Annexe 3 : retranscription des entretiens
Entretien avec P (89 minutes)
Tibo
Alors pour commencer je voudrais savoir comment tu en es
arrivée à partir au Brésil, comment ça s'est
passé?
P
Euh, alors moi, comme je t'ai dit, je suis pas de Lyon
à la base mais je suis revenue vivre à Lyon en fait cette
année en septembre là pour le Master en fait, le Master 1, euh,
bon j'ai mes parents dans la région aussi, euh, après ce qui
s'est passé tout simplement c'est qu'on était en cours quoi, Mme
X, donc la femme de M. Y euh, nous a proposé des stages au Brésil
quoi, d'office. Enfin le premier jour de cours avec elle limite tu vois genre
« bon bin voilà je suis brésilienne donc si vous voulez des
stages pas de soucis » et moi à l'époque en fait mon copain
était brésilien et j'étais jamais allée au
Brésil donc ça faisait deux occasions en une tu vois, parce que
bon évidemment je voulais aller au Brésil et de l'autre
côté euh ça me donnait l'occasion d'avoir une
expérience professionnelle làbas si tu veux, enfin,
professionnelle, juste en stage, de connaître le pays différemment
que par les vacances tu vois. Donc j'ai tout de suite sauté sur
l'occasion évidemment et, enfin pour moi l'argument était
professionnel tu vois ce que je veux dire, euh donc voilà,
c'était mes motivations.
Tibo
Ok. Donc ce désir t'es venu cette année ou tu y
pensais déjà avant?
P
Ouais ouais ça fait déjà un moment ouais.
Ça fait, je connais beaucoup de Brésiliens, bin j'ai
rencontré beaucoup de Brésiliens en Italie en fait, quand j'y ai
vécu l'année dernière, et puis ça fait un certain
temps que je connaissais déjà des Brésiliens ici en France
aussi donc ouais.
Tibo
Et finalement qu'est-ce qui t'as décidé à
partir, quand tu t'es dit « ça y est j'y vais »? Rapidement?
T'as pris un peu de temps pour réfléchir?
P
Mmh non en fait j'ai pas trop réfléchi. Enfin,
donc quand Mme X nous a présenté [les stages au Brésil]
du coup je suis allée la voir tout de suite à la fin du cours et
je lui ai dit enfin « voilà je suis
intéressée » donc ça c'était
en septembre, et en gros, déjà je pense en novembre, ça
s'est fait assez vite, y a peut-être eu un mois de battement, je me
souviens plus exactement des dates, y a eu un mois de battement où on
savait pas trop qu'est-ce qui se passait tu vois. Parce que ce qu'y s'est
passé c'est qu'elle elle nous a proposé tout de suite d'office tu
vois le jour même donc C elle-même a dit « voilà moi
aussi ça m'intéresse et tout » donc on pouvait aller si tu
veux ensemble au même endroit, faire un projet. Enfin moi
honnêtement j'avais vraiment envie de faire un truc toute seule, parce
que euh, en fait ce qu'il y a de marrant c'est que sur place après j'ai
beaucoup aimé être en contact avec des Français tu vois, je
connaissais des Erasmus comme j'étais pas loin de la fac j'étais
en contact avec la fac tu sais, donc je les voyais assez souvent en fait, je
suis allée à une fête Erasmus avec eux enfin tu vois j'ai
aussi eu ce côté un peu même en même pas deux mois -
c'était deux mois quand même, le côté Erasmus de
connaître des Français sur place et ça m'a beaucoup
aidé aussi tu vois de - mais ça je pourrai en parler après
peut-être aussi, mais à la base c'était plus ça en
fait tu vois, c'est pas que je l'aimais pas [C] c'est juste que j'avais envie
de faire mon truc toute seule tu vois. Donc je pense que j'y ai fait un peu
comprendre et elle Mme X, d'office comme elle est de Recife elle proposait
Recife tu vois parce qu'elle connait des gens là-bas et tout sauf que
moi ça me disait pas trop en fait d'aller dans la structure qu'elle
proposait tu vois parce que - dont C te parlera demain, euh notamment pour tout
l'aspect spirituel en fait du stage tout ça, c'est pas une
hostilité ou quoi par exemple moi je vais à l'église, je
vais dans une église évangélique, une église
baptiste, et c'est quelque chose de très important dans ma vie tu vois,
ma foi, et là j'allais me retrouver dans un endroit avec des personnes,
t'en a qui faisaient des transes, tu vois qui, enfin une autre
spiritualité en fait, et je me suis dit « ouais non c'est pas on
truc » tu vois, en gros. Mais j'allais pas le dire à Mme X
ça tu vois enfin honnêtement tu peux pas dire ça, donc
j'étais prête à lui dire si tu veux « bin
écoutez... » je m'étais un peu résignée si tu
veux parce que bon si je refuse son stage c'est mort quoi et donc
j'étais un peu résignée et j'arrive le mardi
d'après et d'office j'ai rien eu le temps de dire elle me sort « ah
bin écoute, j'ai pensé à toi cette semaine et j'ai
trouvé un stage parfait pour toi ». J'ai rien eu le temps de dire,
et elle m'a parlé du sud où je suis allée donc et
là elle m'a dit - qu'est-ce qu'elle m'a dit déjà, oui bon
voilà « en gros comme tu es intéressée par tout ce
qui est problématique de transmission, d'immigrés, les Italiens
en plus, voilà tu connais bien l'Italie tout ça, y a cette
région donc dans le sud du Brésil qui, où tu peux, la
plupart des personnes dans une des villes, dans une région en fait mais
dans une ville où tu vas, sont des descendants d'Italiens notamment donc
tu peux faire une étude avec eux enfin donc bref en gros un truc comme
ça donc j'étais là super j'étais enthousiaste,
enfin j'ai rien demandé enfin tu vois elle me l'a présenté
sur un plateau quoi et de là, donc ça ça devait être
quoi, fin octobre un truc comme ça, donc bin après de là
jusqu'à février on a, petit à petit on a organisé
quoi mais ça s'est décidé dès ce moment là
en fait, dès
qu'elle m'a dit « c'est bon j'ai trouvé un truc pour
toi » et que bon enfin voilà.
Tibo
D'accord. Et ça a été facile de discuter
avec les gens là-bas, enfin le processus administratif, etc.?
P
Au Brésil ou ici?
Tibo
Entre les deux si tu veux, la convention et tout ça.
P
Bin en fait si tu veux (rire), le stage ça s'est fait
un peu à l'arrache en fait parce que du coup elle connaissait quelqu'un
dans l'université, le vice-président de l'université
là-bas, mais pour mon stage le stage officiellement si tu veux il est
avec la fac sauf que bon, comme je suis en psycho, j'ai pas fait un stage
à la fac tu vois donc après, en fait eux sont venus en France
à un moment donné donc j'ai pu discuter avec la femme du gars et
en fait elle elle est maîtresse donc j'ai pu faire un stage dans son
école mais ça ça s'est un peu organisé en biais tu
vois c'était pas genre, voilà trouver le stage tu vois, alors que
pour les autres filles, les deux autres filles qui sont parties à
Recife, elles avaient déjà des structures avant de partir tu vois
et bin en fait j'avais voulu aller à Recife au début dans une
structure YMCA et en fait au début Mme X m'avait dit « non c'est
pas bien d'y aller en Master 1 parce que t'y vas pas longtemps, t'y vas que un
mois et demi/ deux mois, ça vaut la peine d'y aller au moins trois mois
tu vois, au moins, voilà, du coup elle m'avait dit non pour ça
mais j'y serais bien allée sinon tu vois, je serais bien allée
à Recife, c'était pas une question d'endroit ou quoi,
voilà, c'était juste...
Tibo
Je comprends bien effectivement. Et du coup est-ce que tu peux me
parler de ta structure, ce que tu faisais, tes collègues, tes
élèves, le cadre un petit peu, qu'est-ce que c'était en
fait?
P
En gros j'étais dans une école publique
là-bas et j'avais pas forcément un rôle de psychologue
tu vois dans la structure, y avait une psychologue qui venait une fois
toutes les deux semaines mais on s'est jamais croisé, on s'est
croisé vers la fin, et puis même de toute façon ça
aurait été compliqué de
travailler avec elle tu vois parce qu'elle faisait des
entretiens avec les parents, avec les enfants, et apparemment c'était un
truc, enfin, comme elle était pas là souvent de toute
façon ça aurait été dur de faire que ça de
toute façon quoi, fallait que je fasse un stage plein temps quoi, donc
moi j'étais en stage en observation dans les classes, j'ai fait aussi en
gros j'étais quoi, y avait un groupe de soutien en fait pour les
élèves en difficulté, un cours d'alphabétisation,
un cours de progression y appellent ça, c'est une prof en fait qui est
dédiée à ça et qui sous forme de jeu aussi, des
jeux pédagogiques ou n'importe, donc apporte un enseignement mais qui
est différent de celui que tu trouves dans la classe en fait. Euh, il y
a une psychopédagogue dans l'école une fois par semaine qui vient
donc je passais tous les jeudis avec elle et là c'est plus un travail tu
vois qu'elle fait par rapport à l'autoestime des enfants enfin
voilà.
Tibo
Je vois. Et ça se passait bien les relations avec ces gens
là, tes collègues, les élèves, le courant passait
bien?
P
Ouais, non non ça passait bien, y a juste des fois tu
sais avec les enfants c'était un peu compliqué au début
parce que par exemple si je parlais pas forcément bien le portugais
quand même, je le parlais un petit peu avant quand même, j'avais
des bases, mais enfin j'ai appris un peu sur le tas là-bas tu vois, donc
ouais au début t'es un peu dans une position ambiguë parce que
c'est dur de te faire respecter peut-être comme adulte parce que y voient
que, surtout que c'est des enfants en général, comme ils viennent
d'un milieu assez défavorisé qui n'avaient jamais vu
d'étrangers si tu veux des fois donc t'es un peu l'extraterrestre, et en
plus tu parles pas forcément bien leur langue, donc au début
j'avais un peu cette position bancale mais en même temps c'était
un atout aussi ça permettait tu vois de, surtout dans des cas de
difficulté d'apprentissage, enfin des enfants qui avaient des
problèmes d'apprentissage ou quoi, bin d'être t'es le professeur,
enfin l'éducateur plutôt, mais en même temps toi aussi t'es
en train d'apprendre tu vois, t'as un peu une position comme ça qui te
permet de pivoter enfin donc c'est, non c'était bien.
Tibo
Du coup c'était une chance d'avoir ces enfants, ne
serait-ce que pour la langue, pour la culture, ça a du t'aider non?
P
Ouais bin m'aider...bin après ouais c'était
enrichissant quoi c'est sûr de voir le système, et puis j'ai pu
aller dans d'autres écoles aussi après parce qu'en connaissant
les profs là-bas parce qu'elles travaillent jamais dans une seule
école en fait, ça marche par demi-journée, euh enfin en
gros ouais j'ai pu visiter d'autres écoles, j'ai même pu visiter
une école privée aussi, j'ai pas été en stage
là-bas mais je l'ai visitée quoi et c'est un contexte totalement
différent déjà, ouais tu vois beaucoup de la culture d'un
pays par l'École aussi quoi tu vois, l'éducation, non
honnêtement deux mois j'ai vraiment, j'ai découvert plein de
choses par rapport au Brésil quoi tu vois, de l'intérieur du
Brésil quoi, et par rapport à une seule région bien
sûr parce que c'est très très divers.
Tibo
Justement, est-ce que tu peux me parler un peu de ta
région, parce que moi je connais pas très bien le Brésil
tu vois parce qu'il y a plein de régions très différentes,
au niveau enfin climat, n'importe quoi, tout, t'étais où toi
exactement?
P
Ouais, alors moi j'étais dans le Rio Grande do Sul,
Caxias, c'est la région tout au sud, la dernière région du
Brésil avant, t'as l'Argentine en bas, sur le côté je crois
c'est le Paraguay enfin je sais plus, y a l'Uruguay d'un côté le
Paraguay de l'autre, et en gros c'est une région assez unique au
Brésil, parce que ils ont une culture en commun justement avec ces pays
là, c'est une culture donc les gauchos, donc c'est un peu les cowboys
latins tu vois, ils ont le lasso, le cheval et tout ça quoi.
Tibo
Oui, le lasso avec les boules accrochées c'est
ça?
P
Je sais pas ça. En fait j'en ai jamais vu en vrai, j'ai
eu l'occasion d'aller dans un centre de tradition mais j'ai pas vu les trucs de
lasso. Je sais pas, mais c'est possible ouais. Après y ont une boisson
tu sais y bois le chimarin [retranscription phonétique], le maté
qu'ils boivent en Argentine tout ça quoi. Ils ont des traditions
communes avec ces pays là, ils ont, je pense que certaines personnes
s'identifient même plus à ces gens là tu vois que aux
Brésiliens, et notamment les descendants d'Européens, parce qu'il
y a une immigration allemande, italienne et polonaise dans la région
très forte et du coup la plupart sont descendants d'Européens,
bon après maintenant t'as un brassage comme partout dans le
Brésil, y a aussi des origines de partout comme ailleurs dans le
Brésil mais
t'as quand même un certain attachement encore, un petit
peu encore, dans les jeunes générations beaucoup moins, mais les
personnes âgées encore d'aujourd'hui tu vois y revendiquent quand
même bien, tu vois y sont pas, enfin y ont un attachement au
Brésil mais bon, généralement parlant hein, je
généralise là, mais le Brésil du nord c'est
différent pour eux tu vois, et puis ouais d'un côté c'est
très différent tu vois parce que j'ai pas pu aller du coup
à Bahia, Recife tout ça parce que c'est vraiment très loin
mais ouais le Nordeste du Brésil c'est autre chose quoi, y a beaucoup
plus l'africanité tu vois, il y a une influence africaine, j'ai pu
aller, je suis allée à São Paulo et à Rio aussi, et
bin là aussi c'est différent tu vois, bon je dirais qu'il y a
plus de points communs avec São Paulo parce que c'est une ville assez
moderne puis je suis pas restée longtemps mais euh enfin tu as beaucoup
de spécificités locales en fait enfin c'est vraiment un pays
énorme en fait donc c'est difficile de dire « c'est comme ça
» enfin tu vas à un endroit et tu as ta petite
réalité locale mais bien sûr t'as des choses qui se
retrouvent et t'as une grosse influence de la culture américaine aussi,
nord-américaine, et euh les personnes ont quand même dans leur
majorité le sentiment d'être brésiliens mais voilà,
un espèce de patriotisme commun, donc ouais.
Tibo
Et toi justement ta réalité locale, c'était
comment là où tu vivais?
P
Euh ouais alors c'était une grande ville,
c'était une ville assez récente, qui a cent trente ans,
c'était une ville assez grande quand même, c'est une ville en
pleine expansion en plus, très industrielle, la capitale de la
région c'est Porto Alegre, qui est déjà beaucoup plus
grande donc c'est pas aussi grand que la capitale de l'état mais
c'était quand même une ville - comment je peux comparer avec la
France, par exemple c'est plus petit que Lyon mais c'est plus grand qu'Avignon
par exemple, c'est plus grand que Montpellier aussi, enfin c'était quand
même une grande ville quoi mais ce qui est intéressant c'est que
c'est une ville enfin c'est un peu comme Montpellier tu vois, quand tu sors
t'es tout de suite dans la campagne en fait. Et c'est ça qui est assez
impressionnant aussi, c'est que tu as donc l'interio ils appellent ça,
donc l'intérieur, l'arrière pays quoi, avec une
végétation différente hein parce que c'est tropical, et
euh, c'est pas que tropical, mais euh c'est différent d'ici de toute
façon, et, comment dire, t'as ces petits villages tout de suite quand tu
sors en fait, quand tu sors tu commences à être dans des villes
beaucoup plus petites et plus tu t'enfonces, je suis allée une fois
dormir dans un village, enfin c'est plutôt une petite ville, et c'est une
ville rurale si tu veux, ça fait un peu Far West tu vois, Far West
version brésilienne quoi et c'était hyper désorientant.
Tibo
Tu sens vraiment donc une différence entre ces deux
mondes?
P
Ah ouais t'es perdu, en fait je suis montée dans, enfin
il y a le point le plus haut de la ville, bon elle m'a fait monter le point le
plus haut de la ville pour que je puisse tout voir et tout, et tu vois des
forêts de pins, c'est un pin typique de la région, et tu as des
forêts forêts à perte de vue de pins, et tu vois pas la
prochaine ville quoi, t'as juste la ville là et les pins à vue
d'oeil, et c'est dingue quoi t'es vraiment isolée, et cette fille elle
va à la fac tous les jours tu vois donc elle se tape quatre heures de
bus par jour tu vois, deux heures pour y aller deux heures pour le retour, et
c'est des routes de terre à certains moments, donc y a même pas
des vraies routes tu vois c'est vraiment la campagne, en même temps c'est
une ville, ils sont auto-suffisants, ils sont fiers d'être là, les
jeunes ils veulent être là, c'est pas comme ici quoi, voilà
ils sont très attachés à leur ville, ils ont des modes de
fonctionnement encore très ruraux quoi, enfin pour moi en tout cas tu
vois, par exemple ils avaient de la viande et ils étaient en train de
préparer la viande dans une petite cabane à côté de
la maison, ils étaient en train de la faire sécher sur un fil de
fer enfin tu vois, il y a des chiens errants partout tu vois y a des petits
trucs comme ça que j'avais jamais vraiment vu en fait enfin comment dire
t'as un ressenti de la ville complètement différent quoi, j'avais
jamais vu ça, alors que je connais la campagne en France, ouais non
c'était à faire franchement.
Tibo
D'accord. Et quand tu t'es retrouvée au Brésil donc
qu'est-ce qui s'est passé, où est-ce que t'as logé, qui
t'as accueilli, comment se sont passés les premiers instants disons?
P
Ouais, en fait du coup c'est mon référent de
stage, en fait j'avais plusieurs référents de stage, j'avais donc
le référent c'était le président et après
c'est ma coordinatrice qui était pédagogue en fait à la
fac, une prof, parce que j'avais un cours à la fac avec elle pour genre
analyse de stage un peu tu vois donc j'étais logée chez lui au
début, les huit premiers jours et après j'ai trouvé mon
logement toute seule en fait parce que eux ils avaient pas vraiment de place
donc il y avait pas moyen de me loger tout le long et j'avais logé chez
une étudiante que j'avais connu par le biais d'une copine à moi
qui est brésilienne justement, qui vivait en France, elle est en
Angleterre maintenant, elle c'était une ancienne coloc à elle et
voilà, je lui ai demandé si elle connaissait des gens, elle a dit
« oui je connais cette fille », elle l'a contactée et en fait
elle avait pas de place chez elle vraiment mais j'ai
dormi dans son salon donc bon c'était un peu
improvisé mais en même temps y me restait quoi, y me restait un
mois tu vois donc, et puis certains weekends, en général le
weekend j'étais quand même là, parce que je faisais mes
entretiens le weekend, mais y a quand même un weekend où j'ai pu
voyager, et le dernier weekend j'étais pas là ; j'étais
partie quoi donc en fait bon ça faisait un mois et je me suis dit bon
bin c'est bon, je tiens le coup tu vois, c'est un mois dans un salon à
survivre, bon y avait quand même des désavantages que, c'est pas
le fait de pas avoir d'intimité c'est le fait que voilà je
faisais mon mémoire, que du coup j'avais pas forcément le
silence, je pouvais pas me poser dans un endroit pour travailler tu vois donc
ça c'est vrai que ça m'a peut-être un peu
pénalisé pour travailler, mais après en fait
c'était mieux quelque part parce que, d'être là je veux
dire, là où j'étais, parce que j'avais plus ma vie. Parce
que ce qui se passait dans la famille d'avant c'est que y vivaient un peu
excentrés, y faisaient toujours en voiture, y avait pas de transport
pour aller là-bas, du coup j'étais vachement dépendante
d'eux tu vois, donc tu compares ça à ta vie d'ici tu te sens un
peu étouffée en fait parce que t'es protégée, y a
une protection que ici on a pas tu vois, des réflexes de
sécurité, et c'est juste leur mode de vie en fait, c'est normal
pour eux, mais pour moi du coup c'était un peu bizarre tu vois.
Tibo
Qu'est-ce que tu veux dire par « protégée
»?
P
Bin, comment dire, tu vas pas rentrer à pied quoi,
ouais, y prennent toujours la voiture. Après c'est peut-être
culturel, mais bon j'ai senti que c'était plus un truc de
sécurité tu vois, de toujours, surtout le soir, surtout le soir.
Le soir pour te dire, y a un soir en fait avec une Française on
était allé se balader comme ça parce qu'on cherchait un
bar assez connu apparemment, un truc sympa, et on s'est perdu. On avait une
carte et tout, on s'est retrouvé dans des, à côté du
centre ville vraiment la place centrale et tout, on s'est retrouvé dans
des quartiers écoute, c'était huit heures du soir mais glauque
quoi, y avait personne dans les rues, alors que c'est habité hein c'est
des maisons voilà, personne dans les rues, une petite voiture qui passe
de temps en temps mais vraiment le truc vraiment glauque, du coup on est
arrivé à une espèce de station d'essence avec un Pizza Hut
et c'était trop bizarre j'ai jamais senti ça, on a vraiment
ressenti une insécurité tu vois, de se dire « ok on peut pas
aller marcher plus loin et revenir sur nos pas, on peut pas revenir sur nos
pas, on va pas continuer plus loin ça a l'air dangereux », tu vois
des personnes un peu louches qui trainent enfin, en France honnêtement
ça me pose aucun souci, mais là-bas, y savent que t'es
étranger quand même, tu le vois, en plus on parlait
français entre nous, t'as aussi un truc à te dire : la personne
elle peut être
armée, y ont un gros problème là-bas avec
la drogue en fait, avec les drogués qui agressent les gens dans la rue
pour avoir de l'argent, qui ont besoin de drogue en fait, donc il y a pas mal
de cas de gens qui se font tuer dans la rue par des personnes en manque quoi.
Donc si tu veux c'est pas des choses à quoi je pense ici, tu vois je me
promène dans la rue à trois heures du mat c'est pas un souci -
bon je le fais pas souvent mais ça m'arrive, et là-bas,
même, dès que la nuit est tombée en fait, tu vas penser
tout de suite différemment, tu vas te dire, ça m'est
arrivé de rentrer à pied quand j'avais besoin vraiment mais la
plupart du temps les gens chez qui j'étais me ramenaient tu vois, ils te
ramènent, ils te laissent pas tout seul et donc je finis juste avec
cette fille là, en fait on s'est dit « bin c'est bon on prend la
pizza là et après on appelle un taxi » et n'importe quel
restaurant ou n'importe où où tu es tu demandes d'appeler un taxi
ils le font quoi tu vois, parce que s'ils te voient tout seul ou y voient que
t'as pas de voiture enfin c'est pas un souci quoi t'appelles. C'est normal en
fait c'est normal là-bas. Et ouais, ça déjà c'est
un truc y faut s'y habituer quoi parce que pff ici j'appelle jamais de taxi
quoi, ça me viendrait jamais à l'idée d'appeler un taxi tu
vois, je sais même pas comment on fait même.
Tibo
Oui c'est vrai, c'est souvent à l'étranger qu'on
appelle les taxis alors qu'en France on le fait pas, c'est assez amusant
d'ailleurs. Et dis moi, comment tu t'y est pris pour créer des liens,
pour rencontrer des gens, nouer des relations?
P
Bin en fait je connaissais déjà des gens avant
parce que bon j'avais le contact de cette fille, après bon j'avais mon
coordinateur déjà que je connaissais, que j'avais
rencontré ici aussi donc enfin je suis arrivée, aux relations
internationales si tu veux, y avait un peu des étudiants qui attendaient
aussi si tu veux donc j'ai déjà rencontré quelques
étudiants là, j'avais un gars en Erasmus que j'avais
contacté avant d'y aller donc quand je suis arrivée aussi
après je l'ai vu puis après c'était mon stage, j'ai
rencontré beaucoup de gens en stage, j'ai rencontré quoi, ouais,
c'était, je sais pas où j'ai rencontré le plus de gens,
mais en fait j'avais déjà des personnes clés un peu
dès le début euh ouais, ça s'est fait tout seul
après quoi. Ça m'a quand même bien mis une semaine à
commencer mes entretiens par exemple parce que j'ai bien mis une ou deux
semaines à faire bien mes contacts aussi, tu vois les gens que je
rencontre, je travaille avec eux, souvent c'était des collègues
en fait, par le biais des collègues qui connaissaient des gens ou quoi
je me retrouvais dans une famille et ça a mis un peu de temps à
faire les contacts surtout que les gens ne sont pas libres en semaine donc
c'est que les weekends donc les weekends c'était que ça quoi.
Tibo
Et donc c'était facile de t'intégrer finalement
quoi?
