7-2.3. Dégradation causée aux formations
Le parcours en formation forestière constitue un
facteur très dégradant par son agressivité et les
dégâts qu'il cause à la végétation et au sol.
Source de suppression partielle ou totale du couvert végétal le
parcours non réglementé impose le processus de dégradation
suivant:
83
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
- exploitation totale de la strate herbacée,
- consommation des jeunes pousses, semis et rejets,
- broutage de la strate buissonnante palatable,
- émondage de la strate arbustive.
C'est une régression constante où ne persiste
que la strate arborescente ainsi que quelques espèces xérophytes,
épineuses et vénéneuses qui forment la strate
buissonnante, armature solide garante d'une pérennité de la
couverture végétale régressive. FERLIN (1971)
étudiant les problèmes sylvicoles dans la forêt de pin
d'Alep souligne: " On devait donc avoir, a une époque où l'homme
et ses troupeaux n'avaient encore que très peu pénétrer la
forêt, une répartition normale des âges et des
diamètres, que la dégradation progressive des conditions de la
régénération a fortement perturbée,
entraînant un tassement de plus en plus accentué vers les classes
les plus âgées, en même temps qu'une diminution plus ou
moins marquée de la densité du peuplement". De ce fait le
parcours est un problème fondamental dans la gestion forestière,
son indissociabilité de la forêt est certaine. Il est pris
partiellement en charge dans la région depuis 1872 juste après
les incendies de 1866 où TASSY in BOUDY (1948) dénonce le
parcours comme:" la grande, l'immense plaie de l'Algérie". La situation
n'a pas changé depuis et on se heurte toujours à des
intérêts opposés où aucune concession n'est permise.
Les dégâts causés par le parcours ont toujours
été jugés de très importants et souvent
catastrophiques comme en témoigne BOUDY (1948): " Leurs ravages sont
toujours considérables, surtout dans les régions sèches,
c'est à dire les plus nombreuses".
Le pâturage en forêt demeure un problème
social et humain intervenant pour une large part dans la politique
forestière. C'est un facteur de destruction redoutable qui a
réduit presque toutes les formations végétales à
des stades avancés de régression.
Plusieurs auteurs et spécialiste en la matière
ont mis à la une le rôle destructeur de l'animal comme la
célèbre phrase de PINON in BOUDY (1953) : " La chèvre a
tué l'arbre, chassé l'homme, détruit la vie. C'est l'un
des plus dangereux ennemis de l'humanité. Il ne s'agit pas de
détruire la race caprine mais il est essentiel de la discipliner, la
parquer, de limiter son domaine". Mais le pâturage en forêt est si
ancien dans les moeurs des populations qu'il est impossible de ne pas penser
à le valoriser pour nettoyer le sol des strates à l'origine du
déclenchement et de la propagation des feux; mais le problème qui
se pose est comment éduquer la chèvre ou les espèces pour
concilier les deux.
L'analyse des périodes agricoles dans la région
et au regard des vestiges de la végétation encore en place nous
enseignent que les principales formations végétales qui
colonisaient l'espace étaient: le pin d'Alep et le chêne vert, le
thuya, le thuya et le pin d'Alep dans le semi-aride. Dans l'étage
subhumide c'est toujours le pin d'Alep avec le chêne vert, le chêne
vert et le chêne liège, le chêne liège et le
chêne zeen. Bien sur l'agriculture et l'élevage ont
évolué sur l'espace sylvicole après sa destruction. La
première période de la région est sans la moindre
hésitation forestière.
Le terme de parcours dans la région doit être
compris comme étant un facteur de prélèvement permanent de
biomasse verte ou sèche issu de terrain couvert par une
végétation se développant naturellement est
quasi-impossible de dissocier l'élevage et la forêt puisqu'un fort
pourcentage de la population est rural (le plus souvent riverain de la
forêt) vit d'élevage et ne possède pas de terres. Pour
cette frange de population toutes les formations végétales sans
exception sont des terrains de parcours.
Dans la région la conclusion émise par TOMASELLI
(1976) est vérifiable puisque effectivement la population locale
raisonne encore comme à l'époque romaine: " L'économie
romaine considérait que le pâturage rapportait davantage que les
cultures; d'ou la nécessité de l'étendre de plus en plus
au détriment des forêts d'abord, puis du maquis et de toute forme
de végétation limitant la nutrition et le passage des
troupeaux".
