Université Mohamed V
Faculté des sciences Juridiques Economiques et
Sociales
UFR : Ecole Doctorale de Gestion
DESA : Marketing&Stratégie
Séminaire :
Théories et Pratiques du Management
La Normalisation Industrielle : les principes Tayloriens
sont-ils toujours d'actualité ?
Préparé par : DHIMEN Ibtissam , EL
KHOUTABI Adil et HOUBANE Jihad
Sous la direction du Professeur : Mr. BENABDELHADI
Abdelhay
Année Universitaire 2004 - 2005
Introduction
Les transformations industrielles qui bouleversent le monde
depuis plus de deux décennies, ont commencé avec la mise en place
des nouvelles technologies, c'est-à-dire d'un type de machine qui
appelait à un changement complet des modes de production. Dans le plein
sens du mot nous vivons une « mutation industrielle » qui
implique progressivement une nouvelle culture.
En effet, la révolution industrielle a permis un
démarrage sans précédent de la croissance
économique. Or cette révolution industrielle avant même
d'être celle des machines fut d'abord une modification des façons
de travailler, de l'organisation du travail c'est-à-dire de la
répartition du travail entre les travailleurs (répartition
technique liée aux machines, répartition sociale liée
à l'existence ou non d'une hiérarchie).
C'est dans ce contexte que la division du travail s'est
développée. La notion d'appareil productif ne se limite pas
à sa dimension économique et technique (progrès technique,
innovations, investissements, profits...), il faut aussi tenir compte de la
dimension sociale de l'entreprise. Toute forme d'organisation du travail
présente aujourd'hui quatre objectifs:
· Produire le plus possible.
· Dans les délais les plus courts.
· Avec le moins d'efforts.
· En tenant compte de la qualité.
Ainsi la normalisation et la rationalisation s'étendent
aujourd'hui à tous les domaines, les délais sont devenus des
critères de compétitivité, le travail
répétitif est plus que jamais la règle.
Et si l'on considère le modèle
TAYLORIEN parmi l'une des phases de l'organisation du travail
qui étaient bien adaptées à l'esprit et aux conditions de
leur époque, certains de ses principes demeurent valables et il est
indispensable de bien les connaître avant d'entreprendre toute action
d'organisation.
Les questions qui se posent dans ce cadre : Est ce que le
Taylorisme est mort? Ou est ce qu'il est devenu tout
simplement plus intelligent que ces principes sont plus ou moins à
l'origine des gains de productivité et donc de la croissance ? Est-ce
que la normalisation industrielle est considérée
comme un outil du Taylorisme et un impératif
également de croissance pour les entreprises?
Pour répondre à ces questions, nous allons
aborder ce thème en deux parties. Dans un premier temps, on va
présenter le contexte de l'émergence du taylorisme qui a
accompagné la transition de la révolution industrielle à
la normalisation industrielle. En suite, dans un deuxième chapitre, nous
allons définir les principes du taylorisme et en présenter les
différentes applications.
Dans la deuxième partie, on va présenter les
différentes difficultés rencontrées par l'application du
taylorisme, ses limites, ses crises et son irréalisme ; en se
posant la question Taylor est-il mort ? Le dernier chapitre tentera de
nous éclairer sur la renaissance du taylorisme à travers la
normalisation industrielle moderne, notamment dans les domaines de services.
Première partie :
La transition de la révolution industrielle
à la normalisation industrielle et l'émergence du TAYLORISME.
Chapitre 1 :
De la révolution industrielle à la
normalisation industrielle
Dans un cadre général, la
révolution industrielle : essor général
des méthodes industrielles de production (machinisme, parcellisation des
tâches, multiplication des fabriques) associé au bouleversement
des structures économiques et sociales entre la fin du XVIII
siècle et la première moitié du XIX siècle en
Europe occidentale.
La Grande- Bretagne est le pays pionnier de la
révolution industrielle. Avec un certain décalage et des formes
moins systématiques, elle affecte la France, la Belgique, l'Allemagne,
puis les Etats-Unis, le Japon...
Marquée par de profondes transformations agricoles, des
innovations techniques fondamentales, l'accélération du processus
d'urbanisation, la formation de la classe ouvrière, la montée en
puissance de la bourgeoisie industrielle et financière..., la
révolution industrielle se développe dans le cadre d'un
élargissement décisif des formes capitalistes de production et
d'échanges : progrès technique continu, capitaux mobilisés
en vue du profit, séparation entre propriétaires des moyens de
production et travailleurs salariés.
La révolution industrielle caractérise ainsi le
passage, plus ou moins rapide, de la société traditionnelle
précapitaliste à la société industrielle
modelée par le mode de production capitaliste dominant.
Avant la révolution industrielle, certains processus
économiques peuvent être qualifiés de capitalistes, mais
ils se limitent à une sphère étroite (grand négoce,
commerce maritime, banque).
Cette révolution industrielle est qualifiée de
première, elle est suivie par d'autres révolutions industrielles
ou plus communément techniques, et cette seconde acceptation est plus
restreinte. Elle ne correspond pas à une mutation générale
du système économique et sociale.
En effet, avec la révolution technologique, nous sommes
peu à peu entrés dans une nouvelle phase. Les mutations
industrielles amènent à une sortie du
Taylorisme. Mais les mentalités ne suivent pas. Parce
que tout au long du siècle, surtout après la deuxième
guerre mondiale, une culture s'est forgée, générée
par le modèle taylorien : « Par la place qu'il occupe
dans la société, le travail contraint les groupes sociaux
à se définir par rapport à lui. »1(*)
Sans nier que la méthode Taylor a
non seulement été un système d'organisation du travail
très performant pour développer la production industrielle
d'alors, mais elle a surtout représenté un moyen redoutable de
contrôle du temps d'exécution du travail ouvrier permettant une
productivité considérable. Depuis sa naissance jusqu'à
nos jours, elle n'a pas cessé de se perfectionner, de se corriger,
d'apparaître comme la meilleure organisation du travail possible pour
assurer le maximum de productivité de l'entreprise.
