De nos jours, avec la globalisation du monde qui tend
à devenir un village planétaire, la plupart des pays aspirent
à une meilleure structuration et organisation de leur avenir. Pour y
parvenir, ils ont fait de la planification, leur préoccupation
essentielle dans toutes activités entreprises.
Bien que le phénomène soit assez
généralisé dans les pays du Nord, ceux du Sud, en
occurrence de l'Afrique au sud du Sahara [en dépit des mouvements
sociaux du début des années quatre vingt dix qui peut être
considéré comme le point de départ d'une vision plus
démocratique et moderne de la gestion de la chose publique]
traînent encore les pieds et ne sont qu'à une phase embryonnaire
de la planification.
Néanmoins, pour appréhender et mieux
comprendre le phénomène,
nous nous efforcerons tout au long de
cette partie de notre travail à
explorer certaines théories pertinentes
sous-tendant la planification, et pouvant d'avantage nous éclairer sur
le sujet.
En effet, depuis les années cinquante, la
planification a changé plusieurs fois de références
théoriques dans les pays du Nord. Ces changements ne sont pas traduits
de manière mécanique en Afrique au sud du Sahara encore sous le
joug de l'impérialisme. Cependant, ces changements ont contribué
à une évolution des principes de planification au cours du temps.
Se basant essentiellement sur une bibliographie Nordaméricaine,
Côté, Poulin et al.5 distinguent quatre grands
paradigmes de la planification que sont : la planification rationnelle, la
planification stratégique, la planification pluraliste ou «
controversielle », et la planification concertée ou
participative.
La planification rationnelle est apparue dans les
années cinquante. Elle est fondée sur l'idée que l'action
publique doit être guidée essentiellement par la science. La
logique est « positiviste, déterministe et linéaire ».
Le débat s'organise entre décideurs politiques et experts. La
participation publique n'intervient qu'en fin de démarche pour valider
les propositions et vérifier leur acceptabilité sociale. Ce
modèle a rapidement montré ses limites, liées à la
fois aux lacunes des connaissances scientifiques et à la
complexité des systèmes sociaux à prendre en
compte.
La planification stratégique est apparue comme
un dépassement de la planification rationnelle. Elle s'appuie sur une
démarche d'évaluation (ex ante et ex post) dans laquelle les avis
et connaissances des experts constituent toujours le fondement des
décisions mais sont complétés par la consultation des
sources externes pour connaître les enjeux. Devant le constat que les
planificateurs favorisaient plus certains groupes
5 Côté M.-J.,
Poulin G., St-Onge.B, et Waaub J-P, Un système d'aide à la
décision pour une gestion participative du territoire. Le cas de
l'Outaouais, Québec. Géocarrefour (76.n°3) :
253-264.
sociaux que d'autres et éprouvaient des
difficultés à proposer plusieurs scénari
alternatifs.
Davidoff 6 a défendu l'idée
d'une planification que l'on pourrait qualifier de pluraliste ou «
controversielle ». C'est le mouvement de l'advocacy planning. Son
modèle est celui d'un tribunal, chargé de juger les
différents plans présentés par des groupes
d'intérêt divergents. Ce système nécessite de
financer les groupes les plus faibles pour les aider à élaborer
leur propre planification et de former des planificateursavocats aptes à
défendre leurs intérêts. Cette proposition, qui met au
centre la controverse et la confrontation des projets, a subi plusieurs
critiques. On lui a reproché la faiblesse de ses fondements
scientifiques et sa faible capacité à produire des solutions
acceptables et durables, ainsi que son peu de réalisations
concrètes. Flle a eu une influence forte sur la culture de la
planification américaine et elle a contribué à former des
aménagistes et des planificateurs engagés dans les mouvements de
contestation urbaine des années soixante et soixante-dix aux Ftats -
Unis.
Fnfin, un quatrième type de planification,
qu'on appelle en anglais argumentative, interprétative ou communicative
et en français interactive ou communicationnelle ou plus simplement
concertée ou participative, est apparu au cours des années
soixante-dix. Le principe de ce type de planification qui est celui qui
retiendra notre attention tout au long de ce travail, est de s'appuyer sur le
dialogue et l'échange d'opinions pour une construction collective des
enjeux afin de favoriser l'émergence de projets et de solutions
innovatrices et dépassant les intérêts des
différents groupes en présence. Un bon
6 Davidoff, Advocacy
pluralism in planning. Journal of the American Institute of Planners Vol XXXI,
N°4(Novembre 1965): Repris in Le Gates R.T. et Stout F., Eds(2003). The
City Reader. The Routledge Urban Reader Series.London,N. Yard, Routledge:520 p.
pp:388-398
résumé des présupposés de
ce type d'approche est donné par Healey P.7 :
· Toutes les formes de connaissance sont
socialement construites et les connaissances des scientifiques et des experts
ne sont pas significativement différentes du raisonnement pratique de
l'individu.
