Depuis les vingt cinq dernières années, la
stratégie des soins de santé de primaires (SSP) s'est
affirmée comme le paradigme sanitaire dominant notamment pour les pays
en voie développement (Cueto, 2005 ; Segall, 2003 ; Dujardin, 2002 ;
Gobbers, 2000). Dans un éditorial au titre évocateur (the promise
of primary health care) et colle à l'actualité, Cueto a
qualifié cette stratégie (les SSP) d'option prometteuse pour la
réalisation de l'objectif de la santé pour tous et pour les
objectifs de développement sanitaire du millénaire (ODM) (Cueto,
2005 ; Segall, 2003).
L'application des SSP a pourtant connu et continue de
connaître des difficultés depuis la Déclaration d'Alma-Ata
de sorte que le principal défi de la période post Alma-Ata a
été de rechercher une approche pertinente de mise en oeuvre des
SSP (Van Lerberghe et al, 1992 ; Dujardin, 1994 ; Grodos & Tonglet, 2002).
La recherche de solution à ce défi a conduit l'OMS à
initier deux rencontres décisives dont l'une à Gabaronne en 1985
et l'autre à Hararé en 1987. Ces rencontres ont conduit à
dégager et à retenir l'approche de développement des soins
de santé de primaires par le district de santé comme l'option la
plus pertinente et adéquate pour l'opérationnalisation de cette
stratégie (Monekosso, 1993 ; Dujardin, 1994 ; Segall, 2003). Dès
lors, le district de santé, devenu le modèle de
référence fait son chemin et occupe jusqu'à ce jour la
position dominante qui est la sienne dans les politiques de santé de la
plupart des pays en développement notamment d'Afrique subsaharienne
(Gobbers, 2000).
Le concept de district de santé a été
encore réaffirmé plus tard à Brazzaville en 1994 puis
à Hararé en 1998 à l'occasion de rencontres
initiées par le Bureau Régional de l'OMS pour l'Afrique (AFRO)
(WHO, 1994 ; WHO, 1998). Dédiées à la recherche de
modalités concrètes d'application, un scénario de
développement sanitaires en trois phases ayant pour cadre le district de
santé a été adopté à la rencontre de
Brazzaville (WHO, 1994).
Ce scénario consiste :
· en premier lieu à créer des districts de
santé,
· en deuxième lieu à définir un paquet
minimum d'activités (PMA) pour l'application des SSP,
· et en troisième lieu à définir et
à mettre en oeuvre un programme d'opérationnalisation des
districts de santé (POT) et du PMA.
Ayant adopté ce scénario, la Côte
d'Ivoire a mis en route un train de réformes de son système de
santé commencée en 1994 par la création des districts de
santé (MSP, 1994). Par la suite, elle a défini un paquet minimum
d'activités (MSP, 1996) et élaboré un plan national de
développement sanitaire (PNDS) (MSP, 1996) en 1996. Elle a
également élaboré un programme
d'opérationnalisation technique (POT) des districts de santé et
du PMA depuis 1997.
Notons qu'après plusieurs années de mise en
oeuvre des districts de santé, la Côte d'Ivoire, à l'instar
de ses pairs de la région africaine, reste confrontée au
défi de réalisation de bonnes performances et du
développement de ces entités.
Dans la recherche de solution à ce défi, elle a
choisi de s'appuyer sur l'accréditation, non pas
en substitution des
instrumentations plus classiques et habituelles telles que la planification,
la
supervision, la formation et la recherche, le monitoring et
l'évaluation, les inspections et le
contrôles, les démarches d'assurance de la
qualité et les méthodes visant l'incitation et la motivation des
acteurs déjà en application mais complément de celles
ci.
Ce choix a été fait en se basant non seulement sur
des arguments techniques liés au contexte mais aussi sur des arguments
en rapport avec ses valeurs de référence et morales.
Sur le plan technique, notons que pour développer les
districts de santé et améliorer leur performance, la Côte
d'Ivoire a essayé les instrumentations classiques et habituelles sans
succès.