P
Ouais, j'ai pas trouvé ça compliqué,
après pour moi ce qui était plus difficile c'était le mode
de vie tu vois, parce qu'y ont un mode de vie, par exemple la fille chez qui je
vivais bon elle avait deux colocs, elle travaillait à des horaires pas
possibles alors elle bin souvent tu sais la plupart des gens travaillent si ils
vont dans une école, attends, les facs publiques sont gratuites
quasiment mais si tu n'as pas été pris dans la fac publique tu
paies, c'est très cher la fac, la plupart des gens travaillent en fait
pendant la journée et vont à la fac le soir très tard et
du coup ils vont avoir une journée de travail normale et ils vont aller
à la fac de sept à dix-onze heures du soir tu vois et
après s'il suffit qu'y est un soir où tu veux faire une
activité, je sais pas moi, de la danse ou quoi, en gros tu te retrouves
avec la semaine vraiment blindée quoi donc cette fille avec qui je
vivais je la voyais quasiment jamais en fait, je la voyais que le soir ou les
weekends des fois parce que elle avait un emploi du temps de malade quoi, je
veux dire même moi qui travaillais beaucoup je trouve, je travaillais
moins qu'elle quoi je veux dire elle avait des horaires de fou et ses colocs
c'était pareil, donc on se voyait qu'en coup de vent tu vois et
ça j'ai trouvé ça très bizarre au début
parce que c'est pas du tout la même vie étudiante qu'ici. Moi
ça me posait pas trop problème parce que je travaillais la
journée en stage, mais je sais que y a une étudiante Erasmus par
exemple pour elle c'était dur tu vois, parce qu'elle est arrivée
et la journée elle avait rien à faire, parce que les cours
étaient le soir, et elle comme elle avait pas de travail elle se
retrouvait les premiers jours à se dire « bon bin qu'estce que je
fais quoi? ». Donc c'est un rythme de vie différent, la valeur de
la famille est très importante, donc les gens, bin par exemple, la fille
chez qui je vivais, c'est pas habituel ce qu'y font eux tu vois, parce que
normalement les gens vivent chez la famille normalement, donc c'est très
rare.
Tibo
Famille élargie tu veux dire?
P
Non juste les parents mais ils vont rester chez les parents,
c'est très rare d'aller en coloc comme ça, d'ailleurs quand je le
disais aux personnes que je rencontrais c'était « ah bon elle vie
en coloc mais c'est bizarre », c'est vraiment pas habituel, après
tu peux le comprendre aussi parce qu'avec ce rythme de vie là t'as pas
trop le temps de prendre soin de toi enfin tu vois, si y faut que tu fasses
le
ménage dans l'appart t'as vraiment pas le temps de le
faire, elle avait, après la famille ouais, c'est vrai y ont tendance
à habiter, pas tout le monde hein, pas tout le monde, pas toutes les
personnes que j'ai vu, mais moins avec la famille proche donc parents
frères et soeurs mais tu as aussi des liens avec les tantes, cousins tu
vois. C'est, c'est important tu vois, moi ce que j'ai pu remarquer tu vois
c'est que les personnes elles passent tellement de temps au travail, tellement
de temps avec leur famille, en fait quelque part tes amis ça devient tes
collègues tu vois, en fait c'est très normal que tes amis soient
tes collègues, sauf si par exemple tu es chrétien et tu vas
à l'église, là tu connais d'autres gens, enfin si tu fais
une activité sportive ou tu vois, mais en général ce que
j'ai pu observer les personnes ont leur famille et leurs collègues et
c'est ça quoi et si y font une fête y vont inviter les
collègues tu vois et moi j'ai trouvé ça très
bizarre personnellement parce que pour moi dans l'éducation que j'ai eu
tes collègues c'est tes collègues enfin c'est genre ton travail,
tu laisses ça de côté et ton temps libre c'est avec tes
amis tu vois, d'autres personnes. Et ça au début j'ai
trouvé ça très bizarre et aussi très ambigu en fait
parce que tu coup tu peux pas, enfin pour moi d'après mes valeurs, tu
peux pas être ami avec quelqu'un avec qui tu as des enjeux financiers,
enfin des enjeux comme ça tu vois de travail, mais pour eux c'est normal
voilà.
Tibo
Ok. Et donc en parlant, en lisant tes réponses aux
questionnaires, on voit que tout de suite au Brésil tu t'es sentie bien
dès le début, est-ce qu'il y a quelque chose de particulier? Un
état d'esprit peutêtre je sais pas?
P
Ouais bin en fait déjà comme c'est un continent
différent, bon alors moi déjà je suis allée au
Brésil en me disant « ça va être pas trop
différent » tu vois, parce que comme je connaissais
déjà plein de Brésiliens ouais je m'étais dit
« c'est très moderne » j'avais en tête que il y avait de
la pauvreté mais je m'étais dit que j'allais pas être trop
choquée tu vois et aussi bon je pense tu vois que j'avais la pression de
me dire, c'est moi-même qui me la suis mise mais de me dire « ok,
est-ce que je me vois habiter là-bas? » tu vois et du coup en
arrivant c'est vrai que peut-être les deux premiers jours, parce que
ouais les premiers jours j'étais chez mon copain, c'était ouais
c'était un peu intense parce que je suis débarquée
là et j'avais l'impression d'être dans un documentaire sur
l'Amérique Latine tu vois honnêtement hein, j'avais jamais
été là-bas et d'y être c'est une autre chose tu
vois, c'est même pas le fait de la langue ou quoi tu vois parce que j'ai
déjà connu tu vois, j'ai déjà été au
Portugal aussi avant, c'est pas que la langue, c'est l'environnement quoi, les
mesures de sécurité comme je te parlais, les maisons elles ont
toutes le grillage devant enfin, juste la façon de vivre quoi et au
début
ça m'a quand même fait un petit choc ouais le
premier jour ouais ouais. Bon après je m'y suis fait vite hein j'ai pas
eu trop de mal à m'adapter, après c'est juste que sur une
perspective à long terme je me suis posée la question
honnêtement « est-ce que je me vois vraiment vivre là toute
ma vie quoi? » et ouais j'ai pas forcément encore de réponse
à cette question enfin je pense qu'y faudrait y retourner plus longtemps
tu vois pour mieux connaître, après moi enfin comme t'as pu voir
dans mon parcours identitaire dans le fond moi je me sens quand même bien
française tu vois, parce qu'il faut te sentir appartenir quelque part,
t'as besoin de sentir que t'appartiens quelque part, même si tu veux
habiter n'importe où, même si t'aimes pas où t'habites, tu
n'aimes pas d'où tu es, j'en sais rien, enfin t'as besoin de savoir
d'où tu viens quoi et pour moi je peux dire tout ce que je veux sur la
France mais n'empêche que j'ai vécu là, toute ma vie
quasiment, et c'est vrai que mes origines ne sont pas là, enfin bref,
tout n'est pas là, mais en même temps c'est un peu ma base quoi,
et je me suis rendue compte aussi en allant là-bas que quoi qu'il arrive
je voudrais pouvoir revenir en France tu vois, je me vois pas forcément
rester ici toute ma vie, mais en même temps je veux pouvoir revenir, donc
c'est toute la question aussi de bin voilà, si tu vas là-bas et
que tu te marries avec quelqu'un làbas et que tu fais ta vie
là-bas, est-ce que tu peux revenir en France tu vois? Donc il y a toute,
tu vois c'est un questionnement aussi, un cheminement de bon qu'est-ce que tu
veux pour ta vie plus tard, et ça ça a beaucoup influencé
sur mon adaptation là-bas en fait. Bon après j'ai fait
abstraction tu vois de projets futurs ou quoi parce que cette expérience
là je la vis tu vois mais c'était toujours dans le fond quoi, en
arrière plan et je pense que du coup bin ça a peut-être mis
un peu de pression tu vois, une certaine pression, mais en même temps
elle a été bien gérée parce que bin ça s'est
bien passé quoi.
Tibo
Je vois. Pendant que tu étais là-bas, est-ce que
ton image de la France elle a un petit peu changé, est-ce que tu as
remarqué des choses que tu remarquais peut-être pas avant, est-ce
que tu as pu te distancier et regarder en arrière et te dire « ah
oui tiens c'est différent » par rapport à ce que « nous
», Français disons, on fait et eux comment ils s'organisent
peut-être je sais pas?
P
Euh oui bin oui c'est très différent en fait,
mais le truc que moi j'ai trouvé le plus dur en fait c'est le regard
qu'y ont en fait sur les Européens et sur les Français notamment
parce que bon y a pas à dire, c'est un pays ex-colonisé et nous
on était colonisateur en fait, enfin la France, les Français
étaient colonisateurs, même si je l'étais pas
personnellement (rire), mais y a quand même ça qui reste
honnêtement ça pèse encore et tu le vois dans leur
représentation des gens, dès que tu dis que t'es
française « ouah trop chic » tu vois enfin
bon ils ont des représentations du genre, ils ont des clichés du
genre, ouais on se lave pas tous les jours et honnêtement ils le pensent
sérieusement quand ils te posent la question c'est pas qu'ils rigolent
ils te posent vraiment la question donc ça c'est assez intense,
après ils ont des trucs du genre on mange à table avec cinq
couverts tous les jours ou genre des trucs tu vois l'entrée, le nana, le
dessert enfin tu vois ils ont ce truc tu vois de vraiment on est chics on est
élégant tu vois ils ont vraiment les stéréotypes
comme ça sur la France qui sont tellement pas vrais pour la plupart des
Français aujourd'hui, c'était peut-être vrai dans le
passé et ça l'est peut-être encore pour une petite
minorité de gens. Y ont les stéréotypes tu vois que tout
ce qui est français c'est de la bonne qualité tu vois, y vont se
ruiner à acheter des produits de marque genre Loréal ou
Lancôme ou j'en sais rien des trucs que nous-même on achète
même pas, parce ce qu'on veut chercher moins cher tu vois, mais pour eux
c'est français donc c'est bien et y vont dépenser l'argent pour
l'acheter, parce que c'est de la qualité tu vois. Et y pensent que nous
on fait pareil, y pensent que y vont acheter quatorze parfums, y vont alors le
parfum c'est un truc, le parfum français a une telle réputation y
vont acheter je sais pas combien de parfums alors que nous on va en acheter un
tu vois et ce sera genre notre parfum tu vois quoi on va pas en acheter
quarante. Pour eux, c'est une marque de richesse tu vois, une marque de je sais
pas, d'élégance ou quoi d'avoir un parfum surtout français
et d'en avoir plusieurs quoi, et pour moi c'est des trucs mais pff quand j'ai
vu ça j'ai halluciné quoi parce que pour moi c'est tellement des
trucs futiles en fait honnêtement bon ça c'est mon
éducation enfin voilà mais en même temps j'arrive pas
à comprendre, enfin je peux le comprendre si tu veux mais si tu veux si
je me base d'un point de vue comment dire rapports de pays tu vois, enfin genre
toute une logique qui leur a été un peu transmise tu vois
où « on », enfin, la France et les pays européens
étaient synonymes de modernité tu vois de civilisation tu vois
c'est un peu ça qui leur a été transmis, et c'est encore
un peu ça qu'eux-même cultivent aujourd'hui parce que ça
leur a été transmis comme ça je pense et c'est encore
présent et ça pour moi c'était le plus dur à vivre
en fait.
Tibo
Ça revenait donc souvent au fur et à mesure des
gens que tu rencontrais?
P
Bin ça revient ouais dès que tu rencontres
quelqu'un c'est clair. Même dans le sud alors que le sud y sont tous
descendants d'Européens quasiment et justement ils s'en vantent, c'est
quelque chose dont ils sont contents et même eux parce qu'ils sont
brésiliens mine de rien et dès que tu dis que t'es
française y sont trop contents tu vois, ils veulent parler avec toi si y
parlent français, enfin y vont
limite y vont s'identifier plus à toi et te dire «
ouais ici c'est pas comme le reste du Brésil, on est plus
évolué » enfin des trucs comme ça et enfin moi je
trouve ça insupportable en fait parce que quelque part c'est tout le
truc de se dire « bin ouais j'ai pas choisi où je suis née
et en même temps j'ai pas choisi moi ce rapport de force avec les gens,
j'ai pas choisi d'être dans le pays qui était colonisateur »
tu vois ce que je veux dire, donc si je vais quelque part j'ai pas envie
d'avoir cette position d'ex-colonisateur tu vois mais en même temps tu
l'as malgré toi en fait parce que c'est d'où tu viens quoi.
Tibo
Et tu penses que ça a altéré ton rapport
avec les gens d'un certain côté?
P
Pas « altérer », ça a pas
altéré les choses, enfin je pense pas que ça
t'empêches d'être authentique avec les gens mais n'empêche
que tu as ton arrière plan qui reste tu vois ce que je veux dire. Les
gens t'accueillent, y a pas de soucis, et les gens ouais y sont super
accueillants et y vont pas te discriminer, c'est presque de la discrimination
positive en fait tu vois, c'est presque de ouais, enfin, en fait c'est pas que
je voulais pas être française tu vois ce que je veux dire, c'est
pas que j'avais honte d'être française ou quoi, mais j'en avais
marre qu'y me voient comme ça en fait, j'avais envie de leur dire «
mais allez en France » tu vois, y en a qui sont allés en France et
y sont pas comme ça tu vois, c'est pas tout le monde qui est comme
ça, mais j'avais envie de leur dire « allez y quoi » enfin en
même temps c'est un peu ingrat de dire ça car ils ont pas
forcément tous les moyens d'y aller, mais tu vois rien que le fait avec
l'euro aussi, que moi j'arrive avec l'euro j'ai tout moitié prix quoi,
si je travaille là au Brésil je gagnerais la moitié de ce
que je peux gagner ici, enfin des trucs comme ça de me dire, bin ouais
c'est vrai que avec la géopolitique je suis en position de force et je
véhicule ça, en venant ici je véhicule le passé, je
véhicule le statut international de mon pays d'origine, et c'est
présent aussi quand même dans tes rapports avec les gens tu vois,
les gens vont toujours te dire « oh oui, l'éducation là-bas
c'est tellement bien » en gros quelque part que tu viens d'un pays qui est
plus civilisé donc qu'il y a plus d'éducation, qu'il y a plus de,
c'est pas vrai tu vois ce que je veux dire mais c'est quand même ce qui
t'es renvoyé tu vois et en même temps c'est vrai qu'y a tellement
de, comment dire, y a tellement de disparité là-bas, y a
tellement d'extrêmes, que pour être je sais pas moi classe moyenne
en France y faut vraiment être riche quoi, faut être aisé tu
vois pour avoir accès à une bonne éducation y faut avoir
de l'argent aussi et les livres là-bas coûtent chers parce que
c'est pas une normalité là-bas d'acheter des livres tu vois,
enfin ici en France c'est quand même assez courant d'avoir une
bibliothèque chez toi, c'est pas tout le monde mais c'est
courant, là-bas enfin c'est la télé quoi,
la télé la télé, les livres c'est un luxe quoi tu
vois et ouais voilà moi je viens d'une famille où les livres
c'est hyper important c'est pas qu'on est intellectuel ou quoi mais les livres
pour nous c'est important quoi et ça voilà je me suis dit «
si j'habite au Brésil, est-ce que je pourrais me payer des livres quoi?
» voilà, est-ce que je pourrais aussi importer des livres dans les
langues que je veux lire, français, italien, anglais, etc., parce que
ça coûte cher aussi ça d'importer les livres, tu vois y a
tout ce truc de l'accès à la culture, l'accès à
l'éducation qui est quand même pas le même. Tu vois c'est
pas que les gens y sont bêtes, c'est que y ont pas le même
accès en fait, ici on est quand même privilégié par
rapport à ça, je veux dire on a des réductions,
déjà les monuments sont entretenus, c'est organisé on a
des offices du tourisme, on a enfin tu vois l'accès à la culture
est privilégié tu vois, nous en tant qu'étudiants on a des
réductions en plus c'est favorisé pour la jeunesse.
Tibo
Et ça tu t'en est aperçue, tu l'as
conscientisé quand tu étais là-bas ou tu t'étais
déjà fait la réflexion avant?
P
Je l'ai un peu vu là-bas, avant non je disais pas
ça parce que j'avais pas vu comment c'était donc avant j'avais
pas conscience de comment ça allait être vraiment tu vois et c'est
une fois là-bas que j'ai vu les choses et que j'ai dit « waow
» mais c'est vrai que, c'est vrai que tu peux avoir accès aux
choses tu peux si tu veux et si tu as les moyens tu vois, surtout si t'as les
moyens, c'est surtout une question d'argent, et tu comprends aussi notamment la
mentalité des gens, tu vois les gens parlent beaucoup d'argent, de
s'enrichir, cette notion un peu américaine, de l'ascension sociale, de
se créer soi-même nanana, et ici enfin en France ça fait,
ça fait pas bourgeois mais tu parles pas d'argent comme ça, au
contraire, les gens essaient de montrer qu'ils sont le plus humble possible tu
vois par exemple, c'est peut-être limite « bobo » ça
aussi mais bon y a pas tellement cette mentalité de parler d'argent tu
vois ici, en même temps c'est parce qu'on a accès à tout tu
sais, on a pas besoin de parler d'argent vraiment tu vois, et eux la plupart
des gens ont, là les gens dont je te parle ce sont des gens de classe
émergente surtout, classe moyenne émergente, donc c'est pas des
gens hyper riches mais c'est pas des gens pauvres non plus, pas des milieux
populaires ou des favelas non plus, donc c'est quand même des gens qui
vivent bien mais qui luttent quoi enfin tu sens qu'y a quand même que
c'est pas aussi facile tu vois, je me suis sentie très
privilégiée en fait. En France, et dans plein de pays d'Europe,
tu as accès à tout facilement tu vois, on peut se plaindre de
tout ce qu'on veut, de l'administration enfin tout ce que tu veux
n'empêche que la vie elle est quand même facile quoi.
Tu as réussi à t'y faire quand même
là-bas? Il y a quelque chose qui t'as manqué peut-être ou
je sais pas?
P
Bin à part ce côté ouais culture tu vois
parce que bon notamment dans les villes assez récentes parce que du coup
c'est vrai qu'y a pas de patrimoine tu vois, bon tu vas à Rio c'est
différent hein, Rio c'est une ville beaucoup plus ancienne, donc il y a
ce côté culture, tu sens qu'il y a une richesse culturelle
là-bas qui est différente. Dans une ville récente c'est
vrai que c'est un petit peu normal peut-être que tu sentes moins, faut
dire qu'en France partout où tu vas y a de l'histoire tu vois ce que je
veux dire. Ce qui est intéressant là-bas en fait c'est que tu
sens qu'y sont en plein développement et eux-même y ont en
conscience en fait, parce qu'y vont te dire « ouais en Europe y a la
crise, nous on est la cinquième puissance économique on grandit
» y ont conscience qu'y se passe des choses tu sais et en même temps
c'est assez frustrant d'un autre côté parce que tu te dis «
c'est vrai voilà en Europe c'est un peu la misère en même
temps toi personnellement t'y es pour rien » donc là encore t'as
l'impression de porter un fait, un passé, et tout une situation
où toi t'as rien à voir dedans, c'est juste la situation des
choses, donc tu es dans un pays qui certes n'est pas très
organisé encore, qui est immense et dur à coordonner et qui est
pas forcément partout développé pareil enfin y a encore
beaucoup de manque, en même temps y sont en effervescence et tu sens
cette effervescence là-bas sur place, y a des endroits
déjà où tu vois pas limite la différence avec ici,
c'est pas la pauvreté partout au contraire, c'est plus que ça va
être réparti différemment, tu peux voir une maison riche
à côté d'une favela, mais ouais les écarts de
confort de vie sont énormes mais ce qui est très frustrant c'est
que tu sens qu'y a cette effervescence et que tu as envie d'en faire partie en
fait, y a un côté très enthousiasmant là-bas, c'est
que tu as l'impression que tu vas construire quelque chose, qu'il y a quelque
chose qui est en train de se construire et que tu vas construire avec eux et
que quelque part ici en Europe c'est pas qu'y a plus rien qui va se faire tu
vois mais c'est comme si c'est essoufflé, c'est comme si tu vas
là l'Histoire a été faite, tu es héritier d'une
Histoire qui a déjà été faite et que voilà
maintenant on a les conséquences de ce qui a déjà
été fait et on est obligé de se dépêtrer avec
toutes les conséquences alors que là-bas tu as l'impression que
ça commence en fait tu vois et c'est très bizarre comme sentiment
et c'est un peu caricaturé hein je pense pas que c'est exactement comme
ça, mais ouais c'est un peu ça que tu ressens. Et en même
temps c'est assez comment dire tu as peur pour eux. Moi je sais que je voyais
certains trucs là-bas et je me disais « mais mince mais pourquoi y
font ça quoi » enfin y font exactement bin par exemple l'influence
de la culture américaine ou occidentale en général
même pas que américaine, tu vois ils vivent d'une façon
dont
nous on vit, parce que pour eux c'est un modèle de
modernité tu vois c'est un modèle de civilisation en fait et moi
j'ai envie de leur dire parfois « mais pourquoi vous faites ça
quoi, faites pas les mêmes erreurs que nous » du style de pas
développer les transports en commun au lieu de la voiture personnelle,
le modèle américain par excellence, le pétrole quoi tu
vois les erreurs que les pays qui se sont industrialisés dans le
passé par exemple en Europe ont fait bin y font les mêmes tu vois
parce qu'y suivent le même chemin, et eux y ont quand même
l'avantage d'avoir la canne à sucre, d'avoir du terrain enfin bref, mais
y a un moment donné où y vont avoir les même
problèmes qu'on a ici de gestion de l'espace dans les villes, de
voilà qu'est-ce qu'on fait avec les voitures, les énergies
renouvelables, ça va aussi se poser ces question là.
Tibo
D'accord. Et tu t'es assez identifiée à cette
culture, à cette façon de voir le monde peut-être, tu t'es
sentie vraiment incorporée là-dedans, envie de participer
peut-être?
P
Ouais moi j'ai pas de mal à m'adapter aux endroits
où je vais en fait, je pense que c'est un avantage que j'ai, un atout,
c'est que je m'y fais tu vois quoi et j'ai pas de mal à me
dépouiller de ma culture, mes valeurs c'est peut-être autre chose
ouais mes modes de vie tu vois du moins mes coutumes c'est pas quelque chose
à quoi je suis vraiment attachée tu vois donc je peux m'y
adapter, du moins pour un court terme. Après, voilà, le long
terme c'est une autre question mais à court terme ouais je peux. Donc
voilà ça permet de réfléchir, de prendre de la
distance déjà, parce que tu vis des trucs de l'intérieur
tu vois.
Tibo
On parlait de préjugés, non de
stéréotypes pardon, positifs, est-ce qu'il y a eu des
stéréotypes négatifs à ton encontre par exemple?
Est-ce que c'est arrivé?
P
Non pas de ça. Non du coup bon je pense un truc
négatif ça peut être que justement y a peut-être un
complexe d'infériorité de fait que t'es européen t'es
français notamment, voilà tu viens de ce pays du savoir, des
Lumières nanana, et du coup je pense que certaines personnes elles se
sentent d'office peut-être intimidées par toi ou des trucs comme
ça, ouais.
Ça t'as pas perturbé plus que ça disons, y a
pas eu de réactions frontales où on t'a fait comprendre que...
P
Ah non, ça non, mais je pense que c'est lié
aussi à la l'usage de la langue, vu que je parlais assez bien portugais
enfin, ça aussi je pense que ça aide, que si par exemple tu
galères à comprendre, si tu parles très fort avec l'accent
français tu vois ce que je veux dire, je pense que bon si tu critiques
tout, ça dépend de l'attitude aussi je pense. Non comme j'ai
essayé de m'intégrer là-bas j'ai pas trop eu de
réactions comme ça, enfin je m'en souviens pas du tout.
Tibo
Très bien très bien. Et du coup qu'est-ce que tu
faisais comme activité sociale? Parle-moi de tes loisirs, ce que tu
faisais en dehors du boulot, comment ça marchait?
P
Euh en dehors du travail, bin du coup je rencontrais des
personnes, du coup ça m'arrivait des fois de rencontrer quelques
connaissances que j'avais, euh je connaissais pas trop les cafés ou les
bars et de toute façon il y avait pas trop cette culture du café
sur la terrasse tu vois où on va se poser, mais ouais ça m'est
arrivé d'aller boire un coup avec quelques personnes et c'est vrai que
c'est pas très courant là-bas en fait, c'est pas un truc qu'y
font entre jeunes par exemple, tu vas plus aller chez les gens en fait. Bin
ouais je suis allée une fois à une soirée chez des
argentins pour danser c'était sympa, je crois que c'est la seule fois
où je suis sortie en fait parce qu'après à part ça
vraiment je bossais quoi, j'avais vraiment pas le temps. Y a juste bin un
weekend quoi je suis allée à, un weekend je suis rentrée
chez mon copain....
Tibo
(Bruit), hop, le temps de retourner la cassette...