La surexploitation des terrains de parcours n'est pas un fait
nouveau, elle existe depuis le VIIIème siècle la création
du tribulum (plateau en bois que hérissaient à sa surface
inférieure des rangées de pointes de silex, remplacées par
la suite par des pointes en fer) est une innovation assez
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
considérable qui permettait de hacher les
végétaux et faciliter leur utilisation par les troupeaux. Le
surpâturage découle de la surexploitation, phénomène
courant à l'origine de la dégradation de la
végétation à cause d'une charge pastorale excessive qui
prélève une biomasse supérieure à la production
annuelle. Le surpâturage est une pratique usuelle
généralisée dans la région se justifiant par un
déficit permanent en unités fourragères qu'il faut combler
dans les formations forestières d'autant plus que les autres terrains
sont occupés durant plus de 8 mois par des cultures vivrières
notamment la céréaliculture.
Les agressions du bétail sur la
végétation proviennent de la répétition trop rapide
de la tonte de l'herbe et des individus végétaux jeunes et de la
surcharge par le piétinement. En prenant en considération la
répartition de l'habitat par rapport aux forêts et la distance
moyenne que peut parcourir un troupeau quotidiennement à la recherche de
nourriture on peut affirmer que toutes les formations végétales
de la région sont soumises à un parcours permanent (plus de 8
mois sur 12) et intense (en moyenne 7 ovins par hectare).
7-2.3.1. Impact chiffré de la pression
animale.
Les facteurs agissants et déterminants sur
l'intensité de l'agression sont nombreux et n'agissent
indépendamment l'un de l'autre que rarement, très fluctuants et
en étroite dépendance des conditions climatiques et du type de
formation végétale, ils peuvent se résumer à:
- la période d'utilisation des formations comme terrain de
parcours,
- la production d'unités fourragères par
hectare,
- la charge pastorale moyenne acceptable et la charge
réelle,
- le piétinement et la perte de biomasse consommable,
- la distance moyenne parcourue à la recherche de
nourriture,
- la pénétrabilité de la formation
végétale,
- l'appétence des espèces,
- le taux de mutilation des espèces après le
passage du troupeau,
- le comportement de la végétation (aspect
physionomico-structural).
- Période de parcours: difficile
à déterminer avec précision puisque les formations
végétales sont utilisées épisodiquement selon les
saisons, la pluviométrie et le tempérament des gestionnaires.
Généralement les formations sont utilisées quelque soit le
cas de figure au moins 6 mois par an durant les périodes de septembre
à novembre et avril à juin. Les jachères quand à
elles soulagent les formations forestières durant 3 mois, de juillet
à septembre. Ainsi la concentration des troupeaux en terrain forestier
se situe de septembre à mai. C'est donc la politique de production
agricole qui pousse l'élevage à utiliser les formations
forestières car les spéculations pouvant retenir et offrir une
alimentation appréciable aux troupeaux ne sont que très
faiblement représentées dans l'occupation du sol. La solution de
ce problème ne peut être trouvée que par une prise en
charge au moins partiel de la production fourragère par le secteur
agricole et les productions forestières ne doivent servir que
d'appoint.
- Production fourragère
forestière: comme nous l'avons vu précédemment
cette production est tributaire du type de formation, de l'étage
bioclimatique et du type de sol; les quantités moyennes d'unités
fourragères produites dans le semi-aride sont de 140 à 155 et
dans le subhumide de 200 à 260.
- Charge pastorale: c'est un
élément fondamental pour déterminer si le type de parcours
pratiqué est destructeur par une simple comparaison entre la charge
réelle et la charge théorique possible. Le déplacement
minimal observé chez les troupeaux à la recherche de nourriture
est de 5.000 mètres exclusion faite de la distance parcourue au moment
du pacage. La charge théorique minimale offerte par les diverses
formations végétales de la région est de 0,4 et maximale
de 6 ovins par hectare alors que la charge réelle observée est
surprenante car elle se situe entre 5 et 23.
- Pertes de possibilités
fourragères. La méthode de conduite des troupeaux et la
carence en matière de prise ne charge des animaux font qu'une
quantité appréciable (évaluée entre 20 et
85
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
30% des disponibilités) est
dépréciée. Cette perte est due essentiellement au
piétinement, à l'émondage et à l'arrachage. La
surface piétinée par ovin et par jour dépend de la
structure de la formation végétale, de la pente du terrain, de la
nature du sol, de la saison et de l'importance du troupeau. Cette surface a
été évaluée entre 5 et 8 mètres
carrés dans des conditions situationnelles difficiles et 7 à 13
dans des conditions moyennes et supérieure à 10 dans de bonnes
conditions (terrain plat, formation ouverte etc..). La surface moyenne
piétinée annuellement est estimée à 2500
mètres carrés soit plus de 50 U.F au minimum, cette surface est
d'autant plus grande que le terrain se prête au parcours; elle peut
atteindre jusqu'à 3500 mètres carrés.