· Le raisonnement et la connaissance peuvent
prendre des formes différentes, de l'analyse systémique
rationnelle à la narration, et s'expriment aussi bien par des mots, des
images ou des sons.
· Les intérêts des individus se
créent dans un contexte social donné et les individus ne
choisissent pas leurs « préférences » de manière
indépendante mais y arrivent à travers des interactions
sociales.
· La planification doit s'appuyer sur les
capacités de raisonnement et les connaissances de tous ceux qui ont un
intérêt local à défendre ou à
promouvoir.
Contrairement à l'advocacy planning, la
planification communicationnelle écarte tout marchandage entre les
différents intérêts en compétition et la
confrontation des scénari liés à priori à des
intérêts divergents. Flle propose une approche coopérative
visant à construire un consensus en partant du principe que cette
construction peut servir à bâtir une culture commune qui sera
nécessaire à la coordination des différents acteurs
impliqués dans le processus. Ce type de planification est censé
répondre à la dimension « réflexive » des
sociétés contemporaines. Les procédures d'identification
et de formulation des problèmes y prennent une importance fondamentale.
Il ne s'agit plus seulement de fournir des éléments de
compréhension des phénomènes aux élus et aux
élites afin
7 Healey P, Collaborative
planning. Shaping places in fragmented societies(1997 p.29), Macmillan press
LTD.338p
de réguler spatialement sous forme de normes ou
de règles les logements, les emplois et les équipements. La
planification assume :
> L'identification en amont des sujets qui
concernent ou vont
concerner le collectif d'acteurs au sens
large.
> La définition des problèmes communs
et le repérage des
ressources de connaissance mobilisables pour les
comprendre.
> La recherche des solutions et des moyens pour les
mettre en
pratique8
Ce type de planification s'appuie sur les approches
« institutionnalistes » des sciences sociales inspirées de la
théorie sociale de la structuration de A. Giddens9, qui
affirment que les individus qui constituent le monde social construisent leurs
manières de voir, de connaître le monde et d'y agir à
travers les relations avec les autres et les différents réseaux
auxquels ils appartiennent. La deuxième référence est
l'oeuvre d'Habermas10 dont on peut en résumer de
manière approximative les théories de l'agir communicationnel et
de l'espace public en disant qu'il tente de fonder rationnellement la
possibilité d'un débat sur les affaires publiques ouvert à
tous, dans lequel les échanges d'arguments conduisent les participants
à s'étendre, de façon à interpréter ensemble
la situation et à s'accorder mutuellement sur les décisions
à prendre. Pour les défenseurs de la planification
communicationnelle et participative, la diversification de ces réseaux
dans le monde contemporain fait que les conflits dans les espaces locaux sont
moins liés à des différences d'intérêts ou
d'enjeux entre individus, qu'à des différences de cultures, de
systèmes de pensée, d'actions ou de connaissance. Même les
manières de construire les objets du conflit, de les définir et
de les discuter différent. La dimension collaborative de la
8 Healey P,
Op.cit.p.86
9 A. Giddens, 1987. La
constitution de la société. Paris, Montréal,
l'harmattan.
10 Habermas,
Rénovation urbaine et changement social, l'îlot n°4, Paris,
les éditions ouvrières.303p
planification spatiale a donc comme objet principal
de créer par le débat des liens entre ces multiples
réseaux, correspondant à des logiques variées de
localisation. Il s'agit d'après Healey de gérer la co-existence
dans des espaces partagés.
La planification participative tente d'assumer le
nouveau fonctionnement de la société locale dont nous parlions
plus haut. Flle a affaire à des groupes sociaux diversifiés, des
individus « multi-appartenants »11 porteurs de stratégies
différenciées, des territoires socialement et spatialement
hétérogènes, théâtres d'expression d'une
diversité mouvante d'intérêts et d'enjeux.