P
Ouais un weekend je suis retournée là-bas et le
dernier weekend où j'ai pu aller à Rio mais à part
ça sur place j'avais pas trop de loisir. J'ai failli aller avec ma coloc
à, elle faisait des cours de danse et de l'escalade alors j'ai failli y
aller mais j'étais tellement crevée en fait que je crois que
c'est le fait de la langue aussi tu sais comme je parlais portugais
vingt-quatre sur vingt-quatre je me sentais
tellement fatiguée au début, le rythme de que
j'avais, je dormais pas forcément bien du coup avec le canapé,
oui parce qu'il y avait une des colocs qui rentrait à minuit du travail
bon elle me réveillait pas, mais j'étais toujours
réveillée par celle qui se levait à six heures du mat,
donc je dormais pas trop (rire), voilà donc ouais j'avais un rythme de
vie assez intense.
Tibo
D'accord. Et tu parlais d'église tout à l'heure, et
est-ce que t'as fréquenté les églises là-bas?
P
Alors ouais en fait j'ai rencontré une dame qui allait
à une église baptiste là-bas donc j'ai pu y aller une fois
j'ai pas pu y aller beaucoup parce que bin je travaillais tu vois. Euh ouais
alors les églises, parlons-en (rire). C'était assez surprenant
ça aussi parce que j'ai jamais vu ça et je pense que c'est
très proche de ce qu'il y a aux États-Unis en fait. Parce que par
exemple en France c'est pas du tout comme ça. La situation des
églises évangéliques en France, y a plein de
dénominations mais tu n'as pas de mentalité de propagande ou
marché tu vois, de commerce un peu tu vois. Et ce que j'ai trouvé
là-bas en fait c'est que c'est tellement courant d'être croyant,
enfin en quelque chose hein, quoi que ce soit, ils font beaucoup de
mélange hein, c'est très courant que les gens soient catholiques
et qu'en même temps y pratiquent le Candomblé et qu'y pratiquent
un autre truc tu vois. Et dans les églises évangéliques,
je sais pas d'où ça vient, alors mon hypothèse c'est que
c'est l'influence des États-Unis, mais dans de nombreuses
églises, pas toutes, mais c'est vrai que je comprends la mauvaise
réputation des églises évangéliques là-bas
parce que (rire) tu vas dans la rue tu vois des églises
évangéliques tu vois c'est des grands boulevards un peu à
l'américaine tu en vois partout et alors c'est des trucs l'affiche la
plus grande possible, y te vendent des miracles quoi tu vois t'as tout une
doctrine de la guérison, une doctrine de la prospérité
aussi qui est très présente làbas et qui est pas
présente en France, j'ai jamais vu ça en France, et si c'est
présent c'est vraiment une minorité d'églises et c'est pas
visible quoi mais là-bas j'ai été choquée, j'ai
été choquée ouais, j'ai été choquée
parce que comment dire bin c'est d'autant plus dur d'être authentique je
pense parce que du coup t'es assimilé à quelque chose que t'es
pas forcément tu vois et je pense que ça doit être
très compliqué en fait d'être chrétien
là-bas, je pense même plus compliqué qu'ici, parce que ici
y a pas ce côté, enfin moi je l'ai jamais vu, donc je pense que tu
n'as pas à remettre en question l'authenticité et la
sincérité des gens, enfin moi j'ai jamais vu ici le
phénomène d'église-secte tu vois, y a des sectes, mais
dans les églises évangéliques que je connais j'ai jamais
vu ça. Là-bas tu as des églises écoute tu as
même pas envie de rentrer dedans tu vois enfin honnêtement, rien
qu'à voir l'affiche, rien qu'à voir, c'est un magasin quoi
presque tu sais c'est limite un magasin de foi quoi,
enfin je sais pas comment l'exprimer mais j'ai
été choquée par ça quoi. Et en parlant avec des
gens ce qui est très intéressant, quand je parlais avec des gens
et qu'y te demandent « alors toi tu crois quoi » parce que
là-bas y sont tous croyants, y croient tous en Dieu, là-bas
comment dire l'existence de Dieu est quasiment pas remise en cause par personne
en fait ce qui par exemple en France n'est pas le cas. Là-bas les
athées les gens y se moquent d'eux tu vois parce que c'est tellement
évident que Dieu existe tu vois ce que je veux dire et ça peut
être n'importe quoi hein, c'est pas forcément le Dieu de la Bible
par exemple, le Candomblé est très présent, bin C t'en
parleras demain, les gens y peuvent croire tout et n'importe quoi mais y ont
quand même une notion de spiritualité donc tu leur dis « je
crois en Dieu » c'est pas une grosse nouvelle tu vois c'est pas choquant
alors que si tu dis ça à quelqu'un en France déjà y
peut penser que t'es un peu bizarre tu vois ou que t'es pas intelligent enfin
bref tu peux avoir des réactions comme ça en France là-bas
non, c'est limite tu crois pas en Dieu t'es pas normal tu vois. Donc y a
ça mais du coup ça laisse place aussi à beaucoup de
confusion parce que tu crois tout et n'importe quoi, tu mélanges
tout.
Tibo
C'est intéressant parce que toi du coup étant
croyante ou pratiquante je sais pas, est-ce que c'était la même
foi? T'es-tu ou ne t'es-tu pas assimilée à ça? Comment tu
voyais la chose avec tes yeux à toi?
P
Bin du coup c'était marrant comme je te disais parce
que quand je rencontrais des gens dans une église et qu'y me demandaient
« et toi qu'est-ce que tu fais » et je leur disais « je suis
évangélique », mais quand tu dis que t'es
évangélique à un Brésilien, qui ne l'est pas
d'office, alors deux réactions : soit y va penser que t'es dans une
secte, complètement illuminé, soit tu lui précises quelle
église tu vas et là y va te dire « ah ouais d'accord ok je
vois eux c'est des églises sérieuses ». Mais moi je l'ai
vécu comment, euh bin, ça m'a un peu rendu triste parce que je me
suis dit « c'est très dommage en fait » que ce soit
utilisé comme ça, après moi j'ai cette conception que Dieu
gère les choses tu vois, Dieu est au-dessus de tout donc y voit
même dans ces endroits là, enfin, voilà mais ouais et
ça m'a rendu triste pour ça parce que je me suis dit qu'il y a
beaucoup de personnes ici et c'est vrai que j'entends beaucoup d'histoires de
personnes qui sont escroquées quoi. Concrètement y vont leur
promettre des trucs genre donne tout ton argent, Dieu te le rendra, enfin ces
théories là quoi et des personnes du coup qui sont très
sincères on leur parle de Jésus et on leur vend un Jésus
un peu refaçonné quoi à la façon qu'on veut quoi et
eux du coup y croient, y vont vendre tout ce qu'y ont, donner tout leur argent
et t'as des personnes qui se retrouvent à la rue comme ça quoi,
t'as beaucoup de personnes aussi, enfin t'as des doctrines un peu bizarres qui
circulent tu vois enfin des trucs qui
sont pas du tout bibliques, genre qu'y vont acheter leur
terrain au ciel enfin des trucs complètement aberrants et en temps que
chrétien, que protestant évangélique, c'est choquant parce
tu te dis toimême comment t'es crédible après tu vois, mais
n'empêche que comme je t'ai dis c'est pas quelque chose qui me soucie moi
personnellement parce que c'est pas dans mon contrôle tu vois, et j'ai pu
discuter avec des gens notamment, enfin c'était assez random
mais c'était un gars à l'arrêt de bus qui a
commencé à me parler de Dieu et comme ça et puis il
commence à me dire qu'il a été dans des églises
justement qui recherchaient à prendre son argent machin et j'ai
discuté avec lui et il était content juste de parler avec
quelqu'un, je pense qu'il devait avoir un passé alcoolique mais euh il
était sobre à ce moment là mais c'était
intéressant de parler avec quelqu'un tu vois je sais pas s'il
adhère à une église ou quoi en tout cas y devait croire,
il avait du avoir de mauvaises expériences, mais tu vois qu'il est quand
même ouvert à la discussion et puis les gens en fait là bas
- pas tout le monde mais, y a une espèce d'hyper tolérance en
fait une espèce de, par contre je sais pas, ça c'est un truc
intéressant, je sais pas comment y géreraient, je sais pas
l'état de l'islam là-bas tu vois, je sais pas si y a des
mosquées, je sais pas s'il y a beaucoup de populations arabes,
maghrébines, y a pas beaucoup de musulmans tu vois, je sais même
pas si y a des mosquées, mais c'est vrai que ça par exemple, j'ai
déjà parlé de ça avec certaines personnes, et tu
vois y imaginent pas du tout qu'en France maintenant enfin c'est normal tu vois
d'entendre parler arabe, tu vois on a grandi dans une France qui est
très différente de celle qu'ont connu les gens il y a quelques
années, enfin, y a un mélange culturel tu vois, pour moi c'est
normal tu vois que la France elle est comme ça, je l'ai toujours connu
comme ça, mais pour eux, de penser que y a des arabes en France, de
penser qu'y a des musulmans en France c'est un truc complètement
aberrant, et y vont te demander « ah ouais c'est quoi la religion
majoritaire en France? » tu vois des trucs comme ça et y vont
penser que tu leur dit « catholique » tu vois et moi c'est vrai je
leur dit « bin traditionnellement c'est vrai que y a beaucoup de
catholiques encore, mais n'empêche que désolée, la
majorité des gens y sont pas catholiques aujourd'hui » et y
hallucinent quand tu leur dis ça parce que ils sont tolérants
mais y sont tolérants de ce qu'y connaissent tu vois donc c'est normal
c'est humain mais c'est vraiment un autre monde quoi.
Tibo
Ok. De quoi voulais-je te parler déjà? Ah oui,
tout à l'heure tu parlais de tes relations, alors était-ce
plutôt avec des étudiants internationaux, des compatriotes, des
Brésiliens, ton réseau social comment était-il
constitué finalement?
P
Bin j'avais cinq six Français quand même dans mon
réseau, donc je les voyais assez souvent, sinon c'était que des
Brésiliens, j'avais pas d'autres étudiants internationaux,
c'était que des Français et des Brésiliens, donc soit
étudiants soit pas quoi, la majorité était pas
étudiant d'ailleurs.
Tibo
Et tu les as rencontrés comment ces gens là du
coup, les Français comment tu les as connus?
P
Alors surtout par le travail, ou par la fac mais en fait le
truc c'est que la plupart, tu vois nous on fait cette distinction
étudiant / travailleur ici, mais là-bas elle y est pas
forcément, les étudiants y sont aussi travailleurs en fait, et
ouais j'ai rencontré des gens un peu comme ça par mes entretiens
aussi du coup. Et juste pour revenir sur l'église là, donc je
suis allée à une église baptiste je t'ai dit, et là
par contre pas de soucis tu vois, enfin là c'était très
similaire à ce que je connais en France y a pas de soucis mais le
contexte en soi m'a choqué quand même.
Tibo
Ok. Est-ce que sur un versant émotionnel, etc., tu t'es
sentie soutenue ou tu as manqué de quelqu'un à qui te confier je
sais pas, est-ce que t'étais un petit peu perdue parfois?
P
Bin y a des moments quand même où je me suis dit,
bon Mme X elle nous a préparé quand même pour le voyage,
elle nous a un petit peu parlé avant, le truc c'est que moi elle m'avait
dit « ah toi où tu vas ça craint pas du tout c'est une
région riche blablabla » enfin elle connait plutôt le nord et
elle a bien briefé les filles et moi j'étais là donc j'ai
écouté ce qu'elle a dit. Tout ce qu'elle a dit pour les filles
qui en plus allaient dans la favela bin écoute moi ça m'a servi
pour là où j'étais quoi, enfin honnêtement les
même règles de sécurité elles valaient aussi dans le
sud quoi dans une ville riche, parce que c'est ville riche mais en même
temps y ont eu beaucoup de problèmes compliqués avec la drogue
avec les favelas tout ça mais j'aurais voulu, et d'après ce que
j'ai constaté avec certains étudiants internationaux, ça
pourrait être pas mal, quand tu changes de continent comme ça,
d'avoir peut-être une préparation plus intensive en fait aux
différences culturelles tu vois genre communication, contact avec la
culture machin, parce que c'est une chose d'y être tu vois. C'est une
chose qu'on te raconte quelque chose mais c'est une chose de le vivre et
d'être toute seule et j'ai vu certains étudiants la façon
dont y vivaient bin honnêtement y en a certains y prenaient pas
forcément les précautions qu'y fallait tu vois
et je me suis dit « si jamais y leur arrive un truc... » tu vois le
truc c'est que y faut pas être parano mais en même temps t'es pas
dans ton pays enfin c'est pas l'Europe tu vois quoi et c'est pas la même
criminalité, les personnes peuvent facilement être armées
comme je t'ai dit enfin c'est pas les même règles. Donc ça
change les choses et je pense qu'y faut se comporter en sachant écouter
les conseils des personnes sur place tu vois et moi heureusement j'ai la
personne avec qui je vivais qui m'a donné beaucoup de conseils au
début je t'ai dit j'étais pas mal protégée parce
que je vivais avec la famille, quand je me suis retrouvée toute seule
elle m'a quand même briefé tu vois, elle m'a donné certains
conseils, parfois quand je faisais des trucs elle me disait « ah mais
là j'étais inquiète et tout tu devrais pas faire ça
» enfin tu vois donc j'ai quand même suivi ses conseils parce que
voilà c'est une jeune, elle vit là depuis toujours, c'est
quelqu'un qui a voyagé donc elle connait le monde aussi tu vois donc
elle sait de quoi elle parle je pense donc j'ai écouté ce qu'elle
m'a dit tu vois mais non ça va, y a peut-être des moments
où je me sentais un peu seule c'est normal t'es loin de chez toi mais
après j'ai pas trop eu de moments vraiment ça allait pas du tout
je voulais rentrer quoi non. Le truc aussi c'est que c'était tellement
court comme temps que j'étais enfin limite c'était le contraire
tu vois, j'avais envie que ça dure plus longtemps parce que je voyais
que les autres Erasmus allaient rester plus longtemps et c'est limite hyper
frustrant de devoir rentrer tu vois parce que enfin après deux mois tu
t'intègres tu vois, après deux mois t'as trouvé tes
marques t'as ta routine un peu pour autant que t'en ai une et ouais j'ai
trouvé ça assez frustrant de devoir entrer finalement parce que
deux mois ça passe mais à une vitesse vraiment ouais c'est court.
Non j'ai pas eu de moment vraiment...
Tibo
Est-ce que t'as connu des galères, ce qu'on appelle des
galères?
P
(Pause) genre des gros problèmes non, après
ouais y a des moments où j'ai un peu galéré quand
même au début genre comprendre du coup me repérer dans la
ville (rire) tout ça comment tu prends le bus enfin ouais retirer de
l'argent dans les banques juste avoir des points de repère tu vois,
genre où est le super marché le plus près parce que du
coup j'ai eu tout de suite conscience de ce fait voilà je peux pas
sortir la nuit quand je sors la nuit je fais attention de toujours prendre des
rues éclairées voilà je sors jamais dans des rues un peu
obscures même si c'est plus rapide mais en même temps t'as toujours
cette pensée quand c'est la nuit « ok tu rentres le plus vite
possible chez toi » quand t'es tout seul t'as pas de voiture tu rentres
chez toi sinon tu prends un taxi mais bon le taxi ça fait un peu cher
à la longue (rire) donc ouais y a juste peut-être ce
côté où tu te sentais un peu étouffé quoi
mais
c'était pas une galère non j'ai pas eu trop de
galères je crois pas je me souviens pas.
Tibo
Très bien. Et dans le questionnaire, quand je t'ai
demandé de placer ton séjour par rapport à ta vie en
général, t'avais répondu « suite ». Est-ce que
tu peux m'expliquer cela, pourquoi tu as écrit « suite » pour
parler du sens de ton séjour par rapport à ta vie en
général?
P
Euh bin parce que pour moi les choses ça vient les unes
après les autres en fait (rire), super la phrase, ouais je sais pas
quand je regarde ma vie je vois une progression tu vois je vois comment j'ai
évolué sur certaines choses je vois le sens enfin tu vois les
choses comment elles font sens aussi et là en fait voilà
ça faisait sens quoi, notamment par rapport à ma relation et par
rapport à ma formation aussi, par rapport à mon rapport au monde
tu vois aussi je pense parce que j'avais jamais quitté l'Europe en fait
avant donc c'était mon premier voyage hors de l'Europe donc
c'était quand même un gros pas et puis je sais pas c'est juste
venu là, c'est venu là vraiment sur un plateau j'avais rien
demandé, je comptais y aller cet été en fait du coup j'y
vais pas et en fait c'était genre « waow » c'est juste venu
là quoi même si maintenant j'ai beaucoup de boulot avec les
entretiens à traduire et tout ça quoi mais ouais c'était
vraiment une super expérience, pour moi c'était genre dans la
continuité tu vois enfin genre t'as ta vie comme ça, t'as des
projets qui viennent, des opportunités et tout et pour moi
c'était là quoi.
Tibo
C'est une très bonne réponse. C'est ce que t'as
ressenti donc c'est le principal finalement. Et justement donc, le
Brésil avant et après, est-ce que ton image elle a changé,
est-ce que la vision des gens du pays de la culture en général
s'est transformée?
P
Mmh je pense qu'avant sans connaître du coup sans
connaître concrètement je pensais que ça serait plus facile
d'y vivre tu vois peut-être et en fait en y allant je me suis rendue
compte quand même que bon bin bien sûr tu peux y vivre c'est pas
infaisable mais c'est quand même un gros choix tu vois c'est un choix
qu'y faut pas prendre à la légère parce que bin c'est loin
déjà géographiquement, ça coûte cher pour y
aller, et aussi bin tu te déracines quand même tu vois parce que
tu vois comme je t'ai dit j'étais là-bas je m'y suis sentie bien
mais en même temps - bon en même temps je suis restée deux
mois, mais j'ai pas senti appartenir en fait tu vois enfin je peux, je peux tu
vois dire
« ouha je me suis trop identifiée là-bas je
me vois trop habiter là-bas » ça peut être vrai mais
en même temps le fait est que j'ai passé que deux mois
là-bas tu vois et tout ce truc là de ce que les gens te renvoient
tout ce que je te disais avant je pense qu'y y aurait un certain temps
d'adaptation et que en plus je pense que tu dois faire le sacrifice de plein de
choses en plus. Comment dire, c'est dur à expliquer en fait chais pas
j'ai ressenti en fait pas exemple je me suis dit « si je vais vivre
là-bas à long terme » genre imagine tu as des enfants
là-bas tu vois, je me suis posée cette question je me suis dit
« est-ce que t'accepterais que tes enfants vivent comme des
Brésiliens en fait? » tu vois concrètement et en fait moi
c'est encore aujourd'hui une question qui est difficile parce que je me dis
quelque part que j'aurais envie que mes enfants y aient ce que moi j'ai eu et
là-bas dans certains endroits - pas partout, mais pour pouvoir avoir une
ascension sociale, pour avoir une très bonne condition de vie y faut
être aisé comme je t'ai dit donc c'est pas la majorité des
gens. Y a quand même beaucoup de gens puis y a beaucoup de gens qui
s'enrichissent aussi donc y a quand même une classe émergente donc
tu peux quand même bien vivre là-bas mais voilà je sais pas
comment dire mais je pense qu'il y a quand même, c'est peut-être un
héritage de la colonisation hein c'est peut-être un truc de groupe
de se dire « on est supérieur » quelque part tu sais, y a
peut-être de ça hein, mais j'avais le sentiment par exemple de
enfin comme une sorte de peur ouais j'ai pas envie que mes enfants y
grandissent là-bas tu vois j'ai pas envie que si j'ai des enfants un
jour qu'y aillent dans une école brésilienne tu vois enfin, c'est
peut-être parce que je connais pas assez bien aussi j'y ai pas
vécu assez longtemps mais j'avais un peu cette espèce de, tu
vois, j'ai pas du tout cette peur dans un autre pays européen, si je
vais dans un autre pays d'Europe tu vois c'est pas loin et voilà je
connais assez bien les cultures, j'ai quand même bien voyagé en
Europe, voilà je sais que y a quand même un niveau de vie et un
niveau d'éducation qui se vaut dans la plupart des pays en tout cas. Tu
vas là-bas y faut se battre en fait tu vois, pour avoir le meilleur y
faut que tu te battes si t'es classe émergente si t'es classe moyenne et
j'ai pas eu cette habitude de me battre bin par exemple mon copain c'est
différent, voilà il a grandi dans un contexte où ouais
enfin y ont connu un moment donné un moment difficile
financièrement enfin tu vois y ont pas toujours eu tout ce dont y
avaient besoin et du coup tu comprends ce besoin de comment dire cette
aspiration à plus tu vois à donner plus à tes enfants. Moi
c'est pas que je veux donner plus à mes enfants tu vois je veux juste
qu'y aient que ce que j'ai eu tu vois pas moins quoi et de coup de me dire
« bin ouais si je vais vivre làbas... » tu vois c'est pas
pareil si t'y vas en tant qu'expat deux-trois ans, t'y vas en tant qu'expat
deuxtrois ans tu te dis « ouais c'est bien » au moins les enfants y
ont une expérience de l'étranger mais en général y
vont dans un lycée français ou une école française
enfin tu vois ce que je veux dire, t'as un cadre de vie assez
protégé. Tu vas vivre là-bas en tant que personne qui
s'intègre là-bas c'est différent déjà, et
comme moi j'avais déjà cette perspective là, j'avais
déjà cette idée là dans ma tête,
j'y suis pas juste allée en disant « voilà
chouette un petit voyage allons au Brésil » en fait tu vois donc
d'ailleurs j'ai jamais fait ça avec mes voyages mais ça m'a quand
même fait voir que c'est un choix énorme quoi, c'est pas un choix
que tu fais juste voilà parce que t'es amoureux de quelqu'un et que tu
vas le suivre tu vois, pour moi enfin tu peux le faire ça à la
limite mais pour moi c'est inconscient.
Tibo
Ouais. T'as le droit de pas répondre à cette
question mais comme t'y as fait référence plusieurs fois est-ce
que le fait d'avoir ton copain au Brésil dans ton expérience
c'est quelque chose qui a compté ou qui a influencé, qui a eu un
sens? T'es pas obligée de répondre parce que c'est un autre
domaine.
P
Euh si ça a influencé mon expérience au
Brésil?
Tibo
Voilà est-ce que la façon dont t'as
appréhendé les choses, ton état d'esprit peut-être,
dont t'as ressenti, je sais pas?
P
Bin alors du coup oui je pense c'est obligé que
ça a joué un rôle hein après tu vois pour moi
j'étais pas du tout dans la même région de lui et
c'était ce que je voulais en fait, parce que ce qui comptait pour moi
comme je t'ai dit c'était avoir mon expérience du Brésil
donc je me disais aussi bin voilà je veux pas me retrouver comment dire,
je veux pas voir le Brésil à travers ses yeux je veux me faire ma
propre idée donc c'était un truc bien pour moi mais en même
temps je m'étais peut-être pas rendue compte que c'était
vraiment loin en fait. Au brésil t'as pas forcément des moyens de
transport faciles et ça coûte cher l'avion donc du coup c'est vrai
que je me reposais peut-être beaucoup sur lui par moments, en même
temps y pouvait pas m'aider concrètement parce que il était loin
donc y a peut-être eu une frustration à ce niveau là mais
en même temps c'était réel enfin c'est ça la
réalité du pays donc en même temps ça m'a fait
découvrir le Brésil tel qu'il est vraiment tu vois et j'ai pu
aussi découvrir un Brésil différent de ce dont lui il
parle, de ce que lui il vit aussi parce que c'est pas la même
région j'ai pu vraiment avoir mon expérience du Brésil
quoi et c'est vraiment ce que je voulais. Ouais euh après oui bin
forcément ça a influencé sur ma vision du Brésil de
toute façon, bon c'est vrai que lui y m'en parlait déjà
beaucoup avant, si je rencontrais quelque chose qui me faisait penser à
lui ou tu vois enfin je faisais toujours des rapprochements mais ouais non.
Après du
coup - tu vas connaître toute ma vie (rire) mais on est
plus ensemble en fait là donc en ce moment je me pose plus
forcément ces questions là que j'avais posé avant.
Après pour autant c'est vraiment un pays qui m'a
énormément plu et je voudrais vraiment y retourner quoi
même y habiter voire tu vois.
Tibo
Du coup justement en parlant de ça, quand je t'ai
demandé ce que tu placerais en tête entre ta vie au Brésil
et ta vie à Lyon 2 t'as répondu Lyon 2. Est-ce que tu peux
développer un petit peu dans tout ce contexte là?
P
Attends répète la question?
Tibo
Dans le questionnaire que je t'ai donné, que
placeriez-vous en tête : votre vie au Brésil ou à Lyon 2,
en France donc...
P
Ah oui!
Tibo
On sent que t'as ces deux trucs qui te tiraillent un petit peu et
t'as du mal à, enfin c'est normal hein, à vraiment choisir parce
qu'il y a une lucidité d'un côté, un attrait de
l'autre...