- Distance parcourue à la recherche de
nourriture: notion intéressante puisqu'elle permet de situer la
sensibilité des différentes formations au risque de parcours. La
distance minimale observée sur un troupeau représentatif pendant
une semaine par saison est de 5.000 m et un maximum de 12. L'habitat
épars abondant dans la région fait que pratiquement toutes les
formations végétales sont soumises à un risque
élevé de parcours car elles peuvent être atteintes par les
troupeaux. La surface broutée est un paramètre de quantification
important à maîtriser; elle est estimée entre 29 et 87
mètres carrés ce qui représente par année une
surface de l'ordre de 1,5 hectare.
- Ouverture de la formation
végétale: l'intensité et l'importance du parcours
sont conditionnées en forêt par la structure de
végétation et le taux de recouvrement des différentes
strates. Le parcours est extrême quand la formation
végétale ne présente que la strate arborescente à
très faible densité (hypothèse vérifiée dans
87% des cas observés), il est moyen quand la végétation
comporte une strate buissonnante ou arbustive et dont le taux de recouvrement
est compris entre 30 et 45%, il est presque nul lorsqu'on est en
présence d'une formation présentant toutes les strates avec un
taux de recouvrement global supérieur à 70% (hypothèse
vérifiée dans 67% des cas observés). Plus les
espèces à forte présente ont une densité
élevée plus le parcours est faible car la
pénétrabilité est entravée.
- Appétence des espèces: les
animaux imposent à la biomasse consommable une action sélective
remarquable par ses conséquences sur la dynamique et la composition de
la végétation. Toutes les espèces ne sont pas
broutées de la même manière, différemment
recherchées donc par les animaux, les espèces sont
broutées à différents degrés ce qui perturbent leur
fréquence et leur présence. Ainsi les espèces de forte
appétence deviennent de plus en plus rares et sont remplacées par
les espèces indésirables. On assiste à un
phénomène d'éradication d'espèces connu dans ce
domaine et qui impose une composition floristique particulière aux
formations parcourues en permanence par les herbivores. Dans le semi-aride
prés de 35% des espèces recensées sont broutées
alors que dans le subhumide plus de 43% sont broutées, cela se traduit
par une dégradation de la strate herbacée et buissonnante
respectivement de l'ordre de 65 et 15%.
- Mutilation des espèces: c'est la
résultante de tous les paramètres analysés
précédemment dont les conséquences se répercutent
sur la destruction à divers degré des espèces ligneuses
participant activement à la structure te à la composition des
formations végétales. Les espèces mutilées sont
présentes dans les strates herbacée, buissonnante et arbustives
ce qui fait du parcours un facteur dégradant redoutable qu'il ne faut en
aucun cas négliger ou sous-estimer. Dans l'ordre de sensibilité
aux actions de parcours et de l'importance de la mutilation susceptible
d'être occasionnée on a pu classer les espèces ligneuses
comme suit:
Tableau 21 : Mutilation des espèces forestières
Strates
|
Genre et espèce
|
Observations
|
Arborescente
|
Quercus rotondifolia
|
Faiblement dégradée
|
|
Juniperus oxycedrus
|
Très faiblement dégradée
|
|
Quercus suber
|
Fortement dégradée
|
|
Quercus faginea
|
Moyennement dégradée
|
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
|
1996
|
|
|
|
Ceratonia siliqua
|
Faiblement dégradée
|
Arbustive
|
Quercus rotondifolia
|
Moyennement dégradée
|
|
Pistacia lentiscus
|
Faiblement dégradée
|
|
Quercus coccifera
|
Fortement dégradée
|
|
Phillyrea angustifolia
|
Faiblement dégradée
|
|
Arbutus unedo
|
Fortement dégradée
|
Buissonnante
|
Stipa tenacissima
|
Fortement dégradée
|
|
Ampelodesma mauritaicum.
|
Moyennement dégradée
|
|
Cytisus triflorus
|
Non dégradée
|
|
Calycotome villosa
|
Non dégradée
|
|
Genista quadriflora
|
Non dégradée
|
|
Ruscus aculeatus
|
Très faiblement dégradée
|
Plus l'espèce est sclérophylle, xérophyte
et épineuse moins elle est mutilée, plus le stade de
dégradation est avancé dans l'aspect qualitatif de la composition
floristique plus l'adaptation des espèces présentes aux
agressions du troupeau est élevée.
