UNIVERSITE OMAR BONGO
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE
Le marché des restes humains
Étude sur le fétichisme politique à
Libreville
Sociologie de la Connaissance
Présenté et soutenu par : Sous la
direction du :
Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY Pr Joseph
TONDA
HDR
Maître de Conférences CAMES
Libreville, Octobre 2008
Sommaire
Dédicace
Remerciements
Sigles et abréviations Liste des illustrations
Liste des tableaux Sommaire
Introduction générale 1
Les préalables épistémologiques
4
Section 1 : Objet et Champ de l'étude
4
Section 2 : Construction du modèle
d'analyse 13
Section 3 : Démarche
méthodologique 31
Première partie : Les reliques au Gabon et le
culte des ancêtres.........39 Introduction de la
première partie ... .... .... 40
Chapitre I : Période coloniale et approche
anthropologique des reliques 42
Section 1 : La question des pratiques
reliquaires (période coloniale)
44
Section 2 : Colonisation et criminalisation
49
Chapitre II : Les reliques comme symbole
d'autorité et de pouvoir 52
Section 1 : L'utilisation des reliques des
défunts rois et chefs de clan
52 Section 2 : Le principal
élément des reliques : le crâne, objet du pouvoir 55
Chapitre III : Le sacré en crise 57
Section 1 : La reformulation du sacré
57
Section 2 : La problématique des rites
maçonniques dans la reformulation du sacré 59
Conclusion de la première partie 61
Deuxième partie : Le fétichisme politique
et les profanations des
tombes à Libreville 63
Introduction de la deuxième partie...
64
Chapitre IV : Les profanations des tombes et les
élections politiques à Libreville 67
Section 1 : Les profanations des tombes et les
élections politiques à Libreville 67
Section 2 : Le fétichisme politique
à Libreville 75
Chapitre V : Le cimetière de Mindoubé :
théâtre des profanations des
tombes... 77
Section 1 : Historique, localisation
géographique et description du cimetière de Mindoubé
77
Section 2 : La sécurité des morts
du cimetière de Mindoubé 87
Chapitre VI : La violence en postcolonie gabonaise
92
Section 1 : Les profanations des tombes,
forme de violence de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique 92
Section 2 : L'A.L.C.R. une tentative de réponse
à la violence du pouvoir ( au sens de BALANDIER) 96
Conclusion de la deuxième partie 100
Conclusion générale
102
Références Bibliographiques
104
Table des matières 111
Annexes
« Les religions sont des
systèmes symboliques nous renseignant sur la façon dont les
hommes conçoivent et
conduisent leur vie ».
Jean-Paul WILLAIME
« Celui qui, en
général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut en
faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes éthiques et
de la responsabilité de ce qu'il peut luimême devenir sous leur
pression. Je le répète, il se compromet avec des puissances
diaboliques qui sont aux aguets dans toute
violence ».
Max WEBER
Dédicace
A ma fille, Merveilles
Asthine Janny ILEMBE-RENAMY,
pour la joie qu'elle m'apporte un peu plus chaque jour !
Remerciements
Mes remerciements vont d'abord à toute l'équipe
pédagogique du Département de Sociologie, particulièrement
à notre directeur, le Professeur Joseph TONDA, pour sa
disponibilité et d'avoir bien voulu diriger ce travail. Profonde
gratitude !
A monsieur Jean-Ferdinand MBAH, à
madame Claudine Augée ANGOUE et enfin à monsieur
Mesmin Noël SOUMAHO.
A ma Floriane Melinda KAYIBA pour son soutien
matériel et sa présence.
A mes condisciples de classe et amis : Janny DIVAGOU
IBRAHIM KUMBA, Suzanna MOUSSONGOU IBRAHIM KUMBA, Gladice DIMANGA MAYOMBO,
Isabelle MENGUE, Stéllia BOUANGA, Joe Francis DEMBA, Lidwine NINKANDA
N'DOH, Brice Anicet DIMBOMBI, Lievain Rodrigue POATHY, Yvon Mauxer MONDJO,
Rodrigue DIWATI et les autres, pour leurs critiques et leurs
encouragements.
Nous pensons aussi à monsieur Maurice Lipopo
FILANKEMBO pour ses orientations et à la famille de monsieur
Aloïse MAYOMBO.
Enfin, je voudrais remercier ma mère madame
Juliette Jocelyne RENAMY, pour qui, j'ai une pensée
toute particulière, mon père monsieur Sylvain Claude
IKOGOU, mes frères : Fred LENDONYO, Marielle, Carelle,
Frédérique et Ericka IKOGOU, Ernestine RENAMYISSEMBE,
Eliane NKALA, Guy-Roland RENAMY, Simone, Innocent et Emmanuel KOWET,
Frédéric IKOGHOU-YENO, Jean-luc MBOUMBOU, Stéphane
ROGOMBE, Steeve RETENO, Wilfried RIMBOZO, Christian ABESSOLO EKOUMA, Yannick,
Landry et Hervé ALEKA ILOUGOU.
A mes oncles, David IKOGHOU-MENSAH, Isaac IKOGOU,
Samuel IKOGOU, Jacques IKOGOU, Claude OPENDA, Victor AKENDENGUE, Jules DJEKI,
Marc Louis ROPIVIA et à tous les membres de ma famille, qui ne
cessent de ménager leurs efforts dans leurs encouragements.
Sigles et abréviations
A.L.C.R : Association de Lutte contre les
Crimes Rituels. C'est une jeune organisation régie par la loi
10/62 relative aux associations et reconnue par le
Ministère de l'Intérieur sous le numéro
194/MISI/SG/CE/ du 16 juin
2006 et dont la mission est d'assurer la
défense des droits humains, particulièrement ceux des enfants au
Gabon.
D.G.R : Direction Générale des
Recherches. C'est un service détaché de la Gendarmerie nationale
qui a pour but de retrouver des personnes disparues, des objets, des voitures,
etc. où qui peut s'occuper des plaintes que les individus, lors de
certains litiges, peuvent déposer.
D.G.S.T : Direction Générale
des Services Techniques de la Mairie de Libreville. Elle est chargée de
l'élaboration, la conception, l'exécution et le suivi des travaux
techniques communaux ; l'entretien et la gestion, dans sa partie physique, du
patrimoine bâti et roulant de la Mairie de Libreville.
H.D.V. : Hôtel de Ville de Libreville.
S.O.V.O.G : Société de
Valorisation des Ordures du Gabon.
Liste des illustrations
La photo n°1 : « la veste
rouge »
|
70
|
La photo n°2 : « La tombe
sans carreaux »
|
71
|
La photo n°3 : « Tombes
dans les hautes herbes »
|
71
|
La photo n°4 : « La tombe
Goumabika »
|
72
|
La photo n°5 : « Autre
manière de profaner »
|
73
|
La photo n°6 : « La tombe
vide »
|
74
|
Carte n°1 : Localisation
géographique du cimetière de Mindoubé
|
77
|
Carte n°2 : Localisation
géographique du cimetière de Mindoubé
|
78
|
La photo n°7 : « Le
portail principal du cimetière »
|
79
|
La photo n°8 : « Une
tombe immergée dans les huiles de vidange » .
|
...80
|
La photo n°9 : « Le
travail des huiles de vidange »
|
81
|
La photo n°10 : « La face
cachée d'une tombe »
|
82
|
La photo n°11 : « La
formation d'un ruisseau »
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82
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La photo n°12 : « Le
dépôt de ferrail »
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83
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La photo n°13 :
«L'insalubrité »
|
84
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La photo n°14 :«L'un des
poteaux électriques existant »
|
85
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La photo n°11 : « La
formation d'un ruisseau »
|
87
|
La photo n°14 : «L'un des
poteaux électriques existant »
|
88
|
Liste des tableaux
· Tableau n°1 : Construction
du concept de « fétichisme politique » 31
· Tableau n°2 :
Recension des cimetières de Libreville (liste non exhaustive) 32
· Tableau n°3 :
Répartition des cimetières sous juridiction de l'HDV 33
· Tableau n°4 : Histogramme
des tombes profanées à Libreville de 2004 à 2008 pour
Mindoubé 34
· Tableau n°5 :
Schématisation du culte des ancêtres en tant que
phénomène social total 43
Introduction générale
Les élections politiques organisées au Gabon
représentent une étape importante dans la gestion de l'appareil
d'État. C'est également une période où le pays
semble entrer dans une sorte de « coma » ; affectant par la suite le
fonctionnement de l'administration et du service public. C'est le temps des
différentes stratégies électorales mises en place par les
entrepreneurs politiques. C'est alors le temps des déplacements massifs
des électeurs, du clientélisme électoral ; ou encore, pour
d'autres, c'est le recours aux pratiques fétichistes ou pratiques
sorcellaires telles les attaques mystiques, les kidnappings d'enfants, avec non
seulement les mutilations de leurs corps tout comme ceux des jeunes femmes et
des émasculations des hommes. Plus important, est l'objet de ce
mémoire : ce sont les profanations des tombes censées assurer les
succès électoraux des hommes politiques qui y ont recours.
En effet, les profanations des tombes,
particulièrement au cimetière de Mindoubé sont monnaie
courante à Libreville depuis au moins 4 ans. C'est un
phénomène qui tend à prendre de l'ampleur sans que les
pouvoirs publics puissent réagir. Pour le sociologue, les profanations
des tombes constituent le point de départ d'une investigation qui va le
conduire vers l'explication ou d'un tel phénomène qui lie
fétichisme et pouvoir au Gabon.
« Ainsi le problème sociologique n'est pas tant
de savoir pourquoi les choses "ne vont pas bien" selon le point de vue des
autorités [...] mais bien comment le système entier fonctionne
d'abord, quelles sont ses fondations et comment il est maintenu ensemble
».1 Dans le même ordre d'idée, «
l'explication sociologique consiste exclusivement à établir des
rapports de causalité, qu'il s'agisse de rattacher un
phénomène à sa causalité, ou, au contraire, une
cause à ses effets utiles. »2
1 P.L. BERGER, Invitation to sociology, Pelican Books,
Harmondsworth, 1977, pp.49-50 cité par Claude JAVEAU in
Leçons de Sociologie, 2ème tirage, Paris,
Armand Colin, 2001, p.82.
2 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, 11ème édition, Paris, Puf/Quadrige,
2002, p.124.
