrichés
chaque année.
Pour que le brûlis soit réussi, «il faut que
tous les arbres, herbes et graines soient brûlées » afin
d'éviter la repousse des herbes adventices durant les cultures. La
qualité des brûlis se jugera au désherbage. Si beaucoup
d'adventices sont à éliminer, il existe plusieurs raisons qui
peuvent s'associer selon Monsieur Paeng. Le séchage après la
coupe n'a pas duré assez longtemps, les arbres n'ont pas
été correctement enchevêtrés pour bien sécher
puis brûler, les flammes n'ont pas bien brûlé, l'essart
prêt à être cultivé n'était pas assez
«propre », délesté des masses végétales
partiellement brûlées qui favorisent le retour des herbes.
Les femmes et les enfants ne participent pas à ce
travail de brûlis. Monsieur Paeng dit que les villageois ont peurs des
accidents et que pour cette raison, il n'y a que les hommes qui brûlent
les abattis. Les femmes et les enfants restent en arrière pendant les
opérations. Les garçons peuvent seulement se rendre dans
l'abattis une fois les grandes flammes éteintes. Ils aident à
éteindre les dernières braises et ramènent parfois des
animaux morts, étouffés ou calcinés. Leurs grands
frères s'y rendent aussi accompagnés d'un fusil pour chasser les
animaux apeurés.
Si le brûlis est considéré par les
villageois comme le travail le plus dangereux, obligeant à être
154 djoud pa en langue lao.
très attentif, il est aussi le plus attendu par les
villageois, symbolisant par un feu toujours surprenant mais producteur, le
passage de la forêt au champ, de l'anarchie végétale au
terrain clair humanisé, le passage de l'état de nature à
celui de culture. Ne demandant pas d'achat particulier d'outil et relativement
facile et rapide à exécuter, le brûlis est le travail
préféré des villageois. Cependant le brûlis est le
plus dangereux des travaux, celui dont les paysans ont le plus peur.
Le choix des jours du brûlis se font selon divers
facteurs. D'abord, en fonction des voisins akha qui habitent en amont de
Bouamphanh. Pour éviter tout feux accidentels venues des parcelles
brûlées précocement chez les Akha plus en amont, ainsi que
pour éviter toute pollution due aux semences colonisatrices plus
précocement plantées chez les Akha, les villageois de Bouamphanh
choisiront de brûler leur abattis juste après leur voisin.
Ensuite, ils préféreront les jours kaa, Ouaï et
Cut de leur calendrier. Ces jours sont bénéfiques,
recommandés par la tradition (les anciens, le chamane...), pour les
grands et «beaux » brûlis.
Le choix des dates de brûlis se fait aussi selon les
conditions météorologiques du moment. En 1995, la pluie arriva
plus tôt que prévu (avant le 12 avril, premier jour du nouvel an
lao). Personne n'avait alors commencé à brûler et les
cultures furent maigres et de très mauvaises qualités.
Pour que le brûlis n'incendient pas les forêts
voisines, les paysans débardent et défrichent souvent la
périphérie de leur abattis, créant des couloirs coupe-feu
de 10 m de largeur. Ces couloirs ne sont pas toujours mis en place. Si la
végétation voisine est une friche herbeuse, sèche, il
conviendra de faire un couloir. Dans l'autre cas, la végétation
arbustive et verte ne pourra pas être incendiée.
A la fin du brûlis, les jeunes vont éteindre les
derniers feux et tenter de récupérer ou chasser des animaux morts
ou apeurés dans le brûlis.
Après cela, les villageois ne reviennent pas dans les
brûlis durant 2 à 3 jours après leurs extinctions.
Selon eux, ils risqueraient d'avoir de mauvais sorts, comme
des maladies ou de mauvaises récoltes. Le brûlis récent
semble donc symboliser pour eux un lieux où les mauvais sorts pourraient
s'abattre.
Noir, noircissant, asphyxiant, chaud, désertique, le
brûlis paraît être l'incarnation d'un lieu horrible où
tout fut brûler et n'est plus que cendres.
Les paysans interrogés sur les raisons de brûler
les jours conseillés par leur calendrier, y voient un signe du pouvoir
puissant des ancêtres défunts, de leurs consentements à
favoriser les travaux des paysans. Les couleurs du brûlis, la vitesse,
les mouvements, la taille du brûlis, sa dangerosité et sa finition
sans dommage humains sont autant de justifications pour juger d'un bon
brûlis et pour savoir si le village est sous de bons auspices.
4.3.5. L'éclaircissage du brûlis ou le
débardage155 s'effectue 4 ou 5 jours après le
brûlis. Il faut compter un maximum de 15 jours et un minimum de 7 jours.
Les villageois ramènent environ 5 à 7 m cube de bois non consumer
du brûlis au village pour s'en servir au foyer. Ils n'en vendent pas aux
voisins comme peuvent le faire certaines ethnies pour approvisionner les
villes. Les bois non consumés étaient très souvent
isolés dans la parcelle brûlée. Ils n'ont donc
155 haa hay ou huu mai en langue lao.
pas été brûlés totalement. Ce
travail difficile de débardage montre combien il est important de couper
au bon moment pour pouvoir laisser sécher un bon mois avant
l'arrivée de la pluie et ainsi pouvoir brûler correctement.
Un débardage de 15 jours raconte aussi que beaucoup de
bois n'ont pas brûler, preuve qu'il est important de regrouper les arbres
en les faisant tomber les uns sur les autres lors de la coupe afin
d'éviter les espaces et un mauvais brûlis.
Type de brûlis trop rapide qui n'a pas bien consumer
l'abattis.
Monsieur Paeng doit débarder avec 15 à 20
personnes dont toute sa famille pour faire des allers et venues dans le
brûlis. Il n'y a pas de division sexuelle, générationnelle
ou particulière du travail comme on peut retrouver pendant d'autres
travaux. Ils regroupent les bois, en sélectionnent quelques-uns qu'ils
ramèneront et utiliseront au foyer et brûlent par petit tas tout
le reste de végétation (herbes, brindilles, jeunes pousses, gros
bois) restante. Le débardage commence d'abord par les gros bois qui
encombrent le champ et empêchent de débarder les petits bois. Il
leur faut 2 km aller et retour pour ramener les bois à la maison.
