Chapitre IV : La réfraction des rapports sociaux
au sein du couple.
En physique, la réfraction désigne ce
phénomène qui consiste en la déviation d'un rayon
lumineux, d'une onde électromagnétique qui passe d'un milieu
à un autre. De même, en sociologie, le phénomène de
la réfraction peut s'observer en ce sens qu'il s'agit de la
répercussion d'un fait social au sein d'un groupe. En fait, il est
question ici d'étudier les possibles conséquences des rapports
conflictuels entre la belle-mère et la bru dans la famille d'abord, au
sein du couple ensuite.
Section 1 :L'instabilité du couple et le recours
à différentes pratiques telle la sorcellerie.
Les rapports conflictuels entre bru et belle-mère ont
un effet au sein du couple ; qui lui, engendra l'instabilité des
conjoints car les brus se plaignent de la relation invivable avec leurs
belles-mères pour certaines ; et pour d'autres, elles changent
d'attitude vis-à-vis de leurs maris. Celui-ci (fils/époux) aimant
les deux femmes, ne sachant quoi faire, en souffre de ce manque d'amour entre
ces deux acteurs.
L'instabilité dans le couple peut dépendre de
plusieurs facteurs ; entre autre, le manque de respect entre les deux acteurs
qui peut surgir devant le fils pour l'une, le mari pour l'autre. Face à
ce problème, le fils peut se dire qu'elles n'ont qu'à trouver un
terrain d'entente elles-mêmes. En ce qui concerne la maman, elle se dira
probablement que le fils approuve ce que sa femme fait car si son fils n'avait
pas choisi cette femme, elle ne serait pas aujourd'hui dans cette situation.
Soit ce sont les disputes considérables entre époux qui peuvent
surgir car il (le mari) ne voudra pas que son épouse puisse importuner
sa maman. Cette situation d'incompréhension
peut aboutir au divorce pour celles (les brus) qui sont
mariées ou l'abandon du foyer par les brus ; trouvant inacceptable et
difficile cette cohabitation.
En outre, la violence symbolique des rapports conflictuels
entre la bru et la belle-mère et le manque de compréhension entre
la bru, la belle-mère et le mari/le fils créent le doute dans le
foyer et peuvent pousser à l'infidélité. Ainsi, le doute
et la suspicion engendrent un climat de malaise, d'instabilité
préjudiciable à tous. Certaines personnes seront heureuses,
d'autres non comme les enfants par exemple. D'où cette question,
à qui profite cette instabilité dans le couple ?
Par ailleurs, la belle-mère peut imposer une
deuxième femme ou plus à son fils car pour certains hommes, a
priori, l'amour pour leurs mères passe avant celui de leurs
épouses ; et cela peut constituer un problème. Sur ce choix d'une
seconde épouse, notons que celui-ci n'est plus du ressort du fils,
plutôt de sa famille ; une épouse de la même ethnie. Choix
qui peut engendrer des cris, des bouderies, violence inouïe, comme cela
peut engendrer aussi une concurrence entre rivales, l'arrogance, le
mépris encouragés par la belle famille. La première
épouse supportera difficilement. Le manque de confiance entre bru et
belle-mère conduit vers un climat invivable.
Et que par ailleurs, « la tension entre ces deux femmes
est donc implicite, car elles occupent dans le système deux positions
qui se qui se révèlent antithétiques (...) pour
révéler que cela existe depuis des temps
immémoriaux.»281 Enfin, l'auteur clôt son analyse
sur les rapports conflictuels entre la bru et la belle-mère par sa une
recommandation qu'il convient à tous d'apprécier en disant que
« les belles-mères et les brus sont un mal nécessaire et
doivent réapprendre à vivre ensemble, tout homme devant
naître et se marier»282 pour que la société
retrouve un équilibre grâce auquel toutes ses contradictions
pourront s'atténuer. Cette instabilité nous pousse donc à
nous interroger sur la place de l'homme dans le conflit.
281 Séverin Cécile ABEGA, La bru tueuse,
in Journal des africanistes, 1992, volume 62, numéro 62-1,
ibid., p.105.
282 Ibid., p.105.
1. L'homme comme enjeu du conflit.
Ici nous sommes dans une situation triangulaire dont deux
femmes et un homme. L'homme est, dans la relation conflictuelle entre bru et
belle-mère, pris comme « un objet >> précieux ; dont
chacune voudrait préserver ses intérêts particuliers. Il
apparaît ainsi comme une victime ; victime parce que le conflit va
opposer deux femmes qu'il aime : d'un coté sa mère et de l'autre
sa femme qu'il affectionne et ne peut jouer l'arbitre en face des deux. Donc,
il est pris entre deux feux ; il doit gérer deux femmes. On peut
rappeler ici le fait que « les conflits entre belle-mère et bru ont
existé depuis la nuit des temps, mais à la base de leur
genèse a toujours existé la rivalité et la jalousie
excessive qui imprègne leur relation. Il ne faut pas oublier aussi que
les deux femmes sont impliquées dans une même relation et se
disputent le même objet d'amour qu'est le fils.>>283
Cette guerre des femmes les pousse à recourir à
différentes pratiques telle la sorcellerie.
