3.5 Les différentes étapes de l'abandon des
cuvettes
L'abandon d'une cuvette devrait permettre dans des
délais plus ou moins longs une recolonisation du site par une
végétation similaire dont les caractéristiques ne
devraient pas trop s'éloigner de celles de la végétation
ayant précédemment occupé la cuvette. Mais ce processus
généralement observé dans le cas d'un arrêt
prolongé des cultures ne semble pas être le cas pour les cuvettes
du nord de Mboro. Il semble que chaque cuvette évolue ici suivant un
cycle qui le conduit inexorablement à l'épuisement de ses
potentialités et à son abandon.
Avant de poursuivre cette réflexion signalons d'abord que
plusieurs motifs peuvent conduire à l'abandon d'une cuvette.
-Le motif le plus fréquent est l'épuisement de la
ressource hydrique ou sa pollution. -La perte de la fertilité.
-L'assèchement du fond de la cuvette du fait de
l'importance de la fraction argileuse suite à l'aridité.
-D'autres cuvettes sont abandonnées sans raisons
apparentes60.
Mais de manière générale l'abandon d'une
cuvette reste lié à sa perte de productivité et à
son mode d'exploitation anarchique.
L'abandon d'une cuvette n'est jamais brutal mais progressif, se
faisant par étapes successives. La végétation sert
facilement d'indicateur dans ce cas.
Photo 2 : (Mboro)-2007 Photo 3 : (Mboro)-2007 Photo 4
:(Mboro)-2007
Première phase : fragmentation et
éclaircissement progressif du paysage
Photo 5 : (Mboro)-2007 Photo 6 : (Diogo)-2007 Photo7
:(Diogo)
Deuxième phase : réduction de la
végétation et utilisation maximale des potentialités
culturales de la cuvette
60 -Nous les rattachons à des causes humaines
comme l'incapacité financières ou l'incompétence technique
des propriétaires (souvent externe à la communauté)
à le mettre en valeur.
Photo 8: (Diogo)-2007 Photo 9: (Diogo)-2007 Photo 10:
(Diogo)-2007
Troisième phase : délaissement de
certains secteurs, appauvrissement du sol et épuisement de la nappe.
Photo 11: (Diogo)-2007 Photo 12: (Diogo)-2007
Source: S. NDJEKOUNEYOM -2007
Quatrième phase : abandon total de la
cuvette, disparition de la couverture végétale ligneuse et
agricole.
Nous avons conscience que cette démonstration par
étapes successives n'a aucune valeur chronologique dans la mesure
où il ne s'agit pas de la même cuvette. Elle a néanmoins le
mérite de permettre une lecture dynamique finalement assez proche de la
réalité. Toutes ces situations existent simultanément et
correspondent à une phase ou à une autre de l'évolution
qui conduit les cuvettes à leur «terme«, leur abandon
intégral.
Les cuvettes abandonnées ont des compositions
floristiques très différentes qui définissent leur
état. Ce dernier est souvent le résultat de pratiques qui ont
précédées leur abandon. Ainsi une cuvette en phase
d'abandon qui porterait encore des individus d'Elaeis ou de Cocos,
même en dégénérescence, n'est pas dans les
mêmes conditions écologiques que celle qui n'en à plus.
Il faut aussi distinguer les cuvettes qui ont
fonctionné exclusivement comme dépression maraîchère
de celles qui ont été par la suite utilisées pour des
cultures pluviales ou pour la culture de l'arachide. Dans le premier cas
l'exploitation se poursuivra jusqu'à épuisement des ressources et
dans le second l'abandon est plus précoce.
Dans certaines cuvettes de Mboro, de Touba Ndiaye et une
grande partie de celles de Darou Diouf une typhaie (Typha australis)
vigoureuse apparaît. Cette formation est considérée par
certains auteurs comme l'indice d'une niaye en dégradation.
La grande question qui anime toutes ces observations est de
savoir si une cuvette par suite de son exploitation puis de son abandon peut
enregistrer un retour de la végétation? La plupart des cuvettes
abandonnées que nous avons visitées permettent de le confirmer
mais il semble que le contraste qu'il y a entre les conditions d'avant et
celles d'aujourd'hui soit tel que la végétation qui
apparaît après tarissement des nappes affleurentes, exploitation
et abandon n'est plus du tout atypique. Il s'agit au contraire d'une flore
sèche et bien adaptée au domaine climatique.
Notons par ailleurs que le retour de la
végétation est assez lent. On a constaté dans ces cuvettes
que si certaines essences s'éloignent de leur optimum climatique
à mesure que l'abandon dure, d'autres au contraire s'en rapproche. C'est
ce qui explique le renforcement des essences sahéliennes avec une
descente d'Euphorbia, d'Acacia albida, d'Acacia ataxacantha,
dans les parties basses à mesure que s'affirme l'aridité dans la
cuvette.
Malgré l'intensité des processus de
dégradation du couvert végétal que nous avons
observés, il importe de nuancer les conclusions car les seuls
états de surfaces ne peuvent nous permettre d'affirmer une perte
définitive de la diversité et de la densité
végétale dans la mesure où nous sommes ignorants des
capacités d'adaptation de graines dans le sol.
D'ailleurs Raynal relevant à la faveur d'un maximum de
crue l'apparition d'un contingent d'espèces extrêmement rares
affirme que « certaines espèces n'apparaissent qu'a la suite d'une
inondation et que leurs graines doivent avoir la possibilité d'attendre
plusieurs années le retour de conditions favorables. »
Malheureusement même si le potentiel biologique est
théoriquement conservé, il ne peut s'exprimer que lors que le
bilan hydrique est favorable et l'écosystème peu perturbé.
D'ailleurs la mise en défens de certains sites à Mboro, où
la nappe phréatique est parfois très accessible, a
généré des peuplements plus denses et une richesse
floristique accrue. Mais la même expérience réalisée
à Diogo notamment entre les cuvettes abandonnées de Darou Fal et
la route de Fas Boye (avant d'arriver à la cuvette de Mbeul) reste pour
l'heure improductive. En définitive on peut dire que «
l'écosystème des Niayes possède une plasticité et
une rusticité qui lui confère un certain pouvoir de maintient
même si d'autres facteurs déstabilisants continuent à agir
sur lui »61. Par conséquent la notion
d'irréversibilité des phénomènes de
dégradation doit être manipulée ici avec beaucoup de
prudence.
61 Pratique de conservation de l'eau et des sols dans
la région des Niayes- ENDA -1999
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