Davantage, « quand on entreprend d'expliquer un
phénomène social, il faut rechercher séparément la
cause efficiente qui le produit et la fonction qu'il remplit
».3
En résumé, « le travail de la sociologie
consiste à aller au-delà de l'apparence, des mouvements, des
catégories de la pratique, du bon sens, pour retrouver non pas des
principes ou des valeurs et pas davantage des réalités
matérielles, [...] mais l'action de la société sur
elle-même et les relations sociales définies par les
différents types d'action ».4 Il faut rappeler que les
actes de fétichisme et de sorcellerie persistent au Gabon depuis
près d'une décennie sans que l'État ne réagisse
réellement. A en croire le Code de procédure
pénal5 en vigueur au Gabon, « quiconque aura
profané ou mutilé un cadavre, même non inhumé sera
puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000
à 120.000 fcfa. D'autant plus que dégrader tout tombeau et/ou ses
ornements (croix, couronnes, dalle, etc.) constitue un délit qui peut
rendre un individu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures
(qui) sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une
amende de 24.000 à 120.000 fcfa ».
En conséquence, la présente étude va
tenter d'analyser le lien qui existe entre les profanations des tombes, ce que
nous appelons « le fétichisme politique » et le pouvoir au
Gabon ; de même que ses implications dans la réalité
sociale gabonaise.
3 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, ibid., p.95.
4 Alain TOURAINE, Pour la sociologie, Paris, Editions
du Seuil, (coll. «Points »), 1974, p.238.
5 Le Code pénal, dans sa Loi n°21/03 du 31
mai 1963.
Section 1 : Objet et champ de l'étude
1- Le fétichisme politique comme objet
d'étude
« Construire l'objet sociologique, c'est deviner sous
les apparences les vrais problèmes et poser les bonnes questions
».6
Cette étude portant sur le rapport entre
fétichisme et pouvoir politique est adossée à
l'idée qu'il existe un marché des restes humains à
Libreville. L'existence de ce marché explique la profanation des tombes,
notamment à l'approche des élections politiques.
L'émergence de ce marché peut être saisie à partir
de ce que dit Florence BERNAULT, selon qui « la sorcellerie moderne en
Afrique équatoriale, au Gabon singulièrement, a lentement
émergé au coeur des batailles juridiques et morales
amorcées pendant la période postcoloniale. Ce que l'on entend
aujourd'hui par "sorcellerie" ou "fétichisme", mots
fortement teintés par la connotation réductrice et
négative de leur origine coloniale, n'est, pour le cas du Gabon qui nous
intéresse ici, qu'une partie d'un ensemble religieux et sacré qui
modelait la plupart des représentations mentales et des
stratégies sociales et matérielles cultivées par chacune
des sociétés locales ».7
Aussi, nous essayons de saisir le « fétichisme
politique » à Libreville comme expression de l'usage et du commerce
« des pièces détachées »8 au sens de Joseph
TONDA. Il convient de préciser que le fétichisme politique est
mis en relief, durant les périodes électorales, par la
profanation des tombes à Libreville, précisément au
cimetière de Mindoubé, en tant que moment de la collecte des
« pièces détachées » pour les mettre en vente
sur le marché des restes humains.
6 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales,
Paris, Dalloz, 11ème éd. 2001, p.384.
7 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon in Mama Africa : Hommage à Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, edited by Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan,
2005, p.1.
8 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale)
in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ;
colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude d'Afrique
Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.5.
Ces profanations des tombes s'accompagnent de crimes rituels
ou découvertes macabres de corps privés de certaines
parties9 à Libreville et ce, à la veille des
élections. Il va s'en dire que c'est à chaque fête de
Toussaint que les parents des défunts constatent ce
phénomène et le cimetière de Mindoubé en est
victime. De plus, il n'y a pas que la profanation des tombes que nous
étudions, il y a aussi la profanation des cadavres que l'on retrouve
mutilés à Libreville sous la rubrique « crimes rituels
». En outre, la profanation des tombes et celle des cadavres est
révélatrice a priori d'un marché des restes humains ou
« pièces détachées » dans la capitale gabonaise.
En somme, la croyance en la sorcellerie atteste bien que le fétichisme
n'est pas illusoire, mais bien réel ; ce qui explique en dernier ressort
que les hommes du pouvoir ont recours à cette pratique.
Il faut d'abord rappeler que le concept de «
fétichisme politique » apparaît sous la plume de
Pierre BOURDIEU10.Il s'agit de « la délégation
par laquelle une personne donne pouvoir, comme on dit, à une autre
personne, le transfert de pouvoir par lequel un mandant autorise un mandataire
à signer à sa place, lui donne une procuration,
c'est-à-dire, la plena potencia agendi ; le plein pouvoir
d'agir pour lui, est un acte complexe qui mérite d'être
réfléchi. Le plénipotentiaire, ministre, mandataire,
délégué, porte-parole, député,
parlementaire, est une personne qui a un mandat, une commission ou une
procuration pour représenter - mot extraordinairement polysémique
-, c'est-à-dire pour faire voir et faire valoir les
intérêts d'une personne ou d'un groupe ».11
Par ailleurs, Pierre BOURDIEU approfondit sa réflexion
en mettant l'accent sur le fait « qu'il y a une sorte d'antinomie
inhérente au politique qui tient au fait que les individus - et d'autant
plus qu'ils sont plus démunis - ne peuvent se constituer (ou être
constitués) en tant que groupe c'est-à-dire en tant que force
capable de se faire entendre et de parler et d'être
écoutée, qu'en se dépossédant au profit d'un
porte-parole.
9 Le quotidien national L'union du 29 février
2008 et du 10 mars 2008 en annexe, qui ont fait état de 12
crimes rituels enregistrés pour le mois de février 2008 à
Libreville. Tous ces corps ont donc été mutilés de leurs
parties génitales, des oreilles, langues, yeux etc.
10 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de
Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.
11 Ibid., p.185.
Il faut toujours risquer l'aliénation pour
échapper à l'aliénation politique ».12
Partant du concept de BOURDIEU selon lequel le député ou
mandataire est un fétiche pour le peuple, de la même
manière le crâne, qui est réel n'a de sens que pour celui
qui l'utilise, donc il est fétiche pour ce dernier. Pour le profanateur,
ce crâne ne lui dit rien.
Pour Pierre BOURDIEU, « les fétiches politiques
sont des gens, des choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à
eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée ;
les mandants adorent leur propre créature. L'idolâtrie politique
réside précisément dans le fait que la valeur qui est dans
le personnage politique, ce produit de la tête de l'homme, apparaît
comme une mystérieuse propriété objective de la personne,
un charme, un charisme ; le ministerium apparaît comme mysterium
».13 A ce propos, la notion de charisme attire notre attention
car il s'agit de voir l'entrepreneur politique ou fétiche politique
doté du charisme, « cette sorte de pouvoir qui semble être
à lui-même son propre principe »14 ; notion que
nous retrouvons explicitée chez WEBER. « Le charisme, c'est le
charme ou la grâce qui s'attache à certains personnages sur
lesquels se sont posés le regard et le choix de Dieu. De tels
personnages sont investis d'un pouvoir, d'une forme évidemment
très différente de celle du pouvoir dont est revêtu le
bureaucrate rationnel-légal ou le monarque traditionnel
désigné par primogéniture. Le pouvoir charismatique se
désigne par son caractère « extraordinaire, surhumain,
surnaturel ». Celui qui en est pourvu est un « envoyé de Dieu
», un héros- un « guerrier furieux » - ou un chef
(Führer). Ce qui caractérise le chef charismatique, c'est moins le
contenu de sa tâche que la manière dont il l'exécute- son
style ».15 Ainsi, le pouvoir charismatique est donc un pouvoir
personnel et extraordinaire.
Le rapport qu'on peut établir avec BOURDIEU et le
fétichisme politique, réside dans le fait que le mandataire (le
député par exemple) est un fétiche et que la collecte de
ses « pièces détachées » va permettre à
ce dernier d'assurer sa régénération et son succès
aux élections politiques.
12 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de
Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, ibid.,
p.186.
13 Ibid., p.187.
14 Ibid., p.187.
15 Raymond BOUDON et François BOURRICAUD, Dictionnaire
critique de Sociologie, Paris, Quadrige/Puf, 2006, p.77.
Le crâne dont il est question dans le fétichisme
politique, c'est celui d'une personne morte, quelque soit sa position sociale,
ce qui importe c'est de rapporter un crâne déterré.
Le fétichisme politique dont nous rendons compte se
décline ainsi sous deux dimensions : dans la première, il s'agit
d'abord de ces restes humains ou « pièces détachées
» collectées par les profanateurs des tombes ou de cadavres, qui
serviront dans les pratiques fétichistes. Dans la seconde dimension, ces
« pièces détachées » collectées vont
permettre à l'entrepreneur politique, grâce à la
nécromancie et autres pratiques sorcellaires ; d'acquérir, voire
de conserver ou de consolider le pouvoir (économique, politique et
social). Pour WEBER, « il s'agit là d'une action intentionnelle,
qui obéit implicitement à une rationalité de type
instrumental ou utilitaire : dans la situation qui est la sienne au moment
d'agir, l'acteur engage ses moyens pour atteindre la fin dont il pense qu'elle
lui apportera la plus grande satisfaction ».16
Dans le même ordre d'idée Joseph TONDA
définit le fétichisme politique, « entendu dans le contexte
africain comme usage ou commerce des/ou avec les "pièces
détachées" réalisé par les hommes politiques ; il y
a apparemment une distance avec le concept bourdieusien. En fait, les usages
politico-criminels des pièces détachées servent ici
à réaliser la transfiguration du rapport politique qui est au
principe de la production des mandataires comme fétiches
».17
Puisse que nous parlions du recours à la pratique de
la sorcellerie, EVANS-PRITCHARD nous apporte un éclaircissement à
ce sujet. Pour lui, la sorcellerie revêt deux dimensions ou explications
: pratique et mystique et que nous estimons complémentaires. Sur ce
point, « un des apports d'EVANS-PRITCHARD est d'avoir montré la
nature de la magie, qui peut se pratiquer sans aucun intermédiaire
instrumental et rien que par une volonté et un pouvoir maléfique,
et détenu par certains individus. Cette magie maléfique prend le
nom anglais de "witchcraft", s'opposant ainsi à
16 Raymond BOUDON et Renaud FILLIEULE, Les
méthodes en sociologie, 12ème édition,
Paris, Puf, (coll. « Que sais-je ? »), n°1334, 2004,
p.54.
17 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale)
in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ;
colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude d'Afrique
Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.5.
la sorcellerie instrumentale (rites, potions, objets
ensorcelés) ou "sorcery"».18
En résumé, chez EVANS-PRITCHARD, la sorcellerie
a deux dimensions : la witchcraft", qui est spirituelle et correspond
au Gabon aux vocables de L'évus, le dikundu, l'inyèmba
et qui serait a priori héréditairement transmissible et la
"sorcery" ; entendu ici comme les techniques magiques ou actes
fétichistes que l'on peut voir : rites, potions, profanations des
tombes, objets ensorcelés, calebasses déposées sur les
carrefours à Libreville. Nous partageons ce point de vue.