Comme le dit Healey, lieux et cultures ne
coïncident plus. Il n'existe plus de culture locale homogène. Des
groupes aux traditions, aux modes de sociabilité, aux objectifs
différents coexistent et cohabitent dans des lieux. Des conflits ou des
dissensions entre différents groupes locaux sont donc susceptibles de se
produire, d'autant que l'urbanisation favorise une réduction de la
fragilité des sociétés contemporaines au conflit, comme
l'analysent Rémy J et Voyé12 (op.cit.p.82). Le conflit
peut désormais être localisé, sectorisé. Il est donc
en général moins redouté et il est plus facile de
rechercher des procédures de conciliation. Le rôle de la
planification est alors selon Healey de « donner une forme aux lieux dans
une société fragmentée », comme l'indique le sous
titre de son livre.
Selon Healey, les approches traditionnelles, qu'elle
appelle
« rationalistes », de la planification, se
préoccupaient uniquement de
l'efficacité des moyens choisis
pour arriver aux fins. Une approche
institutionnaliste met en plus l'accent
sur la manière dont s'élaborent ces
11 Ascher, 2001 Les nouveaux
principes de l'urbanisme, la fin des villes n'est pas à l'ordre du jour.
La tour d'Aigues, Editions de l'Aube.103p
12 Rémy J et
Voyé, 1974.La ville et l'urbabanisation.Gembloux.Duculot.252p. pp :
82
fins et moyens. Pour reprendre les mots
d'Ascher13, ce n'est plus en fonction de son contenu, de « sa
substance effective » qu'une décision peut être
considérée d'intérêt général, mais
à travers la manière dont elle se construit, par sa dimension
procédurale. Cette dimension formelle peut apparaître discutable
et ressembler à l'inversion du proverbe populaire Européen:
« qu'importe l'ivresse, pourvu qu'on ait le flacon »! Elle s'appuie
sur un principe simple. La confiance que les acteurs portent aux processus
participatifs se transmettrait aux résultats même du processus.
Cela suppose d'accepter le présupposé fort qui sous-tend ces
démarches : la capacité des individus à changer leurs
manières de voir et d'agir et à transformer leurs actions si leur
cadre de référence change. La planification interactive suppose
une dimension importante d'apprentissage collectif de la part des
participants.
Le concept de « planification territoriale
ascendante », proposé par P.D'Aquino14 pousse cette
logique au bout. La planification n'est plus pensée comme un moyen
d'organiser ou de préparer pour le futur une société
locale déjà existante, mais comme un appui à la
construction continue du territoire en tant que entité
socialisée, à la production d'une identité territoriale
« active » et, in fine, à une appropriation territoriale par
les acteurs. Une démarche de planification territoriale ascendante doit
donc être pensée comme le support d'une dynamique autonome et
endogène de réflexion collective de la société
locale pour prendre en charge son territoire. Le rôle du planificateur
n'est plus de proposer une thématique pour cette réflexion ni un
cadre méthodologique, ni même des hypothèses, des
modèles ou des scénari de développement mais d'accompagner
« un processus démocratique de décision
multiscalaire
13
Ascher,Op.cit.p.89
14 P.D'Aquino,2002.Le
territoire entre espace et pouvoir : pour une planification territoriale
ascendante, l'espace géographique (2002-1) :3-23.
et ascendant de quelque forme qu'il soit
»15. Il s'agit de fournir les connaissances et les informations
techniques et d'assumer « l'incomplétude » et « la
relativité » des outils de la planification, qui n'est qu'un
processus et pas un produit fini.
Dans tous les cas, comme le remarque Healey, une
approche de planification de ce type doit pouvoir intégrer tous les
acteurs qui ont un enjeu dans la localité. Ce n'est qu'à cette
condition que le travail collectif peut espérer être durable.
C'est dans ce cadre que se pose la question de la participation, qui prend une
place dans ce dernier paradigme de la planification.
La question de la participation, non moins importante
est devenue un thème quasi universel qui traverse toutes les
sphères de la vie moderne (santé, école, travail,
loisir...), et sa nécessité n'est presque plus mise en cause.