Pour le travail d'éclaircissage du champ qui
évoque soit un débardage, soit un sarclage soit les deux
combinés, Monsieur Paeng utilise des machettes à lame droite et
courbées ainsi que des pioches pour ratisser les herbes et plants encore
vivants. Les machettes à lame courbées coûtent aussi entre
10.000 et 20.000 kips, selon les qualités. Ils ne déracinent pas
mais bêchent à 2 ou 3 cm en profondeur. Le sol calciné
s'érode facilement devenant poussière. Les racines permettent de
tenir la terre dans certains versants. Ils ne déracinent donc pas les
racines serpentants en surfaces, mais devront désherber intensivement
lorsque les racines auront redonné des adventices.
Les difficultés de ce travail sont dues à la
sécheresse. La chaleur oblige bien souvent les travailleurs à ne
travailler que le matin et à pêcher, préparer les haies et
cabanes de champs, rester aux travaux du foyer ou se reposer
l'après-midi. Le combat contre la chaleur déséquilibre
celui contre le temps. Un travail qui prenait normalement entre 7 et 15 jours
pleins devient un travail de longue haleine de plus d'une vingtaine de
demi-journées. Le risque est de se
rapprocher trop près de la période des
premières pluies et ainsi de ne pas avoir le temps de sarcler les
dernières herbes, de les faire sécher et des les brûler
avant que les pluies ne ressourcent les adventices qui en quelques jours
redeviennent de véritables prédateurs de cultures. Un sarclage et
un débardage trop lent par la faute de la chaleur peuvent obliger
à un second sarclage après le passage de premières pluies.
Lorsque l'on sait qu'il faut entre 15 et 20 personnes à salariés
10.000 kips la journée par personne, un second salariat ou un travail
solitaire très lent et pénible de sa part deviendraient presque
dramatiques pour ses cultures et la survie de sa famille. C'est pourquoi
Monsieur Paeng a demandé à 4 élèves de venir
l'aider une journée dans son essart. Sa femme a réussi à
persuader les enfants d'aller aider son mari.
Il faut ajouter aussi que les paysans peinent vite sous le
soleil. Ils gardent des gants, des manches longues, des chapeaux et parfois
même des foulards pour ne pas que leur peau brunisse au soleil. La valeur
qu'ils accordent à la peau blanche est plus importante que l'on croit.
Etre brun de peau signifie être un paysan, un pauvre. Les villageois
souhaitent restés blanc de peau et rendent le travail au champ encore
plus pénible qu'il ne l'est déjà. Il faut souffrir pour
être beau. Les femmes et les filles sont les plus attentives à ne
pas brunir. Certains hommes, surtout mariés, ne font plus d'efforts pour
se protéger du soleil, étant conscients qu'il s'agit de beaucoup
d'effort pour quelques futilités esthétiques.
selon le jeune marié, certaines espèces de
bambous et de bois doux, abattus, calcinés en partie puis
débardés des champs sont utilisés pour les cabanes et les
barrières de protections des champs. Si il en reste encore, ils seront
utilisés pour rénover des parties de l'habitation principale ou
seront vendus aux voisins, mais seront très rarement utilisés
pour le feu. La vente des espèces de bois mai craa, mai say, mai
couang deng156 (en langue lao) trouve essentiellement une
clientèle lao venant des villages installés à des
altitudes plus basses. Les prix de ses espèces varient de 2500 à
3000 kips pour 5 mètres cube en moyenne, mais peu atteindre 15.000 kips
pour la même quantité s'il s'agit de bois rares et robustes comme
le mai sao157, utilisés pour les pilotis ou les
poteaux centraux des maisons.
Tous les bois restant après brûlis ne sont pas
débardés. Ils laissent en place les souches enracinées (ne
dessouchent que pour construire des rizières irriguées ou des
bassins piscicoles) et des troncs entiers en travers du versant pour favoriser
la germination et la qualité des plants. Ils plantent à
proximité de ces bois fertiles essentiellement des légumes. Ces
troncs allongés et les souches enracinées permettent aussi un bon
retour des arbrisseaux de jachères.
4.3.6. Attendre entre le débardage et le semi :
Généralement, les paysans sèment
approximativement trois jours après le débardage et les derniers
petits feux pour avoir le temps de bien vérifier que le brûlis est
net, qu'il n'y ait plus de bois à débarder et brûler et que
les jours sacrés ne coïncident as avec les jours du semis. Un semis
suivant rapidement les petits brûlis est bénéfique pour la
fertilité de la terre158. Les cendres fertilisantes,
pénètrent le sol humidifié en profondeur.
156 Traductions non enregistrées.
157 Traduction non enregistrée.
158 Une large partie des éléments minéraux
de la friche calcinée se perd si le temps de développement des
cultures est trop long. O. Ducourtieux : 2006 : 36.
Cette année, un nombre important de paysans ont attendu
beaucoup plus longtemps avant de semer. Cette originalité est due selon
eux, à l'attente des premiers orages à la date du nouvel an
(approximativement du 12 au 16 avril). Cependant, les orages ne sont parfois
pas suffisants pour commencer à semer et espérer des pousses
rapides. Une période de sécheresse peut suivre le brûlis,
retardant l'arrivée des pluies et les semis. Les paysans
préfèrent attendre les premiers orages, signes de
l'arrivée de la saison des pluies, plutôt que de perdre leurs
semences asséchées.
Une autre raison de l'attente s'est expliquée par l'aide
que certaines familles apportent à d'autres familles
prioritaires159 pour semer.
Enfin une dernière raison de l'attente entre le
débardage et le semis est la construction de barrières de
rizières inondées protégeant des animaux.
4.3.7. Protéger les cultures :
L'augmentation de ses productions lui a valu de faire beaucoup
plus attention aux prédateurs. Il doit désormais prendre plus de
temps pour construire seul des barrières et des pièges contre les
rats et les cochons.