Joseph TONDA19 aborde aussi ce point de vue de la
croyance en la sorcellerie, surtout en tant que technique magique, servant les
parents à bloquer les jeunes. Dans un contexte de déstructuration
sociale au Congo et au Gabon ; et où les rapports sociaux entre vieux et
jeunes sont basés sur le soupçon, et où « le droit
d'aînesse n'est plus respecté ».20 Ce recours
systématique à la sorcellerie dans n'importe quelle circonstance
conduit ceux qui la pratiquent à toute sorte de pratiques. En ce qui
concerne le Congo, les jeunes débrouillards, qui tiennent des petits
fonds de commerce se plaignent des agissements des vieux qui, selon eux, les
« vieux sont insatisfaits. Ils veulent avoir de l'argent pour obtenir de
petites filles de 2 à 25 ans. Et pour avoir cet argent, les vieux
utilisent des animaux invisibles qui vont subtiliser le produit des ventes des
jeunes propriétaires des kiosques, ils sont connus, les
propriétaires de ces animaux invisibles ».21
Enfin, même dans les cas de décès de jeunes,
« ce sont des groupes de vieux, et même les vieilles femmes qui sont
accusés ».22
Somme toute, nous rejoignons aussi ce point de vue de l'auteur
car les cas de sorcellerie tels qu'ils sont évoqués au Congo,
sont fréquents au
18 Jacques LOMBARD, Introduction à l'ethnologie,
2ème édition, Paris, Armand Colin, (coll. «
Cursus Sociologie »), 1998, p.131.
19 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique
centrale (Congo, Gabon). Préface d'André MARY, Paris,
Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »),
2002, 243 p.
20 Ibid., p.143.
21 Joseph TONDA, La guérison divine en Afrique
centrale (Congo, Gabon), ibid., p.143.
22 Ibid., p.143.
Gabon et se présentent de la même manière.
Au Gabon, toute mort n'est pas "naturelle" plutôt d'ordre mystique,
attribuée à quelqu'un.
2- La sociologie de la religion et la sociologie du
pouvoir comme cadres de référence
Tout objet d'étude doit pouvoir s'inscrire dans un
champ précis pour dégager les relations de causalité entre
les différentes composantes de l'objet.
Mesmin Noël SOUMAHO définit le champ
d'étude ou cadre de référence comme le « cadre
théorique général dans lequel s'intègre la
problématique de l'étude ».23 De plus, «
toute science cherche à définir son domaine, à mettre en
évidence des faits en vue d'établir des lois ».24
Le choix de la sociologie de la religion et du pouvoir comme cadres de
référence de notre étude, nous permet d'expliquer le fait
religieux et non pas de tout expliquer en termes religieux d'abord. Ensuite, il
s'agit pour nous de voir que le fait religieux et les pratiques religieuses
sont non seulement contemporaines à la naissance de la sociologie, mais
que le fait religieux entretient un rapport étroit avec le politique, le
pouvoir. Nous pouvons préciser que la religion, tout comme le pouvoir,
sont des produits de la société.
Pour ce qui est de la sociologie des religions, la sociologie
classique a essentiellement ouvert trois modes d'approches en ce domaine. Nous
faisons référence ici à trois grandes figures de la
sociologie que sont DURKHEIM, MARX et WEBER. A ce propos, nous voulons ici
inscrire le culte des ancêtres comme fait religieux, impliquant des
croyances, le sacré, le profane et des rites qui le composent.
23 Mesmin Noël SOUMAHO, Eléments de
méthodologie pour une lecture critique, Préface de J.COPANS
et Postface de J.G BIDIMA, (coll. « Recherche Gabonaises »)
, l'Harmattan, et Libreville, CERGEP Editions, T.1, 2002, p.123.
24 Gaston MIALARET, Introduction aux sciences de
l'éducation, Paris-Genève, Unesco-Delachaux et
Niestlé, 1985, p.25, cité par Max Alexandre NGOUA in La
sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de
l'économie et de l'Etat capitaliste, rapport de Licence en
Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Septembre 2003, p.5.
En fait, si nous avons convoqué le culte des
ancêtres (Byéri, Bwété, Agombé
nèrô, Ndjobi, Malumbi, etc.), c'est parce que nous voulons montrer
qu'il est l'élément qui permet d'expliquer le
phénomène des profanations des tombes et dont les «
pièces détachées », particulièrement le
crâne humain font l'objet d'un culte. A travers le culte des
ancêtres, il s'agit là tout simplement de la préservation
des crânes des ancêtres, comme outil, comme support permettant
d'apporter prospérité à son détenteur. Toutefois,
cette préservation du culte des ancêtres a subi l'influence du
capitalisme, pour s'inscrire dans la marchandisation des restes humains. Et les
profanations des tombes viennent attester cette altération du culte des
ancêtres.
Finalement, en nous référant au culte des
ancêtres, c'est aussi, montrer la fonction de la société
lignagère en rapport avec le pouvoir. En ce sens, celui qui
détenait le crâne de l'ancêtre, détenait le pouvoir
et on se trouvait ici dans un système symbolique lignager (exclusivement
familial).
Pour DURKHEIM, « les phénomènes religieux
se rangent tout naturellement en deux catégories fondamentales : les
croyances et les rites. Les premières sont des états de
l'opinion, elles consistent en représentations ; les secondes sont des
modes d'action déterminés ».25 De plus, «
les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et
isolent [...] Enfin, les rites sont des règles de conduites qui
prescrivent comment l'homme doit se comporter avec les choses sacrées
».26
L'ensemble des croyances et des rites correspondants
constitue une religion. Durkheim entrevoit toute religion par sa
capacité à distinguer le sacré et le profane. Il nous
propose donc la définition suivante : « une religion est un
système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des
choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites,
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale,
appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent ».27
25 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de
la vie religieuse, Paris, (coll. « Le livre de Poche
»), classiques de Philosophie, 1991, p.92.
26 Ibid., pp.98-99.
27 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de
la vie religieuse op.cit., p.110.
Pour WEBER, « la religion définit les
orientations normatives de l'action, elle fixe un cadre nécessaire
à des conduites ».28
Enfin pour MARX, la religion est le produit de la
société. Ce dernier considère que « la religion est
à la fois l'expression de l'aliénation des individus et un
discours de légitimation de l'ordre établi »29 et
surtout de protestation. Mieux, elle est un mode de mystification assurant
l'aliénation des acteurs dominés aux profits de ceux qui les
exploitent. Ainsi, « la détresse religieuse est pour une part,
l'expression de la détresse réelle et, pour l'autre, la
protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir
de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme
elle est l'esprit des conditions sociales dont l'esprit est exclu. Elle est
l'opium du peuple ».30
En convoquant la sociologie du pouvoir, nous voulons
appréhender ce qu'on entend par la sociologie du pouvoir. Ensuite, il y
a un lien étroit entre religion et pouvoir. Pour Marta HARNECKER, le
pouvoir politique se définit comme « la capacité d'utiliser
l'appareil d'Etat pour réaliser les objectifs politiques de la classe
dominante ».31 Mieux, la sociologie politique « est la
science du pouvoir (de l'autorité, du commandement, du gouvernement)
dans quelque société humaine que ce soit et pas seulement dans
les sociétés étatiques ».32 Dans cette
définition du pouvoir, il convient de présenter deux de ses
caractéristiques : «d'abord sa fonction de régulation
sociale. Le pouvoir est indispensable et se renforce grâce aux
inégalités qu'il a pour but de combattre et qui le justifient,
d'où son ambiguïté. Dans une société sans
conflits, le pouvoir serait inutile. Georges BALANDIER ajoute une seconde
caractéristique importante : la sacralité, toujours
présente, bien que plus ou moins manifeste suivant les
sociétés ».33
28 Max WEBER, L'éthique protestante et l'esprit du
capitalisme, Paris, Plon, 1967, cité par M.A. NGOUA, op.cit
p.5.
29 Alain BEITONE et al, Sciences sociales,
3ème éd., Paris, (coll. «
aide-mémoire »), Dalloz, 2002, p.269.
30 Ibid., p.269.
31 Marta HARNECKER, Les concepts élémentaires
du matérialisme historique, Bruxelles, Editions Contradictions,
1974, p.105.
32 Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Sociologie
politique, 5ème édition, Paris, (coll. «
Domat Politique »), éd. Montchrestien, 1998, p.30.
33 Madeleine GRAWITZ, op.cit. p.288.
L'étude du pouvoir implique l'observation des
mécanismes politiques (élections, référendums,
etc.) par lesquels il se conquiert et s'exerce, la sphère d'action ou
d'intervention des gouvernants, telle qu'elle peut être
déterminée par les institutions existantes et par les positions
ou réactions du corps social, c'est-à-dire les formes,
l'étendue et les limites du pouvoir, ainsi que les techniques de
gouvernement ou moyens d'exercer le pouvoir. Or, il est indéniable que
le pouvoir est intimement lié à la religion. Mieux, le pouvoir
est lié à la sorcellerie, au fétichisme. En effet, «
la perception de la puissance politique des hommes (ou des femmes politiques)
participe du même schème de la criminalisation liée
à leur appartenance aux confréries et sectes supposées
exiger des sacrifices humains en échange du pouvoir et/ou de la
consommation des marchandises ».34
Enfin, Georges BALANDIER nous invite à considérer
que
l'imbrication du sacré et du politique est, dans ce
cas, déjà incontestable. « Dans les sociétés
modernes laïcisées, elle demeure apparente ; le pouvoir n'y est
jamais entièrement vidé de son contenu religieux qui reste
présent, réduit et discret ».35 En ce sens,
« le pouvoir est sacralisé parce que toute société
affirme sa volonté d'éternité et redoute le retour au
chaos comme réalisation de sa propre mort ».36
34 Joseph TONDA, op.cit, p.3.
35 Georges BALANDIER, anthropologie politique, Paris,
Puf /Quadrige, 1999, p.118.
36 Ibid., p.119.
Section 2 : Construction du modèle
d'analyse
« Tout travail de recherche s'inscrit dans un continuum
et peut être situé dans ou par rapport à des courants de
pensées qui le précèdent et l'influencent
».37 Mieux, « la problématique est l'approche
théorique ou perspective théorique qu'on décide d'adopter
pour traiter le problème posé par la question de départ.
Elle est une manière d'interroger les phénomènes
étudiés ».38
Ainsi commencerons-nous dans un premier temps par «
exploiter les lectures et les entretiens et faire le point sur les
différents aspects du problème qui y sont mis en évidence
»,39 pour arriver dans un deuxième temps à «
choisir et construire sa propre problématique ».40 Pour
notre étude, nous entamerons l'exploration des acquis scientifiques qui
portent sur le rapport entre les phénomènes religieux et
politiques, particulièrement sur le fétichisme (politique) et ses
différentes perceptions culturelles, intellectuelles et sociales.
