1/ Une dynamique culturelle en termes de
décentralisation et démocratisation
1.1 Les politiques d'aménagement culturel du
territoire : réduction des inégalités géographiques
d'accès à la culture ?
? « Désert culturel français » :
une expression encore d'actualité ?
Suite au renforcement actuel des politiques culturelles au
sujet du réaménagement du territoire et donc à la
décentralisation et à la démocratisation de la culture,
l'expression << désert culturel français > semble
aujourd'hui désuète.
Celle-ci a été popularisée par
André Malraux, ministre d'État chargé des affaires
culturelles de 1959 à 1969, qui l'avait empruntée au metteur en
scène Charles Dullin. Le terme << désert culturel > est
né d'une prise de conscience des inégalités
géographiques en France, sur les plans culturel et universitaire.
En effet la France traversait, en particulier durant les
années 1970, une période de contestation du concept
d'urbanisation et une remise en question concernant l'émergence de sa
géographie sociale.
Au sein du milieu culturel, le constat principal se portait
sur le problème d'acculturation engendrée par la capitale et la
région parisienne. Sa très forte proposition en matière
culturelle créait un important déséquilibre : toute la
programmation était concentrée en Ile-de-France au
détriment des provinces.
Ces faiblesses d'aménagement du territoire sont
résorbées avec l'arrivée de Jack Lang rue de Valois dans
les années 1980. Durant ses deux mandats en tant que ministre de la
Culture de mai 1981 à mars 1986, le ministère subit d'importantes
transformations : il va accélérer sa modernisation et l'ouvrir
à la société contemporaine, en partie par une augmentation
de son budget, l'élargissement de son champ d'action à de
nouvelles formes d'art et son insertion dans le monde économique. Suite
à cette nouvelle conception de la politique culturelle,
le ministère connait par ailleurs une augmentation de ses moyens dans le
cadre de la décentralisation.
Ces transformations se traduisent par le premier article du
décret du 10 mai 1982 relatif à l'organisation
du ministère : (cf. planche 1)
<< Le ministère chargé de la culture a
pour mission : de permettre à tous les Français de cultiver leur
capacité d'inventer et de créer, d'exprimer librement leurs
talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de
préserver le patrimoine culturel national, régional ou
des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité tout
entière ; de favoriser la création des oeuvres de l'art et de
l'esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au
rayonnement de la culture et de l'art français dans le libre
dialogue des cultures du monde. >
En 1983, ce décret est suivi par les lois de
décentralisation qui ont transféré aux conseils
généraux les archives départementales et les
bibliothèques centrales de prêt.
Cette période de grands changements, marquée par
l'implication de l'administration culturelle de l'État qui a fait du
développement territorial l'une de ces priorités, a abouti
à la valorisation des campagnes et à
l'affirmation des cultures minoritaires. Ainsi, comme le
mentionne Jack Lang en 2009 dans le Nouvel
Observateur*, le terme << désert culturel
> n'est fort heureusement plus d'actualité. Par ailleurs, au cours de
cet entretien, il résume parfaitement l'importance continue de la
décentralisation : << les grands travaux, ce devrait être
une multitude de petits travaux qui métamorphoseraient l'architecture
quotidienne.>
· Le nouveau rôle des collectivités
territoriales
Depuis les lois de décentralisation de 1983, le champ
culturel est devenu l'objet d'une politique partenariale
très développée entre l'État et les
collectivités territoriales. Celle-ci a permis ces vingt
dernières années d'élargir les contenus des politiques
culturelles à de nouvelles disciplines et à de nouveaux domaines,
par la réalisation de nombreux projets contribuant à
rétablir l'équilibre des territoires.
Dans ce contexte, depuis la déclaration à
l'Assemblée nationale de janvier 2001 durant laquelle ont
été posés des principes d'une nouvelle étape de
décentralisation, proposant une répartition des
compétences de l'État et des collectivités territoriales,
le ministère de la Culture et de la Communication a mis en oeuvre de
nombreuses expérimentations
* Source : PLISKIN Fabrice, C'est la culture
qu'on assassine !, article-entretien avec Jack Lang, le 19 février
2009
de décentralisation auprès d'une centaine de ces
collectivités. L'objectif de ces dix dernières années
était ainsi de clarifier les compétences respectives des
collectivités territoriales en matière culturelle.