De plus, on note que certaines de ces méthodes ne font
toujours l'unanimité selon les intervenants dans le secteur de la
santé. Si nous prenons l'exemple de la planification, pendant les
acteurs nationaux et certains partenaires plaident pour une planification de
développement sur quatre ou cinq années suivie de planification
annuelle, d'autres plaident pour une planification annuelle
régulière dans les régions où ils interviennent. Si
nous prenons encore l'exemple du suivi et de l'encadrement au premier
échelon de soins, pendant que certains intervenants mettent l'accent sur
le monitorage à l'exemple de l'UNICEF, d'autres privilégient la
supervision. En somme, que ce soit la planification, la supervision et la
formation, le monitoring et l'évaluation, les inspections et les
contrôles, les démarches d'assurance de la qualité, les
méthodes d'incitation et de motivation, elles ont toutes
été appliquées soit à l'échelle nationale
soit dans des districts spécifiquement soutenus par des projets de
coopération au développement ayant un penchant particulier pour
la promotion de l'une ou l'autre instrumentations de gestion.
A titre d'illustration, notons par exemple que les
autorités sanitaires privilégient les inspections, les
contrôles, les évaluations externes et les supervisions mais sans
toujours en avoir les moyens. De plus, dans le cas des inspections,
contrôles, évaluations externes, ils sont mal perçus et
vécus par les acteurs.
Parmi les partenaires, l'UNICEF a toujours
privilégié la formation et le monitorage dans les districts qu'il
finance sans pouvoir soutenir durablement ces activités, de sorte que
l'arrêt de son soutien à un district entraîne l'arrêt
de ces activités.
Les coopérations belge (CTB) et allemande (GTZ) ont
toujours privilégié la planification par objectif (PIPO et ZOPP)
et la supervision ainsi que les méthodes d'assurance de la
qualité respectivement dans les districts de leurs zones d'intervention
sans qu'il y ait non seulement une véritable appropriation mais aussi
sans que les niveaux d'appui disposent de moyens pour le suivi de ces
processus.
La banque mondiale a soutenu une expérience de
planification exhaustive de développement de deux districts sanitaires
pilotes (Districts de Tiassalé et de Guiglo) qui n'ont pas pu être
mises en oeuvre à cause de la complexité de la démarche
pour les acteurs et à cause du financement.
L'OMS a soutenu une expérience pilote de
qualité dans un district (District de Divo) qui a échoué
parce que les moyens du suivi n'ont pas été prévu.
Ce n'est donc pas faute d'essayer l'une autre ou l'autre
instrumentation qui est le problème, mais c'est plutôt devant les
échecs enregistrés que ce pays s'est résolu à
chercher des solutions complémentaires. Elle pense que devant les
difficultés de mise oeuvre du district qui sont principalement
liées à la faible culture du district, à l'appropriation
insuffisante du concept et du processus de travail, à l'absence de
leadership, de dynamique d'équipe, de communication et de coordination
à différents niveaux, de formation spécifique des acteurs,
etc, l'accréditation, au vu de ses potentialités, pourrait
constituer une solution ce problème de performance et de
développement des districts de santé.
Sur le plan de ses valeurs et de la référence
morale, la Côte d'Ivoire est consciente que l'enjeu de la
réalisation des objectifs sanitaires du millénaire passe par le
développement des districts de santé. L'intérêt
d'adopter cette approche vient de ce que le district est reconnu comme un cadre
bien approprié pour le développement des SSP qui est la
principale stratégie sanitaire du pays. Par ailleurs, par l'approche
district, il est possible d'organiser des soins et des services de santé
sur une base intégrée, égalitaire, solidaire et
équitable pour tous et en particulier pour les plus
défavorisés de la société (Rawls, 1993).
Le district de santé intègre à la fois et
parfaitement une conception égalitariste et rawlsienne du service de
santé s'opposant à la conception libérale dominée
par la puissance du marché. Au contraire de la conception
libérale, les conceptions égalitariste et rawlsienne
préconisent respectivement une redistribution du service sur une base
égalitaire et inégale mais avec une discrimination qui
s'opère à l'avantage des plus défavorisés (Rawls,
1993).
C'est sans aucun doute la raison principale qui fait que la
plupart des pouvoirs publics, notamment en Afrique, qui ont le devoir et la
responsabilité d'organiser des services publics de santé pour
leur peuple, à faire de la promotion des SSP et du district de
santé l'épine dorsale de leurs politiques de santé
publique (Salman et al., 2000). C'est également pour la
même raison que l'OMS et les organismes qui défendent le service
public de santé recommandent et encouragent la mise en oeuvre de cette
approche.
La sauvegarde du service public de santé, qui offre une
chance de réaliser les objectifs de santé du millénaire,
constitue l'un des enjeux du choix de l'accréditation par la Côte
d'Ivoire.