Mais le modèle Taylorien ne s'est peut
être intéressé qu'à une partie infime de
l'organisation. Science du travail, souvent réduit aux seules
activités physiques tout en négligeant l'insertion au sein de la
société dans son ensemble. (Nous allons voir plus en
détails le modèle Taylorien avec ses principaux succès et
dérives dans a partie suivante).
Donc compte tenu des évolutions historiques, des
mutations industrielles qu'à connu et que connaît toujours le
monde qui demeure en pleines transformations, la normalisation en
général et particulièrement la normalisation
industrielle constitue un outil de développement pour
l'économie, de rationalisation de la production, de transparence et de
progrès. C'est de même un outil de politique publique qui
constitue un complément de la réglementation et une
référence pour l'ouverture et la transparence des marchés
publics. Et surtout un puissant moyen d'amélioration de la
qualité vie.
La normalisation constitue tout simplement un idéal
louable, mais rarement atteint (Nous allons voir dans un dernier point les
principes de la normalisation industrielle et plus
particulièrement est-ce que les principes Tayloriens
demeurent existants ? Autrement dit nous allons essayer de répondre
à la question : Est-ce que la normalisation industrielle est
considérée comme un outil de Taylorisme).
Chapitre 2 :
Principes, concepts et application du Taylorisme
Frédéric Winslow
Taylor (18561915) est le fondateur du management scientifique
du travail, qui fit passer l'art, le savoir faire d'un petit
nombre au savoir refaire du plus grand nombre en
formalisant et standardisant les méthodes, les outils, les
connaissances. Taylor s'appuya sur la démarche scientifique qui observe
et quantifie.
Il utilisa essentiellement le chronomètre, segmenta les
tâches et sépara les fonctions d'exécution et
d'organisation, prôna la spécialisation. Sa recherche
d'amélioration était basée sur une relation gagnant -
gagnant entre exécutants et donneurs d'ordre, mais ses principes seront
pervertis et son nom sera associé aux excès de méthodes
segmentant à outrance les tâches afin de gagner en
productivité, sans réelle contrepartie pour
l'exécutant.
I/ Le Taylorisme : un ensemble de principes de
gestion du travail.
Entre 1893 et 1911, F. W. Taylor, publie
une série d'ouvrages de « management » qui, selon lui,
définissent les bases d'une nouvelle science : l'OST, l'organisation
scientifique du travail. Son ouvrage principal : 1911, la direction
scientifique des entreprises. Il théorise et systématise
le mouvement irrésistible qui va du travail qualifié des ouvriers
de métiers, de l'artisanat traditionnel au travail
déqualifié de la grande industrie ne nécessitant qu'un
court apprentissage.
Le point de départ de Taylor est
double : d'une part, il constate « la flânerie » des ouvriers,
motivée à la fois par un penchant naturel à la paresse et
par la stratégie des directions profitant du progrès technique
pour augmenter le rendement au lieu d'inciter, par la hausse des salaires,
à l'accroissement de la productivité. D'autre part, il remarque
le rejet de l'ouvrier faisant preuve de zèle par ses confrères.
Quatre principes sont à la base du système
de Taylor : la division verticale du travail la division
horizontale du travail, le salaire au rendement et le contrôle des
temps.
1. Premier principe : la division verticale du
travail.
C'est la séparation entre le travail
d'exécution et le travail intellectuel de conception, assuré par
les ingénieurs du « bureau des méthodes ». Par la
démarche scientifique (étude du poste, décomposition et
simplification des gestes, attribution d'un temps d'exécution à
chaque tâche élémentaire), ils déterminent la seule
bonne façon d'effectuer une tâche (« the one best way
»). Ainsi, Taylor, chargé d'améliorer les
méthodes dans une entreprise minière, va jusqu'à montrer
au manoeuvre la bonne façon de charger sa pelle pour atteindre la
productivité quotidienne moyenne la plus élevée.
Taylor préconise donc le «
développement d'une science qui, remplace le vieux système de
connaissances empiriques des ouvriers ». Dans un contexte aux USA
marqué par le pouvoir des ouvriers de métier syndiqués et
par la faiblesse de la qualification de la main d'oeuvre immigrée, cette
proposition de Taylor ne pouvait que recevoir bon accueil.
Il s'agit donc de transférer le savoir des ouvriers de
métier aux ingénieurs. Ce processus implique un détour par
son intellectualisation et sa codification formelle car ce savoir devra
être ensuite diffusé, non par un long apprentissage auprès
des anciens, mais par des instructions adressées par la
hiérarchie à des exécutants formés en quelques
heures.
2. Second principe : la division horizontale des
tâches.
C'est la parcellisation des tâches entre
opérateurs. A chaque opérateur est attribuée une
tâche élémentaire, afin d'automatiser et
d'accélérer les gestes. La division horizontale des tâches,
menée le plus loin possible, aboutit au travail à la
chaîne, innovation de Ford, appliquée à partir de 1913 dans
ses usines. Au début du siècle, cependant, les machines ne
réalisent que des opérations simples : l'homme est
irremplaçable pour les manipulations complexes. La chaîne
contraint ainsi l'homme à adopter le rythme de la machine.
3. Troisième principe : salaire au
rendement et contrôle des temps.