P
Ouais bin le truc c'est que ma vie ici comme je t'ai dit elle
est plus facile quoi clairement tu vois je sais qu'ici les choses sont plus
faciles donc d'un côté je préfère ma vie ici pour
ça bin aussi parce que j'ai ma famille et mes amis en France, pas
forcément à Lyon mais en France, après euh comment dire
ouais c'est vrai que j'ai un attrait pour là-bas ouais et je pense
même indépendamment de mon copain du coup et c'est toute la
question de l'engagement à laquelle tu touches là, parce que
comme je t'ai dit tout à l'heure enfin c'est une chose d'aller y vivre
quelques années en électron libre et d'y aller et
t'insérer dans la société quoi vraiment genre en
intégrant une famille là-bas en fait concrètement donc je
pense c'est ça quelque part bin ça fait peur quoi
concrètement de se dire voilà tu vas à je sais pas combien
de kilomètres de ton pays, de ta famille, voilà mes parents y
peuvent
pas forcément voyager non plus tu vois donc, donc de se
dire « tu vas te couper quoi » tu vois, y a cette notion de se dire
« si la personne ne compte pas venir vivre ici un peu » donc c'est
toi ok super mais enfin je dis pas non tu vois parce que bin c'est un pays que
j'ai beaucoup apprécié, en même temps ouais je trouve
ça inconscient quoi de te dire « voilà je pars pour la vie
» tu vois et c'est tellement, c'est tellement, tu te déracines
encore plus tu vois, déjà moi je me sens un peu
déracinée à la base enfin j'ai du trouver mes racines
moi-même tu vois, maintenant que je les ai tu vois j'ai pas envie de me
dire « ok je lâche tout » tu vois c'est ouais c'est un saut
dans le vide quoi c'est un saut dans le vide et c'est faisable et
concrètement c'est faisable mais complètement irréalisable
concrètement c'est pas difficile tu prends un avion et tu vas
là-bas tu vois ce que je veux dire après voilà est-ce que
émotionnelement, affectivement, justement tu auras assez de soutien
enfin tu vois c'est toutes ces questions là aussi de penser un peu
à ta sauvegarde à toi je pense c'est des pensées de
préservation en fait et tu vois moi je me dis j'ai beaucoup aimé
sa famille [à mon copain] tu vois je me suis très bien sentie
là-bas c'est pas le souci c'est juste de me dire « ok ça
c'est son monde à lui » tu vois c'est pas mon monde donc ça
peut devenir mon monde à moi mais j'ai besoin de retrouver quelque chose
d'avant aussi tu vois et c'est pour ça moi par exemple si je vais vivre
là-bas à long terme j'aurais besoin d'avoir des amis tu vois
en-dehors de mon travail d'avoir des personnes comme ici qui ne sont pas
liées à mon travail des personnes notamment avec qui je peux
avoir des discussions tu vois je sais pas moi sur des sujets qui
m'intéressent, des personnes avec qui j'ai des affinités quoi pas
juste des personnes qui sont là parce qu'elles sont là parce que
la famille y a un peu cette notion tu vois de pas chercher les personnes tu
vois enfin y ont la famille donc y s'autosuffisent entre eux et dans ta famille
c'est pas des gens que t'as choisi donc c'est pas forcément des gens
comme nous qu'on a rencontré bon voilà on va se voir des amis en
fonction de nos affinités, un peu trop des fois c'est vrai que des fois
on est intolérant et on déprécie la famille à ce
point là mais euh au travail c'est pareil, au travail c'est pas des gens
que tu choisis et moi voilà je pense que si j'étais là-bas
j'aurais besoin de ça, j'aurais besoin de me dire « ok j'ai des
personnes avec qui je suis parce que j'ai envie d'être avec elles »
tu vois pas parce que c'est ma famille ou que c'est mes collègues et
aussi j'aurais besoin de connaître des expats et donc ça je pense
que c'est ce qui m'a fait ressentir ça quand j'étais dans le sud
je me suis rendue compte à quel point, quoi que tu puisses dire, au bout
d'un moment t'as besoin de t'identifier à quelque chose du passé
quoi, à quelque chose qui fait que t'es toi en fait et pour moi
ça a été hyper important et c'était pareil en
Italie d'ailleurs j'avais besoin des fois de parler français avec des
gens qui parlaient français j'en connaissais pas beaucoup en Italie et
au Brésil j'en connaissais plus du coup et c'est ce qui est très
marrant là non plus c'est pas des personnes que j'ai choisi tu vois
c'est des personnes qui se sont trouvées là comme moi et avec
lesquelles j'avais pas forcément d'affinités en fait mais on
était dans la même circonstance et là tu
t'aides donc c'est un peu ce cercle aussi comme la famille,
comme le travail, mais ouais je sais pas si c'est parce qu'on est beaucoup plus
individualiste qu'eux mais pour moi y a toujours cette notion de pouvoir
choisir quoi, tes fréquentations, ce que tu fais, pas subir les choses,
et dans la façon dont est construite cette société y a
encore beaucoup ce, tu sens encore un peu beaucoup de subir tu vois, de
là, de là enfin y ont une mentalité de fou quoi y ont une
joie de vivre, y sont toujours contents, toujours optimistes, enfin tu apprends
énormément aussi de ça de leur façon de vivre tu
vois, c'est vrai que nous ici à côté on est hyper
blasé on est toujours en train de se plaindre enfin c'est clair hein
alors qu'on a, qu'on a tout, mais y ont quand même une façon de
subir les choses tu vois avec joie, avec joie c'est pas un souci mais y a quand
même des choses qui me rebellaient en fait là-bas j'avais envie de
dire aux gens des fois « mais comment vous supportez ça, comment
c'est possible que vous viviez comme ça » tu vois et ouais...
Tibo
D'accord. Et je ne t'ai pas encore demandé mais est-ce
que toutes tes expériences comme l'Italie par exemple, tout ton
passé de voyages, d'expériences à l'étranger donc,
ça t'as servi pour te préparer au niveau mental je sais pas, tes
analyses, as-tu pu réinvestir des choses ou est-ce que tu t'es sentie
peut-être à l'aise grâce à ça je sais pas?
P
Ouais ah ouais ça m'a forcément aidé
parce que c'était mon premier gros, enfin j'ai vécu un an
làbas [en Italie] c'était mon premier séjour à
l'étranger de longue durée quoi en tant qu'étudiante et
ouais j'ai vécu là-bas des trucs que j'avais jamais vécu
avant tu vois notamment dans la coloc, la coloc avec des personnes de
différentes cultures enfin ouais j'ai vécu des choses
là-bas que j'avais pas connu ici donc déjà là-bas
ça m'a augmenté ma flexibilité (rire) et je pense que
ouais c'était nécessaire d'avoir ça même avant d'y
aller quoi je pense que d'aller d'office au Brésil ça aurait
peutêtre été intense ouais parce que comme je t'ai dit
maintenant je fais vraiment une séparation entre l'Europe et le reste
enfin avant je voyais pas vraiment l'Europe comme un tout tu vois j'avais du
mal à voir ça comme une entité et maintenant en fait je le
vois vraiment comme ça parce que je pense que y a quand même quoi
qu'on dise - ça dépend de quel pays peut-être mais, y a
quand même une certaine similarité tu vois une certaine bon en
plus on est proche géographiquement avec ces pays là et je pense
que quand tu quittes cette zone, c'est un peu ta zone du monde tu vois, quand
tu quittes cette zone t'es dans un autre schéma, dans un autre ouais
t'es dans totalement autre chose tu vois ta zone de référence
elle est plus là donc y faut le prendre en considération et je
pense que souvent les personnes voyagent un peu trop à la
légère en fait tu vois genre recherche d'exotisme en fait tu
vois.
Je vois bien. Et qu'est-ce que tu dirais que ça t'as
apporté cette expérience au Brésil, est-ce que tu te sens
différente aujourd'hui? C'est dur de mettre des mots dessus surtout
à chaud parce que c'est assez récent mais disons dans quel
domaine tu penserais que t'as évolué voilà je sais pas, si
t'arrives, c'est pas facile.
P
Euh ouais bin je sais que j'ai changé, ça au
moins c'est sûr, après en quoi pour moi je le lie pas
forcément à l'expérience du Brésil en tout, je le
délimite pas à mon séjour, je le délimite plus
à ma relation en fait avec mon copain, plus à l'expérience
de l'interculturel comme ça de mes relations multiculturelles multiples.
Mais euh ouais c'est plus ça et puis bon les rencontres en fait ouais si
c'est quelque chose qui m'a changé ce serait les rencontres sur place,
les personnes que j'ai rencontré, ma coloc, les filles avec qui je
vivais tu vois enfin j'ai pas mal discuté avec elles des fois
c'était un peu le clash enfin ouais on a été au
clash des fois et bon....
Tibo
Sur des choses, des façons de voir les choses ou sur le
quotidien?
P
Non sur des trucs de la maison parce que bon c'était
pas très clair des fois ce qu'elle attendait de moi mais ouais et puis
enfin ouais c'était juste ouais des fois des façons de voir la
vie aussi hein des fois elle m'a bien cassé certaines visions que
j'avais certaines choses tu vois enfin ouais bin ça revient un peu
à ce que je disais avant tu vois cette vision de nous ici c'est vrai
qu'on a jamais manqué de rien donc on voit les choses
différemment on voit pas notre confort matériel comme quelque
chose d'hyper important d'office on va être assez tu vois genre «
ouais je vais aller faire de l'humanitaire, je vais aller aider les gens
pauvres » tu vois des trucs du genre et elle me disait « bin oui mais
méprise pas les gens qui veulent leur confort parce que quelque part si
tu aides ces gens là c'est aussi pour qu'ils aient un confort quelque
part, si tu les aides c'est pour ça, pas pour qu'ils aillent moins bien
donc ne va pas mépriser des gens qui se contentent d'être dans
leur confort » tu vois parce que quelque part c'est ce à quoi on
aspire tous enfin c'est pas notre but dans la vie tu vois mais c'est normal de
vouloir ça quoi en fait et puis c'est hypocrite en fait de nier
ça tu vois et c'est juste qu'elle avait une façon de parler assez
cash tu vois je pense qu'elle m'a un peu ouvert les yeux sur certains
trucs tu vois, que je pensais en fait avant en tant qu'Européenne et
confrontée là-bas bin ouais voilà tu
réfléchis quoi.
Et tu penses que ça va influencer ta vie à venir ou
disons comment tu vas vivre à présent?
P
Ouais bin ouais je pense ouais.
Tibo
D'accord. Alors finalement ouais bin voilà on a quasiment
fini et puis ça va être l'heure hein...
P
Il est quelle heure en fait?
Tibo
Il est moins vingt.
P D'accord.
Tibo
Oui ça a duré un peu plus longtemps que
prévu (rire)
P
Non mais c'est bon (rire) en fait j'ai juste un rendez-vous avec
C à cinq heures et demi mais c'est bon y a le temps là c'est
juste à côté.
Tibo
Ok. Et pour finir si c'était à refaire est-ce que
tu changerais quelque chose, est-ce que t'es contente de la façon dont
les choses se sont passées?
P
Alors si je devais refaire quelque chose je clarifierais mon
séjour chez cette fille genre je mettrais les choses plus au clair tu
vois genre voilà parce que du coup elle m'a pas fait payer de loyer
alors que je dormais là quoi je dormais dans le salon mais en même
temps elle m'a donné un statut d'invité mais c'était
très ambigu du coup pour moi parce que je savais pas trop ce qu'elle
attendait de
moi tu vois bon j'ai acheté ma bouffe j'ai
acheté et bon moi j'avais cette notion tu vois de bon bin j'ai toujours
envie de dire « bon on mange ensemble? » tu vois c'était pas
pour qu'elle fasse les choses à ma place c'était que j'avais
envie de partager avec elle parce qu'aussi mon vécu de la coloc en
Italie c'était comme ça tu vois (sonnerie de
téléphone) - pardon (C au téléphone, il est
l'heure).
Tibo
On va abréger t'en fais pas, désolé.
P
Mais y a pas de soucis c'est pas grave. Attends juste c'est
quoi que tu me demandais déjà? Ah ouais je clarifierais mon
statut ouais pour que ce soit moins ambigu et euh bin ouais un autre truc je
pense que par rapport au stage non après c'est juste par rapport
à mon copain tu vois je mettrais peut-être moins la pression tu
vois puisque du coup c'est vrai j'ai peut-être mis un peu de pression
quoi par rapport au contexte tout ça je pense que j'étais
moi-même en situation d'acculturation (rire) mais ouais non c'est tout
sinon non j'ai pas de regrets.
Tibo
C'est super. T'as gardé des contacts un peu avec des gens
de là-bas?
P
Ouais avec quelques personnes ouais.
Tibo
Des Brésiliens ou des expatriés?
P
Brésiliens surtout brésiliens.
Tibo
Et tu penses que ça va être à peu près
durable?
P
Ouais ouais.
C'est une bonne chose alors. Et dernier élément,
est-ce qu'il y a des éléments de la culture brésilienne
que toi t'aimerais incorporer pas dans ta culture mais oui ta façon
d'être, des éléments que t'aimerais transposer?
P
Ouais je pense bin justement la façon de vivre les
choses de voir les choses tu vois cet optimisme qu'on a pas mais après
c'est lié au contexte aussi donc je pense que ça va être
dur de l'avoir à tout prix, enfin tu vois je pense la vision des choses
elle est liée aussi tu vois à là où tu vis mais en
même temps voilà l'ayant vécu je pense que je peux essayer
de garder ça aussi.
Tibo
D'accord. Bin écoute merci beaucoup j'ai trouvé
ça très intéressant d'avoir pu discuter avec toi ///
Entretien avec C (50 minutes)
Tibo
Pour commencer, je voudrais savoir comment tu en es
arrivée à partir au Brésil, pourquoi le Brésil,
comment tout ça est arrivé quoi, comment ça s'est
goupillé en fait?
C
Bon en fait c'était une drôle de coïncidence
parce que justement j'avais fini mon Master l'année dernière donc
j'ai validé un Master bac +5 et je savais pas trop quoi faire, j'avais
deux ans d'avance, alors je me suis dit « soit je pars au Brésil
mais je parle pas portugais, ce qui me stresse, soit je reprends un Master de
psycho » parce qu'en plus mon autre diplôme n'était pas
très valorisé en France donc je me suis dit en faisant psycho ce
serait plus simple, enfin je suis partie sur cette branche et puis je suis
arrivée j'ai rencontré ma directrice de recherche de cette
année qui était brésilienne et qui a dit comme ça
en classe « ah bin ceux qui sont intéressés pour faire un
stage au Brésil, s'ils ont un projet cohérent, moi je peux les
envoyer et tout machin » donc je suis allée la voir en fin de
cours, elle m'a proposé, euh on a beaucoup parlé, en plus je
viens de la Réunion donc c'est vrai que le Brésil, la
Réunion c'est des sociétés un peu, un peu soeurs qui au
niveau du métissage, au niveau de l'histoire aussi, et puis et
voilà donc je lui ai dit que c'était marrant parce justement
cette année là je voulais aller au Brésil et puis donc
elle m'a proposé, de fil en aiguille ça s'est fait très
vite en fait, et puis donc justement c'est une bonne coïncidence parce que
bon c'était soit psycho soit Brésil et finalement c'est psycho et
Brésil donc c'était exactement ce que je voulais.
Tibo
Et quand est-ce que tu as pris la décision pour de bon de
dire « c'est bon j'y vais »?
C
En fait pour moi ça m'a paru tellement simple et
tellement une évidence c'est que quand je lui ai parlé je me suis
dit, j'avais pas l'impression que c'était concret, et puis quand la
semaine d'après elle m'a dit « bon c'est bon j'ai vu, est-ce que
ça te dit? » je me suis dit c'est vraiment concret quoi j'y vais
vraiment et puis j'ai réalisé à ce moment là mais
sur le coup je me suis dit « c'est pas possible, c'est une drôle de
coïncidence » je m'étais pas vraiment projetée et puis
finalement quand elle a commencé à me donner des projets concrets
là je me suis dit « mais ça y est quoi, on y va » et
puis ouais, enfin ouais je me suis pas trop freinée en fait j'avais un
peu d'économies de côté et puis c'est exactement ce que je
voulais faire je suis mon chemin en fait c'était, je savais pas trop
quoi choisir
et puis finalement c'est comme si ma route me mettait sur le
Brésil quoi alors je me suis dit « allez on y va c'est parti quoi
».
Tibo
Super. Justement, à propos de tes expériences
à l'étranger, tu as déjà voyagé au Canada,
à la Réunion pendant deux ans et demi, au Burkina Faso, etc.,
est-ce que t'as le sentiment que ces expériences à
l'étranger antérieures, est-ce que ça t'as servi?
C
Ah ouais vraiment, vraiment parce que je pense que, de plus
parce que je suis partie avec une fille qui n'avait aucune expérience de
voyage, et justement c'est ce voyage là où je me suis dit «
ouais finalement ça y est, j'ai des bagages quoi, j'ai voyagé
», c'est mon truc de toute manière, moi tout mon cursus, toute ma
vie c'est ça, voyager c'est ma passion, c'est ce qui me fait vivre aussi
parce que quand je voyage je me sens bien et je pense que ouais c'est clair que
mes expériences antérieures m'ont beaucoup aidé, surtout
au Canada parce que c'est vrai que le Burkina Faso, la Réunion, c'est
des endroits où on parle plus ou moins français donc euh, puis
j'ai une facilité pour les langues donc c'est venu tout seul ça
le créole, tout ça quoi, donc c'est vrai que le Canada
c'était immersion anglophone et là le Brésil
c'était immersion lusophone donc c'est vrai que je mets un peu en
parallèle ces deux expériences là et c'est vrai que ouais
concrètement mes expériences d'avant m'ont beaucoup servi.
Tibo
D'accord. D'ailleurs t'as fait des progrès assez
fantastiques en portugais non?
C
Ouais, ouais ouais, c'était impressionnant, je sais pas
qu'est-ce qui s'est passé dans ma tête mais en plus j'étais
hyper stressée avant de partir parce que j'avais pris des cours et je
m'en sortais pas du tout et puis c'est venu naturellement, je sais pas comment
ça se fait, j'avais l'impression que j'avais le portugais en moi quoi
(rire), c'est venu tout simplement ouais.
Tibo
Super. Est-ce que tu peux me parler un petit peu donc de ton
cadre, dans quelle ville t'étais, quelle région du
Brésil?
C
En fait du coup nous on est parti dans le nord du
Brésil, à Recife, dans le Nordeste, et puis, ouais, et puis en
fait du coup Mme X, notre tutrice, nous avait proposé deux
régions, donc c'était Rio Grande do Sul, ou Nordeste, avec
Recife, et c'est vrai que moi j'étais particulièrement
attirée par le nord parce que mon étude, d'une part je faisais un
stage et d'autre part ma recherche sur place était sur
l'africanité donc c'est vrai que dans le nord c'est beaucoup plus
présent, beaucoup plus affirmé qu'à Rio Grande do Sul
où c'est beaucoup plus européen, donc c'est vrai que moi
ça me faisait particulièrement écho, et puis donc
voilà, on est parti pour faire un stage et une étude enfin
finalement ça s'est révélé être deux stages
parce qu'on était deux du coup à partir et la deuxième a
pas compris qu'on devait se partager les stages donc elle m'a fait passer le
message comme quoi il fallait qu'on fasse les deux et puis finalement les gens
sur place se sont ajustés à nous, enfin c'était tout une
dynamique qui a fait que finalement on a fait deux stages au lieu d'un, et
aussi que du coup on avait notre recherche à faire en plus donc le
séjour a été complètement surréel, on s'est
dépêché et euh moi je suis hyper heureuse de ce que j'ai
vécu, ça faisait longtemps que j'avais pas eu ce sentiment
d'être au bon endroit au bon moment et ouais et puis j'ai eu une
espèce de fusion avec le peuple brésilien je sais pas, j'avais
une attirance très forte pour le Brésil depuis très
longtemps, depuis vraiment petite, mon père écoutait beaucoup de
musique brésilienne et puis enfin cette langue elle était
vraiment dans ma tête et enfin voilà on est parti, je me suis un
peu perdue du coup.
Tibo
Et du coup c'est intéressant parce que cet attrait pour le
Brésil c'est pas de cette année, ça remonte à avant
le fait que tu voulais y aller...
C
Ah oui complètement, parce que moi ma passion c'est
tout ce qu'est africain, je sais pas pourquoi, depuis vraiment longtemps, et un
retour à je sais pas quoi, et complètement contradictoire avec
mes origines parce que je suis d'origine russe, anglaise, enfin je sais pas,
mais en tout cas j'ai une attirance très forte pour l'Afrique et puis
toutes ces sociétés métissées c'est vraiment ma
passion, enfin de toute manière mon cursus professionnel, universitaire,
c'est l'interculturel donc c'est vrai que c'est des choses qui me renvoient
à des choses très profondes et le Brésil, c'est vrai que
mon père m'a beaucoup ouvert à la musique brésilienne
j'adore les percus, j'en fais beaucoup donc c'est vrai que, que le
Brésil c'est un peu un endroit privilégié pour ça
et donc oui ouais le Brésil ça a été présent
depuis très très longtemps et je peux pas trop expliquer
pourquoi, je sais que quand j'étais ado pendant deux-trois ans j'ai du
faire une fixette sur le Brésil mais énorme (rire), puis
ça m'est
passé, il y a eu la Martinique, la Réunion, et
beaucoup de choses qui sont passées, et bizarrement, quand j'ai fini mon
cursus à la Réunion, ça m'a renforcé ce
désir d'aller voir cette terre où il y a du métissage
aussi où l'Afrique elle est là mais d'une autre manière et
puis voilà, je suis arrivée à la fin de mon diplôme,
je sais que la Réunion c'est ma terre hein, c'est là ou je veux
finir et là où je veux revenir, mais j'ai encore envie de
profiter de cette soif de découvrir, de toutes ces opportunités
d'être libre pour voyager encore et du coup c'était ça
c'était bon ok je finis mes études je vais au Brésil ou je
continue mes études puis finalement les études ont pris le
dessus, la raison a pris le dessus mais le Brésil était dans le
fond quoi, il était en arrière plan c'est sûr.
Tibo
Et donc c'est pour ça que quand je t'avais demandé
quel sens avait ce voyage au Brésil t'as marqué que pour toi ce
voyage c'était des « retrouvailles »?
C
Ouais retrouvailles parce que j'ai vécu des choses
très difficiles cette année à Lyon déjà
parce que c'était le retour en métropole et que
j'appréhendais beaucoup, ça faisait déjà
près de trois ans que j'étais à la Réunion et que
déjà j'avais ce sentiment de retrouvailles à la
Réunion, d'avoir trouvé la terre où je devais être,
d'être retournée à quelque chose de très profond et
ouais c'est vrai que quand je suis revenue ici ça a été
tout une démarche de me réapproprier la métropole qui
pourtant est mon lieu d'origine et puis j'ai eu des histoires très
difficiles cette année et c'est vrai que le Brésil arrivait
à point nommé dans ma vie parce que j'étais pas bien du
tout et quand je suis revenue je me suis retrouvée quoi, j'ai
rencontré les bonnes personnes au bon moment j'avais l'impression
d'avoir retrouvé des gens que je connaissais depuis toujours je me suis
retrouvée aussi spirituellement, ça fait des années que je
lâchais cette partie là de ma vie que je savais pas trop où
j'en étais, j'ai fait des rencontres magnifiques là-bas, ma
recherche aussi c'était sur le Candomblé donc j'ai
été très amenée à rencontrer des gens qui
étaient...tu connais le Candomblé?
Tibo
Non, j'allais te demander après par rapport à tes
stages et recherches, j'aurais bien aimé savoir ce que tu faisais
précisément.
C
Ouais bin le Candomblé c'était ma recherche en
fait, c'est la religion afro-brésilienne, donc c'est tous les rites
des afros descendants et tout ça et c'est très intéressant
c'est une philosophie de la vie
qui m'a vraiment touché et j'ai développé
ma spiritualité vraiment à fond là-bas et, et
retrouvailles aussi parce que j'ai l'impression que j'ai vu tellement de choses
à faire au Brésil, j'ai l'impression que c'était une
petite part de chez moi quoi, et aussi justement c'est ce que je te disais
plein de choses qui sont pareilles avec la Réunion, y a la
végétation, la nourriture, une certaine manière de vivre,
une manière de voir la vie aussi, et c'est vrai que ça m'a, ouais
un petit retour chez moi après la nostalgie ça faisait depuis six
mois que j'étais partie de la Réunion ça faisait un bien
fou quoi pour plein de trucs quoi.
Tibo
On le sent parce que quand je parle avec toi, quand je lis le
questionnaire, on dirait que tout de suite t'étais très à
l'aise au Brésil, que tu te sentais vraiment bien à tous les
niveaux, voilà c'est peut-être ce qui explique, le cadre, etc.?
