7-2. LE PARCOURS ET LE PATURAGE
L'un des plus importants facteurs de dégradation de
toutes les formations végétales forestières est le
parcours qui a été, depuis que l'homme a pratiqué
l'élevage pour sa nourriture et sa survie, un point de discorde entre
l'éleveur et le forestier. Les populations riveraines vivant en
permanence au contact de la forêt utilisent encore de nos jours des
méthodes traditionnelles de conduite des troupeaux. Ce contact et cette
utilisation datent depuis des millénaires et il est de nos jours
impensable de vouloir dissocier l'homme de l'animal et les deux de la
forêt. Cet ensemble logique et naturel paraît dans pratiquement
tous les cas de figure en parfaite harmonie avec le fonctionnement de
l'écosystème forestier, rompre cette liaison c'est nier la
complémentarité et l'équilibre naturel et la
disponibilité de biomasses utilisables. Cette situation ne peut que nous
mettre en accord avec la conclusion de KUNHOLTZ-LORDAT (1930): " Le destruction
des forêts a été faite, le plus souvent, tant en vue de la
culture qu'en vue de l'élevage. Il est bien difficile d'établir
la part qui revient à l'une ou à l'autre de ces deux branches de
l'agriculture dans la déforestation".
7-2.1. Généralités sur le
parcours.
L'origine forestière du parcours est une
réalité à prendre en charge car l'extension du
pâturage se faisait et se fait encore sentir directement aux
dépens de la forêt d'autant plus que cette action a
été autorisée et considéré comme un droit
d'usage qui 'est transformé avec le temps en un droit tout court. Ainsi
les populations coloniales et rurales ont détruit par le biais du
parcours ce qu'elles ne pouvaient défricher. Toutes les formations
végétales exception faite des jeunes plantations étaient
utilisées par le parcours avec la complicité de l'administration
forestière pour des raisons stratégiques mais surtout politiques.
Cette facilité d'utilisation des écosystèmes forestiers
trouvait sa justification dans les habitudes des populations locales.
L'autorisation accordée aux riverains à faire parcourir leurs
troupeaux en forêt a favorisé l'apparition de techniques
permettant la régénération des parcours: les
éclaircies et les incendies localisées.
" Le troupeau doit cesser d'être une caisse
d'épargne pour devenir un moyen de mise en valeur agricole. Cela
implique forcément que la nourriture soit à tout moment
disponible, que l'ordonnance et l'aménagement des terres
d'élevage ou de culture soit prévu à l'effet de fournir
à tout moment toutes rations utiles" notait MONJAUZE (1960). Le terrain
de parcours par la force de la réalité a été
défini en 1939 par KUHNOLTZ-LORDAT comme un terrain de pacage dans le
sens le plus général se rapportant aussi bien à la lande
découverte qu'à la garrigue ou au bois. LONG (1960) le
considère comme "...un terrain de parcours peut aussi être
constitué par toute l'étendue d'un territoire sur lequel le
bétail consomme l'herbe de toutes sortes de groupements
végétaux librement et sans contrôle". Les faits
réels dans la région justifient cette approche et font de la
forêt un terrain de parcours par excellence, cela se confirme par le
relâchement de surveillance, l'incapacité d'organiser cette
activité, l'incompétence d'ouvrir les peuplements forestiers au
parcours surveillé découlant d'études et de la
complicité parfois du forestier. L'élevage constitue l'une des
principales ressources des populations forestières (40% des revenus
agricoles) en Tunisie et presque autant si ce n'est plus pour notre
région. L'équation est simple: dans la forêt, il n'est de
richesse que d'arbres, si l'homme vit dans la forêt, il vit soit de
l'arbre qu'il a abattu pour avoir sa parcelle de culture ou de parcours soit de
l'arbre qu'il abattra pour se chauffer ou fabriquer du charbon; or l'arbre
appartient à l'état donc le riverain ou le montagnard vit en
clandestin comme le souligne également ZAMITI (1993).
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« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
Malgré la disponibilité des terrains agricoles
pouvant servir pour une période appréciable (entre 3 et 5 mois)
de parcours c'est généralement vers les formations
forestières que sont concentrés les troupeaux; même s'il
est agriculteur, l'éleveur se considère toujours comme pasteur.
BENABDELI (1983) confirme ce constat:" Il ne donne pas une valeur réelle
à la terre et il fait tout pour que son troupeau subsiste et se
développe. Bien que dépourvu le plus souvent de terre,
l'éleveur ne rencontre aucun problème puisqu'il fait parcourir
son troupeau sur des terres qui ne lui appartiennent pas et par
conséquent sa tâche est facilitée puisqu'il n'aura pas
à prévoir, planifier et calculer la manière dont il doit
procurer la nourriture à son troupeau".
Cela complète et va dans le sens de LEROY (1965):"
D'une manière générale, on peut dire que dans les pays
méditerranéens les agriculteurs sont rarement des
éleveurs, ce qui est fâcheux, car la conséquence est qu'ils
ne font aucun effort pour obtenir des produits fourragers, alors qu'ils
réservent une large part des terrains qu'ils exploitent à la
jachère. La suppression de la jachère pour obtenir des fourrages
précoces à conserver en saison sèche par ensilage leur
permettrait aisément de faire vivre sur place un troupeau correctement
alimenté".