Il fabrique des barrières composées de 6 poteaux
horizontaux mis en parallèle sur 1 m 60 de hauteur. Pour effectuer le
tour du champ il doit donc récupérer une quantité
importante de bois, les couper aux bonnes tailles, les apporter sur le lieu de
construction et monter les poteaux un par un. Tous les hommes du village
effectuent ce travail seul, entre deux travaux, lorsqu'ils ont du temps. Ils ne
terminent pas les barrières en une seule journée. Ils reviennent
souvent, par petits moments, agrandir la barrière.
Il suspend aussi des rubans colorés emprunts de produit
à lessive. Les cochons qui viennent y goûter ne pensent plus y
revenir avant un moment.
Il dépose aussi dans son champ du riz associé
à du poison et fabrique parfois une sorte de petit moulin à eau
qui actionne un pilori, faisant croire à la présence humaine dans
le champ lorsque personne n'est effectivement là.
4.3.8. Les semis160 : Après
avoir coupé, brûlé, débardé, les villageois
passent à l'étape la plus symbolique, la plus sensible aussi pour
l'avenir de leur culture, le semis.
La famille du jeune marié plante 30 kg de chaque
espèce de riz, c'est à dire 3 sacs «à viande
»161 : Une espèce de riz gluant162
appelé crao tam hom163 dans le bas de son essart
pluvial et une autre espèce de riz gluant appelé crao
noy164 dans le haut.
Ils ont toujours une seule production de riz pluvial par an,
pendant la saison sèche.
159 Essentiellement des personnes âgées ou
malades.
160 Pouc en langue lao.
161 Colong en langue lao. Unité de
référence pour parler des quantités plantées ou
récoltées.
162 Crao niao en langue lao. A ne pas confondre avec
crao jao qui est le riz dit normal, non glutineux.
163 En langue lao.
164 En langue lao.
Monsieur Paeng plante d'abord les légumes et les arbres
fruitiers165. Il plante ensuite les piments166, le
maïs et enfin le riz.
Aucun engrais n'est ajouté sur les champs mais du
désherbant est appliqué uniquement sur les digues afin de pouvoir
marcher et travailler facilement dessus.
Dans le bas de leur seul essart d'un hectare, ils
sèment du riz glutineux de l'espèce crao palan et dans
le haut du crao tem. Ils sèment 18 kg de riz dans le haut de
l'essart en association avec du maïs et du sésame dans le bas
d'essart.
La femme et les filles du chef du village sèment 5
graines par trous espacés de 20 cm. Les 20 cm sont mesurés
à l'aide de l'écartement des doigts de la main, du pouce à
l'index. Ils sèment en priorité du maïs puis des
légumes et le sésame dans le bas de l'essart. Elles sèment
quelques semaines plus tard le riz dans le haut de l'essart.
L'association du maïs en quantité importante, des
légumes et du riz est rare car les paysans préfèrent soit
cultiver du riz soit cultiver du maïs mais en quantité suffisantes
pour rapporter assez de ressources alimentaires ou financières pour
toute l'année. Cette demi-mesure effectuée par la famille du chef
n'est pas répandue à toutes les exploitations. Elle peut
illustrer une volonté de limitée les risques d'échec de la
vente de maïs ou de certaines récoltes. « L'échec d'une
production ne remet pas en cause l'économie familiale qui peut s'appuyer
sur les autres récoltes. >>167 Cette association des
cultures contribue aussi à l'équilibre calorique et protidique de
l'alimentation de la famille. Le calendrier de chaque espèces permet un
étalement du travail requis qui ne surcharge pas le poids de travail
pour chaque actif168.
Les cultures plantées en premiers, les primeurs comme
le maïs, « permettent de protéger les jeunes pousses >>
semées plus tard et « la couverture maximale du sol limite
l'érosion (...) et la concurrence par les adventices
>>169.
4.3.9. Semis de maïs en saison des pluies sur souan
:
Pour cette étape, Monsieur Paeng dit que les
agriculteurs ont besoin d'attendre la pluie, car les jeunes pousses de
maïs qu'ils cultivent ont besoin d'un minimum d'eau pour croître et
cette production est essentielle aux ressources familiales puisqu'elle atteind
40 % des semis villageois, à l'identique des semis de riz.
En plantant un kilogramme de semences de maïs, il
récolte en moyenne entre 200 et 450 kg de maïs.
Généralement, ils prévoient donc 300 kg
récoltés pour 1 kg semé. Le poids d'une graine
arrivée au terme de sa germination vaut donc 300 fois son poids de
départ.
Monsieur Paeng sème approximativement 15 kg de maïs
pour récolter environ 4 tonnes. Monsieur Paeng a semé 23 kg de
maïs dans son essart-jardin pour pouvoir récolter probablement 6,9
tonnes.
165 mac mii = jacquier ; mac huu =
terminalia catappa linné en latin; buop = centella
asiatica ; mac uang = costus speciosus ; mac naam =
cucurbitacées ; phac boua = oignon...Toutes les termes sont en
langue lao traduits en français sans l'italique et en latin en
italique.
166 mac pèt en langue lao.
167 Ellis 1993, 2000. Roder 2004.
168 Froment et al. 1996. Thrupp 1998.
169 Chaplot 2003. Trebuil 1998. De Rouw 1991 a. Roder et al. 1997
a.
Théoriquement, les villageois disent qu'un paysan khamou
à Bouamphanh sème 20 kg de maïs par hectare de
rizière irriguée et 18 kg de maïs par hectare
d'essart-jardin.
La différence peut paraître mince entre l'essart
et la rizière plane mais la différence de 2 kg de semences de
maïs équivalent à récolter entre 400 et 900 kg de
différence. De plus, l'essartjardin est moins fertile que la
rizière plane de par l'érosion, sa surexploitation
disproportionnée par rapport à la stabilité du sol.
En général, les paysans choisissent bien leurs
dates pour chaque étape des travaux des champs car après avoir
semé ils n'attendent que deux ou trois jours les premières
pousses.