Ces pratiques sorcellaires sont considérées
comme un type de comportement dit « intentionnel ; mieux, ce sont des
conduites visant consciemment à atteindre un but. Recourir à ces
pratiques sorcellaires, cela sous-entend qu'il ya manifestement un conflit
symbolique ; en tant qu'ultime moyen pouvant déboucher sur une victoire
de l'une sur l'autre. Pour Max WEBER, ce type de comportement définit ce
qu'il appelle la rationalité instrumentale. En effet ici, «
l'action, définie comme un comportement intentionnel, obéit
implicitement à une rationalité de type instrumental ou
utilitaire, dans la situation qui est la sienne au moment d'agir, l'acteur
engage ses moyens pour atteindre la fin dont il pense qu'elle lui apportera la
plus grande satisfaction.>>284
283 Dalila SOLTANI, op.cit., p.1.
284 Raymond BOUDON et Renaud FILLIEULE, les méthodes
en sociologie, 12ème édition, Paris, Puf, (coll.
« Que sais-je ? »), n°1334, 2004, p.54.
Ce point de vue de Max WEBER sur l'action rationnelle, que
nous partageons, nous permet de nous situer et dire que la bru, pour
(re)conquérir ou garder son mari, son foyer, et la belle-mère,
qui voudrait détruire cette relation, auront recours aux pratiques
sorcellaires ou à la magie285 pour atteindre leurs fins.
Fétiches, pour la bru afin que son mari l'aime davantage et pour que le
mari ne puisse pas voir les mauvaises choses qu'elle puisse faire ; ou encore
pour que le mari lui donne ce qu'elle veut ; qu'il soit complètement
sous son emprise.
Au rebours, la belle-mère286 peut user de la
magie ou sorcellerie voire fétiches287 pour mettre un terme
à cette relation qui vient la déposséder de son fils. En
effet, « une fois la bru installée dans la maison, toutes les
occasions seront saisies pour la faire souffrir et le recours à la magie
deviendra vite inéluctable. Magie de l'une pour prévenir, magie
de l'autre pour attaquer et faire payer la dépossession d'un fils ne
sont que le reflet vrai d'une relation triangulaire dans laquelle se joue le
drame du pouvoir.»288 Dans cette situation, le
fils/époux se trouve être encore une victime ballottée
d'une femme à l'autre.
Si la bru persiste à rester dans son foyer, la
belle-mère cherchera à la faire partir en employant certaines
pratiques soit en attachant des cordes pour que son fils déteste sa
femme ou alors la bru fait de plus en plus une série de cauchemar, des
maladies répétées etc. Toutefois, ces pratiques, comme
l'écrit WEBER, qui ne sont pas illusoires, arriverons à
satisfaire les deux acteurs. Parce qu'étant avant tout des actions
intentionnelles, rationnelles ; guidées par des mobiles.
En témoigne les propos de monsieur I.S pour qui «
quand je ne suis pas là c'est la guéguerre, quand je suis
là tout le monde est gentil. Je suis comme un peu le dindon de la farce.
A beau supporter, ma femme se plaint, ta mère, je ne comprends pas.
Comme je voyais
285 Nedjima PLANTADE, La guerre des femmes. Magie
et amour en Algérie, Paris, édition la Boîte à
Document, 1988, 179 pages
286 A ce propos, l'entretien avec madame A.E.M,
bru, 32 ans, enseignante préscolaire, concubinage depuis 8 ans, 1
enfant, nous a permis de voir que sa belle-m~re avait amené son nom chez
le Nganga pour qu'elle meurt en décembre 2006 et donc se séparer
définitivement de son mari.
287 Cf. Féminin interdit d'Honorine
NGOU, qui met en évidence le recours à la sorcellerie dans cet
ouvrage de la mère du personnage principal Hémiel, pour que ce
dernier se sépare de sa femme.
288 Nedjima PLANTADE, La guerre des femmes. Magie et amour en
Algérie, Paris, Puf, édition la Boîte à
Documents, 1988, p.154.
que cette histoire prenait de l'ampleur, j'ai fais
semblant d'aller un jour au travail et je suis resté dans la chambre
pour voir ce qui se passe.>>
Quant au recours à la sorcellerie, madame I.E.E indique
que: << ma belle mère me proposa d'aller laver le corps chez
le Nganga avec elle, parce qu'il n'était pas normal qu'elle puisse
rester avec son fils qui ne travail pas, que je mérite mieux mais de ne
rien dire à son fils ; et j'ai refusé. > De même
c'est le cas de madame M.A : << tu vois la grosse boule que j'ai
derrière l'oreille, c'est ma belle-mère qui m'a lancé
çà mystiquement. Aujourd'hui, je suis partie de la maison de son
fils avec les enfants. Il est resté seul dans la maison avec sa
mère et les enfants de sa soeur. >>289 Par
ailleurs, madame A.E.M nous rapporte que << ma bellemère me
répétait touts les jours que j'allais mourir en décembre
2006 si je ne partais pas de la maison de son fils. Elle dit aussi que je finis
l'argent de son fils et qu'elle va m'abattre comme un chien si je ne parts pas
de SOTEGA. Son fils va nous coucher toutes les deux et on aura le même
goût.>>290 Autre exemple qui confirme l'usage de
pratiques sorcellaires, c'est celui de monsieur I.I qui nous a dit qu'on lui a
dit que sa femme le vampirise.
Symboliquement, le fils est la première victime, mieux
un << objet >> disputé que la belle-mère et la bru
veulent contrôler. Cette lutte acharnée autour de cet <<
objet >> s'amplifie de jour en jour en l'absence de solutions pratiques ;
la vie familiale risque de devenir insupportable. Il est pour ainsi dire
réifié par les deux femmes. Quelle sera alors l'attitude de
l'homme dans ce conflit ?
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