1- Le rapport entre fétichisme et politique dans la
littérature occidentale
Florence BERNAULT définit la « sorcellerie
»41 ou la magie voire le fétichisme comme « des
actions contemporaines cachées, manipulées volontairement ou
involontairement par des hommes en contact avec la réalité
surnaturelle, pour certains effets. Ces effets peuvent être
bénéfiques socialement ou au contraire destructeurs, lorsque le
spécialiste (ou le commanditaire des actes sorciers) tue ou blesse
mystiquement ses
37 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche
en sciences sociales, 2ème éd, Paris, Dunod,
1995, p.43.
38 Ibid., p.85.
39 Ibid., p.85.
40 Ibid., p.86.
41 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, in MAMA AFRICA : Hommage à Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE,
Paris, l'Harmattan, 2005, p.1.
proches pour son seul bénéfice
».42 A noter que l'usage populaire emploie aussi le terme
français de « vampire ».
Evans PRITCHARD43 affirme que la sorcellerie est
par essence mauvaise dans la mesure où elle est
délibérément destinée à faire du mal. Loin
ici de nous limiter à cette approche, notre préoccupation est de
cerner le phénomène social que représente la sorcellerie
de façon objective. En effet, pour le cerner de façon objective,
on peut s'inscrire dans une perspective pluridisciplinaire, en faisant appel
à l'histoire. Il s'agit de voir comment la législation
française, sous la coloniale, aura interdit immédiatement
après la conquête, « la pratique des autopsies et
l'exposition des défunts. Elle décréta
simultanément l'obligation des enterrements dans les cimetières
publics, la condamnation des reliques sous la rubrique profanation de cadavres
»44, et conduisit avec l'aide des missionnaires
chrétiens la destruction des autels mobiles et des reliquaires
considérés comme « fétiches » et fatras sorcier
indésirable.
D'après Florence BERNAULT, «
L'omniprésence de la mort, la destruction et de la violence symbolique
signale un changement idéologique considérable au sein des
relations entre sorcellerie et pouvoir. Donc pour en cerner l'ampleur, il faut,
comme évoqué plus haut, rester une nouvelle fois sur le
passé (donc l'histoire en tant que discipline qui étudie les
faits passés.) Avant la conquête coloniale, le pouvoir de vie et
de mort sur les gens était détenu par les chefs et
spécialistes (Nganga) et était régulé
collectivement, et dans l'idéal, protégeait la communauté.
A l'inverse, il pouvait contribuer à la destruction de celle-ci
lorsqu'il servait l'unique profit individuel et anti-social des
détenteurs de forces extraordinaires. Les années 90 apportent un
renouveau des études ayant pris également sa source parmi les
anthropologues et sociologues, qui mettent en évidence la
vitalité de la sorcellerie au sein des instances les plus modernes
(politique et économique) des sociétés africaines : le
champ urbain aussi bien que rural, discours des élites et de
l'État, nouveaux conflits parentaux, sociopolitiques. Cette vision
conflictualiste,
42 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, Ibid., p.1.
43 Evans PRITCHARD cité par Jacques LOMBARD in
Introduction à l'ethnologie, 2ème
édition, Paris, Armand Colin, (coll. « Cursus, série
Sociologie »), 1998, p.131.
44 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, ibid., p.3.
nous permet de savoir comment la sorcellerie peut être
utilisée au sein de d'un même groupe à la fois comme
violence symbolique, sociale, et comme outil d'accumulation économique
et de domination politique ».45
En outre, « la sorcellerie est affaire de pouvoir, mais
un pouvoir déstructuré, en constant changement, accaparé
ou rêvé, ici et là, par toute une gamme des acteurs sociaux
».46 Enfin, dans cette perspective, il serait
intéressant de considérer « la sorcellerie comme ressource,
énergie ou capital dont disposerait ou non les individus en fonction des
situations et des positions occupées dans l'organisation des rapports de
forces ».47
On peut encore ajouter un autre argument, encore plus
pertinent ; car « l'un des aspects centraux de la sorcellerie
équatoriale réside dans sa relation avec le pouvoir
».48 En résumé, nous retiendrons d'abord que pour
Florence BERNAULT cette emprise de la sorcellerie dans le pouvoir fait que le
chef soit craint voire vénéré ; incarnant ainsi le pouvoir
spirituel et politique. En ce sens, « l'omniprésence de la mort, de
la destruction et de la violence signale un changement idéologique
considérable au sein des relations entre sorcellerie et pouvoir
».49
Peter GESCHIERE50 met clairement en
évidence le rapport entre sorcellerie et politique en Afrique
postcoloniale, particulièrement au Cameroun. En effet, « la
pérennité de l'importance de la sorcellerie pour le politique en
Afrique était liée aux paroxysmes autoritaires de nombreux
régimes ».51 De plus, « cette forte présence
de l'occulte dans la politique n'est guère surprenante : les discours
sur la sorcellerie ont toujours fourni un des idiomes
préférés de l'interprétation du pouvoir et surtout
de l'explication des inégalités de pouvoir en Afrique
».52 On pourrait résumer une de ses hypothèses
comme suit : que la sorcellerie a, semble t-il pour mission de servir à
la fois aux « petits », comme une arme égalisatrice contre les
« grands » et aux anciens eux-mêmes qui cherchent à
45 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au
Gabon et au Congo-Brazzaville, 2005, p.5.
46 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Dynamiques de
l'invisible en Afrique, Ibid., p.3.
47 Ibid., p.4.
48 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au
Gabon et au Congo-Brazzaville, p.4.
49 Ibid., p.6.
50 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique : le
piège du rapport élite-village, 16 pages.
51 Ibid, p.82.
52 Ibid., p.82.
consolider leur ascendant et à réaliser leurs
ambitions. Prenant appui sur l'exemple du rapport
élite-village, il montre que les élites ont
déserté leurs villages d'origines car elles sont au croisement de
la parenté et des nouveaux rapports de pouvoir et richesse. Les
villageois voient en leurs élites, de nouveaux sorciers qui, pour avoir
accumulé richesse, pouvoir et prestige sont donc en rapport avec les
pratiques sorcellaires et l'occultisme. Ce qui créée de la
jalousie de la part des villageois pour les élites, et qui
débouche sur le recours à la sorcellerie.
D'où un rapport ambigu entre élites et
villageois. Aussi arrive t-il à cette conclusion que « politique et
sorcellerie sont difficiles à séparer ». Et dans un climat
autoritaire et opaque, les confrontations politiques se confondent en effet
aisément avec les histoires de batailles nocturnes que les sorciers se
livrent entre eux.
Par ailleurs, plus que « des actions contemporaines
cachées, manipulées volontairement par des hommes en contact avec
la réalité surnaturelle, pour certains, effets. Ces effets,
peuvent être bénéfiques socialement ou au contraire
destructeurs, lorsque le spécialiste (ou le commanditaire des actes
sorciers) tue ou blesse mystiquement ses proches pour son seul
bénéfice »53 ; la sorcellerie est plutôt
perçue comme « une image symbole, véritable obsession, et
qui pourrait bien être générale pour l'Afrique, est celle
des rencontres nocturnes des sorciers qui, chacun à leur tour, offrent
un parent à manger à leurs acolytes ».54
53 Florence BERNAULT, op.cit., p.1.
54 Peter GESCHIERE, op.cit., p.84.
2-Les universitaires gabonais et africains face à
la sorcellerie ou le rapport politique et fétichisme
Joseph TONDA55 propose le concept de Souverain
moderne qui, d'après Florence BERNAULT, est une figure mi-Hobbesienne,
mi-marxiste d'un Léviathan remis au goût du jour. Il décrit
« l'ensemble des rapports qui, pour Joseph TONDA, gouvernent la production
du monde de l'après colonial, et impose à ceux pris dans ses
rêts, une culture du tourment, de la persécution, et de la
violence retournée sur soi. Le Souverain moderne met en évidence
les rapports de force qui gouvernent hiérarchies sociales et imaginaires
en Afrique centrale ».56
Il existerait donc des relations entre symbolique et
fétichisme. Ces relations sont livrées, parfois
dispersées, dans plusieurs parties du livre. « Pour Joseph TONDA,
le concept de violence symbolique emprunté à BOURDIEU, est
impuissant à rendre compte de la violence publique et privée en
Afrique centrale. Selon lui, la violence symbolique à l'oeuvre dans la
plupart des sociétés occidentales stables, sauf cas limites, est
en effet, une violence structurante, permettant aux autres formes de violence,
violence physique et matérielle, d'être contenues. En Afrique
centrale, en revanche, ce qu'il appelle la violence de l'imaginaire
procède à une extraordinaire fusion confusion de tous les modes
de violence. ».57
Parce que cette violence confond matériel et
imaginaire, à l'instar des charmes païens capturant le
matériel-immatériel des esprits, Joseph TONDA, choisit de
l'appeler « fétiche ». Selon le Souverain moderne donc, les
dynamiques d'assujettissement des colonisés se résument et
s'incarnent dans des « fétiches » ou des «
fétichismes », qui voilent les gens à eux-mêmes,
obscurcissent les inégalités dont ils souffrent, et les rendent
impuissants autrement que par la production de violence sur euxmêmes, par
l'effet d'un véritable recyclage des brutalités
coloniales.58
55 Joseph TONDA, le Souverain moderne, le corps du pouvoir
en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, p.251.
56 Florence BERNAULT, Compte rendu de lecture, « Autour
d'un livre : le Souverain moderne, le corps du pouvoir en Afrique
centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p., de Joseph TONDA
», p.1.
57 Ibid., p.6.
58 Joseph TONDA, le Souverain moderne, le corps du pouvoir en
Afrique centrale (Congo, Gabon), ibid., p.56.