Le parcours dans la région est
généralisé sur toutes les formations forestières ce
qui explique sa complexité et la particularité par laquelle se
distingue son environnement et qui se résument à la vocation
pastorale d'une terre ou d'un écosystème est fonction de son
herbage et lorsque l'espace n'est pas un facteur limitant, comme c'est le cas
dans les formations végétales de la zone étudiée,
l'homme se contente de suivre son troupeau. Cette technique trouve ses limites
et les troupeaux sont obligés de se stabiliser dans une zone; cela se
traduit irrémédiablement par une dégradation
accentuée de la végétation dans un premier temps puis du
sol par la suite.
-Aucune méthode ou technique de pâturage et
d'utilisation des herbages disponibles n'est pratiquée pour assurer la
pérennité de l'équilibre et la préservation de
l'écosystème productif. La règle de bas étant de
mettre à la disposition du troupeau une nourriture qu'elle qu'en soit
les conséquences. Après une destruction quasi-totale de la
végétation l'éleveur est dans l'obligation d'utiliser la
flamme qui permet d'avoir de jeunes pousses dont sont friands les
herbivores.
-Le problème pastorale dans la région ne date
pas de ce millénaire et il prend de l'ampleur avec le temps." Au milieu
du 19ème siècle c'est au moins les trois quart des
forêts méditerranéennes qui avaient disparu. Cette
hécatombe a été rendue encore plus lourde par le
développement de populations de pasteurs, dont les troupeaux,
chèvres et moutons surtout, se sont progressivement répandus sur
les forêts encore en place, et en particulier les massifs montagneux. La
forêt a alors été brûlée pour faire
apparaître des pâturages, dont le sol s'est dégradé
sous l'influence de l'érosion, la régénération des
essences sylvatiques étant rendue par ailleurs aléatoire, voire
impossible, par un pâturage intensif...Il s'agit surtout de la
présence de l'homme et des animaux domestiques, qui pèsent d'un
très lourd poids en région méditerranéenne depuis
plusieurs millénaires" résume ce problème QUEZEL (1976) en
cinq points:
- il n'y a aucune relation entre l'occupation des terres et
l'élevage, cette situation se traduit par une rupture d'équilibre
entre ces deux activités qui ne sont plus complémentaires
débouchant sur une utilisation irréfléchie de l'espace.
Dans ce contexte TOMASELLI (1976) note:" L'agriculture
méditerranéenne a été caractérisée
par la séparation presque totale entre la production
végétale et la production animale". Les éleveurs dans plus
de 85% des cas ne possèdent pas leur propre terrain et la production
animale présente dépend exclusivement des formations
forestières et des terrains domaniaux où tout l'apport fourrager
nécessaire doit être prélevé.
- le climat par ses facteurs limitant, en plus des
méthodes et coutumes d'élevage, joue un rôle
déterminant dans la faiblesse de la disponibilité d'une biomasse
herbacée consommable abondante comme le souligne LE HOUEROU (1971): "
Les hivers méditerranéens sont généralement plus ou
moins doux et la neige couvre rarement le sol, de sorte que la
végétation n'est pas protégée contre le
bétail durant cette saison. Sous climat méditerranéen la
saison défavorable aux végétaux est l'été,
en raison de la sécheresse. Les animaux restent donc au pâturage
généralisé. Il en résulte aussi que les
éleveurs ne voient pas la nécessité de constituer des
réserves fourragères en vue de la saison défavorable. Il
nous semble que les conséquences du
« Aspects physionomico- structuraux de la
végétation forestière ligneuse face à la pression
anthropozoogène dans les
monts de Tlemcen et les monts de Dhaya (Algérie
occidentale)
climat sont à l'origine de l'un des mécanismes
essentiels de dégradation de la végétation
méditerranéenne en général".
- la structure ouverte, clairiérée, facilement
pénétrable des formations forestières sont autant de
facteurs favorables au pâturage car ils favorisent l'installation
abondante d'une strate herbacée. Selon sa composition floristique le
taux de recouvrement des différentes strates et l'étage
bioclimatique, la concentration des troupeaux en est proportionnelle.
- les jachères, avec les écosystèmes
forestiers, constituent les principales prairies temporaires ou permanentes mis
à la disposition des troupeaux pendant un laps de temps réduit.
Ces jachères n'appartiennent généralement pas aux
éleveurs et n'offrent aux troupeaux qu'une quantité
négligeable de ressources fourragères pendant un mois au maximum
puisque la technique du brûlis des chaumes est encore utilisée
malgré ses effets néfastes, juste parés les moissons.
- le pâturage forestier assuré par l'ensemble des
formations doit faire face, essentiellement pendant la période estivale
et automnale, aux besoins de plus de 85% du cheptel. Le constat de BENABDELI
(1980) se confirme:" Point n'est nécessaire de développer ce
sujet puisque la seule source d'alimentation pour le troupeau du secteur
privé reste le parcours en milieu naturel avec toutes les
conséquences néfastes qui en découlent.
Le secteur ne peut donc subvenir totalement aux besoins
alimentaires de son cheptel et se trouve dans l'obligation d'avoir recours au
pacage en forêt, légal ou illégal". Ce type de parcours est
utilisé d'une manière continue et permanente à l'inverse
des parcours agricoles qui ne peuvent être exploités que pendant
un temps bien déterminé en fonction du cycle de la culture
pratiquée.
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