- Comportement de la
végétation: la pression du parcours sur la
végétation est fonction du type de formation
végétale, on retiendra pour toutes les formations de la
région les conclusions suivantes:
- l'agression sur la végétation est
extrême dans toutes les formations ouvertes, facilement
pénétrables où ne subsiste que la strate arborescente avec
une densité moyenne inférieure à 800 sujets par hectare.
Les strates arbustives et buissonnantes sont totalement dégradées
exception faite de quelques espèces très résistantes:
Chamaerops humilis, Genista quadriflora, Calycotome villosa,
Rosmarinus tournefortii, Cistus villosus dans l'étage
semi-aride et Erica arborea, Astragalus lusitanicus, Cytisus
arboreus, Genista erioclada, Viburnum tinus,
Ampelodesma mauritanicum, Chamaerops humilis, Calycotome intermedia
dans l'étage subhumide. Dés que le sous- bois
disparaît, est absent ou son recouvrement ne dépasse pas les 20-
25%, la présence de la strate herbacée est importante offrant une
biomasse consommable appréciable. Le sous-bois lorsqu'il existe n'est
constitué que d'espèces buissonnantes, épineuses, non
palatables sous forme de coussinet. Les jeunes pousses de printemps ne sont pas
épargnées pour l'ensemble des espèces dés que le
biovolume des espèces consommables est épuisé. C'est ce
qui explique le maintien de la strate buissonnante à une faible
présence et à une hauteur basse. Il faut retenir que la pression
du parcours est extrême sur la végétation à tel
point qu'elle n'est présente que par une strate arborescente moyennement
représentée et une strate buissonnante très
réduite.
- l'agression sur la végétation est forte quand
la formation est facilement pénétrable et qu'on soit en
présence au moins d'une strate (soit buissonnante soit arbustive) dont
le recouvrement n'est pas inférieur à 30%. La strate arborescente
est toujours présente par les espèces principales avec une
densité supérieure à 600 sujets à l'hectare.
- l'agression est moyenne quand les trois principales strates
sont présentes mais leur recouvrement global n'excède pas 60% ce
qui diminue la facilité de pénétration, la strate
arbustive bien représentée joue un rôle déterminant
et entrave la libre circulation des animaux. L'absence de lumière
contribue également à la diminution de la biomasse
herbacée qui attire les troupeaux.
- l'agression est faible quand le taux global de recouvrement
des strates arbustives et buissonnantes dépasse les 70% entraînant
une pénétrabilité difficile entravant totalement tout
mouvement de troupeaux, c'est une forme de lutte naturelle contre le parcours.
Cette situation ne se rencontre que dans les maquis denses qu'on qualifie
souvent de stade évolutif en équilibre avec les conditions
écologiques du milieu. La diminution remarquable de la biomasse de la
strate herbacée est le facteur déterminant à l'origine de
l'atténuation de l'agression de la végétation par les
animaux. Ces types de formations ne sont soumis à l'impact du parcours
que lorsque les réserves fourragères facilement exploitables des
autres formations ont été épuisées.
87
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
Généralement l'action du parcours sur le couvert
végétal se traduit selon la progression suivante:
1- destruction de la strate herbacée palatable,
2- mutilation partielle de la strate herbacée non
palatable,
3- dégradation des espèces buissonnantes
palatables accessibles,
4- destruction partielle des espèces buissonnantes non
palatables,
5- mutilation totale des espèces palatables
accessibles,
6- dégradation des espèces forestières au
stade de semis,
7- destruction partielle des parties accessibles des
arbustes,
8- limitation de la régénération par
consommation des semences.
Les conclusions générales permettent d'avancer
que c'est dans l'étage semi-aride que l'agression du parcours sur les
formations végétales est la plus intense car la majorité
des peuplements sont ouverts et la biomasse consommable se concentre à
80% dans la strate herbacée. Dans l'étage subhumide les
formations dans leur ensemble présentent un taux de recouvrement global
assez élevé, supérieur à 60% agissant sur la
biomasse consommable par les animaux de la strate herbacée qui ne
représente que 35% des possibilités offertes, c'est dans les
strates buissonnante et arbustive que les prélèvements doivent
être faits.
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