C- la transformation architecturale :
La transformation architecturale d'un édifice de culte,
est une intervention majeure sur le corps du batiment, une intervention qui
implique un remaniement de l'édifice dans un souci d'adapter le lieu de
culte à sa nouvelle confession. Ce besoin de transformer
l'édifice apparait quelque temps après la conversion cultuelle,
suite aux confusions crée par l'illisibilité de l'objet
architectural et l'inadéquation entre la forme, l'apparence du batiment
et sa fonction ; En plus de l'atténuation de la notion de trophée
qui devienne désuète avec le temps.
Si la conversion cultuelle de l'édifice obéit
à un rituel codifié par les autorités religieuses,
la transformation architecturale doit prendre en compte plusieurs autres
éléments influents sur cette opération, en
parallèle des impératifs religieux liés à la
fonction du lieu, cette
95 Chanoine Norbert HENNIQUE, Colloque "églises
des villes, églises rurales, un héritage en partage ? »,
Op.cit.
96 BURESI Pascal, op.cit.
intervention doit concilier ses impératifs avec la
volonté politique, la disponibilité financière et
l'expression architecturale et artistique à donner à ce lieu de
culte.
Les interventions architecturales en milieu urbain posent
beaucoup plus de contraintes au concepteur qu'en terrain isolé, mais
dans le cas d'une conversion suivi d'une transformation architecturale, il
s'agit en plus d'intervenir sur un bâtiment existant, qui a acquis
à travers le temps plusieurs valeurs, dont la valeur religieuse qui
reste en conflit entre le nouveau et l'ancien culte.
Tous ces contraintes qui pèsent sur le projet de
transformation font qu'il n'existe pas un model général
d'adaptation d'un bâtiment mosquée à une église ou
le contraire, ces interventions s'adaptent au contexte spatial et temporel dans
lequel elles se déroulent, et le projet peut aller de la solution
catégorique de la démolition/reconstruction aux interventions
ciblées sur des parties du bâtiment dans le but de changer sa
morphologie.
Dans le cas de la mosquée Ketchoua qui a vu son
architecture transformé à partir de 1845, et cela 13 ans
après sa conversion cultuelle, suite à une période
ultérieur où des voies se sont levées pour signaler
l'inadéquation de l'édifice architectural avec la fonction et
l'image que doit donner la première cathédrale d'Algérie,
plusieurs solutions pouvaient être préconisées, comme la
construction d'une nouvelle cathédrale tel que suggérait pat
l'évêque d'Alger Monseigneur Dupuch, mais d'autres
éléments rentraient en causes, comme l'aspect financier d'une
transformation qui va s'avérer à la fin beaucoup plus couteuse
qu'une nouvelle construction97, l'aspect symbolique de la prise de
la « plus belle »98 mosquée de la ville et son
affectation au culte de la nouvelle communauté dominante dans le pays,
celle des colons européens ; mais aussi l'aspect urbain, avec les grands
aménagements urbains de la ville dans le but d'en faire une ville aux
normes européennes, et seul la Casbah constituait un obstacle à
ce projet, construite dans un style vernaculaire qui ne permettait pas son
absorption par la nouvelle ville, ce qui laisser aux aménageurs la
solution de remanier cette partie de la ville petit à petit par les
bords de la cité en pénétrant jusqu'au coeur.
Le projet de transformation architecturale de la mosquée
de Ketchaoua, rentrait dans le grand projet de remaniement urbain de la
basse Casbah qui été déjà entamé avec
l'aménagement du front de mer et de la place du gouvernement, les
urbanistes ne voulants pas construire une
97 OULEBSIR Nabila, op.cit.
98 Le duc de Rovigo cité dans JULIEN Charles
André, op.cit.
ville européen à côté de la ville
autochtone suivaient une logique de pénétration urbaine dans
l'ancienne cité.
Les travaux de transformation entraient dans la nouvelle
logique de colonisation en Algérie, avec la pacification Nord
algérien et l'installation de colons européens à travers
le pays, ce qui engendre un nouvel état d'esprit qu'ai celui de
l'installation durable dans le pays ; Ainsi, après la phase de
conquête vient la phase d'établissement, et cette transformation
architecturale peut se lire comme une nouvelle conversion99 qui
consacre une nouvelle phase dans la présence française en
Algérie.
Dans cette logique, et par un projet de transformation qui
s'éternisait dans le temps, en dépassant largement ses
délais initiaux, l'ancienne mosquée fut tour à tour,
transformée de l'intérieur, agrandit des côtés Est
puis Ouest, métamorphosée de l'extérieur avec une
façade qui n'a pris son aspect définitif qu'à la fin du
XIXème siècle. L'ancienne mosquée a
été englobée dans la nouvelle cathédrale, tout en
étant démontée de l'intérieur, et certains de ces
éléments architecturaux réutilisés sur place ; ce
mécanisme de construction/destruction n'a pas laissé dans
l'histoire, ni dans la mémoire collective le souvenir d'une destruction
totale de l'ancienne mosquée, pourtant au regard des plans anciens et de
l'édifice dans son état actuel, il ne subsiste que de rares
éléments de l'ancienne mosquée.