L'envers de cette hypothèse est que l'imaginaire
fétichiste du Souverain moderne, n'a ni limites raciales, ni
spécificité culturelles, ni prédicat religieux, ni
incarnation intellectuelle donnée. Il est une structure de
causalité historiquement formée, inaugurée en Afrique
centrale, par la venue de l'ordre capitaliste et colonial, et par la
résonance de celui-ci avec les imaginaires locaux. Ainsi l'imagination
théologique des missionnaires, l'imagination profane des
indigènes et l'imagination scientifique de MARX s'entendent pour faire
du fétichisme [...] ce qui unit au-delà de leur
différence, le christianisme, le capitalisme et la
sorcellerie.59
De plus, Joseph TONDA précise que « la
criminalisation populaire des mandataires ou de manière
générale, de tout homme politique, soupçonnés ou
accusés d'attenter pour les des raisons et par des moyens
fétichistes, mais aussi par la violence physique, à
l'intégrité physiques des mandants, est un
phénomène ordinaire au Gabon. Cette criminalité se
caractérise par des « meurtres rituels » ou, comme il se dit
aussi et suivant une logique de redoublement symbolique, des « sacrifices
rituels ». L'objectif étant de prélever des organes humains
appelés significativement « pièces détachées
» : langues, mains, oreilles, crânes, coeurs, organes
génitaux ».60
Nous ne pouvons poursuivre l'argumentaire avec l'auteur sans
évoquer, et cela est crucial pour notre travail, qu'«aussi bien
pendant les périodes électorales qu'entre deux élections,
des témoignages de familles, des observations que l'on peut faire ainsi
que des articles de presse permettent de se rendre compte de la
réalité de ces « crimes » ou « sacrifices rituels
». Des noms des commanditaires et des exécutants sont cités
et l'on évoque toujours soit par des allusions, soit ouvertement des
hommes politiques, dont certains sont directement proches des hauts lieux du
pouvoir ».61 Le constat de l'accroissement exponentiel de cette
criminalité politico-fétichiste par des temps électoraux
est donc particulièrement banal. Par ailleurs, et ce qui enrichit sa
démonstration sur
59 Ibid., p.90.
60 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon, op.cit., p.3.
61 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon, ibid., p.3.
laquelle d'ailleurs nous nous appuyons pour notre analyse,
c'est que « de jour comme de nuit, les cimetières sont
visités. Les ossements humains foisonnent. Et il semble que dans cette
affaire là, les parties génitales sont recherchées et que
les « clitos » sont devenus des barres d'or ».62
Pour conforter les recherches de Joseph TONDA, les
profanations des tombes au cimetière de Mindoubé de Libreville
sont illustratives de ce fétichisme politique en tant que pratique
courante à l'approche des élections politiques au Gabon.
Toujours pour rester dans cette mise en évidence de ce
rapport, ce lien étroit entre le fétichisme et politique, nous
avons retenu également la contribution de Fidèle Pierre
NZE-NGUEMA63, qui nous présente que le succès du feu
président Léon MBA résidait dans ses relations avec les
pratiques culturelles et ésotériques du Gabon. Car pour
Fidèle Pierre NZENGUEMA, le chef de l'État gabonais
n'était pas que le chef de l'État, il devait aussi être le
chef dans les cérémonies initiatiques. L'initiation de
Léon MBA par exemple au culte Bwiti en est la parfaite illustration, car
cela lui a permis d'assurer l'image d'un futur chef dont on ne saurait craindre
la partialité. Trois facteurs sont mis en exergue par l'auteur, dans le
rapport étroit et consubstantiel de la sorcellerie et le pouvoir, dont
retenons le troisième. En effet, « le troisième facteur se
résume dans l'imagerie populaire qui le percevait comme
dépositaire d'une puissance spirituelle : l'évus ou
évur (Fang), ignemba (Myènè), dikundu
(Punu). Puissance sans laquelle il n'aurait pas pu assumer les fonctions de
président de la République. L'évus participerait
de l'assise sociale : la relation de sorcellerie renvoie au tissu existentiel
au quotidien, dans les rapports intra-communautaires. L'on se trouve en
présence d'une dialectique, dont les termes sont la force spirituelle et
la lutte pour le pouvoir ».64 On comprend ainsi que «
seuls peuvent se montrer forts, sans trop s'exposer, qu'il s'agisse de
revendication de pouvoir, d'étalage de richesse, ou de multiplication
d'alliance, ceux qui sont en situation sociale
62 Ibid., p.4.
63 Fidèle Pierre NZE-NGUEMA, L'Etat au Gabon. De 1929
à 1990. Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, (coll. «
Etudes africaines »), l'Harmattan, 1998, 239 p.
64 Fidèle Pierre NZE-NGUEMA L'Etat au Gabon. De 1929
à 1990. Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, (coll. «
Etudes africaines »), l'Harmattan, 1998, p.73.
de le faire »65 ; on soupçonnerait les
hommes politiques par exemple. Loin de conclure ce débat sur le rapport
de consubstantialité entre le fétichisme ou sorcellerie et
pouvoir politique, l'identification du pouvoir à travers un individu
gagne davantage en consistance qu'elle s'intègre dans un cadre de
cohérence plus vaste, c'est-à-dire les sectes. « Sectes dont
nous savons maintenant qu'elles ont joué et continuent de jouer un
rôle cardinal dans la codification et la structuration de l'univers
symbolique du pouvoir politique en Afrique dont le Bwiti, entre autres.
Ainsi les sociétés politiques africaines
associent largement la domination physique matérielle des forces de
contrainte (l'armée, la police, la justice...) à une dimension
immatérielle : le sacré ».66 Si on devait
conclure sur les facultés dévolues par la société
à cette force mystique (l'évus, ignemba, dikundu, etc.) dans la
consolidation de l'assise sociale du pouvoir, il importe ainsi de faire
ressortir que celle-ci serait cause d'un certain fatalisme des populations face
au phénomène politique en Afrique. C'est-à-dire que le
phénomène ne reposerait que sur la violence physique et
symbolique ; qu'enfin des comptes, il s'agit d'un pouvoir politique
mortifère. A cet égard, « n'est-il pas indifférent de
penser que des rivaux potentiels ou avérés de Léon MBA, se
fussent peut-être mis en réserve de la présidence,
conscients qu'il bénéficiait- à tort ou à raison-,
d'une puissance spirituelle supérieure à la leur, ou dont ils
auraient été dépourvus ».67
Autre contribution, dans cette dialectique entre
fétichisme et /ou sorcellerie et le pouvoir politique en Afrique, c'est
celle de Comi TOULABOR. En effet, pour lui, l'accent est mis sur des exemples
contemporains en Afrique de sacrifices humains liés au politique. «
Les sacrifices humains sont une pratique courante à travers l'histoire
de l'humanité ».68 Car « des faisceaux d'indices
concordants existent qui
65 Fidèle Pierre NZE-NGUEMA, Ibid., p.73 citant
Marc AUGE, «Les croyances de la sorcellerie in la Construction du
monde », Maspero 1974, p.52.
66 Ibid., p.74.
67 Jean François BAYART (sous la direction) Religion
et politique en Afrique noire, Paris, Karthala, 1993 : 289, cité
par Fidèle Pierre NZE NGUEMA, ibid., p.74.
68 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et politique
: quelques exemples contemporains en Afrique », p.207, in P.KONINGS,
W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de
libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC,
2000,295p.
permettent de dire que des sacrifices humains sont
pratiqués par des dirigeants africains ».69 Ce qui est
utile pour la suite de notre argumentaire, c'est de voir la définition
que l'auteur donne du sacrifice humain et surtout à quelles fins. «
Le sacrifice humain dont il est question ici consiste pour une personne
à tuer intentionnellement selon un rituel approprié une autre
personne, et à offrir son sang et/ou tout ou partie de son corps
à une divinité ou « fétiche » dans le but de
protéger et de conserver cet avantage aussi longtemps que possible. Le
sacrifice humain compris ainsi n'est pas exclusif du sens métaphorique
auquel il s'articule quand la violence politique peut être
instrumentalisée pour occulter des meurtres rituels
».70
L'auteur nous fait remarquer aussi que « le sacrifice
humain fait intervenir un personnage nodal qui est « le féticheur
», le sacrificateur ou le « marabout » qui jouit d'une
entière liberté dans la prescription et l'ordonnancement du
sacrifice ... Une autre modalité est d'offrir au « fétiche
» des parties de la victime supposée être le
réceptacle de son énergie vitale : organe génitaux, foie,
coeur, langue, crâne, ossements divers, etc. »71 Mieux,
« il arrive aussi que l'on prélève des morceaux choisis sur
des cadavres ou qu'on les achète sur le marché de trafic du corps
humain qu'alimente la criminalité dans certains pays africains
»72, en particulier au Gabon ; où comme nous l'avons dit
plus haut, la recrudescence des crimes rituels et profanations de tombes et
accusations d'acte de fétichisme se multiplient à la veille des
élections. Ces pratiques occultes qui forment « le soubassement
» (c'est le cas de le dire) du régime de BONGO. Le président
gabonais, grand maître fondateur de l'obédience maçonnique
baptisée Grand Rite équatorial, a réussi à
syncrétiser les rites maçonniques et les bwiti
».73
Car « les membres bwiti aspirant à plus de statut
social au sens large (richesse matérielle, notoriété
sociale, hauts grades du savoir bwiti, etc.) sont obligés de conclure
des pactes fondés sur le sacrifice humain. Il
69 Ibid., p.207.
70 Ibid., pp.208-209.
71 Ibid p.209.
72 Ibid., p.209.
73 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et politique :
quelques exemples contemporains en Afrique », ibid.,
p.214.
existe, sur les ondes de Radio- Trottoir, les informations
où apparaissent souvent dans les affaires scabreuses les noms du chef de
l'Etat et des hauts dignitaires du régime ».74 La
condition sine qua non du pouvoir est que si il y a sacrifice humain, ou tout
autre acte de fétichisme posé par le candidat, il y a
récompense immédiate. « Dans les années trente en
effet, Léon MBA était membre du bwiti (et de la
franc-maçonnerie). Pour accéder au haut grade dans la
hiérarchie bwiti et aussi à un statut professionnel
supérieur, il devait sacrifier un être cher, comme dans d'autres
cultes initiatiques similaires. Il choisit donc son épouse. Son forfait
accompli, il eut sa première consécration en devenant
maîtrise bwiti ».75
Enfin, Comi TOULABOR met bien en évidence le rapport
étroit entre fétichisme et politique « aux moments des
remaniements ministériels, de nominations de quelque importance, et
maintient de compétitions électorales, sont-ils très
probablement des veillées d'armes où les meurtres rituels et le
trafic du corps humain et leurs hypostases (volailles et bétail),
atteignent des courbes ascendantes... Le sacrifice est une procédure de
souscription à une assurance ou un acquittement du rappel
».76 « Le sacrifice est un véritable protocole
d'échanges de dons et de contre-dons ».77
Comi TOULABOR avance comme explication parmi tant d'autres le
fait que « le sacrifiant peut communier au corps et/ou au sang de la
victime comme lors du sacrifice eucharistique catholique : ici on est en
présence d'une relation ontologique. De même qu'ici des
frères réunis goûtent de la chair et boivent du sang du
Christ pour se sanctifier et pour s'identifier à lui, de même
là le sacrifiant incorpore l'énergie vitale de sa victime par
voie orale, nasale ou sanguine, en mangeant, en buvant, en inhalant des
préparations ou des poudres nasales à base des
éléments du corps humain ou alors en introduisant dans son corps
les mêmes éléments par scarification ou incision
».78 Ainsi arrive t-il aux conclusions selon lesquelles «
le sacrifice humain fait partie des milles et une stratégies de
74 Ibid., p.214.
75 Ibid., p.215.
76 Ibid., p.219.
77 Ibid., p.219.
78 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et politique :
quelques exemples contemporains en Afrique »,
ibid., p.220.