Cette année, Monsieur Paeng a demander à trois
enfants de l'école et ses deux fils disponibles de venir semer du
maïs avec lui le 12 mai. Ils furent l'un des derniers groupes à
semer. Les enfants ont semé sans respecter les écarts
réguliers entre les semences. Après avoir poussés les
plants rendent l'organisation du champ anarchique et le sarclage des herbes qui
vient par la suite est très difficile. Les travailleurs ne savent pas
exactement où se trouvent les pousses de maïs entre les herbes. Il
arrive souvent que les salariés coupent accidentellement les pousses de
maïs avec les herbes.
La famille du jeune marié plante 9 kg de maïs
acheté au village et 2 kg de légumes plantés au pied de
l'essart pluvial, à proximité de leur rizière
irriguée.
La famille de Monsieur Thon cultive du sésame en
association avec des légumes dans un essart-jardin de un hectare.
Selon le chef un semis de maïs sur rizière plane
sèche en saison sèche est une perte d'argent, d'énergie et
de temps car dans tous les cas la récolte sera mauvaise. C'est pour cela
que sa famille ne sème qu'en saison des pluies. Il ne comprend
d'ailleurs pas ses voisins (Monsieur Paeng...) s'acharnent à semer du
maïs en saison sèche pour récolter en mai de maigres
productions qui ne servent bien souvent qu'à nourrir les animaux
domestiques.
4.3.10. Semi de riz irrigué :
Hormis le labour de rizière irriguée, aucun
labour ni travail des sols ne sont effectués sur essarts. Le labour de
rizière irriguée demande de posséder ou louer un buffle ou
un motoculteur. La possession d'un buffle ou d'un motoculteur est d'ailleurs un
facteur important pour obtenir une rizière de vallon de la part du
conseil des anciens.
Monsieur Paeng dit qu'il est préférable de
planter du riz de courte vie au Sud du champ, du riz de longue vie au Nord, des
piments à l'intérieur «où la terre leur est plus
convenable >> et des légumes en périphérie.
Monsieur Paeng plantera 8 à 12 semences de riz par
trous. Ces semences proviennent des stocks de riz parentaux qui constituent une
richesse non négligeable dans une région où les familles
manquent parfois de riz pour se nourrir et sont parfois obligés de
manger des nouilles industrielles en sachets.
Pour que les plants poussent bien, qu'ils aient suffisamment de
lumière, ils espacent les graines de 22 à 28 cm environ. S'ils
étaient plus rapprochés «ils ne donneraient rien
>>.
La qualité d'un plant de riz est jugée par sa
couleur qui doit être jaunâtre, par sa taille,
<< moyenne » (1, 50 m) et ne doit pas avoir beaucoup
de feuilles.
La difficulté du semis est de travailler sur un sol
abîmé par la sécheresse puis la pluie. Craquelé de
partout, s'écroulant dans les endroits raides sous le poids des
travailleurs, emportant les semences, <<tout le monde doit faire des
efforts ».
Si les plants meurent, Monsieur Paeng ne recommencerait pas un
semis car la saison ne le permettrait pas. Il devrait vendre ses quelques
cochons, ses poules, ses oeufs, des pousses de bambous récoltées
en forêt, des bois de la région ou d'autres régions.
Personne ne l'aiderait car personne ne peut aider une famille entière
pendant plusieurs mois. Quelques repas seraient possible mais tellement
limités par rapport aux besoins alimentaires d'une famille.
Les outils du semis sont une hotte de semences, un bâton
fouisseur et une pioche. Pour faire aiguiser ou réparer une pioche, il
faut compter 15.000 kips.
Les meilleures lames de pioches mesurent 6 cm de large et 20 cm
de long.
Encore une fois, Monsieur Paeng a besoin de salarier 15
à 20 personnes pour semer. Le salaire est identique aux autres travaux.
Les enfants ne participent pas au semis et il n'y a toujours pas division du
travail.
La famille de Monsieur Thon plante 20 kg de riz crao tam
hom170 en rizière irriguée de 0,9 hectare.
4.3.11. Le sarclage d'après semis :
Le sarclage des adventices d'après semis se
déroule 25 à 30 jours après la fin des semences. Ce
travail est sûrement celui qui déterminera le plus si la
récolte est fructueuse ou non. Il est considéré par
beaucoup d'experts comme le << goulet d'étranglement du
système » car si la main d'oeuvre n'est pas disponible à
cette période, les adventices se développent plus vite que les
cultures et une concurrence déloyale joue en défaveur des
cultures. Si le désherbage est mal effectué, les plants ne
verront pas la lumière et devront s'avouer vaincu face aux mauvaises
herbes. Un actif ne pouvant pas sarcler plus de 0,5 ha les paysans doivent
s'adapter chaque année aux nouvelles quantités d'adventices,
à la main d'oeuvre disponible à cette période.
Monsieur Paeng sarcle 3 fois par saison des pluies. En juin,
juillet et août.
Il débute ses sarclages par l'endroit où il y a
beaucoup d'herbes, où le travail est le plus difficile, car comme pour
le débardage, le champ a besoin d'un éclaircissage obligeant
à faire disparaître d'abord les grandes et nombreuses herbes qui
gênent les cultures. Les petites herbes qui ne sont pas encore de la
taille des plants cultivés ne sont pas encore de réels
prédateurs de cultures. Il sarclera toutes les herbes pour qu'il n'y ai
plus de risque de compétition avec les cultures. Certaines sont
sarclées au pied, d'autres sont déterrées si elles
représentent un trop fort risque de repousse rapide. Cependant Monsieur
Paeng considère qu'il est préférable de sarcler nettement
au pied des herbes avec des outils plutôt que de les arracher à la
main, dégageant par obligation des mottes de terre qui fragilisent
encore plus un sol instable en cette saison. Certaines herbes sont ensuite
jetées dans le champ aux endroits les plus ensoleillés pour
protéger la surface du sol où pousse les plants et donner une
protection contre la pluie et la
170 << riz de bonne odeur » en langue lao.
sécheresse. D'autres herbes sont entassées et
brûlées dans un lieu non cultivé. Les herbes ne sont pas
réutilisées autrement.