Moins qu'une solution, elle est devenue un problème, une contrainte de
la décision contemporaine. Car bien que les élus locaux restent
souvent très réticents à informer réellement et
complètement les citoyens. Sans parler de partager une simple partie de
la décision, celleci se fait encore trop souvent dans une ambiance de
secret et de dissimulation. Il existe néanmoins une tradition
théorique du principe participatif qui trouve ses racines chez Weber
(Sintomer)16 ou Schumpeter (Bouchard)17. Peu avant eux,
Fiorino18 citée par Allain19 définit
participation comme « toute forme d'implication dans le processus de
gestion d'un système donné d'acteurs n'appartenant pas au
dispositif formel en charge du pouvoir de décision sur ce système
». Quant à lui, Godbout (1983)20, cité par
Espach21, voit la participation comme un
15 Healey.
Op.cit.p.86
16Sintomer, 1999.La
démocratie impossible ? Paris, la découverte et
syros.404
17 Schumpeter.Repris par
Bouchard, 2000. La démocratie désenchantée. Paris,
éditions Michalon.14p
18 Fiorino, 1996.
Environmental policy and the participation Gap in democracy and the
environment. W.Lafferty et J.Aldershot, Edward Elgar : 194-212
19 Allain, 2001.
Planification participative de bassin et gouvernement de l'eau.
Géocarrefour 76.(n°3) :199-209
20 Godbout ,1983. La
participation contre la démocratie. Montréal, Ed.
Coopératives Albert Saint-Martin.178p
« processus d'échange volontaire entre
une organisation qui accorde un certain degré de pouvoir aux personnes
touchées par elles, et ces personnes, qui acceptent en retour un certain
degré de mobilisation en faveur de l'organisation. » la
première définition, plus générale et formelle, met
l'accent sur la notion de décision et de système d'acteurs. La
seconde se place dans une perspective organisationnelle et insiste sur la
dimension d'échange, de contrat passé. Pour certains auteurs
contemporains plus nombreux le terme participatif englobe tout processus
décisionnel qui intègre des participants d'origine et de statut
différents, ce que l'un d'eux, Van den Hove22 appelle un
« arrangement par lequel des acteurs de types différents sont
réunis dans le but de contribuer de manière plus ou moins directe
et plus ou moins formelle au processus de décision ». Le terme de
participation publique vient alors spécifier les modes de participation
qui engagent des citoyens de base sans qualité
particulière.
A ce stade, il est tout aussi important de noter une
dimension fondamentale, sans laquelle la planification participative serait
vaine. Il s'agit du volet projet qui peut être considéré
à juste titre comme la pierre angulaire ou encore la figure centrale du
processus. Ceci est d'autant plus vrai quand on sait que le rôle de la
planification, processus limité dans le temps et
répété à intervalles réguliers était
de mettre au point les objectifs que le territoire devait remplir à
horizon donné, ainsi qu'une stratégie pour les atteindre. C'est
dans cette optique que les pouvoirs locaux issus des lois de
décentralisation, confrontés dans les années 90 à
la crise économique et à un environnement économique et
social plus turbulent, ont eu à résoudre des problèmes
pour lesquels les outils
21 Espach, 2002. Evaluation
du processus de participation publique dans l'élaboration du programme
particulier d'urbanisme du secteur de Maisonneuve, Maîtrise de
géographie. Département de géographie.
Saint-Étienne, université de Saint-Etienne.149p.
22 Van den Hove, 2002.
Approche participative pour la gouvernance en matière de
développement durable : une analyse en termes d'effets. Cahier du
C3ED.
technocratiques, formels et rigides de la
planification étaient mal adaptés. L'ultime recours qu'est le
projet en est venu à désigner une opération autonome et
aux ressources propres, dont la nature et l'ambition peuvent varier, mais qui
entend lier dans une solution de continuité l'élaboration
d'objectifs, la mobilisation de moyens et la réalisation
opérationnelle. Le projet est censé reconnecter réflexion
et action, stratégie et mise en oeuvre, planification et gestion. Il
apparaît comme la structure d'action favorite de la gouvernance, car il
facilite la coalition d'un réseau d'acteurs à travers
l'élaboration des objectifs du départ et leur discussion
permanente au cours de la réalisation23.
L'exercice de planification intervenant en aval
après la transformation des problèmes posés par les
citoyens en solutions envisageables, sous formes de projets à planifier,
donne une cohérence à une action locale éclatée en
de multiples dispositifs de gestion et de projets. Il ne s'agit plus simplement
du travail classique de diagnostic, réflexion stratégique et
proposition d'objectifs ou d'actions organisées spatialement. C'est
devenu un ensemble plus divers et moins formalisé d'actions, visant
à analyser, anticiper le fonctionnement d'un territoire et à
concevoir des principes et une stratégie pour améliorer ce
fonctionnement.