Les résultats des travaux liés à ces
expérimentations ont permis aux administrateurs territoriaux et aux
acteurs culturels de réfléchir ensemble à une
redéfinition des missions et des tâches de l'État et des
collectivités territoriales. La sensibilisation et les acquis de ces
réflexions ont abouti, au sein des différents domaines de la
culture, à de nouvelles législations de 2003 à 2004
relatives aux libertés et responsabilités locales, ainsi
qu'à l'organisation décentralisée de l'État.
C'est une grande étape en matière de
coopération culturelle qui offre un nouveau cadre juridique, apportant
aux projets d'envergure une meilleure gestion par les élus des
collectivités territoriales.
Ainsi ce qu'il est important de retenir ici, c'est le fait que
l'État a transféré aux collectivités territoriales
les compétences et ressources dont il se servait pour aménager et
développer le territoire.
Actuellement, une collectivité
territoriale se définie donc comme une administration
distincte de l'État qui exerce certaines compétences lui
étant affectées sur un territoire donné (commune,
département, région). Elle possède trois
caractéristiques :
- une personnalité juridique, lui
permettant notamment d'agir en justice et de conclure des contrats.
- des compétences, par le fait
qu'elles bénéficient d'une « clause de compétence
générale », qui leur permettent en principe d'agir dans tous
les domaines de l'action publique dans la mesure où un
intérêt public local est en jeu.
- une liberté d'administration, par le
fait qu'elles disposent d'un pouvoir règlementaire, et qu'elles sont
dotées d'un organe de décision élu. Le principe de libre
administration est posé par l'article 34 de la Constitution et
précisé par l'article 72. En somme, il s'exerce dans le cadre des
lois qui le régissent à l'égard de l'État et des
autres collectivités. En effet, aucune collectivité ne peut
exercer de tutelle sur une autre : les décisions du conseil
général d'un département ne sont donc pas en
général soumises à un contrôle au niveau
régional.
Malheureusement, ces collectivités sont loin de disposer
de moyens équivalents à ceux de l'État pour mettre en
oeuvre ces compétences en matière culturelle.
? Constats actuels : des résultats
mitigés
Comme nous venons de le voir, la diffusion d'une offre
culturelle de qualité sur l'ensemble du territoire est une condition
indispensable à son développement. En 2003, lors des
manifestations commémorant le 40ème anniversaire de la
délégation à l'aménagement du territoire et
à l'action régionale*, Jacques Chirac alors
Président de la République, déclare en conclusion :
<< Pour inverser la tendance économique, nous ne devons pas
opposer un territoire à un autre. La région parisienne, les
grandes agglomérations, les villes moyennes, les campagnes : tous les
territoires ont leur place dans la mécanique d'entraînement qu'il
faut aujourd'hui relancer >.
Aujourd'hui, il semble que la répartition des
installations culturelles sur le territoire national soit plus homogène
mais toujours assez concentrée, compte tenu des résultats
envisagés. Bien que le monopole culturel de la capitale ait vu son
rayonnement et son prestige considérés comme trop exclusifs et
malgré les efforts déployés au cours des dernières
décennies, de nombreuses inégalités territoriales
persistent.
En 1946, le géographe Jean-François Gravier
décrivait le territoire dans son ouvrage Paris et le
désert français, rendant cette expression
populaire. Désormais, il semble évidemment que le terme <<
désert français » soit exagéré. Mais la
question du poids qu'exerce Paris sur le reste des régions est toujours
d'actualité. Il est important de noter que le bassin parisien,
première aire urbaine de France, compte un peu plus d'onze millions
d'habitants soit un tiers total de sa population. La disproportion entre
l'Ile-deFrance et le reste des régions souligne les problèmes
encore présents dans l'aménagement du territoire.
A l'échelle européenne, il s'agit tout de
même de l'agglomération la plus peuplée, se positionnant
devant Londres et le pôle d'Essen d'Allemagne, mais aussi et surtout la
plus riche culturellement. Cette disproportion et sa richesse croissante
continue de creuser des écarts avec les autres provinces
françaises.
