4. Comment entendons-nous poser le problème dans
notre recherche ?
C'est dans la société gabonaise, en proie
à des mutations de tout genre, que nous avons articulé notre
problématique. L'irruption du capitalisme, avec la variable «
argent », a changé les mentalités africaines, gabonaises
particulièrement. Nous sommes passés de la solidarité
mécanique, celle où la conscience collective ou
collectivité prime sur l'individu, et où le respect
régnait, à la solidarité organique où, c'est
l'intérêt individuel qui prime. L'intérêt
sociologique de cette étude sur les rapports mère-fils à
travers la bru dans la famille actuelle, réside dans l'interrogation du
changement des relations observées entre deux acteurs, qui hier,
étaient basées sur les relations de respect, de confidence,
conseillère de la belle mère pour la bru, de la mère
à fille, à aujourd'hui, devenues des relations de tensions.
De plus, l'accent est mis sur le fait que c'est ce rapport
conflictuel qui semble affecter les relations entre belle-mère et bru.
Chacun de ces deux acteurs est plein de méfiance de l'un à
l'égard de l'autre. Ce qui pose problème dans cette étude,
c'est cette tendance à écouter partout à Libreville des
conversations où chacun de ces deux acteurs présente l'autre
comme à l'origine de la mésentente qui se crée avec le
fils ou les autres membres des deux familles constituées. Mais le
véritable problème c'est surtout le fait qu'il s'agit d'une maman
qui tient à contrôler son fils qui lui échappe. L'homme est
pris entre deux feux et doit gérer les deux femmes.
Il convient de rappeler qu'un « homme se marie, il
s'établit, c'est-à-dire, qu'il sort de la tutelle et du giron de
sa mère et fonde un ménage. Il quitte un foyer dans lequel il
était un fils, et en crée un autre en tant qu'époux. Le
chercheur camerounais Séverin Cécile ABEGA évoque
même le terme de "mort symbolique" ; la bru entraîne
donc la mort symbolique de la mère.»86
Et que par ailleurs, l'arrivée de la bru et qui prend la place de la
mère fait que la bru relègue la mère au second plan. On
perçoit ici en filigrane que le conflit entre bru et belle-mère
naît a priori du difficile détachement social entre la mère
et son fils.
Les rapports conflictuels entre bru et belle-mère
naissent également du fait que « l'homme, une fois marié,
ses devoirs les plus impérieux le réclament en premier lieu
auprès de sa femme et de ses enfants. Mais, s'il continue à vivre
parmi les siens, dans le même cercle de relations, il lui est difficile
de percevoir que désormais il doit diminuer les prestations qu'il leur
accordait auparavant, parce que ses moyens ne sont pas extensibles, et que la
priorité doit être donnée à sa femme et à ses
enfants. Cette dernière en tant que nouvelle venue dans la famille qui
l'accueille, discerne fort bien les contours de son ménage, de son
foyer, hiérarchise mieux les rapports, et sait mettre en avant les
intérêts de son foyer (parfois trop), au risque de compromettre
les rapports que son mari tient à préserver avec les siens.
»87
De même, la situation décrite au Cameroun par
ABEGA est la même a priori au Gabon ; confirmée par nos
informateurs, qui pensent que « en ce qui me concerne, j'ai ma vie, je
suis adulte, ils n'ont pas le droit de s'opposer ; ils ne me trouveront jamais
une autre, c'est juste une façon de me détruire. Je me
révolte par rapport à ce qui est imposé dans ma vie. Je
dis avec beaucoup de force que mes parents ont leur vie et moi aussi j'ai la
mienne. Chacun fait son expérience terrestre.»88 En
effet, « chez moi j'influence, je décide, je suis un rebelle de
la famille donc ma mère se tient à carreaux. C'est mon foyer que
je protège car mes parents ont eu leurs vies et moi j'ai la mienne. Je
débats de toutes ces choses sans retenu avec la famille d'où j'ai
meme interdit ma mère de venir chez moi.»89
86 Séverin Cécile ABEGA,
op.cit., p.96.
87 Ibid., p.104.
88 Propos de monsieur I.I, 48 ans, agent de
contrôle à l'ASECNA, marié à l'état-civil
à une sénégalaise, 3 enfants, domicilié à la
cité ASECNA.
89 Propos de monsieur I.I, 48 ans, agent de
contrôle à l'ASECNA, marié à l'état-civil, 3
enfants, cité ASECNA.
Et qu'en définitive, les situations conflictuels entre
belle-mère et bru proviennent du fait que << la première
tient à ce que les prestations de la seconde à l'égard de
ses enfants soient les mêmes que celles qu'elle accorde à ses
beaux-frères, fils de cette belle-mère. >90
Nous mettons également l'accent sur la métaphore
selon laquelle la belle mère, en tant que propriétaire et
détentrice des moyens de production, c'est-à-dire << le
fils > est en conflit avec celle qui n'a que sa force de travail à
offrir, c'est-à-dire, lui faire des enfants. En d'autres termes, la
belle-mère a « son rêve : pouvoir trôner matin
et soir au sommet du mouchoir de tête de sa bru à qui elle va
dicter ses conditions qui changent d'une seconde à
l'autre.>91 Ce n'est pas seulement l'aspect économique qui
peut expliquer le conflit que nous décrivons ici, il a aussi un aspect
psychologique et émotionnel (la difficile séparation <<
mère-fils >>), l'aspect symbolique (les injures, les
évitements, ignorance de l'une à l'égard de l'autre,
etc.)
Aussi notre recherche s'inscrit dans le cadre du
matérialisme historique de Karl MARX et
Friedrich ENGELS. Cette perspective nous montre que <<
L'évolution de la société résulte de
l'évolution des conditions matérielles de la vie. A la base se
trouvent les forces productives (instruments et techniques de production, force
de travail des hommes et objets auxquels s'applique ce travail). Ces forces
productives engendrent des rapports de production : ce sont les rapports que
les individus nouent entre eux à l'occasion de la production.
>92 Dans notre métaphore, << ces forces
productives > représentent la bru, qui subit le calvaire de sa
belle-mère, désignée ici comme <<
propriétaire des moyens de production. > Nous
étudions donc ces rapports conflictuels dans la formation sociale
gabonaise actuelle.
90 Séverin Cécile ABEGA, ibid.,
p.104.
91 24ème édition de la
quinzaine de la femme : la belle mère sénégalaise,
p.3.
92 R.G. SCHWARTZENBERG, Sociologie politique,
Paris, éditions Montchrestien, 5ème éd., (coll.
« Domat Politique »), 1998, p.48.
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