Le travail prend environ 8 à 10 jours et demande
l'intervention de 15 à 20 personnes. Monsieur Paeng est encore
obligé de payer le même salaire pour chaque salarié. Les
participants «travaillent ensemble, sans répartir le travail
». Chacun a besoin d'utiliser une machette recourbée
spécifique pour la récolte (dont le nom n'a pas été
enregistré) qu'ils fabriquent euxmêmes lorsqu'ils le peuvent ou
achètent au marché du village. Les meilleurs outils sont en fer
solide et tranchant, le manche devant mesurer 40 à 60 cm de long. Tout
le monde utilise les mêmes outils, il n'y a pas de différenciation
sociale dans la possession des moyens de productions. Les réparations
s'exécutent 8 à 10 jours après le début des
travaux. Une réparation coûte environ 2000 kips et une hallebarde
neuve coûte 15.000 kips.
La difficulté physique du sarclage est aussi due au
temps de la saison des pluies (chaud, humide et pluvieux) ainsi qu'aux insectes
qui agacent les paysans. La difficulté technique provient des herbes
sarclées qui ne meurent jamais, repoussant chaque année encore
plus haute et densément.
L'avantage des cultures de maïs est bien sûr leur
rendement plus important que ceux des riz glutineux mais aussi le fait qu'elles
n'ont besoin que d'un sarclage au moins de juillet alors que les rizicultures
en ont besoin de trois ou quatre.
4.3.12. Les récoltes :
La récolte de paddy se fait en septembre, en
règles générales, 90 jours après avoir semé,
c'est à dire après les trois mois de la saison des pluies. Elle
dure 10 à 15 jours et demande 3 à 5 travailleurs par jours. Pour
ce travail, il n'y a que des hommes salariés. Ni les femmes ni les
enfants n'y participent.
Généralement la récolte est mure et
prête à être ramassée sauf si les aléas
climatiques et les prédateurs en ont décidés autrement.
Les animaux sauvages et domestiques mangent et piétinent parfois les
récoltes si les clôtures sont défectueuses. Il peut s'agir
de buffles, des cochons forestiers ou des insectes.
Les récoltes de paddy ou de riz pluvial équivalent
généralement à 650 kg pour un semis en association avec le
maïs et des légumes ou 1300 kg pour un essart totalement
voué au paddy.
Les meilleurs outils pour la récolte sont de petits
couteaux de 30 à 40 cm de long fabriqués par les villageois, des
paniers en bambous de 40 cm de diamètre sur 60 cm de hauteur.
Les couteaux coûtent entre 10.000 kips et 15.000 kips
pièce pour approximativement 5 années d'utilisation et les
paniers coûtent entre 3000 et 5000 kips pour 20 à 30 jours
d'usages.
Les récoltes sont placées dans des greniers
familiaux à l'extérieur des foyers pour éviter la
propagation d'incendies potentiels.
La comparaison des performances des systèmes de
cultures explique l'intérêt des paysans pour la riziculture
inondée, plus intéressante que la culture en essart-jardin de
maïs, elle même plus intéressante que la riziculture
d'abattis-brûlis sur friche forestière jeune ou sur savane. La
recherche d'une sécurité alimentaire est l'élément
primordiale pour les paysans. Produire assez de rendements pour l'année
qui suit est plus important que de conserver des pans de forêts
inexploités et donc moins rentables.
Le niveau de performance dépend néanmoins des
moyens de production dont disposent les paysans. Une plus grande
sécurité alimentaire nécessite l'accès à la
traction attelée ou au motoculteur et un investissement plus important
dans l'aménagement des rizières irriguées.
4.3.13. La friche171 :
La friche nécessite que le paysan s'en occupe pour
qu'elle redevienne arbustive et fertilise la terre172. Les
villageois doivent construire des barrières de protections contre les
animaux qui viendraient manger les jeunes pousses arbustives. Une fois ces
pousses devenues arbrisseaux et ayant atteins une taille supérieure aux
herbes, les paysans amènent les cochons et bovins paître les
herbes et déféquer dans la friche pour qu'ils apportent leurs
contributions à la fertilisation. Les arbrisseaux sont alors au-dessus
des herbes qui ne leurs feront plus ombrage pour se développer.
La friche de longue durée permet aussi de limiter le stock
de graines en dormance dans les sols lors de la défriche et ainsi de
limiter l'invasion des adventices173.
Selon la famille de Thon, la friche la plus ancienne du
village serait de 15 ans et la moyenne des friches familiales d'essarts
pluviaux seraient de 4 à 5 ans, avec des troncs aux diamètres de
8 à 10 cm, malgré les tentatives des responsables agroforestiers
de les réduire à 3 - 4 ans.
4.4. Les difficultés des travaux :
La plupart des familles ne peuvent pas travailler en
même temps dans leurs différentes exploitations. Ils auraient
pourtant besoin de construire des cabanes à essart et à
rizières irriguées, des barrières de protections des
rizières irriguées, de reconstruire les canaux d'irrigation et
les digues en même temps que de sarcler avant les semis de riz et de
maïs.
Dans ces cas, la main d'oeuvre suffisante et l'entraide
villageoise manquent cruellement.
Selon les villageois, les travaux les plus pénibles
sont les défrichages et sarclages de bambou, épineux,
broussailles et hautes herbes qui poussent très rapidement (1 m de
hauteur en 1 an). Ils sont conscients que ces types de
végétations n'apparaissent qu'avec une friche de courte
durée, trois à cinq ans au plus. C'est essentiellement sur les
essarts-jardins de maïs, coton, tabac, sésame et
légumineuses que l'exploitation est intensive,
sédentarisée sur une même parcelle. Seules les
périodes de soudures (les paysans qui possèdent deux champs par
saison, peuvent choisir de ne rien cultiver sur une des deux parcelles durant
la saison sèche) permettent à la parcelle de se reposer et
à la végétation de friche courte de repousser.