Taylor est tout à fait conscient
du caractère abrutissant et aliénant du travail ainsi
proposé à l'ouvrier : « Mais maintenant il nous faut dire
que l'une des premières caractéristiques d'un homme qui est
capable de faire le métier de manutentionnaire de gueuses de fonte est
qu'il est si peu intelligent et si flegmatique qu'on peut le comparer, en ce
qui concerne son attitude mentale, plutôt à un boeuf qu'à
toute autre chose. L'homme qui a un esprit vif et intelligent est, pour cette
raison même, inapte à exercer ce métier en raison de la
terrible monotonie d'une tâche de ce genre. » (TAYLOR, 1911).
La seule motivation d'un tel travail ne peut donc être
que l'argent. Pour cette raison, le salaire au rendement s'impose : à
chaque tâche correspond un temps d'exécution ; le
chronomètre détermine alors la rémunération de
l'ouvrier en écart au temps référentiel.
Le salaire au rendement permet donc la lutte contre les temps
morts, qu'ils découlent d'une mauvaise organisation ou de la tendance
spontanée des travailleurs à choisir leur propre rythme («la
flânerie ouvrière»).
4. La coordination du travail au moyen de la
hiérarchie fonctionnelle.
Le système de la
hiérarchie fonctionnelle consiste en une multiplicité de lignes
hiérarchiques. Selon Taylor, l'ouvrier doit avoir
autant de chefs spécialisés que l'on peut distinguer de fonctions
différentes impliquées par son travail : un pour son rythme de
fabrication, un pour ses outils, un pour ses affectations...
Ce système eut moins de succès que celui de la
centralisation hiérarchique du français Fayol, reposant sur le
principe de l'unicité du commandement. Selon ce dernier, on ne peut
éviter d'introduire un pôle d'autorité, quitte à
déléguer des tâches qui n'engagent pas la cohésion
de l'entreprise.
Donc le travail industriel repose sur une codification
et une analyse des processus et des temps de fabrication. La conception
est distincte de l'exécution. Le travail se fait individuel vu la
spécialisation. Stimuler la productivité par des bonus, des
primes et des salaires au temps et à la pièce, et afin de rendre
les tâches moins pénibles physiquement, Taylor a contribué
à la mécanisation des processus de production.
L'une des oeuvres importantes du travail Taylorien :
L'organisation scientifique du travail, qui de par son essence, consiste
plutôt en une philosophie résultant en une combinaison des quatre
grands principes de gestion:
1. Le développement d'une véritable
science 2. La sélection scientifique du travailleur 3. La
formation et le développement du travailleur selon les principes de
cette science
4. Une étroite et intime coopération entre
l'administration et les employés.
L'histoire du développement de l'organisation
scientifique du travail, à ce jour, invite à la prudence. La
mécanique de l'organisation scientifique du travail ne doit pas
être confondue avec son essence, ou sa philosophie sous-jacente.
Les limites de l'OST
· La dépossession du savoir faire de l'ouvrier
: l'OST a privé le travailleur des éléments qui donnent un
sens à son travail (l'organisation en équipe, choix de l'outil et
des modalités d'exécution et le contrôle du travail).
· Le contrôle abusif de l'ouvrier :
l'individualisation du travail, la séparation et la décomposition
des tâches ainsi que la définition précise de leur contenu,
permettent un contrôle systématique
· La démotivation au travail : le taylorisme
crée pour l'ouvrier des tâches répétitives monotones
et sans intérêt, aboutissant à un travail
déshumanisé et démotivant.
Quant à Ford, il a appliqué les principes de l'OST
dans son usine et instaura le travail à la chaîne. Son
organisation productive était fondé d'une part sur la
simplification de la nature et les méthodes de production des voitures
et d'autre part sur l'augmentation des salaires des ouvriers de façon
à leur permettre d'acheter plus facilement les voitures
fabriquées, d'où la hausse des salaires permettra le
développement d'une consommation de masse.
II/ L'organisation Fordiste : Amélioration du
Taylorisme :
Le fordisme est l'organisation du travail mise en place par
Ford dans les usines de l'automobile. C'est une organisation
de la production basée sur le taylorisme, auquel s'ajoute le
travail à la chaîne (déplacement
mécanisé de l'objet travaillé d'un ouvrier à
l'autre)
SCHEMA du cercle vertueux fordiste
Production de masse
Gains de productivité
Hausse des revenus
Consommation de masse et investissement
1. Les principes généraux du Fordisme
Ø Travail à la chaîne où les
pièces se déplacent vers l'ouvrier et non le contraire,
- Une cadence est imposée,
Ø Standardisation des pièces et des produits
Ø Politique de hauts salaires : 5 $ day
- Consommation de masse production de
masse.
2. Les crises du modèle
Première crise : crise sociale
Ø Absentéisme
Ø Accidents du travail
Ø Rebus
Ø Turn-over élevé
Ø Tension dans l'entreprise due Division verticale du
travail.
Deuxième crise : crise économique et
technologique
Nouveaux mode de pensée :
Ø Exigence de qualité
Ø Automatisation
Ø Consensus entre les patrons et les
salariés
L'inadéquation du système
Taylorien-Fordien aux évolutions industrielles
actuelles conduit à envisager un modèle productif flexible
susceptible de répondre à de nouveaux impératifs
économiques, technologiques et sociaux. Cette flexibilité conduit
l'entreprise à adopter un modèle le juste à temps (JAT) ou
toyotisme qui trouve son origine au Japon dans les usines de Toyota en 1950.
III/L'application du modèle japonais
(TOYOTISME) Le toyotisme ou
système Ohno est un mode d'organisation du travail
intégrant le "juste-à-temps" et la qualité de la
production. Il a été mis en place à partir de 1962 dans
tout le groupe Toyota.
