Section 2 : Echanges relationnels entre la bru et la
bellefamille.
Cette section s'attellera à nous présenter la
nature des relations qui ont existé entre la bru et la belle-famille au
Gabon, en période précoloniale. Car << face au réel,
ce qu'on croît savoir offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se
présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune.
Il est même très vieux, car il a l'âge de ses
préjugés. Accéder à la science, c'est simplement
rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un
passé. »151 Aussi verrons-nous d'abord, les devoirs de
la bru vis-à-vis de la belle-famille puis les rapports conflictuels ou
rapports de force existants susceptibles d'y surgir.
1. Les devoirs de la bru vis-à-vis de la
belle-famille.
<< La bonne épouse était avant tout la
"bonne paysanne", dure à la peine et préparée à
accepter la condition qui lui était offerte. N'ayant jamais connu "autre
chose", les filles des hameaux voisins et de toute la zone des collines
étaient plus disposées à s'accommoder de l'existence qui
leur était promise par le mariage ; nées et élevées
dans une aire relativement fermée aux influences extérieures,
elles avaient
moins de chance aussi de juger leurs partenaires
éventuels selon des critères
hétérodoxes.»152
Il faut d'abord rappeler que la jeune fille était
mariée très jeune pour s'adapter aux conditions de vie de la
belle-famille ; on l'éduquait rien que pour les travaux champêtre
et ménager, pour puiser de l'eau et surtout pour être soumise.
Elle avait ainsi, avant l'âge de la consommation du mariage, la
possibilité d'aller séjourner auprès des parents de son
mari et d'apprendre, au contact des femmes qui connaissaient, les goûts
et les habitudes de ce dernier ; ce qu'elle devait faire ou éviter pour
vivre en bonne intelligence avec lui.
Selon Justine ELO MINTSA et Grégory NGBWA MINTSA, il
faut restituer d'abord le contexte du mariage arrangé où
l'école, les boites de nuit, les cinémas, les bureaux, ou autre
lieu de rencontre facilitant les contacts, n'existaient pas. « Dans ce
contexte, il existait un consensus sur le rôle d'un mari et celui d'une
femme. Ces valeurs étaient inculquées depuis la tendre enfance.
Le système marchait fort bien : les garçons étaient
élevés pour être de bons époux et de bons
pères, avec toutes les contraintes et les devoirs que cela impliquait,
tandis que les filles étaient conditionnées pour être de
bonnes épouses et de bonnes mères.»153
Nous savons aussi maintenant que la grande famille africaine a
une tendance à vivre dans les capitales africaines avec tous les
corollaires que cela peut comporter. Ce combat d'arrière-garde, est
illustré par exemple par « Hadja Oumou Coulibaly, une
octogénaire. Mère de 7 garçons aujourd'hui tous
mariés, nous fait sa confidence. "Quand mon mari est parti à
l'exode, je suis restée au service de mes beaux-parents pendant 19 ans.
Je n'ai jamais rechigné aux tâches ni aux invectives quotidiennes.
Pires, les autres frères et soeurs de mon mari m'en imposaient tous.
Mais j'ai supporté tout ça, parce qu'il est dit qu'une femme
soumise est toujours récompensée de son
152Pierre Bourdieu, Le bal des
célibataires. Crise de la société paysanne en
Béarn, Paris, édition du Seuil, (coll. « Point
s»), 2002, p.232.
153 Justine ELO MINTSA et Grégory NGBWA MINTSA,
Protocole du mariage coutumier au Gabon, Libreville, Polypress, 2003,
p.18.
dévouement.»154 Cet exemple nous permet
de voir comment une belle-fille se comportait vis-à-vis de sa belle
famille et les devoirs auxquels elle devait s'y astreindre.
L'exemple de notre enquêtée madame
Hélène YAYE confirme nos dires selon lesquels elle fut en mariage
très jeune : « je suis allée en mariage à 10 ans
chez le neveu de mon père, car sa femme ne faisait pas d'enfants. Je
faisais une semaine chez moi, une autre chez lui, pour connaître ce que
mon futur mari aimait. Ce que je raconte, c'est aussi la même histoire
pour ma maman ; qui est morte en 1968. »155
Par ailleurs, on doit noter que qu'à cette
époque, on ne choisissait pas n'importe quelle femme, on voyait d'abord
le comportement de la jeune fille, c'est-àdire la politesse, le fait
qu'elle soit travailleuse. Elle était envoyée très
tôt en mariage parce que les parents voulaient manger vite la dot. Mais
c'était aussi dans le but de lui faire inculquer une éducation
propre à sa belle-famille et dont l'objectif de faire d'elle une femme
soumise, travailleuse et respectueuse de la hiérarchie familiale et
conjugale. Puisqu'on ne naît pas femme, on apprend à le devenir
grâce à la socialisation. Et ses rapports étaient
basés sur la dépendance de cette dernière envers son mari
et sa belle-famille.