171 Pa lao en langue lao.
172 La biomasse aérienne accumulée pendant la
friche en éléments minéraux est directement exploitables
après brûlis par les cultures, même si une large partie est
perdue avant le développement des cultures. Durant la friche,
l'érosion reste limitée du fait de l'absence de travail du sol,
de la couverture arborée permanente qui protège des pluies et de
l'enracinement profond des arbres qui retiennent les sols. La friche de longue
durée réduit la stock de graines de mauvaises herbes en abaissant
leur pouvoir de germination. La fonction de l'écosystème qu'est
la friche remplace la circulation superficielle de l'eau par une circulation
verticale qui contribue au développement de la biomasse et à la
structuration des sols. O. Ducourtieux 2006 : 36.
173 De Rouw 1995 ; Roder et al. 1997a.
Travailler dans ce type de parcelle est éprouvant.
D'abord pour la chaleur étouffante de cette période sèche
et de l'absence d'ombrage, du manque d'eau potable en quantité
suffisante pour s'hydrater aux champs, mais aussi pour les difficultés
à couper les graminées à raz le sol, à retirer,
sans abîmer le sol, les longs réseaux de racines de surface
inutiles au maintient d'un sol peu friable car peu pentu. Il faut atteindre les
pieds piquants des broussailles pour les sectionner d'un coup de poignet, se
tenir en équilibre avec des nu-pieds sur les parties des pentes friables
où logent parfois des insectes, des fourmis, des serpents...
Le travail se fait assez rapidement pour arriver vite au
sommet de l'essart, se reposer à l'ombre, boire, fumer ou redescendre se
baigner dans la rivière.
Au village, il y aurait beaucoup d'herbes à
jachères174 hautes d'un maximum de 3 mètres.
C'est pourquoi il est important, de désherber avant les
premières pluies du mois d'avril pour ne pas que les herbes
déjà hautes retrouvent une nouvelle vitalité après
la saison sèche et n'obligent à un désherbage
éreintant et long.
Selon le jeune marié, le plus difficile est le
débardage et le brûlis des derniers tas de bois pour faire un
champ propre à la culture.
Le mois le plus pénible en terme de chaleur est le mois
d'avril qui correspond d'ailleurs au débardage, aux derniers
brûlis puis au désherbage.
Dans sa famille, le désherbage s'effectue environ 3
à 4 fois aux mois d'avril (sarclage d'avant semi de riz pluvial qui
s'associe au débardage) de juillet et août (sarclage
d'après semi).
Ils savent bien qu'un désherbage moins fréquent
et rapidement effectué nuirait aux récoltes. Les herbes qui
croient rapidement empêcheraient les plants de voir le soleil et donc de
se développer.
Pour le travail de désherbage la famille ne
possède pas de bêche et faute de posséder des machettes
à lames recourbées spécialement conçues pour le
désherbage, ils utilisent des machettes à lames droites qui
atteignent tout juste sept ans d'utilité, ce qui implique un rachat
fréquent des outils de mauvaises qualités.
Avec les machettes à lames droites le travail de
désherbage devient éreintant sous la chaleur. Les travailleurs
sont obligés de courbés beaucoup plus le dos qu'avec les
machettes à lames courbées. La lame droite doit couper les herbes
le plus bas possible de la tige portant des coups rapides grâce à
un fouetté du poignet. Cette procédure ne peut s'effectuer avec
la machette à lame droite qu'en se baissant pour que la lame puisse
sectionner d'un coup les tiges.
Le travail de déracinement est tout aussi
éprouvant puisqu'il faut couper les racines pour qu'elles meurent. La
lame droite abîme plus le sol que ses cousines à lames
courbées qui coupent les herbes puis les racines en frôlant
parfaitement le sol sans l'abîmer.
Parfois, pour éviter de se fatiguer à des
tâches de déracinement, ils laissent les animaux (chèvres
et bovidés) entrer dans les parcelles désherbées pour les
laisser manger les restes de racines et d'herbes.
Ils pensent perdre du temps lorsqu'ils ont beaucoup de travaux
à faire en même dans une courte période avant les pluies et
les dates traditionnelles. Selon le jeune marié, ils perdent du temps
à cause d'un manque de main d'oeuvre, d'un manque d'entraide, d'un
manque de moyens extérieurs aux techniques locales, des mauvaises
prévisions météorologiques et de l'histoire de
174 mai hoc en langue lao.
l'essart qui a rendu la terre infertile et ne laisse
désormais pousser que des herbes hautes difficiles à
maîtriser, demandant un long travail pénible qui empêche
pendant ce temps de construire les cabanes d'essarts, les barrières de
champs, la rénovation des digues et canaux d'irrigation des
rizières...
Monsieur Paeng pense ne pas perdre de temps. S'il en perd,
c'est qu'il doit parfois attendre les changements météorologiques
durant les périodes climatiques extrêmes, en cas d'insuffisance ou
de surabondance de pluie.
Selon lui la météorologie est le facteur
primordial jouant sur la réussite des récoltes. Malgré la
possession de bonnes terres, la gestion réussi des travaux, « nous
dépendons trop de la nature ». Le second facteur se trouve
être la qualité des semences. Monsieur Paeng dit que les semences
qui viennent de l'étranger ne sont pas de bonnes qualités.
Pour vaincre ces problèmes, il prévoit dans les
années à venir de préparer le sol, chose qu'il n'a jamais
faite, afin de ne plus dépendre de la nature pour vivre.
Si Monsieur Paeng avait à recommencer sa vie, il
choisirait de cultiver des rizières et de planter des arbres pour la
rente. Il dit être disponible pour changer de pratique agricole mais
attend que les autorités proposent des alternatives.