Ce modèle simple par rapport à
Taylorien-Fordien se base sur :
· La qualité totale : la qualité doit
être maîtriser par l'ensemble du personnel mais aussi les
partenaires (fournisseurs, sous-traitants et distributeurs);
· La réduction des délais : la
maîtrise des délais associe à de nouvelles techniques de
gestion du temps, de conception et de production, la simplification des
personnes sus productifs et des trajets, ainsi que la modernisation des
équipements;
· La compression des coûts : la réalisation
de cet impératif passe notamment par la diminution des stocks et donc le
refus de produire par anticipation, afin de privilégier une production
à la demande;
· La recherche d'une plus grande adaptabilité aux
variations de la demande : l'évolution rapide des goûts des
consommateurs, les entreprises doivent mettre en place des solutions flexibles
et à moindre coût.
A partir des années 70, les pays occidentaux sont
influencés par la flexibilité et les nouvelles règles de
production.
Les principaux avantages :
Le toyotisme en reconnaissant l'existence du facteur humain,
atténue certains dysfonctionnements propres au taylorisme
(grèves, absentéisme, qualité médiocre). La
constitution de groupe de travail autonome ou semi-autonome conduit les
employés à avoir des responsabilités de nature
opérationnelle, mais aussi à prendre en charge l'organisation du
travail. Leur travail associe deux dimensions de niveau de
responsabilité :
- une dimension productive : choix des outils de travail,
réglage des équipements;
- une dimension managériale : constitution du groupe et
sa gestion.
En définitive, le système Taylorien ne
manque pas de défaillances. L'argument principal contre les
idées de Taylor est la vision réductionniste du travail qui le
déshumanise. L'allocation du travail selon ce système
précise non seulement ce qui doit être fait, mais aussi comment
cela doit être fait et le temps exact dans lequel la tâche doit
être accompli. Il n'y a donc plus de possibilité pour un
exécutant de "penser" son travail ou même d'exceller, tout
étant prédéfini et standardisé.
Partie 2 :
Le taylorisme est-il mort ?
La normalisation industrielle est-elle une renaissance
taylorienne ?
CHAP III /
Crise et limites du taylorisme.
I/ La crise du Taylorisme depuis le début
des années 70
1. La crise du travail
Taylorisé.
A la fin des années 60, les Organisations
Scientifiques se « révoltent ». L'absentéisme et le
turnover, formes individuelles de protestation, augmentent dans les
entreprises. Chez Renault par exemple, l'absentéisme passe de 4% en 61
à 8.5% en 74. L'intensification du travail (augmentation des cadences)
rend en effet de plus en plus pénible la tâche de l'OS. De plus,
les hausses de salaires ne compensent plus aux yeux des OS, la monotonie,
l'absence de promotion... etc.
2. Des
tentatives de réformes du Taylorisme.
Afin de limiter les coûts de la
crise du travail (absentéisme, turnover) et d'intégrer dans le
monde du travail une jeunesse caractérisée par une
désaffection envers le travail manuel, des tentatives de réformes
se font jour : rotation des postes, élargissement des tâches,
enrichissement des tâches, création des groupes semi-autonomes.
Ces derniers ont un certain succès : l'autodiscipline permet une
diminution de l'absentéisme.
Initiées par la crise du travail de la fin des
années 60, ces réformes du taylorisme se heurtent dans les
années 70 à un changement de contexte socio-économique
remettant en cause le Taylorisme.
3. Un nouveau contexte
socio-économique.
Tout d'abord, les transformations de la consommation de
masse : à partir des années 70, la demande devient une demande de
variété. La phrase de Ford devient obsolète : « les
clients pourront avoir une voiture de la couleur qu'ils veulent, pourvu qu'ils
la veuillent noire. » La production de produits différenciés
remet en cause la standardisation totale sur laquelle le
Taylorisme et le Fordisme avaient construit
leur supériorité. La production de petites séries de
grande qualité au moyen de machines programmables nécessite des
travailleurs qualifiés et responsables. La ligne hiérarchique
doit donc être réduite.
II/ Le Taylorisme remis en cause :
La crise du Taylorisme est souvent
décrite en termes de rejet socioculturel du travail
répétitif et ennuyeux, un rejet qui se manifeste par
l'absentéisme, la rotation rapide du personnel ou turnover (c'est
à dire la difficulté de stabiliser les individus sur leurs postes
de travail), le sabotage, la mauvaise qualité des produits, "la
flânerie".
Cette crise du travail est réelle, et elle a un effet
important sur la productivité en affectant l'intensité du travail
(le nombre d'heures par jour de travail effectif, pauses et temps morts
déduits) et, dans une moindre mesure son efficacité.
De fait le taylorisme est entré en crise de
manière plus globale et plus profonde que cette interprétation
socio-psychologique ne pourrait en rendre compte. De manière très
schématique, dans la mise en oeuvre combinée d'hommes et de
machines pour produire, le Taylorisme a fondamentalement
joué pendant 30 ans d'un seul facteur pour améliorer
l'efficacité du travail (et non son intensité). D'un
côté "le degré zéro de la qualité du travail
humain". De l'autre, des machines de plus en plus perfectionnées
où se condense l'essentiel du progrès technologique.
En effet, le Taylorisme s'est volontairement
interdit, dès le départ, d'intégrer les avancées
techniques au processus de production sous la forme principale du travail
humain plus qualifié: plus qualifié au niveau individuel (par le
caractère évolué des tâches confiées aux
ouvriers) et au niveau collectif ( par la maîtrise qu'une équipe
de production bien soudée et efficacement organisée peut avoir de
son travail et de son produit ). Il faut désormais jouer sur un autre
clavier que le seul investissement matériel : celui de la qualité
du travail.