Nonobstant les problèmes rencontrés dans le
couple ou avec la belle-famille, la femme ne pouvait répondre à
sa belle-famille ou quitter le domicile conjugal. Elle était contrainte
d'y demeurer et d'être soumise. La belle-fille était malgré
tout considérée comme une enfant par sa belle-mère et son
beau-père. La belle-mère devenait une seconde mère et
était une conseillère pour la bru. Cette dernière
travaillait la plupart du temps pour son mari car « dans le système
traditionnel, les femmes sont habituellement soumises à leur mari,
à la fois socialement et
154 « Des échanges relationnels conflictuels
» par Dalila SOLTANI in Le mague-journal de
culture-société- people-Décryptage Télé,
tiré de www.lemague.net/ dyn/spip.php., p.6.
155 Propos de madame Hélène YAYE.
économiquement >>156 , pour ses
enfants, et savait satisfaire les besoins des membres de la famille. Elle
devait également montrer son efficacité à la belle-famille
; c'est à ce moment là que les belles-soeurs en profitaient pour
ne rien faire.
Puisqu'à tout moment n'importe quel parent du mari
pouvait venir lui demander à manger, parfois l'envoyer chercher de
l'eau, lui faire balayer la chambre, laver le linge sans qu'elle ne refuse
parce qu'il fallait qu'elle montre son image de femme travailleuse. Madame YAYE
poursuit encore : <c la plupart du temps se sont les belles-soeurs ; les
beaux-frères qui vous embêtent. On ne devait pas refuser. Par
exemple, on te dit d'aller puiser de l'eau, ou essayait même la fille
pour voir si elle avait reçu une bonne éducation en mettant les
arachides dans la calebasse. Si elle mange, on dit qu'elle n'est pas une bonne
femme ; quand tu ramènes on dit que t'es une fille. Même si la
belle-soeur te parle mal, tu ne dois pas rendre. Aujourd'hui, les
beaux-frères pouvaient dire qu'on veut manger les feuilles de manioc, tu
te devais de les préparer.>>157
Ce qu'il faut garder à l'esprit c'est que <c la
fille doit embrasser la famille du mari ; du mari à la tante (soeurs,
frères, père, mère)>>158 dans la
mesure où « le mariage est ainsi, essentiellement, une union entre
deux familles plutôt une union entre deux individus.
>>159 Ou encore comme l'écrit le Pasteur OGOULA M'BEYE,
par le mariage, il ne s'agit pas de faire des palabres plutôt constituer
une nouvelle famille où l'harmonie et le respect doivent
prévaloir de part et d'autre. Point de vue que nous partageons aussi.
Même nos enquêtées ont mis en
évidence ces rapports de soumissions auxquels elles étaient
contraintes car « à notre époque, mes parents m'ont
appris que je devais respecter ma belle-famille, être travailleuse et
avoir un bon comportement pour que je sois bien
gardée.>>160 Bref, la bru était
obligée d'être soumise surtout si l'homme est
156 Aderanti ADEPOJU et al, La famille africaine. Politiques
démographiques et développement. Préface de Lamine
NDIAYE, Paris, Karthala, (coll. « Questions d'enfances
»), 1999, pp.85-86.
157 Propos de madame Hélène YAYE.
158 Propos de monsieur Joseph Francis MAYOMBO NZENGUE.
159Aderanti ADEPOJU et al, La famille africaine.
Politiques démographiques et développement, op.cit.,
p.110.
160 Propos de madame E.T., 63 ans, Fang, retraitée, 7
enfants, à la fois bru et belle-mqre. Entretien qu'elle nous a
accordé en juin 2008 à son domicile sis à l'Ancienne
Sobraga.
toujours dans les mamelles de sa mère, tant qu'elle vit
dans la maison de la bellefamille, elle était contrainte de s'occuper de
sa belle-famille.
En définitive, s'il n'ya pas soumission ni respect de
la bru envers sa bellefamille, cette situation peut constituer une des
prémices aux éventuels rapports conflictuels entre cette
dernière et sa belle-famille.
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