Les risques les plus fréquents pour sa famille sont de
perdre les récoltes pendant la saison des pluies. Après neuf mois
de saison sèche étouffante et asséchante, la pluie tombe
durant trois mois, en grosse quantité, délavant les sols,
créant une érosion régulière sur tout le territoire
et emportant les cultures dans des coulées de boues, obligeant
très souvent à replanter des semences. Le manque de soleil
précédent un trop plein de pluies durant les mois de juillet et
août, le climat ne permet pas aux cultures d'essarts de s'épanouir
convenablement. Si depuis cinq ans, chaque année, la saison des pluies
est en retard, il arrive aussi que des pluies surviennent trop tôt,
humidifiant les abattis qui séchaient, ne permettant plus de pouvoir
brûler en temps voulu.
Un autre risque provient des animaux domestiques errants sur
le territoire à la recherche de quelques plantes comestibles
accessibles. Une perte de temps dans une étape du procès agricole
ne permet pas de confectionner les protections (barrières,
pièges...) contre les animaux en temps voulu. Heureusement pour la
famille interrogée, leurs champs se situant à 50 minutes du
village, ils sont peu confrontés aux dégradations animales
provenant du village trop éloigné. S'ils ne trouvent pas le temps
de construire leurs barrières, ils ne les construisent pas.
L'élevage est aussi touché par les risques. Les
animaux s'endorment au milieu de la piste ou traverse à n'importe quel
moment provoquant ainsi des accidents. Depuis 1995, 11 buffles ont
été tués par accidents.
Toujours selon le jeune marié de mauvais outils (la
lame qui se détache fréquemment du manche, qui se casse
facilement sur du bois dure ou des cailloux pendant le désherbage et qui
oblige à l'aiguiser toutes les deux heures) font perdre de la main
d'oeuvre qui n'a plus d'outils pour travailler et qui doit utiliser parfois des
branches pour ratisser et des machettes à lames droites pour
désherber ou rentrer à la maison.
Après observations, la santé des travailleurs
paraît être un facteur important de la main d'oeuvre. Un manque
d'accès aux soins peut être à l'origine d'un manque de main
d'oeuvre
valide, d'une perte de temps sur le calendrier agricole et donc
d'une récolte très mauvaise. 5. Synthèse :
Le bon fonctionnement du système agraire villageois ne
semble pas être d'actualité.
Les savoirs et savoir-faire locaux qui semblent adaptés
aux conditions climatiques du milieu175 et respecter les forces
naturelles auxquelles sont soumis les villageois176 ne
résistent pas sous les pressions politiques et
socio-économiques177.
La zone d'étude est l'illustration d'un village
ciblé pour son développement par les autorités laotiennes
qui ont y relocalisé des familles depuis plus de 10 ans.
Comme très souvent deux analyses se confrontent.
Officiellement, les déplacements ont été
volontaires, l'entraide entre les différents groupes ethniques a
fonctionner, aucun conflit n'a eu lieu, le village de Bouamphanh se serait
développé avec des conditions de vie meilleures que dans les
villages de départs, des terres fertiles seraient encore libres
d'être exploitées, les villageois coopéreraient en grande
majorité aux réformes agroforestières et les responsables
agroforestiers seraient très tolérants vis à vis des
défriches illégales.
Le diagnostic entrepris montre une autre facette de ce beau
tableau.
Les aléas climatiques et la géomorphologie des
terrains n'offrent aucune garantie aux paysans pour avoir de bonnes
récoltes.
La pression démographique n'est pas prise en compte par
les autorités qui poursuivent les pressions pour éradiquer les
pratiques d'abattis brûlis (1 ha d'essart par famille). Les villageois
commencent à ressentir l'éloignement des champs,
l'épuisement des ressources forestières et le manque de parcelles
fertiles à cause d'une réduction des temps de friches (4 ans en
moyenne) et d'une augmentation des temps et des surfaces de culture de
maïs.
Des tensions apparaissent avec les écarts sociaux qui
grandissent178 et un manque d'intégration des populations
allogènes aux prises avec des ségrégations
ethniques179.
Le village de Bouamphanh ne semble pas s'être
développé au regard des données statistiques de 2001 et
des données économiques de 2006.
Malgré la densité démographique, la
quantité de travail par actif ne permet pas d'assurer les travaux
agricoles. Ce paradoxe s'explique par un assolement dispersé, une
volonté politique d'adapter les cultures paysannes aux besoins du
marché libéral en privatisant le foncier, en développant
une culture de rente de maïs et d'arbres destinés à la
vente, accroissant le salariat intra-villageois qui amenuise l'entraide
villageoise et ne permet plus aux familles d'avoir assez
175 Voir les sous chapitres : << Choix des parcelles :
Appréciation de leur qualité », << L'itinéraire
techniques », << Le riz et le maïs », << la
météo comme instrument de travail ».
176 Voir les sous chapitres : <<La religion »,
<< les tabous alimentaires », << le calendrier agricole
»,
177 Voir les chapitres : << L'environnement
socio-économique », << Les raisons du résultat
négatif de l'allocation des terres », << Les
conséquences de la loi d'allocation des terres », <<
L'adaptation des paysans aux conséquences négatives de la loi
d'allocation des terres », << La situation de Bouamphanh »,
<< L'affaiblissement de l'entraide »,
<< Les outils ».
178 Les nouveaux arrivants sont défavorisés par
rapport à leur inexpérience du finage, à leur
inaccessibilités aux meilleurs parcelles par rapport aux familles
héritières du village ainsi qu'aux familles liées aux
autorités.
179 Illustrations des préjugés et
ségrégations ethniques dans les sous chapitres : << la
langue », << les mariages »,
<< localisation sociale au village », << les
élections », << L'organisation du travail : Affaiblissement
de l'entraide »...)
de main d'oeuvre disponible pour leurs travaux. Ce manque de
main d'oeuvre se ressent essentiellement durant la période des pointes
de travail (d'avril à juillet) qui densifie le calendrier agricole et
illustre la limite de l'efficacité du système.