Mais, ne nous leurrons pas et penser que le service public de
santé ne compte que des défenseurs. Bien au contraire, Il faut
savoir qu'à coté du courant d'opinion qui prône sa
défense, il existe un autre courant qui plaide pour sa privatisation ou
à tout le moins pour son évolution vers des systèmes qui
prennent en compte les lois du marché et de la concurrence (Akin et
al., 1987 ; Béjean, 1994 ; Bennett, 1997 ; Turshen, 1999 ; Segall,
2000 ; Zwi et al., 2001).
Les tenants de ce courant d'inspiration
néolibérale basent leur argumentation sur la faillite
économique et financière généralisée et
l'insuffisance des performances observées à l'heure actuelle au
niveau des systèmes de santé dans le cadre de l'administration
publique (Sicotte et al., 1999 ; Segall, 2000 ; Ridde, 2004).
Ils se basent sur l'idée que l'administration
publique, généralement engluée dans une logique de
bureaucratie, avec des acteurs adossés à des logiques à la
fois corporatistes et professionnelles, ne peut réaliser des
performances parce qu'elle est prise au piège de sa propre logique.
Laquelle logique ignore les méthodes de production et de gestion du
privé qui privilégie une logique de profit et de rentabilisation
du capital investi, d'équilibre producteurconsommateur et de
maîtrise des coûts de production (Banque mondiale, 1994b;
SchneiderBunner, 1994 ; Muschell, 1995 ; Leclet & Vilcot, 1999 ; Segall,
2000).
A ce niveau, il y a des interrogations fondamentales d'autant
plus que la santé peut difficilement devenir un bien marchand et le
service public difficilement substituable au service privé à
cause des buts que ce dernier poursuit (Leclet & Vilcot, 1999 ; Segall
2000). Par exemple, à qui serait vendu les consommations de soins
à retombée collective importante pour la santé publique
telles les campagnes de vaccination et de prévention qui ont pour
objectif d'améliorer l'état général de santé
publique d'une population? Ou encore que deviendraient des personnes qui ne
seraient pas solvables pour la consommation des soins s'il n'existe pas de
service public ? Notons à ce niveau que la notion de consommation de
soins est relative et incertaine pour les simples et bonnes raisons que la
maladie et les accidents sont
imprévisibles (Leclet & Vilcot, 1999) et que par
ailleurs un bien public, et donc le service public qui l'incarne, a trois
caractéristiques qui sont l'impossibilité d'exclusion,
l'obligation d'usage et l'absence d'effet d'encombrement (Schneider-Bunner,
1994).
Le service public de santé, qui prend donc en compte
ces valeurs fondamentales en réponse à un besoin et à une
mission de solidarité, d'équité et de justice sociale, est
plus apte que le service privé à assumer ce rôle que le
service privé ne peut se permettre au risque de courir à la
faillite. Il est également important de noter que l'organisation du
service public n'est véritablement appropriée que dans le cadre
de l'administration publique dont l'objectif n'est pas de faire du profit mais
de permettre à toutes les entités d'une même
société l'accès à des services de base de
manière égalitaire et juste (Schneider-Bunner, 1994).
La Côte d'Ivoire a choisi l'accréditation en se
fondant sur les éléments techniques et les valeurs qui viennent
d'être développés convaincue qu'elle fournirait la valeur
ajoutée indispensable pour l'amélioration des performances et le
développement des districts de santé même dans un
environnement d'administration publique et de service public.
Le problème c'est que le modèle
d'accréditation dans le domaine de la santé a été
essentiellement conçu pour les établissements de santé et
les hôpitaux (Mathews, 2000 ; ANAES, 2004). Hors ici, il s'agit de
l'appliquer aux districts de santé qui sont des sous systèmes
plus complexes formés d'un réseau d'établissements de
premier contact et d'un ou plusieurs hôpitaux de référence.
De toute évidence, une adaptation du modèle, pour tenir compte de
la spécificité et de la complexité du modèle du
district de santé, apparaît nécessaire avant son
application.
L'enjeu final de ce travail, qui est en définitive
d'établir une base d'évidence scientifique devant montrer que
l'accréditation peut contribuer à améliorer la performance
et le développement des districts de santé, ne peut se
concrétiser avant l'indispensable adaptation du modèle.
L'objectif de la présente étude, qui est la
première étape du travail, est de construire une démarche
ou un modèle d'accréditation pertinent et adapté au
système de district de santé en Côte d'Ivoire.