Celle-ci passe par la formation des salariés,
l'organisation du collectif de travail, la mobilisation des réserves de
savoir pratique du personnel, la conception d'équipement et d'ateliers
ergonomiquement mieux adaptés. Un tel effort fonde une substitution
inverse du mouvement classique : le travail peut économiser le capital.
La gestion moderne vise donc à forger, au bureau et dans l'atelier, une
nouvelle culture. La fonction idéologique de l'entreprise dans la
société s'en trouve fortement renforcée : la
productivité doit légiférer sur l'ensemble des rapports
sociaux dans l'entreprise et en dehors d'elle, et au-delà, sur les
rapports internationaux.
Enfin, les années 70 sont marquées par le
renversement des rapports entre producteurs et consommateurs. La saturation de
la demande de biens homogènes, la demande croissante de qualité,
l'intensification de la concurrence accompagnant l'ouverture des
économies modifie le rapport de force entre producteurs et consommateurs
aux détriments des premiers. Les entreprises se doivent désormais
de fournir au consommateur un produit de qualité et spécifique au
moment où celui-ci le demande. Autrement dit, l'aspect commercial
devient prépondérant. A ce titre, le toyotisme, organisant la
production de l'aval vers l'amont (système du kan ban) apparaît
comme plus efficace que le taylorisme, qui organise la production de l'amont
vers l'aval (le bureau des méthodes est à la source de la
production, pas le consommateur).
III/ Le Taylorisme est-il mort ?
Si le travail à la chaîne stricto sensu ne
concerne plus qu'une faible proportion de salariés (2.8% en 1984 ; 3.4%
en 1991), on enregistre une augmentation de 19.8% (1984) à 29.5% (1991)
des salariés déclarant exercer un travail
répétitif. Du point de vue du travail répétitif, on
constate en effet un véritable rattrapage des services par rapport aux
industries. Dans les services marchands, on pense à la rationalisation
mise en oeuvre dans les fast foods, les parcs d'attraction ; et dans les
services non marchands, aux effets du développement de la bureautique.
En 1984, 11% des salariés estimaient être dépendants
directement de collègues pour leur travail, en 1991, ils sont 23% dans
ce cas, preuve d'une extension de la subdivision des tâches.
Si la plupart des managers valorisent l'autonomie des
salariés et incitent, par des innovations organisationnelles du type du
cercle de qualité, le déploiement des compétences des
salariés, les responsabilités comme les activités sont
rationalisées et standardisées par le bureau des méthodes.
L'autonomie des salariés se réalise à la marge.
Koïchi SHIMIZU, 1999, le toyotisme, Repères,
souligne ainsi les ambiguïtés de la polyvalence,
c'est-à-dire « faire les opérations
élémentaires d'une ligne de production ou d'un segment d'une
ligne de montage » des salariés de Toyota. La polyactivité
toyotienne ne se traduit ni par un accroissement des qualifications du fait
d'une flexibilisation des postes plus que d'un enrichissement, ni par un
surplus d'autonomie, du fait de l'omniprésence de l'encadrement en cas
de pannes. La ligne hiérarchique n'est pas en conséquence
franchement réduite.
Chapitre IV \
Les normes, un outil de taylorisme ?
La qualité entre motivation et prescription
I/ La qualité : de quoi parlons
nous ?
« La qualité désigne le
degré de conformité de l ensemble des propriétés et
caractéristiques d'un point ou service a l'ensemble des besoins des
utilisateurs, pour un niveau de prix acceptable par ces
derniers. »
La maîtrise de la qualité est devenue l'une des
préoccupations majeures des entreprises, avant tout par les enjeux
qu'elle soulève. En effet, la qualité présente des impacts
économiques non négligeables : La non - qualité
coûtent cher ; et produire du premier coup en conformité aux
spécifications requises et aux exigences des clients nécessite
d'investir dans la mise au point d'un système qualité fiable.
Plusieurs conceptions de la maîtrise de la
qualité se sont succédées. Les entreprises ont tout
d'abord cherche à éviter que les produits non-conformes ne soient
livres aux clients, en multipliant les contrôles de conformité aux
différents stades de fabrication (Les produits juges non-conformes sont
alors retouchés ou mis au rebut). Le poste de contremaître
contrôleur de qualité, dans le modèle taylorien,
répond a cette logique. Les firmes ont ensuite été
amenées a s'assurer de leur parfaite organisation, seule garantie pour
ne pas introduire de défaut de qualité : l'ère de
« l'assurance qualité » s'est alors ouverte.
Tandis que les grands donneurs d'ordres ont longtemps
contrôle eux-mêmes les prestations de leurs fournisseurs (de la
simple inspection des produits à la réception ou audit approfondi
des systèmes qualité), ils ont par la suite incité ces
derniers à prouver leur conformité aux règles
édictées par leurs clients. A l'origine, les grandes entreprises
se chargeaient en effet d'établir leur propre référentiel
d'exigences minimales, portant sur les produits ou procédés
opératoires, que devaient appliquer les fournisseurs prétendant
travailler avec elles.
Progressivement, l'idée s'est imposée d'avoir
recours à des systèmes normatifs externes et mondialement
reconnus, auxquels toute entreprise pourrait être certifié
conforme. Les produits, mais aussi les méthodes de travail des
entreprises, ont ainsi fait l'objet d'une normalisation, à un niveau
sectoriel, régional ou international. Pour une firme, l'obtention d'un
certificat de conformité à une norme et dés lors une
preuve objective, garantissant la qualité de ses prestations, propre
à donner confiance à ses partenaires commerciaux.
Nous pouvons noter que, parallèlement, certaines firmes
ont entrepris de mettre en pratique les ambitieux principes d'une
démarche Qualité Totale.