Les mauvais résultats de l'allocation foncière,
les statistiques laotiennes peu sérieuses et leurs analyses rapides, les
changements de termes pour qualifier les mêmes pratiques d'abattis
brûlis, la poursuite des coupes massives illégales mais
organisées, illustrent les paradoxes politiques dont font preuves les
autorités laotiennes. Les premières motivations louables
d'éradiquer l'agriculture d'abattis brûlis et de développer
les zones rurales ressemblent désormais à « l'arbre qui
cache la forêt >>. Le gouvernement laotien souhaite libérer
des zones forestières de leurs habitants pour exploiter plus librement
les forêts national. Il est aussi très probable que les
déplacements de populations montagnardes soient motivées par la
volonté d'en faire des citoyens laotiens soumis aux lois nationales. La
réduction des pratiques sacrificielles et la fréquentation des
chamanes en sont des illustrations. Une perte des particularismes ethniques est
en train de s'opérer pour les bienfaits de quelques laotiens au
pouvoir.
Ces déplacements près des routes permettent
d'amortir les frais d'infrastructures sanitaires et sociales et surtout de
mieux contrôler les surfaces défricher.
Les bailleurs de fonds internationaux attendent des
résultats de l'économie laotienne et le gouvernement laotien
tente de les atteindre rapidement, trop peut être.
Des études récentes commandées par ces
organismes d'aides financiers commencent à montrer l'échec des
politiques libérales dans un pays longtemps habitué à la
gouvernance socialiste, majoritairement agricole et où vivent de
nombreux groupes ethniques montagnards.
Il semble que la situation de crise économique et
sociale actuelle déteigne sur le milieu naturel local. Les paysans
touchés par des pressions foncières importantes se retrouvent
avec moins de ressources pour vivre et « apparaissent comme des
concurrents des espaces forestiers. La forêt apparaît comme un
obstacle au développement agraire et les arbres comme des reliques
forestières et des signes de manque d'intensification agricole
>>180.
6. Propositions :
La réforme de l'allocation des terres semble
très influente à Bouamphanh. L'étude y a inventorié
un certains nombre de situations écologique, économiques et
sociales qui sont les effets d'une allocation foncière
réalisée dans un village habité majoritairement par des
populations déplacées directement ou indirectement.
Il est très important de mettre en place des
indicateurs de suivi permettant de mesurer l'impact social de cette
réforme et notamment les conditions de vie, les transactions
foncières et l'évolution de la pression foncière dans le
village.
Il faut renforcer la capacité de suivi et de gestion
à l'échelle villageoise en formant les chefs de village aux
transactions villageoises parfois à la limite de la
légalité, ainsi qu'à l'échelle du district en
renforçant les collaborations entre les institutions concernées.
La mise en place de tels indicateurs devrait s'inspirer de l'expérience
réussis de projets étrangers181. Si les données
collectées indiquent une dégradation des conditions de vie, les
autorités locales doivent en
180 Geneviève Michon 1998 : 56-63.
181 Projets AFD : Association Française de
Développement à Sayabouri et Phongsaly notamment...
rechercher les causes et stopper pendant ce temps la
procédure d'allocation foncière.
Il apparaît aussi évident d'assouplir la
législation concernant les forêts « en
régénération » en friches depuis plus de 4 ans et
d'autoriser les villageois à conserver leurs cycles de jachère
suffisamment longs pour ne pas mettre en péril leurs conditions de
vies.
L'introduction de culture sédentaires devrait
être accompagnée d'informations préalables sur les risques
de la monoculture pour la fertilité des sols et pour l'économie
familiale qui devient dépendante du marché, ainsi qu'être
testée en parallèle et généralisée seulement
lorsqu'elle a fait les preuves de sa pérennité et de sa
rentabilité pour les habitants. Si par des techniques sédentaires
ou des alternatives agricoles aux brûlis, comme beaucoup
l'espèrent, les conditions de vie parviennent à être
améliorées, les autorités n'auront plus de mal à
faire accepter une réduction des surfaces autorisées aux
brûlis.
Une solution doit être trouvée avant de
réduire les surfaces disponibles.
Il semble indispensable de mieux prendre en compte la
participation directe ou indirecte des villageois. Mieux appréhender les
savoirs villageois dans les domaines de la classification des sols ou des
forêts. Relever les taxinomies villageoises, écouter les
connaissances paysannes et comprendre les expériences de chaque famille
sur leurs terrains permettraient une meilleure communication entre les
autorités et les villageois.
Il semble aussi nécessaire que soit menée une
formation concernant la représentation des cartes du territoire afin de
donner les instruments conceptuels suffisants pour participer à la
procédure de zonage et de privatisation des parcelles.
L'arrivée de migrants se traduit
généralement par de nouveaux arrangements sur le plan foncier, et
par un besoin accru de terres cultivables. Elle peut également
entraîner des conflits entre les villages en croissance
démographique et leurs voisins ou bien à l'intérieur
même du village.
Aucun village ne devrait être concerné par des
procédures de zonage et d'allocation si des arrivées sont
prévues au village.
Il serait aussi plus souhaitable que les déplacements
de populations d'altitude cessent pour trouver des alternatives aux
développement de ces villageois. Dans bien des cas il suffirait de
construire des pistes muletières pour améliorer
l'accessibilité des villages reculés aux marchés et aux
infrastructures, en aval, à rentabiliser.
L'aide internationale devrait prévoir d'affecter plus
de crédits à des actions de développement en altitude.
Trop souvent comme à Bouamphanh, les autorités déplacent
les populations puis demandent aux projets étrangers d'aider les
migrants.
Quelques pistes intéressantes semblent se dessiner. Les
modes de gouvernance, qui associent conservation et valorisation des
savoir-faire locaux dans les politiques d'aménagement des aires
protégées182, sont sans doute les plus porteurs
d'innovations et d'espoir. Le recours au marché, les systèmes de
labels et de marques diverses (marque parc, Commerce équitable, origines
géographiques des produits ...) éveillent un intérêt
croissant dans les pays du Sud. Une
182 Contrats de gestion locale sécurisé : Gelose,
qui tente de confier la protection d'espaces de hautes biodiversité
à des communautés locales de Madagascar contre une
sécurisation de leur foncier.
remise en cause des politiques sanctuaristes basées sur le
recours aux aires protégées n'est plus à l'ordre du jour
des conventions sur la diversité biologique.
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