INTRODUCTION
Les elections de 1902 sont des elections de lutte,
comme celles de 1877. Elles mettent aux prises deux coalitions issues du
reclassement des partis consecutif a l'affaire Dreyfus. 1l ne s'agit pas
d'ephemeres coalitions electorales formees a l'occasion d'un scrutin et
appelees a se briser une fois le verdict des urnes rendu. Elles ont en effet
pris forme trois auparavant, en juin 1899, et pendant trois ans, elles ont,
avec continuite, l'une soutenu, l'autre combattu une politique bien definie.
D'autre part, les conditions dans lesquelles elles se sont constituees,
l'aprete avec laquelle elles se sont affrontees, d'abord au Parlement, ensuite
dans le pays au cours de la campagne electorale, rendent bien improbable un
nouveau reclassement au lendemain du scrutin. Cette identite des alliances
parlementaires et electorales constitue un gage incontestable de stabilite
gouvernementale.
Le choix offert aux electeurs se trouve
considerablement simplifie et il rev,t certainement a leurs yeux une importance
plus grande qu'habituellement. Dans ces conditions, les resultats du scrutin ne
peuvent pas prêter a equivoque. Non seulement la volonte des electeurs se
trouve etre ainsi nettement exprimee, mais encore l'exemplarite de ce scrutin
permets d'etablir clairement les positions geographiques des differentes
nuances de l'opinion.
*****
Premiere partie :
LA SITUATION
A LA VEILLE DES ELECTIONS
CHAPITRE I
AGRICULTURE, INDUSTRIE, SYNDICALISME
'. AGRICULTURE'
La population rurale et la population agricole de la
France sont en diminution constante depuis un demi-siècle environ, mais
en 1902 elles rasse mblent encore respective ment 59% et 45% de la population
totale du pays. L'agriculture occupe donc encore a cette époque une
place prépondérante dans l'écono mie frangaise. Depuis les
années 1875-1880, elle connait une situation difficile. Les prix de
vente ont beaucoup baissé, et cette baisse a entrainé une baisse
du profit des exploitants plus que proportionnelle a celle des prix, car l'i
mp8t foncier et les frais d'exploitation n'ont euxmê mes subi aucune
diminution. Sous l'i mpulsion de Méline le remêde adopté
fut le recours au protectionnis me. Cette solution de facilité a
plusieurs inconvénients, dont le principal est de retarder la
modernisation de l'agriculture frangaise. A partir de 1895, les prix agricoles
ont re monté, mais de nouveau depuis 1898 certains d'entre eux, et en
particulier celui du blé, subissent une baisse2. La
viticulture traverse égale ment une période três difficile.
Il y a tout d'abord eu la crise du phylloxéra ; le prix du vin a alors
considérable ment monté. Mais ensuite la concurrence des vins
étrangers et algériens a provoqué une baisse
catastrophique qui continue encore en 1902.
2. INDUSTRIE
a A la fin du XIX$me siécle,
l'industrie française conserve un gros retard sur l'industrie
britannique et son rythme de croissance est trés inf~rieur a celui de
l'industrie allemande. En France l'implantation des structures et techniques
les plus modernes est entravée par le poids des industries anciennes,
par l'insuffisance des investissements nationaux d'une bourgeoisie se tournant
plus
1 D'après des notes
prises au cours de M. LABROUSSE, Le paysan français des
physiocrates à nos jours, en 1962-1963.
2 Le prix du quintal de
blé passe de 23 francs en 1898 à 18 francs en 1901.
volontiers vers la speculation, vers l'exportation des
capitaux et les emprunts d'Etat »3. Dans sa
quasi-totalité le patronat frangais est protectionniste ; il craint la
concurrence étrangêre, surtout celle de l'industrie allemande.
Assurés d'avoir des débouchés sur le marché
frangais, et espérant voir se développer de plus en plus leurs
débouchés coloniaux, les industriels frangais font en
général peu d'efforts pour moderniser leurs entreprises. La
plupart se soucient égale ment fort peu d'améliorer les
conditions de travail et de mieux ré munérer leur
personnel.
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