Pour vendre il faut dorénavant, de plus en plus
souvent, apporter la preuve factuelle et objective de la qualité des
produits et services proposées.
II/ Les normes de qualité en pratique
Comment se traduit, pour les entreprises, l'évolution
des conceptions de la qualité ? Quelles sont les implications
concrètes de l'essor de l assurance qualité, dans les firmes
candidates à une certification ?
D'après le définition officielle, les normes
sont des accords documentés contenant des spécifications
techniques ou d'autres critères précis, destinés à
être utilisés systématiquement en tant que règles,
lignes directrices ou définitions de caractéristiques, pour
assurer que des matériaux, produits, processus et services sont aptes
à leur emploi . Une entreprise désirant que ses produits ou
son organisation soient conformes à une norme donnée va devoir
mettre à plat, pour les reformuler et les rendre transparentes,
l'essentiel de ses procédures de travail.
En effet pour rassurer les clients sur le niveau et la
constante des prestations auxquelles on entend s'engager, il faut pouvoir
présenter clairement l'ensemble des principes généraux et
les règles précises qui les sous tendent, et prouver qu'ils sont
effectivement appliqués. Ce qui signifie que pour chaque
opération, résolution de problème ou tâche, des
procédures explicites doivent être établies.
Les procédures dont des manières
spécifiées, souvent écrites, d'accomplir une
activité. Elles décrivent donc « qui fait
quoi ? » : ce qui doit être fait ; celui, celle
ou ceux qui doivent faire ; à partir de quels documents,
imprimés ou matériels de référence ; quand,
ou, etc.
Concrètement, de nombreux documents sont à
établir pour décrire le système qualité ;
détail des procédures organisationnelles et
opérationnelles, des instructions, des modes opératoires et
consignes garantissant le niveau de qualité annoncé. Ce qui
relevait précédemment de l'ordre du tacite ou de l'informel doit
être harmonisé et formalisé.
Une fois la conformité au référentiel
certifiée par un organisme certificateur, des audits réguliers
permettront de vérifier l'engagement que prend la firme,
d'évaluer les besoins d'amélioration ou de correction ou de
remettre en cause le certificat obtenu.
Il est clair que la maîtrise de la qualité met en
jeu l'ensemble des fonctions de l'entreprise, de manière à
garantir :
- La qualité de définition des besoins :
comprendre les attentes de la clientèle- cible ;
- La qualité de conception : correctement traduire
les besoins ainsi identifiés en produits ;
- La qualité de réalisation : fabriquer en
conformité aux spécifications établies ;
- Et la qualité de service : assurer le niveau de
service requis sur toute la vie du produit. Concrètement, satisfaire
l'utilisateur implique tous les départements et fonctions d'une firme,
la qualité finale étant le résultat d'un processus passant
par chacune des étapes du système productif.
On comprend dès lors que l'idée de
qualité cache également un enjeu social : elle est
utilisée comme terrain d'entente entre les différents acteurs de
l'entreprise, dont on cherche à obtenir l'adhésion à
travers la recherche d'un « travail bien fait du premier
coup ». L'invocation de la qualité et du respect des normes
peut être vue comme un moyen commode pour faire exécuter un
travail, selon des prescriptions rationnellement arrêtées. C'est
un outil plus aisé à manipuler que l'injonction à
intensifier productivité et flexibilité.
L'esprit de la normalisation et ses incidences
concrètes sur l'organisation du travail en entreprise présentent,
dés lors, des points communs avec le taylorisme.
III/ Le respect des normes par tous : une
résurgence du taylorisme ?
La normalisation de la qualité, à travers
l'évolution de la relation de production qui l'accompagne,
présente des signes de parenté avec le taylorisme à deux
niveaux : la volonté de rationalisation des activités de
l'entreprise et une tendance à la réduction des espaces
d'autonomie des individus.
Nous l'avons évoqué, la norme est le
règne de l'écrit et du respect de la règle. La
normalisation oblige à la formalisation : livrets de
référence, procédures, manuels de qualité, plans de
surveillance, autant de « bibles » qui doivent assurer
l'harmonisation des comportements interindividuels. Les normes imposent un
ordre commun dans les entreprises, qui vise à « fonder la
coordination sur le respect de prescriptions formalisées ». On
retrouve là une vision idéalisée et techniciste de
l'organisation, à travers la recherche de l'unification technique et de
la répétabilité des actes.
Qui édicte ces prescriptions formalisées ?
Dans le rôle du «préparateur rationnel », note
Jean Philippe NEUVILLE, la direction de la
qualité s'est substituée à la direction des
méthodes. Par exemple, dans l'usine Peugeot de Poissy, sur environ huit
mille salariés, le département Qualité emploie près
de trois cents personnes à l'animation du système qualité
( ce qui est loin d'être négligeable, puisque l'usine compte
à peine quelques centaines d'administratifs, d'ingénieurs et de
cèdres et que, par ailleurs, l'ensemble du personnel peut être
également amené à participer, ne serait-ce que
ponctuellement, à des démarches qualité).
Comme avec le taylorisme, la normalisation pose
également la question de la séparation entre ceux qui pensent et
ceux qui exécutent le travail, malgré la mise en place d'outils
participatifs (cercles de qualité, autocontrôle, etc..). Ainsi, un
guide de poche sur l'assurance- qualité distribué aux personnels
de production d'un grand constructeur automobile français distingue
clairement trois niveaux d'intervention : service qualité ;
l'encadrement (qui a pour tâche « d'assurer que le processus
fonctionne comme prévu ») ; et, enfin, pour reprendre
l'expression utilisée, « ceux qui font ».