quête du pouvoir et de sa préservation entre les
mains des dirigeants africains ».79 Et qu'« avec les
compétitions électorales qui précarisent la position de
plus d'un dirigeant, on assistera de plus en plus à la multiplication
des sacrifices humains vis-à-vis desquels les droits de l'Homme et de
l'État de droit risquent d'être désarmés
».80
Parce que ces pratiques occultes « font du corps de
l'autre, et surtout de sa vie, une vulgaire ressource politique qu'on peut
actionner à sa guise ».81Dans la même perspective,
nous convoquons Luc de HEUSCH82 pour qui le facteur magico-religieux
demeure un élément majeur de légitimation et de
conquête du contrôle politique d'un territoire. De plus, « le
pouvoir trempe cette fois sans équivoque dans la sorcellerie
maléfique. En effet, pour acquérir ses qualifications magiques
(wene), le candidat chef doit livrer un certain nombre « de
personnes de la nuit, qui, privées de leurs âme, meurent dans les
jours qui suivent ».83 Pour lui, « l'économie
marchande pervertit littéralement le système traditionnel et
trouve dans la sorcellerie son alliée naturelle puisque la
première implique la capture systématique d'êtres humains,
réduits en esclavage, et la seconde le sacrifice humain. Le roi Garcia
II, qui régna au milieu du XVII ème , était pleinement
conscient de cette déchéance : « au lieu de l'or et de
l'argent et d'autres biens qui servent de monnaie ailleurs, ici la monnaie est
faite de personnes, qui ne sont ni or ni tissu, mais qui sont des
créatures ».84
Enfin, « si l'association du pouvoir et de la
sorcellerie au Mayombe doit être rapprochée de l'enrichissement
d'un certain nombre de chefs à la faveur de la traite, on ne peut
cependant considérer ce phénomène comme purement
contingent. Il est inscrit en effet structuralement au coeur même de la
sacralité ambivalente du pouvoir ; il s'agit d'une
79 Ibid., p.220.
80 Ibid., p.220.
81 Ibid., pp.220-221.
82 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres
sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard,
2000, 420 p.
83 Ibid., p.114.
84 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres
sacrés. Mythes et rites bantous III, ibid., p.122.
potentialité plus ou moins développée
des sociétés bantoues d'Afrique centrale »85
En Afrique centrale, la « commercialisation des hommes
» mais surtout de leur corps devient un phénomène des plus
récurent. Dans son analyse sur le commerce illicite des hommes paru dans
« Enjeux »86, Jean Bosco OYONO dresse un tableau
générique de la prolifération des entreprises criminelles
en Afrique centrale à l'ère globale. Pour lui, l'Afrique centrale
est plus touchée que d'autres parties de l'Afrique et dénonce
donc le commerce illicite des hommes ; particulièrement la traite des
femmes comme trafics humains. Parce que victimes des mirages et eldorados
européens, « les femmes sont particulièrement
vulnérables. Elles peuvent être l'objet d'une exploitation
sexuelle. Souvent endettées vis-à-vis des passeurs, elles sont
forcées de se livrer à des activités criminelles pour
rembourser leurs dettes ».87
Jean Bosco OYONO croise deux variables : « la
prolifération des entreprises criminelles en Afrique centrale » et
« l'ère globale », accusant la seconde d'être
responsable des déviances et activités criminelles en Afrique
centrale. Déviances et activités criminelles qui influencent
aussi le quotidien des hommes. On pourrait, à la suite de Jean Bosco
OYONO, se pose la question de savoir si la criminalité sous ses formes
et ses corollaires sont la condition sine qua non des pays africains, en
particulier ceux de l'Afrique centrale pour entrer dans l'ère de la
mondialisation et la globalisation des économies et des échanges,
et pour être qualifiés de pays modernes. Pour renchérir ses
analyses, l'auteur fait état aussi du trafic d'organes. En effet, «
les enlèvements et les disparitions, fréquents de nos jours, sont
liés au trafic d'organes, voire d'ossements. Il est bien connu que le
« marché noir » des organes humains est un commerce lucratif.
Cette activité intéresse aussi le crime organisé. C'est un
domaine
85 Ibid., p.123.
86Enjeux, Bulletin d'Analyse Géopolitiques pour
l'Afrique Centrale, Yaoundé, 3èmeannée,
publication trimestrielle, n°9 octobre-Décembre 2001, 31 p.
87 Jean Bosco OYONO, La prolifération des entreprises
criminelles en Afrique centrale à l'ère globale, in
ENJEUX n°9 octobre-Décembre 2001, p.10.
où l'on peut s'attendre à voir le milieu
médical subir les attaques renforcées de la corruption
».88
Max Alexandre NGOUA pense que la pratique de la sorcellerie
du Kong n'est pas un processus en marge de la vie sociale comme le pense le
sens commun, parce que celui-ci de manière subtile et efficiente est
usité par le pouvoir politique actuel du Gabon. La sorcellerie du Kong
est liée à l'impact de la globalisation et que sa nature
ambivalente provient de l'articulation entre valeurs anciennes, traditionnelles
et locales, et les nouveaux flux de commerce interrégional et
international. « L'aspect intriguant dans cette représentation (la
sorcellerie du Kong) est qu'elle relativise la distinction entre hommes et
marchandises. L'idée qu'on « vend » le parent et que celui-ci
sera exploité dans une plantation de cacao, etc. est l'illustration
parfaite de l'imprégnation dans nos moeurs du système capitaliste
».89
« L'argent est lié aux génies
scientifiques que sont les voitures, les avions, les appareils
électroménagers, les moyens de télécommunication
(...) toutes ces choses suscitent envies et jalousie, frustrations (...)
désirs de mort de l'autre possédant ».90 Enfin,
« l'argent est l'une des principales causes de tous les malheurs qui
sévissent dans le pays, c'est l'argent qui entraîne les gens
à se jalouser et à se détruire, à s'abandonner au
fétichisme et à la sorcellerie ; l'argent est en quelque sorte le
premier fétiche ».91
Max A. NGOUA termine en disant que le kong est la nouvelle
sorcellerie de la richesse ayant pour principe de base l'enrichissement rapide
et le profit à tout prix. Le kong est donc une affaire de pouvoir, de
domination (il s'agit du pouvoir politique).
88 Jean Bosco OYONO, La prolifération des entreprises
criminelles en Afrique centrale à l'ère globale, ibid.,
p.10.
89 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à
Bitam : une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat
capitaliste, p.11, Rapport de Licence en Sociologie, FLSH/UOB, Septembre
2003.
90 Joseph TONDA, Politique Africaine ; «Capital
sorcier et travail de Dieu », n°79, octobre 2000.
91 Jean-Pierre DOZON, cité par Joseph TONDA ;
op.cit.p.46.
3- Perspective de notre problématique du rapport
entre fétichisme et politique
Une première remarque s'impose sur la
problématique du rapport entre fétichisme/sorcellerie et
politique : posée par tous nos prédécesseurs. Au fond,
tous ces auteurs auront mis l'accent particulier sur la dimension
économico-politique. Il faut souligner que tous les travaux que nous
avons recensés, dans le cadre du lien entre la sorcellerie et le
politique, sont marqués du sceau très remarquable du
matérialisme historique de Karl MARX. « Toutes ces études
viennent fustiger les rapports aussi bien de domination, des luttes de groupes
et de génération, que les rapports d'exploitation d'un groupe par
un autre groupe ».92
Néanmoins, rares sont les études sur le
fétichisme politique comme conséquence des compétitions
électorales que se livrent les hommes politiques dans la conquête
et la consolidation du pouvoir politique au Gabon, particulièrement
à Libreville. Il faut rappeler que Pierre BOURDIEU, s'agissant de la
question du fétichisme politique, lançait déjà le
concept dans ses travaux, en présentant la délégation du
pouvoir entre le mandant (le peuple) et le mandataire (l'homme politique)
où ces mandataires ou fétiches politiques que sont des gens, des
choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une
existence que les agents sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent
leur propre créature.
Pour sa part, Joseph TONDA a pu se rendre compte que «
de jour comme de nuit, les cimetières sont visités. Les ossements
humains foisonnent. Et il semble que dans cette affaire-là, les parties
génitales sont recherchées et que les « clitos » sont
devenus des barres d'or ».93 De plus, les profanations des
tombes deviennent le lot quotidien des Librevillois qui assistent à ces
phénomènes sans pouvoir réagir en périodes
électorales. L'exemple le plus significatif est celui de « la
criminalisation populaire des
92 Davy Willis KOUMBI OVENGA, Mort et pouvoir. Violence
politique et société initiatique Ndjembè en postcolonie
gabonaise, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville,
UOB/FLSH, 2006, p.39.
93 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon op.cit., p.4, citant le Missamu, n°239 du 26 novembre
2001, p.3, le n°226 du 21 avril 2001, et la Griffe n°412 du
3 janvier 2001 et enfin, la Griffe n°409 du 6 décembre
2000.
mandataires ou de manière générale ; de
tout homme politique, soupçonnés ou accusés d'attenter
pour des raisons et par des moyens fétichistes, mais aussi par la
violence physique, à l'intégrité physique des mandats, est
un phénomène ordinaire au Gabon ».94 En plus,
« cette criminalité se caractérise par des « meurtres
rituels », ou, comme il se dit aussi et suivant une logique de
redoublement symbolique, « des sacrifices rituels ». L'objectif
étant de prélever des organes humains appelés
significativement « pièces détachées » :
langues, mains, oreilles, crânes, coeurs, organes génitaux
».95
Venons-en à présent à la question de
« ces pièces détachées » qui font l'objet de
collecte et de convoitise de la part de ces hommes politiques ou «
mandataires » à l'approche des élections politiques.
Rappelons que les auteurs que nous avons convoqués ont
évoqué tous, comme nous l'avons dit, l'aspect
économico-politique du rapport entre fétichisme et politique. En
fin de compte, il s'agit d'un problème qui relèverait d'une
dimension purement culturelle de « ces pièces
détachées » que nous voulons mettre ici en lumière ;
dans un souci de montrer l'omniprésence du culturel pour expliquer, sans
doute, le recours des hommes politiques aux « pièces
détachées ». Ceci dérive en dernière analyse
du culte des ancêtres, toujours présent chez
nombre de gabonais.
Nous concluons, dans cette étude, que notre
problématique s'appesantit sur le passage d'une économie
symbolique lignagère à une économie de marché. On
vend les éléments du corps humain sur le marché et au
politique.