C
Bin je pense aussi peut-être que aussi mon choc culturel
en fait c'était pas du tout à l'étranger, mon choc
culturel il est là parce que je reviens et c'est vraiment une
problématique très forte de vie c'est que c'est très
personnel c'est que euh toute ma vie, quand je reviens, c'est là que
j'ai mon choc culturel c'est là que je me dis « ma culture elle
m'appartient pas » et je me sens mieux chez les autres que chez moi et
c'est hyper fort en fait parce que à chaque fois que j'arrive dans un
pays j'ai pas ce moment où je me dis « ouh qu'est-ce que je fais
là et tout » à chaque fois je suis là «
qu'est-ce que c'est trop bien ce truc là, qu'est-ce que je suis chez moi
» et j'arrive tout de suite à tisser des liens avec les gens,
après mes destinations je les prends pas au hasard hein, c'est vrai bin
c'est vrai que j'ai toujours l'impression d'être à l'endroit
où je dois être quand je voyage et de pas l'être quand je
reviens et c'est vrai que, sauf pour le Canada qui a été une
grosse surprise parce qu'en fait j'avais postulé pour des
échanges en Espagne enfin tout dans le sud moi c'est toujours dans le
sud, et en fait j'ai pas du tout été prise et c'est une de mes
amies qui m'a laissé son voyage pour en faire un autre, et du coup le
Canada j'avais pas pensé en fait, j'avais pas élaboré et
finalement je me suis retrouvée pareil, là vraiment pour le coup
ça a été l'endroit où je devais être au bon
moment j'ai rencontré des personnes avec qui je suis encore en contact
après cinq ans et puis ça a été la
révélation de mon voyage aussi parce que quand je suis partie
là-bas en fait je suis partie avec une amie, et elle m'a
lâché sur place en fait donc j'ai commencé à voyager
toute seule j'avais pas le choix et à partir de ce moment là
j'ai, parce que quand je voyage je voyage toute seule et je pense que c'est
important de le préciser parce que c'est pas du tout la même
démarche parce que quand tu voyages toute seule t'es face à toi
même tu te poses beaucoup de questions sur ton identité, tu remets
beaucoup les choses en
question, ton cadre culturel aussi, et c'est vrai que suite
à cette étape là du Canada où je me suis
retrouvée toute seule j'ai eu, maintenant c'est comme une drogue quoi,
il faut que je voyage toute seule, j'ai besoin de me retrouver toute seule dans
un cadre autre que mon cadre de naissance quoi et puis c'est comme ça
que je me construis honnêtement hein, moi mon identité elle est
construite comme ça.
Tibo
Est-ce que justement là c'était un peu
différent parce que t'étais avec quelqu'un? Tu l'as senti?
Ça t'as, peut-être pas gênée, enfin je sais pas si
c'est le bon mot, mais....
C
Si, ça m'a gêné parce qu'en plus cette
fille honnêtement enfin, allez je le dis elle l'écoutera jamais,
mais ça s'est vraiment pas bien passé elle avait vraiment un
complexe d'identité puis justement c'est ce que je te disais elle avait
de grosses choses à régler en voyageant et moi ça m'a
bousillé mon énergie quoi parce que j'y allais déjà
j'étais pas bien avec moi-même et quand j'y suis allée
j'avais pas la force de m'occuper de quelqu'un d'autre qui avait son propre
choc culturel et elle m'a gaspillé mon énergie puis elle son
voyage s'est très mal passé et j'avais tellement peur
d'être assimilée à elle parce que elle renvoyait des choses
très négatives aux gens et c'est vrai que ça m'a
bousillé mon énergie mais je regrette pas parce que ça
faisait partie de la dynamique du voyage aussi certaines choses que je devais
traiter avec moi-même aussi pourquoi pas partager des choses et pas faire
tout le temps des voyages toute seule et ouais j'ai des choses à
partager, mais le problème c'est que cette fille elle était
complètement dans une dynamique de d'arraché, elle était
arrachée à sa terre hein, elle le vivait super mal et elle
voulait pas en parler et elle partageait rien et moi le truc c'est que j'avais
le sentiment d'être responsable d'elle et d'autant plus parce que je
savais qu'elle avait jamais voyagé et qu'elle voulait pas en parler,
elle faisait plein de bourdes qui me faisaient sentir qu'elle était pas
du tout débrouillarde et que c'était la première fois
qu'elle partait, et elle voulait pas partager ça au lieu de dire «
tu peux m'aider? » enfin non elle était pas du tout dans une
demande et du coup moi ça me rendait responsable d'elle.
Tibo
Je comprends tout à fait. On va parler d'images. Est-ce
que au Brésil t'as été, pas la victime mais oui, de
préjugés, de stéréotypes, positifs ou
négatifs hein. Est-ce que t'avais une image en tant qu'Européenne
ou que Française peut-être, et est-ce que tu l'as senti par
rapport aux gens, aux Brésiliens quand vous discutiez, en bien ou en
mal?
C
Ouais bin justement, ça a un lien avec elle parce que
moi j'assume pas du tout mon côté français j'ai vraiment un
rejet de mon identité je sais pas pourquoi, c'est pas que j'ai honte
d'être française c'est que je me sens profondément pas
française et en fait du coup quand je voyage je suis assimilée
à la France et qu'en fait je le porte pas et c'est hyper lourd pour moi,
et le truc c'est que d'autant plus que Véronique, cette fille avec qui
je voyageais, elle avait euh, elle renvoyait ce que je déteste en France
en fait elle s'ouvrait pas du tout, elle trouvait que tout ce que les gens
faisaient était bizarre et pour moi c'est ça, enfin la France
c'est une vieille dame qui a peur de l'Autre en fait et c'est vraiment ce
qu'elle me renvoyait et du coup dans cet environnement qui en plus est hyper
chaleureux où les gens ouvrent leur porte complètement, ouvrent
leurs bras, moi je me sentais mal, je me sentais mal d'être
assimilée à elle en fait elle représentait pour moi tout
ce que j'aime pas en France et c'est vrai que ça c'est assez difficile
pour moi quand je voyage c'est que je supporte pas d'être
assimilée à une Française alors que c'est ce que je
renvoie en fait et je sais pas je pense que j'ai vraiment un travail à
faire sur ça pour ma propre identité culturelle puis et puis
aussi ça c'est un truc que je porte énormément et surtout
parce que je voyage dans les pays du sud où le peuple est plus
métissé c'est que quand je suis blonde c'est H24 quoi c'est tout
le temps « ah la blonde nanana » et puis je représente
ça quoi la fille blonde un peu exotique c'est vrai que
particulièrement à la Réunion et en Afrique moi ça
me pesait et au Brésil j'ai fini par le ressentir et ça c'est
quelque chose que je supporte pas. Tu vois, comment les hommes t'abordent et
puis ouais tu représentes quelque chose quand même en temps que la
blonde quoi surtout dans les pays du sud où y en a pas tant que
ça, bon après c'est vrai que le Brésil c'est
différent parce que y a beaucoup de blondes, enfin y a pas beaucoup de
blondes mais c'est vrai qu'on représente quelque chose en tant que femme
blonde, et surtout quand je voyage c'est vrai que ça c'est un truc tout
bête que j'aime bien raconter mais j'avais rencontré une fille au
Canada qui voyageait tout seule et qui me disait « mais moi j'ai jamais
d'histoires avec des hommes et tout et qui essayent d'aller plus loin et tout
» mais moi je disais « mais moi tout le temps » mais cette fille
elle était hyper grande, très brune avec des cheveux super longs
et je pense que y a un type de fille que les hommes aiment plus attaquer quoi
et c'est vrai que ouais, et puis je suis petite et puis enfin bon bref y a
plein de trucs qui font que c'est vrai que physiquement j'attire pas
forcément les hommes bien intentionnés et au Brésil je
l'ai ressenti aussi mais c'était pas comme à la Réunion
parce qu'à la Réunion c'est une attaque constante quoi, c'est
« hé la blonde nanana » là au Brésil
c'était plus subtil mais c'était présent et ça
ça me fatigue, vraiment, j'ai même pensé une fois à
me teindre les cheveux mais j'ai pas eu envie d'enlever ma couleur naturelle
parce que pour une question de stéréotypes ça
m'énerve mais c'est vrai que c'était présent au
Brésil, je peux pas dire que ça y était pas.
D'accord. Est-ce que maintenant tu pourrais me parler un petit
peu de tes lieux de stages, de tes relations avec tes collègues, avec
tes « patients » ou « élèves » je ne sais pas
comment les qualifier et puis voilà, qu'est-ce que tu faisais
là-bas?
C
Bin y avait deux choses très différentes en
fait, on était dans deux structures donc y en avait une qui était
psychanalytique et qui s'occupait des enfants autistes, donc là on
était vraiment dans une démarche clinique très
psychanalytique et c'est vrai que pour moi c'était un petit peu
difficile parce que je suis pas du tout psychanalyste, mais alors vraiment pas
et euh ça s'empire au fil des ans et euh je comprenais absolument pas
leur démarche alors après je me suis sentie hyper bien
intégrée parce que c'était une équipe très
soudée ils étaient dix-huit psys et hyper avenants,
c'était des gens avec qui je me suis sentie tout de suite en confiance,
avec l'équipe y avait pas de problème mais le problème
c'était vraiment personnel c'est que j'accrochais pas avec leur
manière de travailler, avec leur manière de voir le patient, et
c'est vrai que ça a été un problème parce que euh
je comprenais pas leur méthode et je me suis pas inscrite du coup dans
le lieu de stage comme j'aurais pu le faire et puis surtout parce qu'on avait
pas assez de temps parce que par exemple on participait on partageait les
groupes thérapeutiques avec les psys et y nous demandaient d'aller
consulter avant, de voir les enfants leur dossier et tout on avait juste pas le
temps quoi donc c'est vrai que je me suis pas investie comme j'aurais pu et
puis bon c'est vrai que ça m'a encore renvoyé à ma
problématique de je suis pas psychanalyste en France ou ailleurs c'est
vrai que c'est pas évident d'être psychologue et de rejeter la
psychanalyse, et l'autre [stage] par contre je me suis complètement
retrouvée heu un centre de psychologie transpersonnelle mais surtout
sociale dans les favelas dans une favela de Recife le Coque et puis en fait
là c'était une association donc c'était que des
bénévoles et puis donc nous on participait à des groupes
enfin c'est pas des groupes thérapeutiques du coup c'est des groupes
holistiques qui visaient au développement personnel et identitaire des
enfants donc par petites tranches d'âge donc là c'est vrai qu'on
avait pas trop une place de psy hein moi je dirais plus comme une place
d'éducateur puis vraiment une place de bénévole et puis
là c'est pareil on a été accueilli à bras ouverts
dans les équipes et je me suis sentie faire partie de cette assoc aussi.
L'autre [stage] dans une moindre mesure puisque j'étais pas, je me
sentais pas investie du fait juste du cadre méthodologique en fait mais
de l'autre complètement, c'était vraiment c'était une
révélation hein c'était comme ça que je voulais
travailler et ça a fonctionné alors que dans l'autre stage
j'avais l'impression que je servais à rien autant dans l'autre j'avais
l'impression qu'il y avait des choses très fortes qui se créaient
avec les enfants et quand je suis arrivée dans cette structure
d'ailleurs j'ai eu un
sentiment de déjà vu comme si j'avais
déjà été là dans ma vie c'était
obligé où je devais être là dans ma vie je sais pas
et en tout cas je me suis vraiment trouvée et autant ce que j'ai fait je
pense a servi autant tout ce que les gens m'ont renvoyé m'a
énormément servi.
Tibo
Effectivement parce ça te donnait un rapport
privilégié avec la culture brésilienne d'un
côté avec les enfants, de l'autre côté avec la
représentation du handicap, enfin culturellement tu as du vraiment
apprendre beaucoup je suppose avec ces contacts?
C
Ouais ouais surtout dans la favela. Autant avec les enfants
autistes c'était une structure privée très très
chère donc donc le public était plus ou moins enfin bien
occidental et bien enfin je sais pas si tu connais le Brésil mais avec
les écarts de vie énormes donc ceux qui ont beaucoup d'argent
évidemment ils ne vivent pas comme les occidentaux puisque la culture
est pas la même mais c'est vrai que la société de
consommation est très présente mais autant dans la favela
là c'était la rencontre avec la société
brésilienne pour moi parce que c'est vrai c'est dans ces
sociétés là où dans ces peuples là qui ont
beaucoup souffert que je pense s'inscrivent plus toutes les racines
brésiliennes, tout ce qu'ils ont gardé de l'esclavage aussi je
pense c'est clair que et puis aussi c'était là où il y
avait mon sujet de recherche parce que le Candomblé c'est pas dans les
milieux riches à part à Bahia le Candomblé ça se
fait dans des milieux un peu plus afros donc plus pauvres évidemment
donc là c'était aussi la rencontre avec tout ce côté
spirituel qu'on ne connait pas du tout ici et qui porte vraiment quelque chose
de très fort dans la culture brésilienne y a une présence
très très forte de ce Candomblé et qui en plus est
intéressante parce que à Recife en tout cas cette religion est
complètement discriminée, complètement
stéréotypée, les gens la rejettent complètement
alors qu'en fait elle est présente dans tout les aspects de leur vie et
ça c'est très intéressant aussi mais bon c'est vrai
qu'après moi mon approche de la culture elle est très
différente parce que c'est vraiment ce qui me nourrit en fait de
découvrir la culture de l'Autre que ce soit ici où ailleurs c'est
mon cursus, c'est mon identité, c'est qui je suis et c'est vrai
qu'à chaque fois que j'arrive dans un endroit différent c'est
comme si j'absorbais la culture en fait je suis un peu une éponge, et
euh donc c'est vrai que j'avais déjà beaucoup lu sur le
Candomblé avant de partir parce que c'était mon sujet de
recherche donc j'avais déjà une appréhension de ce que
j'allais trouver et c'était flagrant quoi quand je suis arrivée
dans la favela que les gens m'ont ouvert leur porte enfin ouais.
Je vois. Et justement entre avant et après ton
séjour, est-ce que ton image du pays, de la culture elle a un petit peu
changé ou pas? Est-ce que ça a confirmé ou au contraire
infirmé ce que tu pensais de la réalité
brésilienne?
C
Ouais. Je pense que j'avais beaucoup assimilé le
Brésil à Rio et São Paulo et finalement je m'attendais pas
à voir ce que j'ai vu à Recife puis je m'attendais pas aussi
à voir autant de buildings de trucs comme ça je pensais que
ça allait être un peu plus, peut-être un peu plus j'arrive
pas à trouver le mot euh, préservé, préservé
de tout ça ouais et euh mais bon je m'attendais tout de même
à ça, je m'attendais parce que j'avais aussi une
appréhension de la société réunionaise je savais un
petit peu ce que les sociétés esclavagistes et le passé a
pu donner au niveau culturel, au niveau métissage, et c'est vrai qu'en
plus vraiment pour le coup j'en étais déjà
persuadée avant de partir et je encore plus en rentrant c'est que c'est
des sociétés complètement soeurs quoi et euh c'est vrai
que ma vie à la Réunion a fait que ouais c'est vrai que le
Brésil était une sorte de retrouvailles et je m'attendais
à ça, je m'attendais à ça mais je m'attendais pas
par contre à tant de différences sociales alors que je le savais,
je savais que économiquement le Brésil s'est
développé très vite, qu'il y avait des écarts
sociaux énormes mais j'ai été choquée quand
même, j'ai été choquée de voir comment, en fait
c'était pas la misère qui m'a choqué parce que une fois
qu'on a fait l'Afrique ou linde enfin ce genre de pays on est pas vraiment plus
choqué mais notre choc il est plus aussi douloureux je pense, enfin
c'est pas ça que je voulais, c'est pas que la misère me choque
plus c'est juste que j'ai passé le cap de me dire « houlala c'est
pas possible » mais euh dans le sens où je m'attendais pas à
ce que les gens cohabitent comme ça, j'ai vraiment été
choquée de à quel point les gens vivent vraiment, par exemple la
personne qui m'a accueilli elle était dans un immeuble avec piscine,
salle de sport et tout et au milieu d'une favela quoi je me dis « mais
comment c'est possible quoi que les gens arrivent à survivre, cohabiter
comme ça » avec autant de en France on pourra jamais faire
ça quoi et ça ça a été mon choc quoi du
Brésil de voir des gens dans la misère qui cohabitaient qui ont
aucune rancoeur y a pas de lutte des classes quoi, y a pas de vraie rancoeur
envers les personnes qui ont réussi et y a pas de pitié envers
les personnes qu'ont pas réussi, y a pas de rapports en fait entre les
très riches et les très pauvres et ça c'est un truc qui
m'a choqué.
Tibo
Et tu as pu t'y faire quand même au cours du
séjour?
Ouais mais je pense que comme d'habitude je sais pas pourquoi
je me suis identifiée plus à ceux qui se contentent du peu et
c'est vrai que je me suis un peu détachée de ce côté
occidental et ça a joué sur ma deuxième structure de stage
qui était privée, qui accueillait les gens et qui se permettait
de faire des choses pas de la manière que j'aurais aimé en fait
ouais et je pense que ouais c'est toujours ma problématique de toute
façon c'est que je pense que je viens d'un milieu très riche et
très fermé et que je rejette tout le temps ça et que en
voyageant je me rapproche toujours des gens qui ont rien parce que je trouve
ça fabuleux d'avoir rien et de donner tout et parce que je ressens
ça je sens que et pourtant c'est pas comme si j'avais été
élevée sans rien c'est que au contraire je me retrouve dans ce
don comme ça et c'est vraiment ce que je suis profondément et
c'est vrai que c'est un paradoxe complet dans mon identité quoi.
Tibo
Et justement ce fait d'avoir été
confrontée à plusieurs cultures, civilisations
différentes, est-ce que aujourd'hui ça te permet de porter un
regard différent sur la France, la culture française, voire
l'Europe entière, est-ce que du coup ton image, ta perception de ta
propre culture, est-ce que ça a changé, est-ce que ton
séjour au Brésil a altéré cela, ta façon de
voir, de te voir toi-même en Europe ou en France?
C
Ouais toujours quand je rentre je refais toujours un rejet total
de la France et c'est un problème, c'est vraiment un
problème...
Tibo
À quel niveau? C'est vrai c'est dur de préciser je
pense mais à quel niveau tu fais ce rejet là, qu'estce qui
te...
C
Bin c'est pas la culture française parce que j'aime
beaucoup mon pays, j'aime beaucoup sa diversité, j'aime beaucoup tout ce
qu'il peut offrir de différent que ce soit dans le peuple ou juste les
paysages ou la bouffe ou chaque région a une culture énorme mais
c'est vrai que je supporte pas le peuple français ça me fatigue
son rejet de la différence, ça me fatigue son manque de
communication, sa peur de l'Autre et c'est vrai qu'à chaque fois que je
voyage et que je vois à quel point je suis accueillie, à quel
point j'arrive à me sentir bien dans d'autres pays parce que on
m'accueille comme
ça je me dis « mon Dieu quelle honte on fait en
France » et je me sens toujours en marge de mon propre pays et ça
c'est très difficile quand je rentre parce que bin par exemple ça
c'est un exemple très fort, quand je suis rentrée j'avais pas le
coeur d'aller aux élections quoi, parce que j'avais raté la
campagne d'une et que je me sentais pas de voter pour quelqu'un que j'avais pas
suivi tout ça et puis de deux parce que vraiment c'était la
première semaine où je suis rentrée les élections
et bin je me sentais plus française quoi et bin là je vais
revoter pour le deuxième tour mais je trouve que c'est un exemple hyper
hyper fort parce que euh ouais parce que je me sens pas inscrite dans ce pays
pour son peuple en fait. Et c'est exacerbé surtout depuis que je suis
revenue de la Réunion c'est vraiment les gens m'énervent quoi, la
mentalité m'énerve et je pense qu'en plus c'est pas du tout
objectif hein, c'est vraiment parce que je sais qu'il y a des gens super et que
j'en rencontre aussi mais je me sens pas bien ici.
Tibo
Ok. Bon très bien, c'est quelque chose qu'on va survoler
parce que le retour dans la culture d'origine c'est très
intéressant et tout car ça fait partie de ce que t'as vécu
mais c'est moins dans mon sujet.
C
Ouais puis en plus la chose c'est que je me suis toujours
sentie différente ici avant de voyager bon c'est que mes parents quand
même nous ont fait beaucoup voyager quand on était petit, on a
fait la Grèce en bateau, on est allé au Portugal enfin plein de
voyages comme ça différents donc cette découverte de
l'Ailleurs je l'avais déjà depuis très très petite
enfin mes parents à dix-huit mois ils sont partis aux Baléares
quoi enfin c'est vrai que j'ai commencé à voyager très
très vite mais c'est vraiment je me suis toujours sentie
différente dans mon propre pays mais je savais pas de quelle
manière et quand je suis allée au Canada ça m'a paru comme
une évidence je me sentais pas d'ici mais c'est très
étrange comme sentiment parce que en même temps c'est ce que je
suis évidemment c'est la culture c'est inscrit en moi c'est mon
éducation et puis mes parents sont très français ma
mère est d'origine anglaise mais elle renie complètement ses
origines elle parle pas anglais elle s'en fout enfin pour elle elle est
française et c'est vrai que ouais moi je me sens pas d'ici et ça
a été évident à partir du moment où j'ai
voyagé.
Tibo
D'accord, d'où presque une certaine quête de «
spiritualité » comme tu as pu dire tout à l'heure?
Bin spiritualité non parce que c'est la première
fois que je rencontre ma spiritualité enfin c'est pas la première
fois que je la rencontre mais c'est vrai que ça m'a permis de retrouver
une spiritualité que j'avais perdu complètement mais ça
c'était au Brésil, parce que mais j'y suis pas allée dans
cet objectif c'était ça qui était très
intéressant c'est que j'y suis allée toujours dans cette envie de
découvrir l'Afrique autre part c'est toujours pareil moi c'est toujours
l'Afrique qui me motive, mais c'est vrai que bizarrement alors que je
m'attendais pas du tout à ça c'est là que je me suis
retrouvée en plein dans ma spiritualité dans ce que je croyais
j'ai remis en question beaucoup de choses et c'est vrai que ça m'a
beaucoup fait avancer et puis je crois que j'ai rencontré aussi les
bonnes personnes au bon moment mais après non, quand je voyage c'est
plus une quête identitaire honnêtement plus que spirituelle, c'est
une quête identitaire justement parce que comme je m'inscris pas ici je
veux savoir où je m'inscris ailleurs et pourquoi en fait.
Tibo
Et justement donc quand t'es arrivée au Brésil,
comment t'as fait pour rencontrer des gens, est-ce qu'il y avait des
stratégies, comment ça s'est passé pour se faire des amis,
nouer des liens?
C
Bin en fait c'est ça qui a été super
bizarre au Brésil et autant je crois vraiment, c'est un peu bizarre,
mais je crois vraiment aux vies antérieures et tout ça, mais j'ai
pas le sentiment de venir du Brésil vraiment pas mais j'ai vraiment le
sentiment d'avoir retrouvé des gens que je connaissais depuis
très longtemps et ces personnes là m'ont renvoyé le
même retour, de me dire « j'ai l'impression que je te connais depuis
très très longtemps » et en fait c'est ça c'est que,
je me suis éloignée de la question de départ,
c'était quoi déjà (rire)?
Tibo
Comment tu t'y es prise, comment ça s'est passé
pour rencontrer des gens, comment c'est arrivé?
C
Ouais ouais c'est ça. C'est que du coup quand on est
arrivé on a été super bien accueilli y avait tout qui
était prévu, y avait des gens qui venaient nous chercher à
l'aéroport et tout donc c'est vrai qu'au niveau des liens on a tout de
suite été cocooné c'est vrai que les gens nous
ont emmené à droite à gauche, nous ont dit « il faut
faire ça, ça il faut faire, il faut pas faire » c'est vrai
qu'à ce niveau là ça s'est fait ouais naturellement mais
moi j'ai vraiment l'impression que j'ai rencontré les personnes que
je devais rencontrer sur place alors par exemple un exemple
tout bête c'est qu'au début j'avais vraiment du mal par rapport
à ma recherche parce que pour s'introduire dans le milieu des religions
afros et tout ça c'est pas évident quand on est pas afro et qu'on
est pas de cette culture là parce qu'en plus les gens se cachent plus ou
moins parce que c'est dévalorisé donc c'est vrai que j'avais
beaucoup de mal puis en fait j'en ai parlé à une dame dans
l'assoc comme ça vite fait un dimanche et puis un semaine plus tard j'ai
un musicologue qui faisait le même sujet que moi qui m'a appelé
pour me dire « oui je suis au courant que t'as pas trop de contacts moi
j'en ai plein si tu veux on se rencontre » et en fait mon contact avait
fait le tour de cinq personnes, elle en fait avait filé mon contact
à quelqu'un qui connaissait qui connaissait qui connaissait et qui est
finalement arrivé dans les mains de ce type et en fait vraiment on est
devenu tout de suite ami ça a été hyper fort on s'est
vachement aidé et ça a été comme ça tout le
long, j'ai rencontré que des gens que je devais rencontrer tout le temps
et des gens qui m'ont donné tellement d'énergie qui m'ont
tellement aidé qui m'ont tellement soutenu dans une période de ma
vie où ça allait pas que j'avais vraiment le sentiment que rien
n'était au hasard au Brésil quoi et c'est vrai que j'avais eu ce
sentiment là très très fort au Canada aussi, que je
rencontrais tout le temps les bonnes personnes aux bons moments mais autant
là franchement au Brésil ça a été, j'avais
tout le temps je me sentais super liée avec les gens et les gens me
ramenaient dans leur famille et tout enfin j'ai pas le sentiment de retour sur
une terre mais de retour avec un peuple en fait et c'était hyper fort
enfin, j'ai rencontré un gars que je considère comme mon
père quoi enfin pas comme mon père, comme mon père mais
mon père d'adoption, pareil j'ai rencontré un homme avec qui
c'était très très fort enfin j'ai pas eu de relations avec
lui mais euh c'était très très fort c'est la
première fois que je ressens ça autant de retrouvailles quoi
comme si je le connaissais depuis des années et c'est lui en plus, moi
j'ai ce sentiment là et c'est lui qui m'a parlé de ça y
m'a dit « tu sais j'ai l'impression qu'on s'est retrouvé » y
m'a dit « j'ai l'impression que ça fait des années qu'on que
pour moi c'est évident que je te connais par coeur » et j'avais le
même sentiment et c'est vrai que cette notion de rencontre au
Brésil a été super forte parce que tous les gens que je
rencontrais c'était ça une impression de déjà vu
quoi.