Enfin, l'assurance - qualité est vue par certains comme
une source de rigidifiassions de l'entreprise. S'il est vrai qu'il
« ne faut pas confondre l'outil ISO 9000 et ce qu'arrivent à
en faire, ou pas, ceux qui l'utilisent », on peut s'interroger sur
l'idée même de norme. Par définition, une norme est
établie pour jouir d'une certaine pérennité, et va servir
de référentiel pendant une durée donnée. Adopter
une norme revient, sur cette période, à définir la
meilleure façon de faire une tâche, d'atteindre un objectif, de
limiter les coûts cachés et d'éviter les
dysfonctionnements. Le discours est, la aussi, familier d'une intention
rationalisatrice forte.
Pour que la démarche qualité et l'idée de
normalisation fonctionnent, la participation de tous, voire leur implication,
est nécessaire. Ceci est vrai de l'application des procédures
mises en place (à quoi serviraient les manuelles qualités s'ils
n'étaient observés par personne ?). Mais ceci est
également vrai lors de la mise en place de ces procédures. En
effet, pour pouvoir détailler à ce point les
« manières de faire dans l'entreprise », le service
qualité invite les agents à rendre explicites leur pratiques,
leurs savoirs, les routines implicites qu'ils mobilisent dans leurs
activités quotidiennes ; les connaissances de terrain et les
savoir-faire enfouis dans les pratiques doivent être mis à plat,
révélés. La rédaction des procédures
participe d'une réappropriation par les services fonctionnels des
savoirs des opérateurs et autres membres de l'organisation, qui n'est
pas sans rappeler le taylorisme.
De même, normaliser demande de tout décrire, afin
d'établir des références à l'aune desquelles
surveiller, évaluer et corriger les pratiques. La part du travail
prédéfini, et donc prescrit, que l'on croyait propre au
taylorisme, ne peut que croître. « A L'image du mode
opératoire des ouvriers qui travaillent sur chaîne, les
opérations de contrôle de la qualité font l'objet d'un
même souci de définition et de précision. La check-list du
contrôleur rassemble toutes les opérations qu'il doit effectuer,
tous les points qu'il doit contrôler, toutes les postures qu'il doit
adopter (....). »
Dés lors, la volonté de clarification des modes
de travail qu'impose la normalisation de la qualité
n'amène-t-elle pas à limiter les espaces d'autonomie des
personnels, en accroissant les occasions de contrôle ? Il y a ici un
vrai paradoxe, entre l'idée d'autocontrôle qui accompagne les
discours sur la qualité, et que semble nécessiter l'application
pratique de cette dernière, et « l'ordre commun »
qu'impose les normes. La marge de manoeuvre laissée aux
« collaborateurs » paraît bien faible, lorsqu'elle se
définit par le strict respect des consignes. Dans la plaquette sur la
qualité évoquée plus haut, on peut voir un
opérateur en blouse de travail expliquant en ces termes la
manière dont il s'autocontrôle : « je respecte le
mode opératoire, je vérifie mon travail, je note les
résultats sur la fiche de suivi (....). »
La normalisation de la qualité aurait-elle
réinventé à la fois le taylorisme et la
bureaucratie ? La question est sur l'agenda des chercheurs en
organisation, parmi lesquels on peut citer Pierres Yves GOMEZ, Philipe ZARIFIAN
ou encore Dénis SEGRESTIN.
CONCLUSION
L'organisation du travail demeure Taylorienne en dépit
du discours idéologique visant à faire intérioriser
à l'individu l'idée d'une plus grande autonomie. Selon LINHART.
D, 1995, hors série d'alternatives économiques, l'exigence de
qualité donne une nouvelle légitimité au travail
Taylorisé : ce n'est plus le patron, mais le marché qui impose la
Taylorisation. «C'est le client qui constitue la norme objective,
chargée de vider les relations sociales de leur conflictualité
».
La différenciation retardée, c'est-à-dire
l'introduction d'éléments de différenciation en fin de
processus de production, et la modularité, c'est-à-dire le fait
de proposer un modèle standard sur la base duquel le client peut choisir
des options complémentaires, permettent, enfin, une production de masse
de produits différenciés. L'actualité du Taylorisme tient
ainsi au fait que la production reste standardisée. Les économies
d'échelle, à la base de la croissance fordiste des trente
glorieuses, sont simplement réalisées désormais au niveau
de la gamme et non plus du produit.
Il faut donc plus que nuancer l'idée selon laquelle
l'émergence d'une demande de variété et de qualité
remet en cause le Taylorisme. Selon DUVAL. G, 1998, l'entreprise efficace
à l'heure de Swatch et Mac Donald's. La seconde vie du Taylorisme, le
discours idéologique sur la nécessaire mobilisation des
salariés autour de la qualité et des désirs du client a
conduit à la naturalisation des contraintes de l'OST (c'est la faute au
marché et non au patron). Le Taylorisme est plus que jamais
d'actualité. Mais il faut vraiment tenir compte que nous vivons un
certain paradoxe : un monde en pleine transformation et l'homme qui le
transforme incapable d'assumer pour lui-même les conséquences de
cette transformation.
Sommes-nous, aujourd'hui, autorisés à croire
venu le temps d'un après taylorisme ? L'hypothèse de
l'avènement d'un nouveau modèle productif, soutenue par plusieurs
auteurs a animé la communauté scientifique d'un débat
passionnant. Changement de paradigme, ou simple transformation ?
Post-taylorisme ou évolution, voire éclatement du
modèle ? « Les formes de la transition et les points de
rupture, l'enchevêtrement des logiques d'action,
l'hétérogénéité et l'indétermination,
autant de questions auxquelles la recherche est confrontée pour penser
les systèmes productifs de demain. »
ANNEXE
Les trois expériences de Taylor
1. Les maçons
La première est relative à la
construction d'un mur de briques. Taylor constate que, depuis des
siècles, des millions d'hommes font les mêmes gestes, avec les
mêmes matériaux et les mêmes outils, pour sceller des
briques.