Eu égard tout ce qui précède, nous ne
pouvons que nous inscrire que dans la sociologie dynamique de
Georges BALANDIER. Comme l'écrit Davy Willis KOUMBI-OVENGA, le choix de
BALANDIER est pertinent par le fait qu'il est le sociologue et l'anthropologue
qui a le plus marqué la sociologie africaniste des années 1950 en
Afrique coloniale. Il est le premier à initier la réflexion sur
le politique et le religieux en Afrique centrale et particulièrement au
Gabon et au Congo. Echappant à
94 Ibid., p.3.
95 Ibid, p.3.
l'opposition individu-société,
certains auteurs renouant avec la tradition sociologique bien établie
s'intéressant aux changements sociaux, au devenir des
sociétés. Les mutations sociales semblent être le terrain
privilégié de la sociologie car elles relèvent à la
fois de la théorie et de la pratique.
BALANDIER a donc observé la décolonisation des
Etats africains et leur évolution. Pour notre cas, il s'agit de voir
l'aspect culturel du culte des ancêtres, à travers la conservation
des reliques humaines, qui interviennent aujourd'hui en tant que «
pièces détachées » dans la sphère du pouvoir
politique. Pour finir, ce que BALANDIER tente de faire saisir à travers
ces sociétés en évolution rapide, particulièrement
le Gabon, c'est la part d'invisible, mais surtout
d'imprévisible qu'elles cachent sous leurs apparences plus ou moins
agitées.
4- Enonciation de notre hypothèse de recherche
« L'hypothèse est une proposition de
réponse à une question posée. Elle tend à formuler
une relation entre les faits significatifs ».96 Partant ainsi
de cette définition, nous avons émis une hypothèse qui va
guider notre recherche. D'autant plus que la question de départ à
cette étude se décline comme suit : Pourquoi les tombes
sont-elles profanées à Mindoubé ?
A cela, notre proposition de réponse est la suivante :
la profanation des tombes en périodes électorales est
l'expression du fétichisme politique en vigueur au Gabon.
5- Définition et construction du concept
central
« Le concept en tant qu'outil, fournit non seulement un
point de départ, mais également un moyen de désigner par
abstraction, d'imaginer ce qui n'est pas directement perceptible
».97 Plus important encore, pour le sociologue ou le chercheur,
c'est qu'il doit « définir les choses dont il traite, afin que l'on
sache et qu'il sache bien de quoi il est question ».98
La définition du concept, bien qu'étant qu'une
simple « convention terminologique », opère un tri des faits
que cherche à rendre intelligible le sociologue. Après être
prêtés à cette exigence méthodologique, nous avons
retenu le concept fondamental suivant de notre travail: le
fétichisme politique.
96 Madeleine GRAWITZ, op.cit. , p.398.
97 Ibid., p.385.
98 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll.
« Quadrige »), 2002, p.34.
5.1. Définition du concept du «
fétichisme politique », comme concept fondamental de notre
étude
Alors que Pierre BOURDIEU, dans un entretien99
avec Didier ÉRIBON, parle de fétichisme politique pour traduire,
dans le champ politique la relation du mandant au mandataire. Nous posons le
concept de fétichisme politique pour rendre compte de deux dimensions
étroitement liées :
>Dans la première dimension, il s'agit d'abord de ces
objets
humains, ou restes humains, mieux ces « pièces
détachées »
humaines collectées pour servir dans les pratiques
fétichistes.
> Dans la seconde dimension, ces objets humains, ou
restes
humains, ces « pièces détachées
» collectées vont permettre à
l'entrepreneur politique, grâce à la
nécromancie et autres pratiques
fétichistes, d'acquérir, voire de conserver ou de
consolider le pouvoir
(économique, politique et social).
Le "fétichisme politique" que nous
décrivons dans le contexte gabonais, se manifeste finalement sous deux
dimensions : d'abord celle qui consiste à (re)collecter les
éléments du corps humains ou « pièces
détachées » via les profanations des tombes ; puis, leur
usage politique à savoir ; gagner les élections, les perdre, les
nominations, éliminer un adversaire politique ou pour durer au
pouvoir.
99 Entretien de Didier ERIBON avec Pierre Bourdieu. A
l'occasion de la publication de « Ce que parler veut dire », in
Libération, 19 Octobre 1982, p.28. Dans Hyperbourdieu : «
Dévoiler les ressources du pouvoir. Le fétichisme politique
».
5.2. Tableau n°1: Construction du concept de
« fétichisme politique »
Concept
|
Dimensions
|
Indicateurs
|
Fétichisme politique
|
Economique
|
· Production et vente des restes
humains ou « pièces détachées
».
|
|
· Gagner les élections.
· Perdre les élections.
· les nominations.
· Eliminer un adversaire politique.
· Durer au pouvoir.
· Problème de justice.
|
|
Section 3 : Démarche méthodologique
Une première remarque s'impose sur la notion de «
terrain ». En effet, « faire du terrain, c'est avoir envie de se
colleter avec les faits, de discuter avec les enquêtés, de mieux
comprendre les individus et les processus sociaux ».100 Il va
de soit qu'il n'y a pas de recherche sans terrain, surtout en sciences
humaines.
1- Cadre empirique de la recherche
L'univers d'enquête est le lieu par excellence où
le chercheur va puiser les informations dont il a besoin pour rendre compte du
phénomène qu'il étudie. A Libreville, il existe plusieurs
cimetières, nous avons fait la recension dans le tableau qui suit, il
s'agit aussi bien des cimetières publics que privés :
100 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide de
l'enquête de terrain. Produire et analyser des données
ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La
Découverte, 2003, p.16.
Tableau n°2: Recension des cimetières de
Libreville (liste non exhaustive)
Arrondissement
|
Terrain d'étude
|
Communauté enterrée
|
Cimetières clôturés
|
Cimetières éclairés
|
Cimetières Gardés
|
Cimetières Réservés aux
:
|
1er
|
Ambowè
|
Mpongwè
|
Non
|
Non
|
Non
|
Toutes
|
1er
|
Méssôlô
|
Sékiany
|
Oui
|
Non
|
Non
|
Toutes
|
1er
|
Cap Astéries
|
Benga
|
Non
|
Non
|
Non
|
Toutes
|
2ème
|
Sainte Marie
|
Toutes
|
Non
|
Non
|
Non
|
Toutes
|
4ème
|
Plaine Niger
|
Mpongwè
|
Oui
|
Oui
|
Oui
|
Catholiqu es
|
4ème
|
Baraka Mission
|
Galoa
|
Partiellement
|
Non
|
De jour
|
Protestan ts
|
5ème
|
Lalala
|
Toutes
|
Oui
|
Non
|
Oui
|
Toutes
|
5ème
|
Mindoubé
|
Toutes
|
Partiellement
|
Non
|
De jour
|
Toutes
|
Compte tenu du fait que le chercheur doit délimiter son
univers d'enquête, nous trouvons d'abord utile de préciser que
parmi tous les cimetières que nous recensions à Libreville, il y
en a qui sont sous la juridiction de la Mairie de Libreville,
d'autres101 non, d'où le caractère privé qu'ils
prennent.
Le cimetière de Mindoubé a enregistré une
quarantaine de tombes profanées (46 pour être exacte) en octobre
2006102.32 tombes supplémentaires en 2007103 et
tombes en juillet 2008104. Ces quelques informations par l'Union
Plus, quotidien d'informations gabonais et notre enquête de terrain
sur ledit site, attestent bien que la pratique de la marchandisation des restes
humains existe à Libreville. Mindoubé est le théâtre
de ces profanations. Plus encore, c'est que d'octobre 2006 à juillet
2008, il s'est écoulé deux ans et qu'il y a eu des
élections politiques
101 Ces cimetières sont sous la juridiction des
Associations privées communautaires, celles des Quatre Saisons pour le
cimetière du quartier Plaine Niger et la Mission Baraka, pour le
cimetière qui porte sa dénomination.
102 Cf. l'Union Plus du mardi 10 octobre 2006, rubrique
« société et culture », p.6 en annexe.
103 Chiffre obtenu à la suite de notre enquête de
terrain sur le site, durant laquelle nous avons du compter et marquer ces
trente-deux tombes profanées en plus avec des bois. Nous avons
bénéficié de l'aide du gardien monsieur Jean-Noël
présent sur les lieux.
104 Cf. l'Union Plus du mercredi 16 juillet 2008,
rubrique « société et culture », p.6 en
annexe.
(législatives et les locales). Surtout que durant ces deux
ans, cela fait 87 tombes au total qui ont été
profanées.
Tableau n°3 : Répartition des
cimetières sous juridiction de l'HDV
Arrondissement
|
Terrain d'étude
|
Communauté enterrée
|
Normes de sécurisation des
cimetières
|
Clôture
|
Éclairage
|
Gardiennage
|
1er
|
Ambowè
|
Toutes
|
Non
|
Non
|
Non
|
2ème
|
Sainte Marie
|
Toutes
|
Non
|
Non
|
Non
|
5ème
|
Lalala
|
Toutes
|
Oui
|
Non
|
Oui
|
5ème
|
Mindoubé
|
Toutes
|
Partielleme nt
|
Non
|
De jour
|
Il faut signaler que le cimetière de Mindoubé a
suscité un intérêt sociologique de notre part car il ne
bénéficie pas des normes de sécurité105
que nous avons évoquée dans le tableau n°3 plus haut. De
plus, il est représentatif de l'ensemble des différentes ethnies
de la population gabonaise qui est enterrée. Par ailleurs,
Mindoubé, en tant que terrain d'enquête privilégié,
nous permet de voir que « le sociologue n'observe pas la
réalité sociale, mais des pratiques [...] Entre lui et son objet
d'étude s'interpose un ensemble d'interprétations et
d'interventions ».106 C'est Mindoubé qui est victime des
profanations des tombes à la veille des élections ;
phénomène récurrent et qui se pose avec acuité.
Comme l'indique ici le tableau n°4, où il s'agit d'un histogramme
qui met donc en évidence le phénomène.
105 Cf. photos n° 8, 9, 10,11, et 14 dans la deuxième
partie du Mémoire.
106 Alain TOURAINE, Pour la Sociologie, Paris,
éd. du Seuil, (coll. « Points »), 1974, p.25.
Tableau n°4 : Histogramme des tombes
profanées à Libreville de 2004 à 2008 pour
Mindoubé
Effectifs
50 45 40 35 30 25 20 15
10
5
0
|
|
2004 2006 2007 2008
|
Années (xi)
|
Effectifs (ni)
|
2004
|
20
|
2006
|
46
|
2007
|
32
|
2008
|
9
|
total
|
107
|
> Il y a lieu ici de préciser que le
phénomène que nous décrivons s'observe en périodes
électorales. Entre 2006 et 2007, c'est-à-dire en l'espace d'une
année, il y a eu au total près de 70 tombes qui ont
été profanées dans le même cimetière,
c'est-à-dire à Mindoubé ; pratiquement à la
même période.
