PREMIERE PARTIE
Cadre de l'étude
Chapitre I : CADRE CONCEPTUEL
I. LA PROBLEMATIQUE
La région des Niayes située sur la Grande
Côte sénégalaise offre un paysage particulièrement
individualisé à travers une succession de dépressions
inter-dunaires. Ce milieu marqué par des conditions hydro-climatiques et
floristiques plus favorables que d'autres espaces situés à la
même latitude a répondu favorablement à sa vocation
maraîchère. Longtemps considéré comme un espace
inhospitalier au Sénégal il a connu, à la faveur de la
sécheresse de 1970, un regain d'intérêt. D'inhospitalier,
il est passé à très attractif, les pressions se sont
multipliées et diversifiées d'autant plus que le milieu d'origine
était vulnérable.
Ces pressions diverses exercent sur la
végétation un gradient sélectif de plus en plus
significatif. La végétation des niayes qui avait
déjà été sévèrement affectée
par la péjoration des conditions climatiques et l'assèchement des
nappes phréatiques se trouve confrontée à une
réduction importante de sa composition floristique et de ses aires
d'extension du fait de l'ampleur que prend le maraîchage. Commandé
par un contexte économique extérieur influent et une
réalité locale pesante (le besoin des populations locales de
tirer partie des potentialités de leurs terroirs), le maraîchage
participe jour après jour à l'appauvrissement du couvert
végétal naturel.
Le déficit pluviométrique et la
libération des cuvettes par l'assèchement des nappes de ces
dernières années ont conduit cette région jadis
déserte (en terme d'occupation humaine) à être l'un des
pôles d'accueil des populations en provenance de l'intérieur, du
sud et du nord du pays. Si partout la sécheresse du début des
années 1970 a été un motif à l'émigration,
dans cette zone au contraire elle a été la raison de
l'intensification des activités agricoles (maraîchage). En effet
depuis la Deuxième Guerre mondiale et l'introduction véritable du
maraîchage par l'administration coloniale, la région des Niayes a
connu un aménagement humain considérable qui en a fait un espace
agricole à part entière. Très vite les terres disponibles
pour cette activité deviennent insuffisantes pour contenter tout le
monde, on procéda alors à un morcellement des cuvettes puis
finalement à une extension des cultures dans d'autres compartiments du
paysage (haut-versants) à tel enseigne que la végétation
naturelle (et notamment les ligneux) se réfugie à présent
sur les hauteurs où d'ailleurs elle n'est plus
épargnée.
Le contexte économique dans lequel est placée la
région, encadrée par de puissants centres urbains s'imprime de
plus en plus sur la morphologie agraire des espaces ruraux que l'on y
rencontre. Le secteur compris entre Mboro et Diogo abrite une population au
comportement de plus en plus urbain à travers le mode vie et surtout le
mode de consommation. Aussi cherche t-elle à accroître sa source
de revenus en sollicitant autant que possible les terres de culture
maraîchère. Or les surfaces les plus adaptées à
cette culture sont également celles qui correspondent à la zone
de concentration de la végétation typique des niayes.
Cette région qui, du fait de son originalité,
notamment floristique, et de sa vulnérabilité, a fait l'objet
d'un décret le classant en «périmètre de restauration
« depuis 1957, subit de plus en plus l'influence d'une activité
économique dont l'ampleur est dictée par l'importance des besoins
et la rareté des alternatives viables. Le contexte à la fois
géographique, économique et juridique de cette région la
rend intéressante pour une étude des relations entre une
ressource (la végétation) et une activité(le
maraîchage).
En effet les pratiques maraîchères ont atteint
une envergure inquiétante pour la préservation de certaines
essences naturelles. Il a été constaté une disparition des
essences naturelles dans les secteurs dépressionnaires et un
regroupement de celles-ci sur les hauteurs, la difficulté d'utilisation
des sommets constituent leur seul rempart.
Il est à noter également que la
végétation ligneuse qui disparaît dans les bas-fonds (du
fait du maraîchage) est de nature différente de celle qui se
retranche sur les hauteurs d'où une véritable réduction de
la diversité floristique. Il importe si cette intuition - issue de nos
premiers travaux - est fondée de savoir au juste quelles sont les
surfaces et les espèces concernées par cette réduction.
Nous nous trouvons en fait devant une agriculture intensive pratiquée
dans un environnement sensible et qui ne tolère que les espèces
qui n'entravent pas son extension spatiale.
La concurrence spatiale entre végétation
ligneuse naturelle (ou même parfois les essences du reboisement) et les
cultures maraîchères prend une autre envergure dès lors que
les techniques de culture sont systématiquement
révolutionnées (par les progrès agronomiques et la
motorisation entre autres).
L'intensification culturale n'affecte pas la
végétation en terme uniquement quantitatif mais également
en terme sélectif, donc qualitatif. Si certains individus
d'espèces sont délibérément maintenus dans le
paysage, beaucoup d'autres considérés comme encombrants pour le
maraîchage sont décimés. Raynal2 exprimait
déjà depuis 1963 cette préoccupation en ces termes :
« Certains milieux sont floristiquement très appauvris en raison
soit d'un facteur local soit d'une dégradation par l'homme dans ce cas
le jeu différentiel de la concurrence entre espèces aboutit
à rendre provisoirement l'une dominante ». Ce constat se confirme
de plus en plus aujourd'hui et il serait intéressant de vérifier
le degré d'anthropisation de la végétation et les risques
qu'il comporte.
Les essences spontanées qui sont aujourd'hui les plus
fréquentes dans les niayes ne le sont pas simplement du fait de la
nature ou de ses effets mais aussi par l'action humaine qui contribue au
remaniement de la végétation.
Au delà de l'enjeu purement écologique qui
consiste à conserver à cette zone son originalité
floristique, il est question ici de surveiller les variations de la
végétation naturelle dans la mesure où elles peuvent
induire, en cas de réduction sévère, des processus de
dégradation irréversibles (ensablement). Il s'agit aussi de
contrôler l'intensification du maraîchage qui peut introduire
d'importantes quantités de toxines dans l'environnement. En effet, face
au caractère discontinu et irrégulier des activités de
reboisement et aux limites des essences choisies, il s'avère
nécessaire de conserver quantitativement (et peut-être aussi
qualitativement) certaines espèces. Le milieu choisi se présente
comme un agroécosystème dans lequel le maintien de proportions
écologiquement équilibrées de végétation
naturelle est nécessaire à la pérennisation même du
maraîchage. Eu égard au caractère dynamique de cet
environnement dunaire, il importe donc de prendre au sérieux le
rôle fondamental joué par la végétation ligneuse
dans la stabilisation du matériel sableux afin de ne pas courir à
une catastrophe écologique dans la zone.
2 Flore et végétation des environs de
Kayar (Sénégal)
La problématique peut également poser d'autres
questions, car beaucoup d'espaces abandonnés en raison de
l'approfondissement de la nappe ou de sa pollution sont-ils aptes à
accueillir à nouveau des essences naturelles ou sont ils
dégradés au point que leur régénération ne
s'envisage que dans un futur lointain ?
1.1 Objectifs
-L'objectif fondamental de cette étude
est de mettre en évidence le fonctionnement de cet «
agroécosystème », ses règles et ses limites ainsi que
les processus socioéconomiques qui la soutiennent.
-Actualiser les informations sur la dynamique associative de la
flore des Niayes à travers des inventaires et une analyse
phytosociologique.
-Montrer les effets directs et indirects du maraîchage
sur la végétation ligneuse (en termes de réduction
spatiale et floristique) et les conséquences prévisibles de cette
intensification de cultures.
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