Chapitre III : Le sacré en crise Section
1 : La reformulation du sacré
DURKHEIM nous propose une définition du sacré
sur laquelle nous allons nous appuyer. Le sacré ou « les choses
sacrées sont celles que les interdits protègent et
isolent.»168 Nous parlons d'une reformulation du sacré,
ou d'une crise du sacré due essentiellement à l'ouverture
économique de l'Afrique centrale, particulièrement au Gabon. Tout
devient objet de marchandisation, le sacré ne peut y échapper. Et
« de manière générale, l'économie
mondialisée, associée à la circulation grandissante des
biens et des gens, semble nourrir l'anxiété croissante de
populations prises sans recours dans les rets de la dépendance
économique, de la matérialisation des rapports sociaux, et en
dernière analyse de la réification des corps
».169 La présence coloniale est omniprésente et
bouleverse, à tous les niveaux, les différents modes de vie des
populations autochtones.
Cette crise du sacré se traduit, par exemple dans le
cas de la mort, par le fait que « la législation française
en effet interdit immédiatement après la conquête la
pratique des autopsies et l'exposition des défunts. Elle
décréta l'obligation simultanément de l'enterrement dans
les cimetières publics, la condamnation des reliques sous la rubrique
« profanation des tombes », et conduisit avec l'aide des
missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et des
reliquaires considérés comme « fétiches » et
fatras sorcier indésirables ».170 Or chez les
autochtones, il y a tout un cérémoniel qui est mis en place
dès l'annonce du décès d'une personne. A cet effet, «
une large panoplie de règles étaient déployées par
la famille et l'entourage du défunt afin de restaurer l'ordre social et
familial rompu par le deuil. Au Gabon, cette panoplie comprenait une autopsie
rituelle du cadavre, éventuellement suivie d'une réunion de
dénonciation /accusation du responsable et/ou d'une ordalie
168 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de
la vie religieuse, op.cit., p.92.
169 Florence BERNAULT, op.cit., p.8.
170 Ibid., p.10.
[...] Puis venait l'enterrement du défunt, suivi, dans
le cas d'individus remarquables et importants, de sa transformation rituelle en
ancêtre par la collection de ses reliques (crânes et ossements),
conservées dans des autels reliquaires familiaux assurant la
communication entre morts et vivants ».171 Pour la
colonisation, ce cérémoniel allait à l'encontre du
christianisme, considéré comme du paganisme. La colonisation a
donc bouleversé, comme on l'a dit plus haut, toute l'organisation
sociale des autochtones sous la répression.
En un mot, dans cette longue crise du sacré, il est
important de mettre l'accent sur le fait que « ce qui a changé,
c'est la conscience d'une immense fragilisation de la reproduction
lignagère et familiale au sein des rituels funéraires et du deuil
qui assuraient autrefois le passage de la, mort à l'état
d'ancêtre, et la résolution de la rupture sociale provoquée
par le décès ».172 La dimension du sacré a
donc connu des mutations culturelles et idéologiques qui continuent
à redéfinir, à remodeler les autochtones selon les traits
culturels européens.
171 Florence BERNAULT, ibid., p.9.
172 Ibid., p.10.
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