Tibo
C'est assez fantastique.
C
Ouais ouais et c'est pour ça aussi que j'avais vraiment le
sentiment de me trouver au bon endroit au bon moment parce que j'avais
l'impression que tout ce qui m'arrivait c'était écrit en fait.
Tibo
Et dans le même domaine qu'est-ce que tu faisais dans ton
temps libre, quels étaient tes loisirs, tes activités avec les
gens, comment ça se passait un petit peu?
C
Bin j'avais pas de temps libre (rire). C'était vraiment
ça, j'avais vraiment pas de temps libre on passait d'une structure de
stage à l'autre et, et le seul peu de temps pour moi que j'avais mais
vraiment peu c'est-à-dire le soir de huit heures à minuit
c'était pour mon étude donc c'était d'aller trouver des
gens, de faire des entretiens, parce que mon étude c'était la
place des pratiques afrobrésiliennes dans la construction de
l'identité des jeunes des favelas et donc il fallait que je rencontre
des gens qui faisaient de la percu, des gens qui faisaient de la capoeira, des
gens qui faisaient chefs de culte du Candomblé, des jeunes aussi
beaucoup c'est vrai que tout mon temps libre ça passait là-dedans
mais en même temps j'ai pas eu le sentiment d'être privée de
vie privée parce que je me suis retrouvée complètement
dans ce milieu, complètement, je me suis sentie accueillie et
initiée en fait, c'était super bizarre parce que les gens me
parlaient et finalement quand je suis rentrée je me suis dit « en
fait je comprenais plein de trucs que quand je l'explique aux gens y
comprennent rien », des termes vraiment afros mais aussi je pense parce
que je connaissais bien l'Afrique et c'est vrai que quand avec cette
appréhension toute cette culture africaine, des racines, des rites,
parce que je le connais très bien, c'est vrai que les gens m'ont
peut-être senti initiée tout de suite parce que je l'étais
peut-être déjà un petit peu dans le fond. J'élabore
en parlant mais ouais c'était ça c'est que ouais je me suis
sentie intégrée tout de suite ça c'est sûr.
Tibo
Mais du coup toutes tes relations venaient de tes deux stages, de
ton travail, des gens que tu as rencontré de fil en aiguille comme
ça?
C
Ouais j'ai pas eu de, mes potes étaient en lien avec
mon sujet d'étude, je me suis pas fait d'amis en dehors, j'avais pas le
temps vraiment, et y a juste deux-trois petits moments où pff j'en avais
juste marre alors je boycottais un peu mon stage (rire), je disais que je
faisais mon étude et puis en fait je voulais juste prendre une heure
pour dormir parce que vraiment j'étais crevée et donc j'allais
à la plage pour dormir et c'est tout le temps sur la plage que je
rencontrais des gens, c'était incroyable, je rencontrais, une fois j'ai
passé, bon là j'avais pas boycotté, j'étais
vraiment au repos et j'avais pris du repos et j'étais partie sur la
plage et j'ai passé tout l'aprem avec un petit de huit ans qui m'a
raconté
toute sa vie c'était un petit de huit ans des favelas
donc déjà adulte quoi car ils ont pas d'enfance et il a
raconté toute sa vie et, et enfin voilà toutes les rencontres que
je faisais étaient soit très ponctuelles mais très fortes
soit, soit en rapport avec mon sujet d'étude mais c'était aussi
mes amis quoi enfin c'est vrai que les gens avec qui je parlais du Maracatou,
le Maracatou je sais pas si tu connais c'est un style de percussion, ou de la
capoeira ou du Candomblé c'était des gens que je côtoyais
aussi par les cérémonies, ou pour plein d'autres choses donc
c'est vrai que ouais, puis on se retrouve, c'est un petit milieu hein donc
c'est vrai que finalement les contacts se font très vite parce que c'est
un petit milieu quoi et parce que aussi je restais toujours dans le même
favela donc les gens se connaissent quoi.
Tibo
Et à propos de ta colocation, comment ça s'est
passé un petit peu?
C
Ah c'était mitigé hein. Ma colocation de la
personne qui me, après la personne qui m'accueillait c'était un
peu ambivalent parce que c'est vrai qu'en fait je m'entendais bien avec elle
mais j'avais le sentiment que elle elle était mariée...
Tibo
Il s'agit d'un Brésilien, d'une personne
brésilienne?
C
Ouais ouais et déjà je m'entendais pas du tout
avec cet homme là, enfin c'est pas que je m'entendais pas du tout parce
que je l'aime bien il est sympa mais je me retrouvais pas du tout en lui quoi,
enfin c'est quelqu'un qui est très très très riche, qui
aime pas du tout les favelas, qui n'avait rien à voir avec mon sujet
d'étude, qui voulait pas que je parle des trucs afros dans la maison
parce que ça porte malheur, enfin bref voilà, j'étais un
peu la macumbella du truc, la macumbella c'est le terme
négatif associé aux personnes qui font du Candomblé et
c'est vrai que je me suis pas sentie un rapport très fort avec cet homme
là et j'avais le sentiment qu'elle elle était un peu jalouse de
moi en fait parce que plusieurs fois elle m'a fait des remarques en disant que
j'allumais les hommes enfin des trucs comme ça quoi donc j'avais
vraiment pas le sentiment, et puis j'étais vraiment pas du tout partie
dans cette optique là je, enfin bref du coup ma relation avec elle
était assez ambiguë en fait parce que en même temps on
s'entendait bien, en même temps on, on avait l'impression qu'elle elle
instaurait un peu de rivalité enfin donc bref ça s'est bien
passé mais je peux pas dire que je me
sentais chez moi quand je rentrais à l'appart enfin
bizarrement je dormais aussi dans la favela et c'est vrai que je me sentais
plus à l'aise quand je dormais dans la favela alors que quand j'entrais
dans cet immeuble tout aseptisé.
Tibo
T'as fait tout ton séjour dans cet immeuble?
C
J'ai été accueillie chez eux mais finalement
vers la fin je dormais tout le temps dans la favela parce que comme je faisais
tout le temps des cérémonies ça finissait tard et
ça craignait plus de sortir de la favela que de rester dedans en fait
donc je restais dans la favela la nuit.
Tibo
D'accord, je croyais que tu vivais avec Véronique.
C
Ah non non et heureusement parce que déjà je la
supportais plus dans les stages mais alors si on avait partagé notre vie
c'était pas possible, elle me puisait mon énergie vraiment, et
heureusement qu'on a pas cohabité mais après oui non
j'étais quand même très indépendante, j'ai
été très très bien reçue, ça je le
retire pas, mais c'est juste que un mois et demi c'est long avec des gens qu'on
choisit pas et c'est vrai que non ça s'est bien passé, je peux
pas dire ça, mais je me suis pas retrouvée dans ce groupe quoi,
c'était pas le côté du Brésil qui me faisait
écho. Mais c'était intéressant aussi de voir l'autre
[côté].
Tibo
Oui parce qu'il y a plusieurs Brésils.
C
C'est ça, et puis en plus vu qu'ils étaient
très riches ça me permettait aussi euh, leur environnement, y
connaissaient rien du Candomblé, y connaissaient rien de mon sujet
d'étude, toute les pratiques afros c'est vade retro satanas et
justement ça m'a apporté énormément pour travailler
sur ces stéréotypes hein, sur qu'est-ce qui fait qu'on rejette
l'afro, enfin la culture afro et tout ça donc c'est vrai que
c'était aussi très riche mais moi je me suis pas retrouvée
parce que justement ce que j'étais au Brésil c'était
vraiment inscrit dans ce milieu très tradi et ils n'étaient pas
comme ça et puis eux ils
sont très très riches quoi donc c'est des bagnoles
et enfin c'était pas le Brésil que je côtoyais après
en fait.
Tibo
Tout à fait. Et est-ce que t'as connu des galères,
enfin ce qu'on appelle des galères quand on roule sa bosse, est-ce que
t'as connu ça au Brésil?
C
Bin justement alors c'est c'est toujours parce que moi je suis
Miss galère, tout le temps la poisse, quand je voyage il m'arrive tout
le temps des trucs de fou mais de fou vraiment, genre des gars qui me
poursuivent ou des trucs comme ça, enfin vraiment à chaque fois
que je voyage j'ai des histoires de malade où je rencontre des gens trop
bizarres enfin bref et, et en fait c'est le seul voyage que j'ai fait dans ma
vie où y m'est rien arrivé. Et en plus quand je voyage je
m'attends toujours à avoir la poisse comme ça, tout le temps des
crasses et c'est vrai que les gens quand je rentre de voyage y attendent
toujours mes petites histoires, mes petites aventures qui m'arrivent de trucs
de merde, enfin pardon (rire), mais euh mais c'est ça non c'est vraiment
euh enfin y m'arrive la poisse et là au Brésil bizarrement y
m'est rien arrivé du tout et que des choses positives. Rien de
négatif, à part mes relations avec Véronique qui
n'étaient vraiment pas positives pour l'une comme pour l'autre, mais euh
après vraiment y m'est pas arrivé de poisse quoi. Ah si des trucs
enfin un peu futiles quoi genre je me trompe de bus et je fais quarante
kilomètres dans un sens et je me rends compte que je suis super loin de
la ville et qu'il est vingt-heures trente, enfin ce genre de truc en fait mais
c'est pas enfin je panique plus du tout en fait enfin mais ça c'est
pareil hein, c'est mon expérience de voyage qui fait que quoi qu'il
arrive le danger c'est les autres hein c'est pas soi-même quoi donc
après si on panique c'est vrai qu'on fait ressentir ça aux autres
enfin mais c'est vrai qu'en Afrique il m'arrivait tout le temps plein de trucs
enfin des trucs à la con quoi enfin du genre taximan qui veut plus
s'arrêter qui veut plus me laisser sortir du taxi enfin ce genre de trucs
qui peuvent être dangereux mais au Brésil jamais...jamais...si,
si, je mens. Il m'est arrivé un truc mais j'ai tout de suite
réagi et j'ai pas eu peur en fait c'est pour ça que c'est
à ce voyage là que je dis que je me suis rendue compte que
ça y est j'avais de l'expérience, parce que j'étais partie
en fait y avait c'était le dernier jour du carnaval parce que j'y suis
allée pendant le carnaval, et en fait le couple chez qui j'étais
était trop crevé mais moi je voulais pas rater une minute du
carnaval quoi c'est vrai que eux ils y sont tous les ans mais moi j'avais
vraiment envie de profiter et je suis partie au carnaval toute seule et je
savais que ça craignait parce qu'en plus c'était dans un coin de
la ville où ça craignait et donc j'ai fait attention à pas
m'habiller trop euh voilà, en plus c'est vrai que je suis blonde donc
à chaque fois je
passe pas inaperçue, et puis en fait y a un gars qu'est
venu hyper efféminé qui dit, qui arrive en m'abordant en me
disant « je suis homosexuel » et puis y me dit « oui je t'ai
remarqué, je te trouve très très belle j'aimerais bien que
tu fasses du mannequina et tout en fait je cherche des mannequins et nanana
» donc y commence à me parler j'y dit « ouais bin ça
m'intéresse pas moi je suis psy donc le mannequina c'est pas moi et puis
je pense pas être une bombe donc euh » et puis y me dit « mais
non ce serait bien qu'on fasse des essais photos nanana » et j'y dit
« bin non c'est pas trop mon truc merci et tout » et y m'a
collé collé collé et y m'a forcé à aller
chez lui et j'ai vraiment eu les bonnes réactions en fait, je l'ai pas
brusqué, je l'ai pas, j'ai essayé vraiment d'aller dans son sens
sans trop aller dans le sien justement (rire) et je m'en suis bien sortie quoi
mais c'était dangereux, je savais que c'était dangereux, puis en
plus y m'avait sorti des trucs genre « oui, je travaille que avec des
filles de Russie, d'Europe de l'est » enfin moi j'avais compris, j'avais
senti le truc en plein carnaval je vois pas pourquoi on va faire des photos
dans un appart enfin mais je pense que ce genre de truc à une fille
très naïve qui voyage pas qui prend pour un compliment qui dit
qu'il est vraiment homosexuel, elle pourrait aller dans le truc quoi, mais
ça ouais c'est parce que j'ai de la bouteille et que je sais ressentir
les gens maintenant aussi et que je sais aussi ne plus paniquer parce que si
j'avais paniqué il aurait pu prendre le dessus quoi. Là j'y ai
montré que ça m'intéressait pas point quoi.
Tibo
Et justement donc l'insécurité est-ce que tu l'as
ressentie un petit peu, est-ce que t'as ressenti, y a peut-être des
différences par rapport à la métropole ou peut-être
même à la Réunion je sais pas?
C
Oui ouais c'est clair qu'on peut pas dire que le Brésil
est pas dangereux, honnêtement c'est un pays dangereux et surtout parce
qu'on était dans les favelas donc c'est clair que voilà, mais en
même temps je me suis jamais sentie vraiment menacée contrairement
à en Afrique. En Afrique j'ai vécu vraiment des choses
très dures, parce que bin on est blanc et que du coup ça a pas du
tout la même valeur que au Brésil, et au Brésil j'ai rien
vécu de tout ça. Par contre c'est clair que je pense aussi que
peut-être que mon comportement fait que je suis peut-être moins
naïve donc les gens m'attaquent peut-être moins, je sais pas si les
agressions sont une affaire de ce qu'on renvoie à l'autre ou une affaire
de malchance, je sais pas.
Tibo
Je parlais du climat en général, est-ce qu'il y
avait pas une pression peut-être mais enfin je sais pas
quelque chose ou pas du tout?
C
Ouais quand même...
Tibo
Je connais pas du tout donc je pose des questions naïves tu
vois.
C
Oui mais pas du tout je comprends, mais ouais quand même
on peut pas dire comparé à ici, on se promène pas dans la
rue à vingt-trois heures trente toute seule, mais après je pense
que quoi qu'il arrive quand on voyage vaut mieux pas prendre de risques quoi.
Enfin on est pas dans son pays, en plus quand on parle pas la langue c'est pas
évident et je pense que ce climat d'insécurité il est
là quand on voyage quoi qu'il arrive. C'est sûr que quand on
voyage en Angleterre on voyage pas comme quand on voyage au Brésil par
exemple, mais quoi qu'il arrive, on est une cible parce qu'on a des têtes
d'étrangers et qu'on voit ça donc y faut faire attention.
Après moi je sais que ça c'est un truc qui est intéressant
par contre au Brésil c'est qu'y a une paranoïa énorme des
gens riches mais vraiment, des gens qui comprennent même pas mon travail
dans la favela, « qu'est-ce que tu vas faire là? », «
comment, tu dors dans la favela?! » et oui en effet, c'est clair que
c'était dangereux à l'intérieur de la favela mais pour
être franche moi je me baladais vers vingt-trois heures à
l'intérieur de la favela et j'ai jamais eu de problèmes, j'ai
jamais été agressée. Après je peux pas dire que
j'étais super à l'aise et que je me promenais en shorts et que
tout va bien mais euh voilà c'était pas non plus la grande peur
comme j'ai pu l'avoir en Afrique. Parce qu'en Afrique tu te promènes pas
la nuit.
Tibo
Et est-ce que t'as le sentiment, bon c'est dur de mettre des mots
dessus mais, d'avoir changé, suite à ton séjour au
Brésil, est-ce qu'il y a des choses en toi qui ont changé, et tu
le ressens peut-être?
C
Oui, dans chaque voyage on change, d'une déjà
parce qu'on se comprend, parce que l'appréhension de l'Autre nous permet
de relativiser certaines choses aussi, parce que beaucoup aussi quand je voyage
je rencontre énormément de gens qui m'apportent
énormément de choses donc c'est clair qu'à chaque voyage
je reviens changée mais là ce voyage là je me suis
retrouvée, c'était différent, parce que je pense que je
m'étais perdue, je m'étais perdue en rentrant ici, c'est
ça le pire, c'est que je
me suis perdue en rentrant chez moi, parce que c'est pas chez
moi, et là je me suis retrouvée. Et ça m'a fait du bien.
Je me sens pas changée, je me sens sur la bonne route, et c'est
ça qui est différent en fait, c'est que j'ai l'impression de
m'être retrouvée et d'être repartie dans une dynamique que
j'avais perdu en fait. Mais oui dans une certaine mesure c'est un changement
aussi je pense.
Tibo
Et justement donc pour l'avenir, est-ce que tu as l'impression
que ce séjour au Brésil influence déjà ou va
influencer un petit peu ta vie à venir?
C
Ouais complètement.
Tibo
Dans quel sens? Tu peux m'expliquer un peu?
C
Bin parce que j'ai une proposition de doctorat là-bas,
et que j'y pense vraiment. Au départ je m'étais dit « le
Brésil ça va être une partie de ma vie » mais en
partant vraiment j'avais le sentiment que j'avais pas achevé quelque
chose et qu'y faut que je reparte là-bas et euh il y a des gens qu'y
m'ont fait promettre que je reviendrai, c'était hyper fort parce que bon
je suis pas du style à promettre des choses mais j'étais
obligée, enfin c'est pas que j'étais obligée, c'est que
j'ai senti que c'était une évidence de toute manière que
j'allais revenir au Brésil, et en fait c'est que, comme je me suis
inscrite complètement dans le Candomblé, le système du
Candomblé fait qu'il y a des entités religieuses et que chaque
personne descend d'une divinité donc moi je sais quelle est ma
divinité, j'ai déjà consulté des gens pour savoir
et tout, et avant de partir mon chef de culte de qui je suis très
très proche m'a demandé de faire une prière et de
remercier pour ce que j'avais vécu, donc je suis allée dans un
temple alors que c'est pas du tout ma religion hein mais pour te dire comme je
me suis inscrite profondément dans ça et je lui ai demandé
de me mettre sur la route, de m'envoyer un signe, et le lendemain j'ai eu une
proposition de doctorat au Brésil.
Tibo
C'est fantastique.
C
Ouais, après alors on y croit du côté
spirituel ou pas mais en tout cas c'est comme si même si y a pas de
divinités, même si ça n'existe pas - ce dont je ne suis
plus du tout convaincue mais, j'ai l'impression que c'est comme si le
Brésil m'avait mis sur la voie alors que c'était pas du tout mon
plan, moi je viens d'une famille qu'est pas très intellectuelle, qui est
pas enfin le doctorat c'est plafond de verre pour moi quoi déjà
finir le Master c'est magnifique je me suis jamais projetée dans une
thèse, je me suis toujours dit « c'est trop loin, être prof
c'est pas possible ».
Tibo
Donc tu l'envisageais vraiment après le Brésil?
C
Ouais, et en fait pour tout te dire c'était ma
quatrième proposition de doctorat dans toute ma vie y a quatre profs qui
m'ont proposé de me prendre en thèse et je sais que c'est faire
la fine bouche mais déjà une proposition de doctorat c'est
énorme, quelqu'un qui te propose de te prendre en thèse je suis
consciente mais c'est tellement mon plafond de verre, c'est tellement ce qui
m'angoisse que j'ai toujours refusé mais après le Brésil
je me suis dit « faut peut-être arrêter de faire la fine
bouche quoi, faut peut-être y aller » et c'est comme si là ce
que j'avais vécu c'était qu'une mise en bouche et qu'il fallait
que je revienne pour compléter quelque chose vraiment et aussi parce que
bin là j'ai abandonné mon Master du coup parce que j'ai pas
réussi en rentrant à faire tout ce que je devais faire donc j'ai
pas concrétisé mon étude que j'avais fait là-bas et
ça me reste en travers de la gorge parce ce que j'ai l'impression qu'on
m'a donné tellement d'énergie, j'ai rencontré tellement de
choses que ça m'embête, ça m'embête de pas avoir, et
du coup là c'est comme s'il fallait que je retourne au Brésil
vraiment mais en même temps chaque pays que je fais j'ai l'impression
qu'il faut que j'y retourne en fait pour des raisons différentes : la
Canada pour les gens ; l'Afrique pour l'amour, parce que j'ai laissé
quelqu'un là-bas ; la Réunion parce que c'est ma terre et que je
sais que je vais finir làbas ; et le Brésil professionnellement
et spirituellement. Donc c'est plein d'aspects de ma vie en fait.
Tibo
Est-ce que tu t'es sentie soutenue pendant ton séjour,
enfin émotionnelement, soutien tu vois affectif?
C
Ouais vraiment parce que, parce que j'ai vécu des choses
dures et que j'en avais pas parlé, que j'ai
commencé à m'ouvrir là-bas, à
recevoir des choses que j'ai aussi rencontré quelqu'un qui après
on y croit on y croit pas, a consulté les Cauris tu sais, c'est un genre
de coquillage, et ça ça fait partie d'une tradition
afro-brésilienne qui m'a révélé plein de choses sur
ma vie, je sais pas comment c'est possible mais il a connu toute ma vie, il a
connu enfin après mon futur on y croit on y croit pas mais y m'a dit
beaucoup de choses, on a parlé pendant quatre heures, de ma vie, de ce
que je suis, de ce que j'étais, de mes épreuves et de ce que j'ai
vécu, et j'ai fait comme une psychothérapie en
accélérée quoi vraiment ça m'a ouais, je pense que
j'ai traité beaucoup de choses là-bas. Donc ouais j'ai
été très soutenue et par des gens dont j'avais
l'impression que je les connaissais déjà en fait donc
c'était hyper impressionnant comme sensation parce que ouais je me suis
sentie soutenue par des gens qui profondément me respectaient et me
connaissaient en fait alors que c'est vrai que quand on voyage on rencontre pas
forcément des gens bienveillants et que là pour le coup vraiment
j'ai rencontré que des gens bienveillants mais après c'est vrai
que euh soutenue par rapport à...
Tibo
Bin parler de tes soucis, de tes petites galères, est-ce
que tu te sentais isolée quoi simplement?
C
Non je me sentais pas isolée et je me sentais non pas
isolée du coup sur mon quotidien là-bas parce que les gens
étaient très prévenants, ils nous disaient beaucoup «
attention sortez pas là nanana » même peut-être trop
des fois et autant sur ça sur l'aspect concret de la vie quotidienne
autant sur mon étude aussi, les gens m'ont aidée mais m'ont
ouvert les portes y a un homme que j'ai rencontré que vraiment j'adore
qui m'a, qui a passé deux jours à m'emmener voir tous les gens
qu'y connaissait pour m'aider pour ma recherche, deux jours de sa vie, ce que
je trouve énorme, enfin j'imagine même pas que ça puisse
être possible en France, en plus que c'est un homme très
très occupé et ouais non vraiment soutenue pour tout quoi, pareil
pendant mon stage, dès qu'on avait une question y avait quelqu'un qui
était là pour répondre, après soutenue par mon
côté français, c'est-à-dire par Véronique,
zéro, par par le...il y a quelqu'un je sais pas? [la prochaine
volontaire pour l'entretien est arrivée].
Tibo
T'inquiète pas on a cinq minutes.
C
Mais après par le côté français plus
ou moins parce que ici les gens comprennent pas pourquoi je
voyage.
Tibo
D'accord, je vois. Et bien merci beaucoup, c'était
très intéressant de discuter avec toi ///
Entretien avec M (46 minutes)
Tibo
Pour commencer, est-ce que tu peux m'expliquer un petit peu
comment tu en est arrivée à partir au Brésil cette
année, pourquoi le Brésil, comment ça s'est en quelque
sorte goupillé tout ça.
M
D'accord, depuis euh peut-être que j'ai dix ans, j'ai le
rêve d'aller en Argentine. J'ai dû voir un reportage, je ne
pourrais plus dire d'où vient ce rêve, mais voilà j'avais
ce rêve là et avec ma Licence c'était pas possible, y avait
pas de partenariat en Argentine donc j'avais même pas rendu le dossier
donc j'étais un peu déçue tu vois et, on était plus
tard que le six janvier, et y a O. qui est venu dans ma salle qui a dit «
voilà, je sais que les dates pour les échanges, que la date
de fin où tu dois rendre les dossiers pour les échanges est
terminée mais si y en a qui veulent aller au Brésil voilà,
y a encore une possibilité », alors je me suis dit bin vas-y
fonce en plus comme ça si je suis à côté de
l'Argentine comme ça je pourrais aussi y aller, en Argentine. Et
voilà, c'est pour ça que je suis allée au
Brésil.