Pour illustrer ce bouillonnement culturel parisien, il faut
savoir que la capitale comprend la plus importante
offre festivalière aussi bien pour une ville que pour un
département.
* Actuellement DATAR, Délégation
interministérielle à l'Aménagement du Territoire et
à l'Attractivité Régionale ;
Source : PONCET J.F., L'exception
territoriale : un atout pour la France, Sénat
n°241, 2003, p.92 à 111
D'après les données rapportées sur la
période de juin 2000 à mai 2001 (cf. graphique
2) , l'Ile-de-France constitue 11,3% des festivals sur leur
répartition totale en France. La ville de Paris représente
à elle seule 47,4% de ce chiffre, soit une programmation de 37 festivals
sur les 75 totaux de sa région.
En comparaison, outre l'exception des régions de la
côte méditerranéenne comme la Provence-Alpes-Côte
d'Azur qui arrive en tête du classement avec plus de 13% sur l'offre
totale (cf. p. 94) -bénéficiant d'un climat et
d'une forte concentration touristique propices à un tel résultat-
il faut savoir que par exemples :
La région Rhône-Alpes représente 9% de
l'offre, avec 65 festivals programmés sur la période
donnée ;
L'Aquitaine quant à elle, démontre 7% de l'offre,
avec 46 festivals ;
La Bretagne, 5,1% sur l'offre totale, avec 35 festivals ;
L'Auvergne, région du Massif Central qui est
principalement constitué de « rural isolé»,
représente seulement 3% de l'offre, avec 19 festivals au total ;
Les régions les plus faibles de ce classement,
étant la Champagne-Ardenne et la Lorraine, présentant chacune
1,4% de l'offre, avec 20 festivals au total à elles seules.
? Le rôle des festivals au sein de la
décentralisation
Cette illustration nous amène ainsi à la question
du rôle des festivals au sein de la décentralisation
française.
Durant les bouleversements au sein des politiques culturelles
d'aménagement du territoire, les festivals ont été
chargés d'un certain nombre de missions par les pouvoirs publics.
En effet, les festivals ont su séduire les politiques
publiques par leur facilité de montage ne
nécessitant pas ou peu d'investissements lourds. Cette commodité
d'implantation dans des zones culturellement isolées permet de
remédier à l'absence d'équipements
permanents (salles de concerts, cinéma, théâtre,
maison de la Culture...).
Ainsi bien qu'ils soient parfois qualifiés de «
cache-misère », ils sont des moyens efficaces en termes de
décentralisation permettant en général, de fournir
à de petites communes rurales une animation culturelle,
devenant souvent leur plus grand rendezvous de l'année. Citons par
exemple le festival de Jazz in Marciac, qui se déroule dans
un
petit village de 1 231 habitants* dans le Gers
en Midi-Pyrénées. Ce festival sera par ailleurs notre
étude de cas durant la conclusion de ce chapitre.
Par conséquent, les festivals proposent au public rural
une alternative au monopole culturel et artistique de la ville
de Paris et ses alentours, étudié
précédemment.
En contribuant à réduire les
inégalités géographiques d'accès à la
culture, ils participent ainsi à la décentralisation culturelle.
Cela se vérifie avec les festivals de musiques
actuelles qui permettent de pallier l'absence de salle de concerts, en
produisant dans de petites communes et autres provinces les « artistes
phares du moment » qui normalement ne jouent que dans les structures
influentes des grandes agglomérations. Leur tournée est par
ailleurs enrichie par ces festivals, qui leur offrent la possibilité de
promouvoir leur album dans des régions où ils n'avaient pas la
possibilité de se produire à cause du manque d'installations
nécessaire.
Bien évidemment, les festivals peuvent se heurter
à de nombreux problèmes concernant leur implantation en milieu
rural isolé. Nous tâcherons de les analyser tout au long de ce
mémoire en commençant dans ce chapitre, par l'étude des
paradoxes entre ruralité et actualité.
*
La tendance générale s'inscrit donc en
décalage avec la politique d'aménagement qui n'a manifestement
pas encore su rétablir les déséquilibres du territoire.
Ces constats mitigés nous amène ainsi à nous
interroger sur l'état de la démocratisation de la culture en
France.
* Source : INSEE - Populations
légales de la commune de Marciac - 2008
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