Il observe attentivement et constate que, sur 18 mouvements
"spontanés", il y en a 13 inutiles.
Pendant trois années, il étudie les mouvements
et les temps, cherchant ce qui pourrait supprimer la fatigue corporelle
provoquée par des gestes à la fois pénibles et inutiles.
Constatant que tous les ouvriers se baissaient pour attraper les briques
entassées au sol, il fait disposer briques et mortier à bonne
hauteur, grâce à des échafaudages réglables. Des
hésitations provoquées par le choix de chaque brique ? Il
les fait disposer en file telles que la meilleure face de chacune puisse
être prise sans devoir être examinée, et que toutes soient
facilement saisissables. Il en arrive à faire gâcher le mortier
avec la consistance convenable, économisant ainsi le temps passé
à taper sur les briques. Enfin, il apprend aux maçons à
faire des mouvements simultanément avec les deux mains.
Résultat de tout ce travail, chez
GILBRETH, entrepreneur de maçonnerie de Boston, il fait
passer les ouvriers de 120 à 350 briques à
l'heure, et ceci avec une moindre fatigue.
2. Les pelleteurs
La deuxième grande expérience de Taylor à
été vécue en 1899, à la BethIéem Steel Co:
600 manoeuvres, munis de pelles, avaient à y décharger des wagons
de minerais et de coke, et à évacuer les cendres et les laitiers.
Taylor observe et constate d'abord que le poids unitaire de chaque
pelletée est très inégal. Les pelletées de minerai
peuvent faire jusqu'à 15 kg, celles de cendres seulement
2 kg.
Il constate aussi que chacun a sa pelle, plus ou moins longue,
que chacun a ses gestes, souvent incorrects. Le tonnage moyen quotidien
déplacé pu un manoeuvre ne dépasse pas 15 tonnes.
A la recherche d'une charge convenable pour tous, Taylor
inspire et contrôle des essais sérieux faits par des pelleteurs
qualifiés, ayant accepté de travailler sans s'éreinter
mais loyalement. Il fait varier les pelletées, grâce notamment
à des longueurs de pelles différentes, et observe les conditions
d'exécution de ces travaux.
Après 1 000 heures d'observation, il lui apparaît
qu'avec des pelletées de 19 kg un manoeuvre arrive à
déplacer 25 tonnes par jour, qu'avec des pelletées de
17 kg il arrive à en déplacer 30 et que c'est, finalement
avec des pelletées de 10 kg que le tonnage manipulé est le
plus élevé.
Taylor peut donc conclure qu'il a établi
"scientifiquement" qu'un manoeuvre, bien adapté à son travail,
réalise sa meilleure journée en déplaçant des
pelletées de 10 kg, qui lui permettent, seules, d'adopter une
allure naturelle tout au long de la journée.
Il fait alors construire un magasin à pelles, de telle
manière qu'il y ait des petites pelles plates pour le minerai, des
pelles larges en forme de cuillers pour les cendres, des fourches pour le coke,
de sorte que toutes les pelletées se rapprochent de ces 10 kg
considérés comme désirables. Il veut ainsi éviter
et le travail excessif, impossible à prolonger tout au long d'une
journée, et le temps gaspillé, rendant impossible d'atteindre un
rendement raisonnable.
600 ouvriers travaillant sur un espace de plusieurs
kilomètres de long : ceci implique un bureau de préparation du
travail prévoyant le travail et les déplacements de chacun.
Résultat : 600 ouvriers manipulaient chacun 10 tonnes
par jour ; 140 ouvriers, avec la méthode Taylor, arrivaient à
manipuler chacun 59 tonnes par jour.
3. Manutention de gueuses
La troisième grande expérience de Taylor a
été vécue par lui aux mêmes aciéries de la
Bethleem Steel. La Direction lui demanda d'étudier le travail de
manutentionnaires ayant à ramasser, transporter, puis reposer des
gueuses de fonte de 41 kg.
Taylor ne pensa pas qu'un tel travail, apparemment
élémentaire, dû, à cause de cela, échapper
à toute rationalité. Au contraire, il fut vite convaincu qu'il
était si complexe, faisant alterner des efforts intenses mais courts et
un repos nécessaire, qu'il représentait une sorte de nouvelle
science, difficile à découvrir par l'exécutant
lui-même.
La loi de ce travail particulier, il la trouva grâce
à l'aide d'un spécialiste qui démontra qu'il fallait que
43% du temps total d'activité journalière soient consacrés
à des repos convenablement espacés.
Résultat : alors que
personne n'osait penser qu'on pourrait manutentionner plus de 25 tonnes,
Taylor fil obtenir 48,8 tonnes par jour comme chiffre raisonnable les
manutentionnaires se trouvant satisfaits de cette norme.
Bibliographie sélective :
DESREUMAUX Alain, « Théories des
organisations », 2ème édition, Edition Management
Et Société - Collection : Les Essentiels De La
Gestion, 2005.
LIVIAN Yves Frédérique,
« Organisation, théories et pratiques »,
3ème édition, Editions DUNOD, 1998, 322 p.
ROJOT Jacques, « Théorie de
l'organisation », 2ème édition, Editions
ESKA, 2005, 541p.
Webographie sélective :
www.ac-versailles.fr
www.ac-bordeaux.fr
www.alternatives-economiques.fr
www.webpublic.ac-dijon.fr
www.travail.gouv.fr
www.elias.ens.fr
* 1 Françoise PIOTET,
AUTREMENT N° 3, automne 1975
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