Tibo
Très bien, et donc tu as pris ta décision,
tardivement finalement?
M
Oui, bin oui oui je l'ai pris avant le six janvier bin et puis et
je suis partie en juillet donc en fait ouais ouais j'étais assez
speed dans tout c'était assez, plutôt la course, mais
bien du coup.
Tibo
Oui, donc c'est une volonté qui remontait, ça fait
un moment que tu voulais partir dans ce coin là du monde en fait.
M
Ouais vraiment l'Amérique Latine m'a toujours toujours
inspirée j'avais vraiment envie d'y aller et de, mais plus l'Argentine
car je parle espagnol et pas portugais donc c'est vrai que j'avais même
pas pensé à aller au Brésil en fait et mais je suis
très contente au final d'être allée au Brésil.
Bien sûr, je vois. Est-ce que tu peux me parler un petit
peu donc bin de la région, de la région où t'étais,
de ta ville, etc., un peu le cadre de ton séjour?
M
Ouais, alors j'étais dans le sud, au sud au sud, donc
Caxias do Sul, euh, c'est euh, quand je suis arrivée, c'était
l'hiver donc y pleuvait, tous les jours tous les jours, les gens y sont c'est
sûr qu'y sont, t'as un changement radical c'est sûr avec la culture
française et la culture brésilienne tu le vois, mais d'un autre
côté c'est vachement européen, enfin je veux dire,
physiquement, les personnes ressemblent vachement à des personnes
européennes, euh vu que y a beaucoup de descendants italiens et
allemands on entendait quand même des gens parler italien ou allemand tu
vois, alors que bin tu t'y attends pas au Brésil et puis euh,
c'était une ville assez riche, c'était la seule ville du
Brésil qui avait des conteneurs, tu sais pour faire les poubelles et
tout ça, donc c'est vrai que c'était une ville qui qui, qui
faisait Brésil mais qui aussi qui, où y avait aussi quand
même quelque chose d'européen par exemple, que quand tu vas a Rio
ou à Salvador bin tu retrouves plus quoi, ce truc européen je
trouve, donc c'est vrai que j'aurais eu plus le choix j'aurais peut-être
choisi une autre ville parce que cette ville elle était petite et euh,
dans le sud, donc pas facile non plus pour voyager dans tout le Brésil
parce que c'est un pays super grand tu vois, y vaut mieux être au milieu
comme ça tu fais tout quoi (rire) ; et euh, et voilà
ouais, c'est vrai que si je devais refaire cet échange
déjà je referais plus long, je ferais un échange d'un an
minimum...
Tibo
Oui, t'as le sentiment que six mois ça te...
M
Ouais, ouais ça m'a frustrée, franchement je suis
frustrée d'avoir fait que six mois maintenant...
Tibo D'accord.
M
Et euh, ouais, je le ferais plus long et dans une ville où
je, je suis sûre qu'y a plus de d'activité tu vois, plus grande
quoi.
Et à la base six mois c'était donc, c'était
imposé ou c'était un choix personnel?
M
Non, du tout, c'était j'avais donc le choix entre six
mois et un an et je t'avoue que j'étais morte de trouille donc donc j'ai
demandé à O. ce qu'il avait fait et y m'a dit « moi j'ai
fait six mois et ça m'a suffi amplement, je suis rentré y a des
gens qui me manquaient, j'étais content de rentrer », donc bin
moi je me suis dit je vais faire six mois déjà, et c'est vrai que
j'étais contente de rentrer mais j'aurais pu rentrer six mois plus tard
quoi.
Tibo
Je comprends. Oui, parce que c'est ton premier grand voyage c'est
ça non?
M
Ouais, je savais pas du tout comment ça allait se
passer, est-ce que j'allais arriver à m'intégrer, etc., je
partais toute seule alors que le seul voyage que j'avais fait avant
c'était scolaire ou deux semaines en Angleterre enfin tu vois, et donc
là, ouais ouais ça me faisait peur quand même et donc je me
suis dit je vais faire six mois, y [O.] m'a dit que lui six mois
ça avait vraiment été vraiment suffisant, qu'il aurait pas
aimé rester plus, je me suis dit je vais partir sur ça et
j'aurais su je serais partie plus, plus longtemps mais bon (rire).
Tibo
Bien sûr bien sûr. Et t'avais quelle image du
Brésil avant de partir justement, est-ce que ça a changé
entre temps, comment tu voyais les choses?
M
Comme je t'ai dit c'était tellement
précipité que ouais j'ai pas eu le temps de, ni, je l'ai pas pris
non plus, de me renseigner réellement et je me suis dit « tant
mieux ça va me faire la surprise » je vais pas arriver avec plein
de d'aprioris tu sais donc c'est vrai que je me suis pas spécialement
renseignée donc après j'avais un peu, les clichés si tu
veux, j'imaginais les plages, je pensais peut-être voir plus de
pauvreté surtout à Caxias en fait, après quand je suis
allée dans les autres villes c'est vrai que là j'ai eu ma dose
mais euh ouais je pensais peut-être voir plus de pauvreté et je
pensais aussi à des trucs cons mais euh différentes heures de
repas, des trucs comme ça qui en fait non pas du tout. Donc voilà
y a des petits trucs qui m'ont étonnée mais
D'accord. C'est vrai que t'as voyagé après dans le
Brésil, enfin que t'as profité de ton séjour pour voyager
au Brésil ainsi qu'à l'extérieur...
M
Ouais, j'étais bin du coup comme mon rêve
c'était d'aller en Argentine j'ai été faire vingt jours en
Argentine.
Tibo
D'accord, ça c'est intéressant. Et comment
ça s'est passé, t'es partie toute seule, comment tu t'y es
pris?
M
Pour aller en Argentine?
Tibo
En général, dans tous tes voyages.
M
Donc dans tous mes voyages au début on s'était
organisé avec tous mes colocs en fait pour faire un voyage, donc on
avait fait Foz do Iguaçu, Rio, Salvador, puis on était revenu
à Caxias et en fait euh si tu veux la colocation a commencé on
était une grande famille, tous un grand échange, premier et grand
échange dans un autre pays tatati tatata on se retrouve tous
étudiants on se dit en fait c'est bon on va devenir friends tu
sais des meilleurs amis toute la vie mais non (rire). On est
différent, on vient de cultures différentes donc euh le premier
voyage qu'on a fait c'est vrai qu'il a été un peu foireux au
final parce qu'on avait pas les mêmes attentes du voyage mais on s'est
séparé mais tu vois ça nous a juste montré ce qu'y
fallait pas qu'on fasse pour le prochain [voyage] et moi donc pendant
ce voyage je me suis vraiment rapprochée de mon coloc français et
c'est avec lui après que j'ai décidé d'aller en Argentine
et pour y aller on faisait tout au dernier moment, on disait bin aujourd'hui tu
vas faire quoi on se levait et on allait marcher dans la ville on se disait
« bin tiens je viens de voir sur la carte que y a un musée par
là », on y passe et voilà. Et c'est comme ça que
j'ai visité l'Argentine.
Très intéressant, est-ce que c'est un truc que
t'aurais fait en France, par exemple pour dire « tiens je pars »
comme ça, aussi vite, enfin voilà....
M
Non, non et je le regrette. Maintenant j'y pense quand je pars
à la gare maintenant je me dis bon allez je vais où maintenant et
je serais prête à prendre un billet c'est vrai que ça m'a
donné un peu cette spontanéité là.
Tibo
Mmh mmh, tu as l'impression d'avoir pris plus de, d'assurance
c'est ça?
M
Oui voilà c'est ça, je n'ai plus peur d'aller
toute seule du coup même une journée quelque part ça me
fait plus du tout peur donc ouais c'est vrai j'ai envie de, ouais bah, quand tu
dis à la gare j'ai envie d'aller prendre un billet c'est vrai que je
vais pas le faire toute seule parce que je me dis « c'est con même
d'aller à Genève une journée c'est chaud, autant que
j'emmène quelqu'un avec moi » mais euh mais ouais je c'est
ça j'aurais envie de bouger plus que, qu'avant quoi.
Tibo
Bien sûr. Et justement, ta coloc, est-ce que tu peux me
parler un petit peu de ta vie sur place, de ton lieu d'habitation, des gens
avec qui t'étais? Était-ce plutôt des Brésiliens,
des compatriotes, des étudiants internationaux? Comment ça se
passait un petit peu?
M
Et bin y avait deux Espagnols, non un Espagnol, une Italienne,
deux Mexicains dont un qui parlait portugais parfaitement, un autre
Français et moi. On était donc six peut-être dans un
70m2, entre 50 et 70m2, euh y avait deux chambres donc
trois filles d'un côté, trois garçons de l'autre, une
petite cuisine, deux salles de bain et un petit salon, donc tu vois que euh,
que t'as pas d'intimité, jamais, et euh, et je pense que ça a
été du coup le problème de notre coloc parce que on se
retrouvait jamais tout seul tu vois. Je crois que l'appartement a du être
fermé à clef quinze minutes dans les six mois parce que y avait
personne à ce moment là mais sinon y avait toujours quelqu'un et
c'est vrai que ça a été super enrichissant parce que j'ai
bouffé des trucs de tous les pays du coup mais d'un autre
côté ça nous enfermait aussi dans cette euh, dans le fait
qu'on est étranger qu'on reste entre étrangers et y
en a beaucoup qui ont fait ça, j'ai vu les deux
Colombiennes et les deux autres Mexicains qui étaient amis avec nous on
les voyait de temps en temps mais dès qu'on leur proposait de faire
quelque chose dans un autre endroit avec d'autres Brésiliens bin
c'était carrément plus dur tu vois et c'est vrai que après
je l'ai dit à tout le monde, à ceux qui arrivaient tout
ça, « fais attention quand tu fais un échange de pas rester
qu'entre étrangers c'est con quoi ».
Tibo
Ouais, et du coup est-ce que t'as mis des stratégies en
place pour t'intégrer, nouer des liens...
M
Ouais, en fait ça a commencé parce que mon coloc
a eu des amis de par sa fac parce que lui il était tout le temps dans
les mêmes groupes de personnes alors que moi je changeais à chaque
heure de cours, donc plus dur aussi pour se créer de vraies relations
durables tu vois, et donc y s'est fait ces amis là, on a commencé
à bien sympathiser avec eux, et euh, et ensuite, comment, comment
ça s'est passé, je sais plus exactement bref, je me j'ai
rencontré je pense que c'était ah! la journée de l'enfant
j'ai rencontré euh un gars qui avait fait un échange en Europe et
du coup qui voulait me rencontrer pour qu'on puisse discuter et
échanger, parler de notre expérience, et ce gars là il
était danseur de hip-hop et il avait tout un groupe avec lui donc on
s'est rencontré à l'occasion d'une de ses représentations,
et c'est devenu mes, mes amis, vraiment, super bon feeling, donc du
coup après voilà je restais tout le temps avec eux,
j'étais plus chez moi j'étais tout le temps dans la rue avec eux
et je disais donc à mon coloc de venir, ou d'autres personnes tu vois
d'essayer que tout le monde en profite que j'avais cette relation là et
euh voilà, je sais plus si c'était ça ta question de
départ (rire).
Tibo
Si, c'était tout à fait ça, tu as
très bien répondu, non mais c'est bien c'est intéressant,
parce que du coup tu pars sur autre chose, tu y reviens, donc c'est
intéressant parce que tu dis plein de choses et c'est vraiment, c'est
tout à fait ça tu as bien répondu. Et du coup, comment
ça s'est passé à l'université, puisqu'on parlait de
la fac est-ce que tu t'attendais à ça, est-ce que ça t'as
un petit peu déçu, ou...
M
Ouais, totalement déçue de la fac, vraiment
vraiment, tout ce que j'ai appris euh, enfin, je vais pas dire que je savais
tout mais je l'avais toujours vu dans, peut-être pas dans tous les
aspects mais en tout cas tout ce que j'ai vu je l'avais déjà
entendu ou vu quelque part euh, j'ai eu des dix sur dix, je
suis française, je parle pas très bien le
portugais, euh je euh, je révisais pas, je vois pas comment je peux
avoir dix sur dix, c'était pour moi surnoté honnêtement. Et
je m'ennuyais en cours, en fait les deux-trois premières semaines
ça a été cool au contraire j'adorais aller en cours parce
que ça me faisait travailler mon portugais tu vois je m'amusais à
prendre des notes après je rentrais chez moi parce qu'il pleuvait en
plus je me disais « bin tiens je vais recopier mes cours comme ça
je vais corriger mes fautes » tu vois je vais bosser mon portugais plus
que les cours en eux-même mais euh je pense que c'est juste pour
ça que j'allais en cours au final. J'avais une prof qui n'était
pas du tout intéressante qui demandait, qui avait séparé
la classe en groupes et on devait faire des exposés et en fait chaque
heure de cours c'était des exposés donc tu vois la prof elle sert
strictement à rien, elle était là mais c'est les
élèves qui font le cours au final. Et on avait après des
évaluations sur ces exposés là. Y avait juste un prof qui
était vraiment vraiment super intéressant et avec qui je
m'entendais bien, que j'ai recroisé dans un bar d'ailleurs,
c'était marrant (rire), et mais sinon j'ai trouvé que les cours
étaient faciles et que j'avais pas appris grand chose.
Tibo
Donc du coup c'était pas vraiment central dans ton
séjour finalement...
M
Non. Mais de toute façon j'y avais pas
été pour ça non plus donc c'est vrai que peut-être
que si je m'étais investie plus dans les cours j'aurais pu y trouver
plus d'intérêt mais c'est vrai que j'y avais pas non plus
été pour les cours donc y m'ont pas intéressée,
j'ai pas vraiment accroché donc je me suis dit et « bin tant mieux
» au final je vais me concentrer sur autre chose.
Tibo
Et sinon à propos de tes loisirs, qu'est-ce que vous
faisiez pendant votre temps libre, est-ce que, comment vous vous organisiez
finalement?
M
Alors en fait je bossais aussi dans une école, je
donnais des cours de français donc euh ma directrice était
génialissime enfin elle avait vingt-huit ans on aurait dit qu'elle en
avait quinze et elle était adorable et donc du coup elle nous emmenait
des fois elle nous prenait moi et je bossais avec l'Italienne et la Mexicaine
et on allait se balader en, on avait fait un circuit de tous les vignobles du
coin tu vois. On les avait fait, on avait goûté les vins tu vois,
des endroits elle nous emmenait visiter des villes une fois de temps en temps.
Et puis sinon je m'occupais pas mal avec les gars qui faisaient
du hip-hop du coup j'allais pas mal à des
représentations avec eux ce qui me faisait voir aussi d'autres trucs de
danse parce qu'ils n'étaient jamais tous seuls tu vois donc
c'était sympa ce à quoi j'occupais mon temps.
Tibo
Est-ce que il y avait une vie universitaire, une vie
étudiante par exemple avec des clubs, des associations, des choses qu'on
fait à l'extérieur, des visites tout simplement de la ville ou
des monuments, je sais pas...
M
Ouais bin les monuments en fait comme je suis arrivée
j'étais le première étrangère à arriver et
euh et ensuite y a eu une autre Française, la deuxième
c'était une autre Française, donc on s'est tout de suite
retrouvé, on nous a présenté d'ailleurs et comme les cours
n'avaient pas commencé, on connaissait personne on savait pas quoi faire
et y faisait super beau et bin on avait visité déjà tous
les monuments de Caxias en fait en une semaine j'ai du visiter les trois-quatre
musées qu'y avait, euh deux églises et puis bon on avait fait un
tour de la ville question de visiter les monuments, etc., parce qu'on
s'ennuyait aussi (rire), donc euh sinon y avait un cinéma à la
fac. Ah oui là-bas aussi la fac c'est exceptionnel.
Tibo
Ah bon, vas-y raconte-moi parce que je connais pas du tout du
tout.
M
Et bin la fac elle est euh t'as un zoo dans ta fac, t'as des
magasins de vêtements, de sous-vêtements, de nourriture, de jus
d'orange, de hamburgers, t'as des magasins de tout t'as tout ce que tu veux
dans cette fac, de locations DVD, etc., t'as un cinéma aussi et donc le
cinéma c'était pas mal parce que je crois tous les mardis
t'achetais une place t'en avais une gratuite donc avec la Mexicaine vu qu'on
aimait bien le ciné on allait se faire souvent des cinés
là-bas. Ouais c'était ça à peu près mes
activités. Un peu comme ici au final, c'est vrai que quand j'en parle
comme ça je me dis bin oui je vais au ciné avec mes copines, je
vais à des représentations de danse moins c'est un truc ouais
voilà.
Tibo
Tu t'es retrouvée à bosser dans une école
comme prof de français alors?
Et bin justement en fait je cherchais un travail, et j'ai
demandé aux Relations Internationales s'ils pouvaient me trouver quelque
chose et y m'ont dit bin vu que tu es en Pédagogie, ça s'appelait
comme ça là-bas, euh, tu je vais essayer de te trouver un stage
et y avait une école de français, euh une école de langue,
à côté de chez moi, et donc j'y avais été et
j'avais dit « bin voilà je suis française est-ce que
ça vous intéresse? », elle a dit « bin très
bien, moi j'ai monté cette école y a pas longtemps avec ma soeur
et si on dit en plus on a des étudiants, enfin des personnes qui parlent
la langue », des natifs c'est ça, « si on a des natifs
ça nous fera peut-être un bon coup de pub » aussi vu que moi
après je les ai orientées vers tous les autres étudiants
étrangers donc ma coloc italienne pour l'italien, ma coloc espagnole
pour l'espagnol enfin tu vois une autre Française pour l'anglais je les
ai orientées bin y m'ont repris et j'ai géré un classe de
cinq à sept adultes, en général ils étaient
sept.
Tibo
D'accord. Ça a du t'apprendre plein de choses
ça.
M
Oh c'était génialissime, parce que t'es avec des
gens qui ont envie d'apprendre c'est des adultes mais d'un autre
côté y en avait une qui avait par exemple, elle avait vingt-trois
ans je crois, j'étais la plus jeune c'était marrant (rire)
j'étais la prof mais la plus jeune, elle devait avoir vingt-trois ans,
elle était là parce que oui elle voulait apprendre le
français mais elle avait pas envie de travailler vraiment, tu vois le
genre de personne que je veux dire (rire), et c'était marrant parce que
je devais justement essayer de lui donner envie donc je m'amusais le soir tu
m'aurais vu, à une heure du matin en train de dessiner des nuages et des
soleils pour préparer la météo pour le lendemain,
c'était grave enrichissant et les gens y étaient, j'apprenais le
portugais aussi, et j'apprenais plein plein de choses car j'essayais de
m'intéresser à ce que eux ils faisaient, comme ça ils
pouvaient me parler de leur travail, de leur métier, comme ça
j'ai appris plein de trucs que je pensais pas que, qu'y y avait des
différences.
Tibo
D'ailleurs, la langue, tu as eu des progrès assez
fantastiques non? As-tu eu le sentiment que tu as bien...parce que tu parlais
un petit peu avant non?
Comme je parlais espagnol franchement ça aide.
Après je pense que quand je suis partie du Brésil, j'ai mon
meilleur copain de là-bas qui m'a dit qu'y comprenait
quatre-vingt-dix-huit-pour-cent de tout ce que je disais, je me suis dit c'est
pas mal quand même (rire). Mais je pense que les trois premiers mois,
non, le premier mois, c'est tellement spectaculaire - bin t'as fait un
échange aussi, t'as, t'as l'impression que tu t'apprends à parler
comme tu manges tu sais, t'es en train de manger et puis tu parles, c'est
exactement pareil, ça va trop vite, enfin moi j'ai été
choquée, j'étais fière de moi, j'étais fière
de me dire tu peux apprendre une langue aussi rapidement, mais bon je la parle
plus parfaitement et là je vois qu'elle est en train de partir et
ça ça me fait peur, donc je commence à regarder des films
en portugais, à parler à mes potes sur Skype et tout ça
pour pas le perdre, ça serait bête.
Tibo
D'accord. Est-ce que tu t'es sentie bien
intégrée tout de suite au Brésil, parce que apparemment tu
avais l'air bien dès le début non? Comment ça se fait
à ton avis que tu aies été bien intégrée,
à quoi ça tient tout ça finalement?
M
Ouais, comment ça se fait, parce que déjà
j'en avais envie je pense. Je pense que si t'as peur tout de suite et que si tu
te renfermes dans ta peur tu vas pas aller vers les gens et c'est vrai que tu
vas être tout seul et que tu es malheureux du coup. Mais moi j'en avais
envie et puis j'ai eu la chance d'être dans cette famille
brésilienne pendant deux semaines. Quand je suis arrivée, j'avais
pas de logement, donc la première nuit j'ai dormi à l'hôtel
comme les trois-quarts des étudiants étrangers hein, et
après je devais rejoindre une coloc d'étudiants étrangers.
Il s'est avéré qu'ils n'avaient plus de place, et en fait c'est
la fille du secrétariat que je connaissais pas du tout qui m'a dit
« viens j'ai une chambre d'amis chez moi » et je savais pas du tout
mais elle habitait chez ses parents et je suis restée deux semaines et
demi, trois semaines. J'étais vraiment dans une famille
brésilienne, sa mère préparait des tonnes de trucs
à manger, elle était prof de portugais, et en plus elle essayait
de m'apprendre le portugais et elle me présentait comme sa fille
adoptive, après deux semaines tu vois donc ça aussi ça m'a
aidé à me sentir bien parce que je me suis sentie quand
même chez moi assez facilement dans cette famille, avec cette mère
surtout qui, elle me connaissait pas, c'était la première fois
qu'elle accueillait une étudiante étrangère donc pour elle
aussi c'était nouveau mais tout de suite elle m'a vraiment vraiment
super bien accueillie.
Tibo
D'accord. Six mois c'est quand même long, est-ce que t'as
eu des hauts et des bas, est-ce que c'était toujours...
M
Ouais, bin le jour de mon anniversaire, je crois que c'est la
seule fois où j'ai pleuré dans toute la... J'ai fêté
mes vingt ans là-bas, si tu veux je suis arrivée au Brésil
le sept juillet et mon anniversaire c'était le huit août, donc tu
vois un mois t'as pas le temps de te faire des amis, les cours ont
attaqué début août, t'as pas le temps de te faire de
copains, rien, j'avais mes colocs je les connaissais ça devait faire une
ou deux semaines et moi je suis quelqu'un qui bouge, enfin pour mon
anniversaire c'est sûr que je vais boire minimum un verre dans un bar
avec mes copains enfin tu vois, mes vingt ans en plus je voulais marquer le
truc, sauf que je connaissais personne et que j'avais personne de motivé
pour bouger avec moi donc ouais j'ai eu un bon coup de déprime où
je me suis dit « c'est de la merde ce pays, je veux rentrer chez moi, je
veux retrouver mes copains, faire mon anniversaire avec mes copains »
(rire) mais ouais non non sinon ça va. Non, y a bien eu des petits coups
de déprime mais parce qu'on s'embrouillait un peu, enfin moi
particulièrement, j'ai eu une aventure on va dire avec mon coloc
espagnol, donc le truc à pas faire enfin tu vois, et donc après y
avait des embrouilles entre nous et vu qu'on vivait ensemble c'était pas
forcément le plus pratique donc c'est vrai qu'y avait des moments
où t'en avais marre mais c'était plus du à la situation
qu'au pays luimême tu vois. Mais sinon non je me suis jamais sentie
vraiment mal, enfin déprimée tu vois, triste.
Tibo
Est-ce que t'as été soutenue là-bas,
affectivement, émotionnelement, que ce soit par des gens, par les
ressources internationales, la DRI, je sais pas, ou es-ce que t'as eu
l'impression d'avoir manqué de soutien peut-être?
M
D'un point de vue administratif?
Tibo
Non non, d'un point de vue émotionnel, affectif.
M
D'un point de vue émotionnel ouais, j'ai été
soutenue par ma mère, bien sûr, bin elle était, on
s'envoyait des mails, toutes les deux-trois semaines on se
parlait sur Skype, quand je suis partie d'ici j'étais amoureuse d'un
gars, d'un Français, et en fait il continuait à m'écrire
tous les jours donc ça m'a fait quand même tu vois ça m'a
permis de pas, je pensais que ça allait faire une rupture tu vois avec
lui, qu'on allait plus se parler et que j'allais en souffrir mais le fait qu'on
continue à se parler, en tant qu'amis hein, tous les jours je pense que
ça m'a pas mal aidé aussi, et puis après sur place,
dès que j'ai rencontré, dès qu'on a fait ce voyage en
fait, dès que j'ai rencontré mon coloc français, que j'ai
vraiment appris à découvrir, et bin ça a été
mon meilleur ami et on est devenu inséparable en fait, on s'est toujours
soutenu l'un l'autre et comme on habitait ensemble, voilà.