Toutefois, cette transformation architecturale de
l'édifice n'a pas fait l'unanimité au sein de la
communauté chrétienne, son but étant de concilier son
apparence architecturale avec sa nouvelle fonction de cathédrale, la
superficie de l'édifice terminé et le choix du style
architectural ont laissé perplexes une grande partie de la
communauté chrétienne de la ville ; en 1858 déjà
l'architecte Charles Frédéric Chassériau déclarait
que « la cathédrale, quand elle sera terminée,
n'égalera pas en dimension l'une des chapelle de Saint-Pierre
»100, et les urbanistes de la ville qui signalaient son
« insuffisance à chaque réunion officielle et surtout
aux jours de grandes fêtes »101.
Le projet de conversion architectural a été
critiqué sur les maladresses des actions menées, et qui ont
conduit à des remplacements fréquents des architectes en charge
des travaux, et après
99 BURESI Pascal, op.cit.
100 CHASSERIAU Charles Frédéric, 1858, Etude pour
l'avant-projet d'une cité Napoléon ville à établir
sur la plage du Mustapha à Alger, Alger, Dubos frères : 5, dans
OULEBSIR Nabila, op.cit.
101 VIGOUREUX, CAILLAT, « Alger, projet d'une nouvelle ville
», op.cit.
une vingtaine d'année d'usage du lieu, un constat
négatif en a été fait, ce qui conduit à une seconde
intervention, entamée dans les années 1890 par Albert Ballu
architecte des monuments historiques et architecte et qui donnera à
l'édifice sa façade actuelle.
Pendant cette période de la fin du XIXème et
début du XXème siècle, où l'autorité
coloniale en Algérie cherchait à se démarquée du
pouvoir de la métropole, on voit la naissance du style architecturale
Néo-Mauresque, qui puise ces références dans l'histoire de
la région et surtout dans les références de l'architecture
islamique en Andalousie ; c'est dans le contexte qui a abouti à
l'apparition du Néo-Mauresque que la cathédrale Saint-Philippe
est construite dans un style hybride qui associe l'architecture
romano-byzantine à l'architecture arabo-islamique, ce choix d'une
architecture qualifiée péjorativement de style bâtard,
n'allez pas dans la direction de la conciliation du bâtiment avec son
statut de cathédrale, et n'a pas été bien reçu par
les fidèles.
Toutefois l'église Saint-Philippe garda son statut de
cathédrale de la ville jusqu'à l'indépendance de
l'Algérie en 1962, ou elle fut reconvertie en mosquée, et
cinquante ans après, elle garde toujours son aspect architectural de la
fin du XIXème siècle qui n'a été que
légèrement modifié, ce qui amène cette question :
Pourquoi cinquante ans après la reconversion cultuelle de
l'édifice, on ne ressent pas toujours l'envie de le transformer
architecturalement ?
Après cinquante ans, et avec une population
algérienne qui n'a pas en sa grande majorité vécu la
période de colonisation française, garder un édifice comme
trophée n'a plus aucun sens ; et le principe de la conversion cultuel
dans la période conflictuelle qui suit une conquête et la
transformation architectural à l'établissement du nouveau
pouvoir, ne peut s'appliquer sur le cas de la mosquée Ketchaoua, puisque
le pouvoir postindépendance est bien établi dans le pays depuis
plusieurs décennies.
Dans ce cas, comment expliquer la longévité de
cet édifice, malgré sa conversion cultuelle au lendemain de
l'indépendance ? L'ancrage de la mosquée de Ketchaoua dans la
mémoire collective des habitant de la ville est une des raisons de cette
longévité, le souvenir de la mosquée qui fait abstraction
de l'objet architectural renvoie directement à l'époque
Ottomane.
Mais le style architectural dans lequel a été
construite la cathédrale Saint-Philippe a contribué en grande
partie à l'appropriation de cet édifice comme mosquée,
cette architecture avec des inspirations arabo-islamique continue a
créé la confusion, et suggère aux fidèles
l'existence
d'une continuité entre la mosquée du
XVIIème siècle et celle d'aujourd'hui, malgré
que du point de vue architectural cette continuité a été
rompu et malgré l'aménagement intérieur particulier de la
mosquée actuelle, comme expliqué dans la dernière partie
du deuxième chapitre.
On peut aussi évoquer l'évolution de la notion
du patrimoine et de la règlementation en la matière, en
Algérie et dans le monde, comme raison de cette pérennité
de l'édifice ; Classé en tant que monument historique en 1908,
l'actuelle mosquée Ketchaoua est toujours classé en tant que
patrimoine national et fait partie de la zone de la casbah classé
patrimoine mondial de l'UNESCO. Ça serait difficile d'imaginer en nous
jours une opération de restauration de la mosquée, qui prendra
les mémes proportions que la transformation de l'édifice dans la
deuxième moitié du XIXème siècle, c'est
méme contraire à la règlementation en vigueur en
Algérie --signataire de la charte du patrimoine mondial de 1972- en
matière de protection des biens culturels qu'est la loi 98/08, et qui
reprend les principes de l'UNESCO en la matière. Ainsi les
opérations de restauration en cours se résument à des
actions de consolidations et de confortements, après quelques
libertés prise par les autorités religieuse dans le pays qui ont
construit dans la hate un espace d'ablution accolé à
l'édifice et un `Mihrab' à l'intérieur de la
mosquée.
Tous ces éléments peuvent expliquer l'absence de
volonté de transformation architecturale d'un édifice qui a
été construit pour être la cathédrale de la ville et
qui remplit actuellement la fonction de grande mosquée.
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