CHAPITRE DEUXIEME : DEFINITION DES CONCEPTS, REVUE
DE LA LITTERATURE ET THEORIES EXPLICATIVES
II-1- DEFINITION DES CONCEPTS
A l'instar de toutes les sciences, l'Ethno-anthropologie
conçoit et utilise des termes et expressions pour désigner et
signifier des réalités singulières et pour bien
circonscrire les termes et les expressions dont il importe de cerner le sens
exact E. Durkheim dit à propos:
«Il faut définir les choses dont on traite afin que
l'on sache bien de quoi il est question et de rechercher les débats sous
jacents19 '.Cohen, établit que :
« La définition des concepts permet de faciliter la
communication et de promouvoir un usage commun des termes contenus dans le
problème de recherche20 '.
Infrastructures sociales : Le mot
infrastructure est présent dans plusieurs champs de connaissances ce qui
le rend difficilement cernable. Selon le dictionnaire Le Larousse
illustrée 2005, le vocable infrastructure désigne l'ensemble
des équipements techniques et matériels. Il peut aussi signifier
l'ensemble des ouvrages et des équipements au sol destinés
à faciliter le trafic routier, aérien, maritime ou ferroviaire,
on parle en ce moment d'infrastructures routières. On parle aussi
d'infrastructure pour désigner l'ensemble des installations
nécessaires à une activité, à la vie en un lieu.
Cette définition nous paraît être la mieux appropriée
pour rendre compte du contenu du concept infrastructures sociales dans notre
travail de recherche. En effet, la présence d'une infrastructure sociale
dans une communauté vise à l'amélioration des conditions
de vie des populations bénéficiaires. Ce sont des installations
nécessaires et utiles pour le milieu et qui contribuent à
l'épanouissement des individus. De ce fait on peut parler
d'infrastructures sociales lorsqu'il s'agit par exemple d'une école,
d'un dispensaire, des logements sociaux ou de tout autre édifice qui ont
été construits pour améliorer les conditions de vie des
populations.
Le concept infrastructure apparaît abondamment dans les
travaux de Karl Marx qui l'analyse comme l'ensemble des forces
productives et des rapports de production qui constituent la base
matérielle de la société et sur lesquels
s'élève la superstructure (idéologie et institutions).
Pour donner une meilleure compréhension de l'approche marxiste,
Maurice Godelier va procéder à une analogie avec
un bâtiment. L'auteur structure sa pensée en démontrant que
dans tout bâtiment, il y a un sous-bassement qui correspond aux
fondations. Théoriquement en les transposant sur le plan de la
réflexion, on peut appeler ces fondations, infrastructure (elles
correspondent alors au terme marxiste de rapports de production). Mais
19 Émile Durkheim, 1975, Éléments d'une
théorie sociale, Paris, Éditions de Minuit, Sens commun, pp.
13-36.
20 Cohen, 2004, Strategic supply chain management,MC
Graw Hill.
tout bâtiment possède aussi, au dessus des
fondations, une élévation comportant la maison proprement dite.
Cette élévation va avoir pour nom théorique superstructure
(elle correspond au terme marxiste de rapports de production).
Godelier remarque qu'aucun bâtiment n'a
de sens et de réalité s'il ne comporte pas des fondations et une
élévation qui forment un tout, la maison. Il y a donc
interaction. Il est de même dans une société ou
infrastructure et superstructure sont étroitement mêlées et
ne peuvent se concevoir l'un sans l'autre. De ce point de vu marxiste,
l'infrastructure est le sous bassement de toute société et elle
correspond aux rapports économiques ; tandis que la superstructure
correspond à l'ensemble des fonctions d'une société,
religion, art, parenté,...
Dans le cadre de notre travail, infrastructures sociales,
devra s'entendre comme les différentes constructions identifiées
sur le terrain dont la finalité vise à l'amélioration des
conditions de vie des Bakola/Bagyelli. Ce changement de vie passe par leur
sédentarisation et leur intégration dans la société
camerounaise globale. Au nombre de ces constructions qui ont retenu notre
attention nous pouvons citer : le foyer scolaire et les maisons construites
respectivement par le SAILD/APE et la CBCS à Ngoyang et le hameau
construit par la MIPROMALO à Bidjouka-Samalè.
Rapports de cohabitation : Selon le
dictionnaire Le Larousse illustrée 2005, la cohabitation est
l'état de deux ou plusieurs personnes qui habitent sous le méme
toit. C'est également le fait de vivre ensemble. On peut donc envisager
la cohabitation comme étant le partage d'un méme espace vital et
de ses ressources par des individus voire des communautés. La
cohabitation peut aussi s'envisager comme l'existence de coopération
entre deux ou plusieurs groupes sociaux pour assurer leur mieux être et
leur survie dans un environnement qu'ils partagent en commun. La cohabitation
met en situation de complémentarité des individus qui partagent
un même espace vital. Pour résoudre un certain nombre de
problèmes que leur pose leur environnement les gens sont appelés
à échanger, à s'entraider et à se soutenir
mutuellement.
De ces différentes approches définitionnelles,
nous pouvons envisager la relation bantou-pygmée comme étant des
rapports de cohabitation. Car ces deux communautés partagent un
même territoire et il existe entre ces deux groupes une
coopération à bénéfice réciproque.
Méme s'il faut relever ici le fait que cette coopération
perpétue la banalisation, la domination et l'assimilation des
pygmées. Les Bantou et les Pygmées entretiennent de très
anciens contacts et leur histoire est étroitement liée à
leurs migrations ancestrales. Les rapports entre villageois et pygmées
se situent à plusieurs niveaux : ce sont principalement des rapports de
dépendance et de complémentarité.
L'anthropologie marxiste s'est une fois de plus
illustrée dans l'étude et l'analyse des rapports de cohabitation
entre les classes sociales. Méme si la trame de fond de l'approche
marxiste a toujours consisté à mettre l'accent sur les rapports
de domination et d'exploitation entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Comment comprendre le fait que des groupes d'hommes puissent coopérer
à la production et à la reproduction de leur subordination, voire
de leur exploitation ? Maurice Godelier donne une
réponse à cette question. Cette réponse tient dans la
proposition suivante : les rapports sociaux sont la résultante d'une
sorte de contrat passé entre les membres d'une méme
société, basé sur un échange de
procédés, à savoir un « service et un contre-service
». Godelier va alors émettre l'hypothèse
que la première relation « service et contre-service » dans
les sociétés d'origine serait fondée sur le service
magicoreligieux (service de protection spirituel) qui trouverait un
allié dans le service que pourrait offrir les guerriers (protection
matérielle). Cette alliance matérielle et symbolique ayant pour
but de protéger le groupe, entrainerait la nécessité
d'apparition des sous-groupes où chaque agrégat aura un
rôle spécifique à jouer pour la survie du groupe. C'est
dans cette optique que nous envisageons la cohabitation entre Bantou (Ewondo et
ngoumba) et les Bakola/Bagyelli. Ce sont des rapports de crainte mutuelle et
d'entraide qui unissent ces deux groupes. Les Bantou recourent aux savoirs
thérapeutiques et magiques des Pygmées tandis que ceux-ci font
appel aux Bantou pour bénéficier des biens et services que ces
derniers peuvent leur procurer.
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