Tibo
Ok, je vois. Est-ce que les mentalités sont
différentes, est-ce que tu t'es aperçue de différences
entre la mentalité française que tu connaissais et la
façon dont les gens voyaient les choses au Brésil?
M
(Pause). Ouais, oui, oui oui, c'est sûr qu'il y a des
mentalités différentes mais j'ai jamais réussi à
vraiment mettre des mots dessus.
Tibo
C'est très dur, je suis d'accord avec toi, c'est pas
facile du tout.
M
Parce que c'est vrai que quand t'es là-bas tu te dis
« ouais c'est différent » mais en même temps c'est
pareil que toi mais d'un autre point de vue, non mais je pense que y a plein de
trucs à prendre en compte mais je pourrais pas te dire qu'est-ce qui est
différent ouais. Je sais que c'est différent, je sais mais je
peux pas dire pourquoi.
Tibo
Bien entendu oui. Est-ce que tu as connu des «
galères », ce qu'on appelle des « galères »,
pendant ton séjour?
M
Non quasiment pas non, j'ai grave de la chance. À part
où j'ai fait une crise dans un avion tu sais, en fait j'avais fait
une nuit blanche et on partait de Rio pour Salvador et je me suis endormie
direct dans l'avion et je me suis réveillée mais j'avais pas
adapté mon corps à la pression tu vois et donc du
coup je me suis réveillée j'avais l'impression que
mes yeux allaient sortir de ma tête, je pleurais je pleurais, grosse
crise, pas cool, mais ça a été une des seules
galères que j'ai eu.
Tibo
D'accord, donc ça n'avait rien à voir avec ton
séjour finalement, ça aurait pu arriver en France.
M
Voilà, c'est ça, après mon coloc a eu des
problèmes de carte bancaire et tout ça mais moi tout s'est bien
passé.
Tibo
D'accord. Quand t'as répondu au questionnaire, quand je
t'ai demandé donc quel sens avait ton voyage dans ta vie, tu as
répondu le mot « découverte ». Est-ce que tu peux
m'expliquer un petit peu?
M
Oui ça a été très dur de choisir
un mot, et pourquoi découverte, parce que j'étais partie pour
ça à la base, c'était pour découvrir une autre
culture, un autre pays, d'autres personnes, découvrir autre chose, de
tout nouveau. Et je suis pas sûre au final que c'est ce qui s'est
passé, si, bien sûr, j'ai découvert autre chose, mais
c'était peut-être pas le plus important du coup mais en tout cas
c'est pour ça que j'étais partie. Donc c'est pour ça que
j'ai choisi ce mot.
Tibo
Et qu'est-ce qui est important alors pour toi, qu'est-ce qui a
fait que c'était spécial?
M
Pour moi maintenant après le voyage c'est que ça
m'a donné une envie, bin en fait ouais, j'ai toujours eu envie de
voyager, c'est pour ça que j'ai fait ce premier voyage mais là
ça m'a donné plus que l'envie, je sais pas trop comment dire,
c'est pas comme si je vais dire « maintenant ça y est je suis
passionnée par l'idée de voyager » comme ça juste
parce que j'ai fait six mois au Brésil, c'est pas ce que je veux dire,
c'est simplement que, là je suis en train de me renseigner pour un
Master, un Master qui propose deux fois six mois d'échange à
l'étranger et qui t'ouvre des portes pour devenir experte en relations,
en associations internationales donc tu vois je suis en train moi-même de
changer mes idées de projet de vie pour voyager plus et pour
découvrir donc peut-être que je pense
que le Brésil j'y ai été pour
découvrir, pour le découvrir, mais qu'au final ça m'a fait
découvrir moimême aussi, cette partie de moi qui me donne envie de
voir autre chose.
Tibo
Parce que du coup tu envisages l'avenir différemment?
M
Ouais, bin je voulais être éducatrice, enfin je
veux toujours, être éducatrice PJJ et c'est vraiment un job qui me
fascine et qui me passionne et ça fait des années que je veux
faire ça et j'ai pas envie de me dévier de cette voie là.
Mais j'ai envie de me dire « tiens, si je peux en profiter pour faire un
Master et voyager un peu dans l'Europe » puis après si ce Master
m'ouvre des voies sur un job qui peut être intéressant, qui me
permet de voyager, pourquoi pas et après je reviendrais à
l'éduc tu vois, je suis en train de, ouais, mon plan de vie, alors qu'il
était assez rectiligne tu vois (rire), il est en train de tout changer,
et tant mieux! Je suis contente tu vois, ça me fait de nouveaux projets
tout ça, c'est sympa.
Tibo
Excellent, on te sent vachement dynamique, c'est vachement
bien.
M
(Rire). Ouais, j'essaie d'avancer.
Tibo
Et du coup, dans le questionnaire par exemple, quand je
t'avais demandé ce que tu préfères entre ta vie au
Brésil et ta vie à Lyon, t'as mis en tête ta vie à
Lyon. Est-ce que tu peux expliquer pourquoi. Enfin, c'est pas, juste pour avoir
plus d'informations.
M
Et bin je pense ma vie à Lyon aussi pour le
côté confort du terme, parce que vivre à six, en coloc
à six, franchement c'était vraiment vraiment, y avait des moments
c'était dégoutant dégoutant dégoutant, les
Mexicains ils font tout frire donc ça sentait tout le temps la friture
et tout ça, donc je pense que ça ouais, vraiment c'était
chiant quand même, t'as beau dire ce que tu veux, « je vais dans un
pays je m'en fous », c'est vrai que si tu peux avoir les conditions, tant
mieux. Pourquoi ma vie à Lyon aussi, parce que socialement je pense que
j'étais plus épanouie à Lyon qu'au Brésil quand
même parce que j'ai plus d'amis ici au final,
forcément.
Tibo
Ils t'ont manqué là-bas [tes amis]?
M
Mes amis ne m'ont pas manquée mais le fait d'avoir
moins d'amis qu'avant, d'avoir juste ce petit groupe que j'avais
rencontré, avec qui j'ai réussi à créer des
affinités, mais différentes au final et je sais pas, j'ai jamais
eu beaucoup de copines moi, et par contre j'en ai toujours eu une quand
même tu vois, il me fallait toujours une fille pour raconter mes trucs de
fille et j'en avais pas au Brésil et je pense que ça m'a
manqué un peu aussi.
Tibo
D'accord. Et est-ce qu'au Brésil, en tant que
Française, qu'Européenne, est-ce que tu sentais que tu
véhiculais une image, des stéréotypes - négatifs ou
positifs hein, peu importe, mais est-ce que il y a avait une image de
l'Européenne, de la Française donc?
M
Oui, je pense, parce que vu les questions qu'on me posait, je
me doute qu'il y a des stéréotypes bien ancrés mais, mais
ils sont tellement ouverts aussi que j'ai trouvé qu'en Amérique
Latine en général, pas tous les pays mais là où
j'étais, les personnes sont quand même assez ouvertes et quand ils
te rencontrent et qu'ils voient que tu es étranger ils sont quand
même curieux de venir te parler. C'est un truc qu'on a pas ici je trouve,
enfin pas assez en tout cas. Et euh, c'était quoi ta question?
Tibo
Est-ce que tu sentais que tu véhiculais une image
malgré toi finalement?
M
Ouais, quand on venait vers moi, qu'on entendait que
j'étais française et qu'on me disait « voulez vous coucher
avec moi ce soir? » ou alors quand on me disait « excuse-moi mais tu
t'épiles? » ou « tu te laves combien de fois par semaine?
» tu vois qu'il y a des clichés qui sont vraiment vraiment
ancrés et que j'étais, ouais je pense que si, j'étais plus
ou moins une image parce que « ah regarde-la avec ses traits, ça se
voit bien que c'est une Française » je suis sûre que je leur
aurais dit que j'étais italienne ils m'auraient pris pour une Italienne
sur le coup mais bon.
Tibo
Mais ça n'empêchait pas, enfin disons ça ne
modifiait pas tes relations avec les gens du coup?
M
Non du tout, c'était une curiosité, ils
étaient oui, comme moi j'étais curieuse au final en allant dans
ce pays là, et là eux ils avaient la même curiosité
en retour.
Tibo
Et est-ce que du coup d'avoir séjourné
là-bas ça a modifié ta vision de la France, la culture
française, ou de tes habitudes, est-ce que tu t'es posée des
questions par rapport à ce que tu connaissais déjà?
M
Ça m'a modifié oui et non parce que je le savais
mais je m'en rendais pas compte, je savais que les Français en
général ont peut-être justement un peu plus de mal à
avoir cette curiosité envers une autre personne ou peut-être
qu'ils l'ont mais en tout cas ils ne l'expriment pas pas aussi facilement que
les Brésiliens par exemple, et donc je savais qu'on avait ça,
enfin ce problème entre guillemets hein, c'est un fait culturel, mais je
ne m'en rendais pas compte à ce point. Quand tu croisais des gens dans
la rue, ça faisait trois semaines que tu les avais pas vu, tu te
rappelais plus d'eux et eux ils arrivent « ah salut tu vas bien? »
c'est vrai que tu te dis qu'en France on est un peu fermé quoi.
Tibo
Et quand je t'avais demandé si tu conseillerais à
un autre étudiant d'aller étudier dans ta fac au Brésil,
t'as dit que tu ne le conseillerais pas. Est-ce que tu peux revenir un petit
peu dessus?
M
Justement, parce que cette fac certes était une fac
grandissime avec comme je te disais un zoo, plein de magasins, t'as plus
l'impression d'être dans une fac, euh, mais c'était surtout la
ville en elle-même en fait, la ville n'était pas très
active, c'était une petite ville, de quatre-cent-mille habitants, et
peutêtre le fait que quand j'y étais c'était aussi l'hiver
donc il pleuvait aussi beaucoup, euh, c'est la ville, elle est pas
agréable pour un échange, mais même pour une vie
étudiante en elle-même tu vois je pense qu'il vaut mieux aller
faire un échange à Rio ou à Salvador parce que
déjà si tu penses au Brésil c'est sûr tu veux du
soleil, c'est vrai, donc t'en auras plus là-bas qu'à Caxias et
t'auras plus de choses à faire, t'auras la plage aussi que j'avais pas
ouais, y avait quoi, trois-quatre bars sympas, une
boîte d'électro, pour te dire à peu
près tout ce qu'il y avait hein, un bar rock, après les autres
bars c'était voilà samba, etc., et voilà, ça
s'arrêtait presque là tu vois juste de vie étudiante,
après comme je t'ai dit t'avais trois ou quatre musées, t'avais
l'église sur la place, t'avais la cathédrale et une église
et ouais c'est une petite ville.
Tibo
Donc c'était moins vivant que prévu du coup
peut-être?
M
Ouais c'est ça j'ai l'impression que y avait pas assez
de monde en fait, j'aurais eu besoin de plus de monde et plus d'activité
tu vois, y avait un marché le samedi matin, mais voilà, alors que
moi j'aurais aimé faire tous les marchés tous les jours mais
bon.
Tibo
D'accord. Et on dirait que t'as pas vécu un choc quand
t'es arrivée là-bas. On se dit que c'est totalement
différent mais quand t'en parles c'est vrai que t'as pas
été dépaysée, enfin pas déracinée,
enfin je sais pas...
M
Ouais voilà c'est ça, mais moi aussi ça
me fait bizarre. J'ai cette sensation là aussi, c'est que ouais, j'avais
l'impression que j'avais la même vie en fait, que j'avais exactement
pareil, que y avait pas vraiment de changement, donc certes c'était un
contexte et devant les yeux c'était différent mais au final moi
j'ai quand même quasiment vécu pareil.
Tibo
Et tu l'expliques ça?
M
Alors je me suis remise en question, je me suis dit que c'est
peut-être moi aussi qui du coup j'ai voulu adopter mon mode de vie
français euh au Brésil et du coup pas m'intégrer
réellement à la culture je me suis dit ça, mais en fait je
crois pas.
Tibo
Oui, non, pas du tout, je pense que tu as raison de ne pas croire
que c'est ça.
Je ne crois pas que c'est ça parce que j'ai quand
même fait des efforts pour m'intégrer, j'avais des amis
brésiliens et que j'aurais vu si j'étais complètement en
décalage et non non je crois pas donc je sais pas pourquoi.
Tibo
C'est pas un élément obligatoire du séjour
à l'étranger du tout de toute façon.
M
Oui oui bien sûr c'est ça, mais je pense être
quelqu'un de sociable aussi donc c'est peut-être pour ça que j'ai
réussi à m'adapter assez vite, je sais pas.
Tibo
Du coup t'aurais aimé ressentir cette
différence?
M
Ouais, ouais j'aurais aimé. J'aurais aimé
arriver au Brésil, rester une semaine et dire « mais je suis
où, waow », ouais j'aurais aimé que ça me retourne,
ouais ça aurait peut-être pas été cool mais j'aurais
aimé, au moins je me serais dit que je suis partie pour quelque chose,
non pas que je pense que je suis partie pour rien.
Tibo
Et si on prenait les autres régions, comme l'Argentine, et
les autres régions du Brésil où t'as voyagé, est-ce
que t'as justement ressenti plus cette différence?
M
Ouais, c'est pour ça que j'ai dit aussi que je
conseille pas d'aller étudier dans ma fac c'est que déjà
juste à Rio j'ai eu plus un choc visuel déjà de la ville,
et culturel aussi, enfin en voyant les gens, en parlant aux gens,
c'était quand même complètement différent de Caxias
do Sul, et Salvador encore plus, et c'est pour ça que j'aurais
préféré étudier dans une de ces villes là
qui me semblaient, moi, différentes, parce que Caxias c'est quand
même vachement européen.
Tibo
Donc c'est un pays très différent selon les
endroits...
Ouais de partout, t'as plusieurs pays en un pays en fait.
Tibo
Je vois. Est-ce que par exemple il y a des éléments
de cette culture brésilienne que toi t'aimerais incorporer dans ta
façon de faire, dans ta façon de vivre?
M
Ah bin j'aimerais dire bonjour comme eux!
Tibo C'est-à-dire?
M
Bin tu sais ils se font une bise et ils se prennent, ils se
font l'embrassade carrément et bin j'aimerais qu'on se dise, que tous
les Français se disent bonjour comme eux, mais bon c'est pas possible
(rire). Non, j'aimerais gagner cette, cette curiosité qu'ils ont envers
les gens, mais moi j'ai toujours peur, je pense que c'est le problème de
tout Français, qu'elle soit malsaine du coup, qu'elle soit
considérée comme malsaine, et en fait non eux pas du tout elle
est naturelle, c'est vraiment de la curiosité enfin je sais pas, tu sais
quand ils te posent une question ils ont envie d'avoir la réponse car
ils s'intéressent à la personne qui est en face d'eux, pas parce
qu'ils s'intéressent à elle pour qu'ils puissent en obtenir
quelque chose tu vois. Et j'aimerais bien être plus comme ça. Et
je suis pas sûre que j'y arrive mais j'essaie en tout cas.
Tibo
D'accord. Est-ce que tu dirais que tu étais la
même en France qu'au Brésil? Est-ce qu'au niveau de ta
personnalité tu t'es trouvée autre, différente? Ta
façon d'aborder les choses quand tu es arrivée làbas
voilà, est-ce qu'il y a des choses que t'as fait que t'aurais pas fait
peut-être ici, etc.?
M
Ouais je pense, parce que là-bas j'étais
carrément plus ouverte que ici bin là du coup oui, je voulais
tout connaître, j'étais super curieuse, moi je posais des milliers
de questions.
Ça se ressent bien quand tu parles, que t'étais
proactive.
M
(Rire). Ouais ouais moi je posais des questions, j'essayais
toujours de m'intégrer, toujours de discuter, ouais, non, je pense que
j'étais assez curieuse là-bas, j'aimerais redevenir comme
ça mais en France.
Tibo
D'accord. Et si tu devais refaire cette expérience,
qu'est-ce que tu changerais, si tu voulais refaire quelque chose?
M
Bin la longueur, la ville, euh, (pause). Sinon je sais pas
(pause).
Tibo
C'est une bonne réponse, t'inquiète pas.
M
Oui oui, qu'est-ce que j'aurais changé, non j'ai (pause).
Je veux pas le changer, c'était une belle expérience (rire).
Tibo
Donc t'es contente de la tournure que ça a pris, t'as le
sentiment d'avoir profité comme tu voulais, hormis la longueur
peut-être?
M
Je pense que j'aurais peut-être plus pu profiter, je
sais pas exactement comment, mais je pense que oui ça aurait pu
être encore plus, mieux, ou des souvenirs encore plus incroyables, mais
ça s'est pas fait et puis c'est pas grave, enfin c'est la vie aussi, y a
des aléas que tu peux pas contrôler et que...
Tibo
C'est tout à fait vrai. Qu'est-ce qui t'as le plus plu
dans ton séjour, c'est le fait de voyager, de...?
Ça a été ouais le voyage, les rencontres,
en fait en gros les gens et les paysages parce que quand t'es à Foz do
Iguaçu t'as les chutes, tu te sens quand même minuscule, tu te
sens vraiment ridicule, ça te permet de penser aussi, donc c'est vrai
que t'as des paysages ouais qui sont tellement différents de ceux dont
t'es habitué que ça fait du bien à voir mais euh, et les
gens, ouais bin les gens du nord plus parce que les gens de Caxias ils sont
quand même les gens les plus fermés du Brésil donc
même s'ils sont plus ouverts que les Français ils restent
spéciaux.
Tibo
D'accord. Est-ce que le rythme de vie est différent?
M
Bin non justement moi j'espérais ça aussi tu vois
et non ils mangent à midi, vingt heures, c'est un peu le même
rythme que nous finalement et c'est vrai que j'avais une espérance
là-dessus.
Tibo
Parce que c'est plus occidentalisé que ce que tu pensais
c'est ça?
M
Ouais, j'aurais aimé manger à quatorze heures,
même comme en Espagne tu vois et puis avoir un autre rythme de vie mais
bon, j'ai gardé mon rythme c'est pas grave (rire).
Tibo
Est-ce que tu as le sentiment d'avoir bien changé quand
même grâce à cette expérience quand tu regardes comme
tu étais avant de partir et toi aujourd'hui, est-ce que tu te dis «
tiens j'ai changé sur tel point » et vraiment tu le vois ou c'est
pas encore assez clair peut-être?
M
Non c'est pas encore assez clair. Je pense qu'en plus
là vu que je suis rentrée j'ai eu plus de responsabilités
aussi qu'avant le Brésil donc je me demande à quoi est dû
mon changement professionnel, enfin mon orientation future, c'est dû
certes au Brésil mais c'est dû aussi à d'autres choses qui
me sont arrivées tu vois. Donc je sais pas si je change vraiment
vraiment, si j'ai vraiment changé.
C'est pour ça que c'est peut-être un peu tôt
pour le dire, c'est très dur de mettre des mots sur les choses qu'on
ressent, je suis entièrement d'accord. Et, t'as gardé des
contacts avec les gens là-bas?
M Oui.
Tibo
Tu penses que ça va durer? C'est important pour toi je
veux dire, ça a un sens?
M
Oui, ça a un sens. J'ai mon, dans cette bande, j'ai mon
ami, J. il s'appelait, qui le dernier jour où je suis partie m'a offert
un collier avec le symbole de l'infini en me disant notre amitié est
infinie, garde-le avec toi, moi je l'ai avec moi, et y s'était
acheté le même. C'est vrai qu'on se parle, on s'envoie quelques
mails de temps en temps - j'ai pas encore internet chez moi donc c'est un peu
galère, mais je sais que je, je suis lucide, je me doute que ce sera pas
mon ami de toute la vie mais j'espère avoir de l'argent d'ici trois ou
quatre ans pour voyager et je me dis que j'irais au Brésil et j'irais le
voir.
Tibo
Tu vas y retourner?
M
Oui oui je vais y retourner je pense, je vais essayer de me
faire toute l'Amérique Latine mais bon il faut que je gagne des sous
(rire). Et j'ai des amis brésiliens qui viennent justement pour la
danse, qui viennent en Allemagne cet été donc je vais aller en
Allemagne et je vais leur proposer de venir à Lyon, etc., donc j'essaie
de garder des contacts et de me dire que ça fait aussi des contacts pour
y retourner.
Tibo
Et quand t'es rentrée, est-ce que ça a
été dur de rentrer, est-ce qu'il y a eu un choc au retour
peutêtre, pour te réadapter disons?
M Non.
Tibo
Non, ça s'est fait naturellement?
M
Oui, en fait je devais courir parce que j'avais une semaine
pour trouver un appartement et m'inscrire à la fac donc trouver un
appart sur Lyon tu dois connaître la galère aussi, donc en fait
mon installation, et après et du coup j'ai trouvé mon appart, je
me suis inscrit, les cours commençaient, je devais trouver un job, donc
j'avais tellement de trucs à faire, j'étais tellement
stressée par tout entre les aller-retours Clermont - Lyon vu que mes
parents habitent à Clermont et que je devais voir ma famille aussi,
etc., que j'ai pas eu trop le temps de me réhabituer. Et c'est
après quand la routine a commencé que là je me suis sentie
un peu « ouais bin tiens là ça y est t'es revenue, c'est
fini, tchao » et, mais comme il y avait tous mes amis à
côté de moi que ça s'est bien passé car même
mes amis brésiliens ils étaient virtuellement plus ou moins
à côté de moi quand même. Donc non je pense que
ça s'est bien passé.
Tibo
Est-ce qu'il y a des choses au Brésil qui t'ont surprise
ou énervée au premier abord, qui t'ont marquée disons et
dont tu pourrais te souvenir là comme ça?
M
Les choses qui m'ont marquée c'est cette image de
clochards qui dorment les uns à côté des autres le long
d'une rue, ça c'est une image qui est restée gravée. Les
chutes c'est resté gravé aussi, c'est des photos ouais, pour moi
c'est des images comme ça, la police quand je vois les trente jeunes qui
sont contre le mur avec la police derrière eux ça ça
m'avait marqué aussi parce que plus violent quand même.
Tibo
Oui, souvent on voit le Brésil avec la violence et les
écarts sociaux, l'insécurité, tu l'as ressenti aussi
ça par exemple pendant ton séjour?
En fait ce qui est étrange, mais vraiment très
étrange, c'est qu'à Caxias c'était une ville riche
justement comme je t'ai dit, assez européenne, où t'avais pas du
tout à avoir peur quoi enfin moi vraiment je m'y sentais plus en
sécurité qu'à Lyon quoi et pourtant eux ils étaient
tous paranoïaques. Enfin « paranoïaques » c'est
exagéré mais ils voyaient quelqu'un dans la rue, il était
vingt-trois heures, et bin hop ils fermaient toutes les portes de la voiture
pour être sûrs que personne vienne faire du car jacking.
Ils grillent tout le temps les feux la nuit, etc. Donc c'est vrai que tu te dis
« il doit y avoir du danger pour qu'eux ils aient peur comme ça
» mais comme moi je l'ai pas vu je l'ai pas ressenti vraiment. Pourtant
j'ai des amis qui habitaient dans une favela qui m'a dit qu'il revenait du
super marché et qu'il avait retrouvé un mec mort dans sa rue,
donc oui il y a des trucs mais comme je l'ai pas vraiment vu, que j'ai juste
entendu des histoires qui me semblent plus enjolivées que bin ouais j'ai
pas eu cette peur du danger quoi. Et comme je me suis même pas fait
agressée rien, genre mon coloc français qui s'est fait voler son
portefeuille c'est une agression même si elle est minime c'est une
agression bin moi non rien du tout donc c'est vrai que j'ai pas peur (rire).
Tibo
Est-ce qu'il y a des facettes de la vie qui t'échappent un
petit peu, qu'aujourd'hui tu ne comprends pas encore?
M
Comment ça?
Tibo
Bin dans les façons de faire par exemple où
aujourd'hui tu te dis quand t'y repenses « tiens pourquoi il fait
ça comme ça? ».
M
Non je pense pas parce que chaque fois que j'avais une
question je la posais, je me gênais pas donc c'est vrai que si je leur
demandais « pourquoi tu grilles le feu? » par exemple ils me
donnaient une réponse tu vois donc je ne pense pas qu'il y ait des
choses qui aujourd'hui me surprennent encore.
Tibo
Cool super. Donc du coup ton verdict tu penses que c'est un
séjour très réussi, t'es contente de ce que t'as fait?
De ce que j'ai fait au Brésil?
Tibo
Voilà, de ton séjour comment tu vois les choses?
T'es contente? Aujourd'hui tu te dis que c'était...
M
C'était une excellente expérience mais je peux en
vivre des mieux, pour moi je reste sur un sentiment d'inachevé, il m'en
faudrait encore.
Tibo
Donc c'est que le début de quelque chose d'autre?
M
Ouais voilà c'est ça pour moi c'est un début
maintenant quoi, c'est autre chose qui commence mais qui va être plus
grand (rire).
Tibo
Ok. Bon et bin écoute très bien hein.
M
Bon bin j'espère que je t'ai aidé.
Tibo
Bien sûr, c'était très très utile.
Merci beaucoup de ta participation ///
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