b- De la grande mosquée à la
cathédrale :
Après le débarquement de l'armée
Française à Alger à l'été 1830, la prise de
la ville a été rapide suite à l'accord de reddition entre
l'armée française représentée par le compte de
Bourmont et le Dey Hassan Pacha du côté algérien, ce
traité en plus d'épargner les biens personnels du Dey, ses
proches et ses janissaires, stipulait que la liberté de culte
était garantie au musulmans d'Algérie qui pouvaient continuer
à disposer de leurs lieux de culte.
Ces accords n'ont pas été respectés
à la lettre puisque selon l' Abbé Jean-Pierre Henry -de
l'Archevêché d'Alger- la mosquée Ketchaoua fut
occupée pendant la période de 1830-1832 par l'armée
française pour en faire un entrepôt109 , sans donner
pour autant la date exacte de cette occupation, ce qui fragilise cette
information qui n'a pas été relayée par aucune autre
source à ma disposition.
Par contre, ce qui est confirmé par les
différentes sources de l'époque, c'est que la mosquée a
été prise sous l'impulsion du Duc de Rovigo, le 18
décembre 1832, et consacrée comme cathédrale de la ville
une semaine plus tard à l'occasion des festivités de Noel.
Cette consécration donna tout un autre statut au lieu
de culte, de la mosquée Ketchaoua, l'édifice devient la
cathédrale Saint-Philippe, domicile de l'archevêché d'Alger
et première cathédrale d'Algérie. Une autre forme de
sacralisation de ce lieu de culte s'est exprimée matériellement
par des aménagements superficiels et des changements de mobilier,
jusqu'en 1845 ou commence les grands travaux de transformation, et de
façon immatériel à travers la célébration
des cérémonies religieuses de grandes envergures dans ce lieu
dès sa consécration.
Avec ce nouveau statut du lieu de culte, qui est toujours
sacralisé mais d'une autre manière, par une autre
communauté et consacré pour une autre divinité, il
acquiert de nouvelles valeurs lié au culte chrétien
célébré désormais dans ce lieu et son image de
trophée d'une conquête militaire réussite.
109 Reportage, « Ketchaoua : mosquée d'Alger »,
op.cit.
c- De la cathédrale à la grande
mosquée :
Quelque temps après l'indépendance
algérienne annoncé le 5 juillet 1962, « les
algérois ont envahi la cathédrale et ont réclamé
son retour au culte musulman»110, cette mobilisation
populaire poussé par l'élan de l'indépendance a abouti
à la reconversion de l'édifice au culte musulman dès le
mois de novembre 1962, et en décembre de la méme année ce
fut l'église du Sacré-Coeur qui occupa le rôle de
cathédrale d'Alger.
Cette reconversion qui s'est produite au lendemain de
l'indépendance, après une guerre de libération d'une
violence inouïe, s'est dérouler dans un climat d'euphorie, dans une
période où les bâtiments vacants laisser par les
européens qui ont quitté le pays été
considérée comme un butin de guerre.
Et suite à cette période que le lieu de culte
récupère de façon instantané son ancien statut
parmi les grandes mosquées de la ville d'Alger, et c'est là qu'on
peut se demander : comment se fait la réappropriation instantanée
d'une ancienne mosquée qui a été cathédrale
chrétienne pendant plus de 130 ans ? Rationnellement, la majorité
écrasante --si ce n'est la totalité- des algérois qui ont
réclamés la reconversion de l'ancienne mosquée Ketchaoua
n'était pas encore nait au moment de la conversion de cet édifice
au culte chrétien en 1832, mais malgré cela le souvenir de la
grande mosquée Ketchaoua était encore présent dans la
mémoire collective des habitants de la ville.
Cette mémoire collective qui selon Maurice Halbwachs
est liée à la pérennité du groupe sociale auquel
elle appartient, est « un courant de pensée continu~ elle ne
retient du passé que ce qui en est encore vivant ou capable de vivre
dans la conscience du groupe qui l'entretient »111,
contrairement à l'histoire qui est érudite par
définition ; Ainsi on peut en déduire que c'est la
cohésion sociale au sein de la communauté musulman à
Alger, et surtout dans la Casbah qui est à l'origine de
continuité du souvenir de l'ancienne mosquée Ketchaoua, et cela
malgré la disparition de presque la totalité des traces physique
de cette mosquée et l'occupation du lieu par un autre culte pendant plus
d'un siècle.
A la suite de cette reconversion, la mosquée Ketchaoua
récupère en quelque sorte sa sacralité première,
et change encore une fois de communauté, pour être destiné
aux fidèles musulmans
110 Interview de l''abbé Jean-Pierre Henry, Reportage,
« Ketchaoua : mosquée d'Alger », op.cit.
111 Halbwachs Maurice, la mémoire collective,
Edition numérique réalisé à partir du livre du
même titre de 1950, la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de
l'Université du Québec, 2001.
en tant que mosquée, et acquiert une valeur de
trophée de guerre, d'un symbole de la victoire à l'issu de la
guerre d'indépendance, et cela malgré que la mosquée
appartenait au beylik avant la colonisation française, mais était
tout de même à la disposition de toute la communauté
musulmane de la ville.
La mosquée/cathédrale de Ketchaoua qui a
était est reste jusqu'au jour d'aujourd'hui un lieu sacré, un
lieu dédié à la pratique de la religion et un symbole
pendant toutes les phases historique qu'a traversée la ville d'Alger ;
Ce lieu a changé plusieurs fois de valeurs, a perdu et a acquis d'autres
valeurs et cela à travers toutes les interventions, les conversions, les
transformations et les reconversions qu'il a subit.
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