> Enfin l'année 2008 a vu l'organisation des
élections législatives partielles et les locales sur le
territoire national. Mais c'est aux lendemains de ces consultations
électorales que les profanations se sont enregistrées à
Mindoubé en Juillet de la même année. Comme le confirme
« l'Union Plus » du 22 juillet 2008 en annexe.
Notre enquête sur le terrain s'est résumée
à l'observation participante, « durant laquelle le chercheur
participe aux activités qu'il observe. »107 Cette
technique d'enquête nous a donc permis de participer à la vie
quotidienne des populations de la décharge publique de Mindoubé
(en l'occurrence les femmes surtout) faisant face à notre terrain
d'étude: le cimetière. Nous avons dû travailler deux jours
de suite avec ces femmes dans la décharge pour mieux nous
intégrer. Nous nous sommes appropriés une benne à ordure
du camion de la SO.V.O.G; ce qui nous a permis de pouvoir échanger cette
benne à ordure contre les informations concernant les profanations des
tombes au cimetière. Notons aussi que cette méthode qualitative
qu'est l'observation « est essentielle à toute recherche
sociologique ».108
107 Alain BEITONE et al. Sciences sociales, Paris,
(coll. « aide-mémoire »), 3ème
éd., 2002, p.27.
108 Ibid., p.26.
2- Caractéristique de notre échantillon
Eu égard à la difficulté d'obtenir des
informations, notre analyse repose essentiellement sur un échantillon de
trente personnes qui ont bien voulu se prêter à nos entretiens.
L'échantillon était constitué en majorité des
familles des victimes des profanations des tombes à Mindoubé que
nous avons pu rencontrer sur le site le 1er novembre 2007 dernier.
Cependant, il convient de noter que nous avons tenu à recueillir le
sentiment du conseiller du Directeur Général des Services
Techniques de l'HDV de Libreville, en tant que technicien de
l'aménagement urbain et surtout, celui que nous considérons comme
un élément clé, le sentiment du gardien du
cimetière qui n'a cessé d'être coopérant durant
notre séjour sur le site.
Cet échantillon se compose ainsi qu'il suit :
? Le chef du quartier
? Le Conseiller du D.G de la D.G.S.T
? Le gardien du cimetière
? Les 25 familles victimes des profanations des tombes
? Deux femmes riveraines, travaillant et vivant de la
décharge
? Entretien avec un ancien profanateur
3- Technique de collecte et de traitement des
données
3.1. L'entretien comme technique de collecte des
données
La technique utilisée pour collecter l'information
repose sur un guide d'entretien ; technique que nous avons trouvé
pertinente car les femmes et les autres habitants du site étaient
très réticents et prudents quant à notre présence
sur le terrain. Mais après avoir eu à travailler deux jours avec
elles dans la décharge et le fait qu'on leur ait échangé
les ordures pour des informations, elles ont finalement accepté de
répondre à nos questions. L'entretien apparaît ici comme
« une technique qui consiste à
organiser une conversation entre enquêté et
enquêteur. Dans cet esprit, celui-ci doit préparer un guide
d'entretien, dans lequel figurent les thèmes qui doivent être
impérativement abordés ».109
En un mot, il existe plusieurs modalités d'organisation
des entretiens ; dont nous avons retenu l'entretien semi-directif
comme variante utilisée.
L'entretien semi-directif «
suppose que le chercheur annonce à son interlocuteur le thème de
l'entretien. Il fait en sorte que celui-ci se déroule le plus «
naturellement » possible (non standardisation de la forme et de l'ordre
des questions), tout en abordant l'ensemble des sujets fixés au
départ ».110
3.2. L'analyse de contenu comme technique d'analyse des
données
« L'analyse de contenu porte sur des messages aussi
variés que des oeuvres littéraires, des articles de journaux, des
documents officiels, des programmes audio-visuels, des déclarations
politiques, des rapports de réunion ou des comptes rendus d'entretiens
semi-directifs. Le choix des termes utilisés par le locuteur, leur
fréquence et leur et leur mode d'agencement, la construction du «
discours » et son développement constituent des sources
d'informations à partir desquelles le chercheur tente de construire une
connaissance ».111
En un mot, « l'analyse de contenu est l'outil d'analyse,
par excellence, des données qualitatives recueillies au moment de
l'entretien ».112 L'analyse de contenu comme technique de
traitement et d'analyse des données permet de confronter l'idée
selon laquelle les faits scientifiques sont à la fois « conquis,
construits et constatés ». Au coeur du dispositif : le recueil des
données et leur analyse.
109 Alain BEITONE et al. Sciences sociales, Paris,
(coll. « aide-mémoire »), 3ème
éd., 2002, p.27.
110 Ibid., p.28.
111 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, op.cit.,
pp.229-230.
112 Davy Willis KOUMBI OVENGA, op.cit. p.54.
3.3. Limites de l'étude
Une des limites majeures dans notre travail se trouve
être la documentation sur la question que nous soulevons dans cette
étude. En effet, Jean Ferdinand MBAH affirme que « le
problème de la documentation au Gabon constitue un réel handicap
autant qu'une difficulté pour la recherche. »113 A cela,
il faut ajouter le fait que nous nous sommes osés sur un objet comme
celui aussi sensible, nous faisons face à la réticence de nos
enquêtés et autres personnes qui peuvent nous apporter un plus
dans la recherche, estimant que nous sommes des espions envoyés par les
autorités de la place ; sans oublier le personnel des pompes
funèbres de la place qui refuse catégoriquement de nous recevoir.
A noter aussi le refus des autorités du Tribunal de Première
instance de Libreville de nous délivrer un permis pour pouvoir
accéder à la Prison Centrale de Libreville pour rencontrer les
présumés profanateurs des tombes emprisonnés ; et ce, sans
nous donner les raisons valables à cette interdiction. Enfin, durant nos
investigations, au mois de Février 2008, nous avons été
victime de menaces verbales de mort au téléphone par deux
individus : un homme d'abord, puis la semaine suivante, c'était une
femme.
Toutes ces difficultés nous permettent de mesurer la
portée d'une recherche en sciences sociales au Gabon, mais aussi, permet
au chercheur en formation que nous sommes de mieux nous familiariser avec le
terrain. Aussi, la réalisation de ce mémoire est l'aboutissement
d'un travail qui ne peut toutefois revendiquer la perfection. Ne pas avoir
accès à la documentation sur les reliques, comme nous l'avons dit
plus haut, a constitué un obstacle non négligeable. Dans
l'état actuel des connaissances, on n'a pas pu résoudre cette
question. Cependant, nous voulons tout de même espérer que
l'année prochaine si nous nous rendons en France, nous tenterons d'en
compenser les manquements éventuels qui se feront ressentir.
113 Jean-Ferdinand MBAH, La recherche en sciences sociales au
Gabon. Préface de Louis-Vincent Thomas, Paris, l'Harmattan, (coll.
« Logiques sociales »), 1987, p.123.
Introduction de la première partie
Comprendre comment les sociétés traditionnelles
conçoivent et surtout, comment elles se comportent avec le sacré,
c'est interroger en filigrane les logiques qui gouvernent leurs imaginaires.
C'est donc questionner les différents cultes des ancêtres que sont
par exemple le Ndjobi chez les Massango, l'Agombé Nèrô chez
les Myènè, le Bwiti chez les Mitsogho ou encore le Byéri
ou Byer chez les Fang.
Pour notre étude, nous avons retenu le cas du
Byéri, pour tenter de comprendre cette étroite relation que les
sociétés traditionnelles gabonaises en général, la
société traditionnelle Fang en particulier, entretient avec le
sacré. Pour Durkheim, « les choses sacrées sont celles que
les interdits protègent et isolent ».114 Et le
Byéri ou « Byer Fang est le crâne de l'Ancêtre que
l'homme conserve, dans un but religieux, les restes humains de ses
Ancêtres ».115
S'inscrivant dans la définition de DURKHEIM, le
Byéri est sacré parce que protégé et isolé
par des interdits116 et il sert les individus de la
communauté en apportant paix, prospérité dans les
entreprises, abondance, sérénité, équilibre,
fécondité pour les femmes, la sécurité et maintient
la cohésion sociale des individus ; par des cultes qui lui sont
rendus.
Les Fang « mettaient le meilleur d'eux-mêmes
à vénérer leurs Ancêtres, dans le culte. Le byer est
le fondement des valeurs morales auxquelles les individus doivent se conformer
dans les usages, les rites, les croyances. Tous les sacrifices et les formules
invocatoires se réfèrent à lui ».117 En un
mot, le byéri est le socle de la société Fang car «
la société Fang était inconcevable sans le byer
».118 Il est « simplement une pratique rituelle -tout
comme " la flamme du souvenir"- consistant en un "culte"
114 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de
la vie religieuse, Paris, (coll. « Le Livre de Poche
»), classiques de la philosophie, 1991, p.92.
115 Paulin NGUEMA OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai
d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris,
Karthala/A.C.C.T, 1983, p.39.
116 André RAPONDA WALKER a montré dans ses travaux
que la boîte qui contient les crânes humains n'est jamais vu par
les gens, même celui qui la garde n'a pas le droit de voir le contenu de
la boîte.
117Paulin NGUEMA OBAM, Aspects de la religion Fang, op.cit.,
p.54.
118 Ibid., p.42.
privé, familial, rendu aux mânes des
ancêtres, afin d'obtenir, à la fois leur bienveillance et leur
protection et d'honorer leur mémoire ».119
La persistance de ce culte des ancêtres montre bien que
c'est un culte prédominant et auquel les gabonais demeurent
attachés : le Bwiti chez les Mitsogho, le Byer chez les Fang par
exemple, malgré l'irruption du mode de production capitaliste, et en
filigrane, l'imposition du christianisme au Gabon durant la période
coloniale. Car, en rendant un culte à leurs ancêtres, les Gabonais
ont à l'esprit qu'ils sont la continuité de l'ancêtre et en
tant qu'ils sont porteurs et supports de la même essence que lui,
responsable de la lignée, du clan, de l'ethnie.
Ainsi, le travail de l'anthropologue qui s'intéresse
aux faits sacrés, doit accomplir une oeuvre significative de
compréhension, d'analyse des traditions ancestrales. Il s'agit en
quelque sorte de saisir la relation que l'homme entretient avec le
sacré, mais surtout, de repérer les modes de fonctionnement du
sacré dans l'organisation sociale de l'homme.
Nous tenterons de voir de manière chronologique au
premier chapitre, la période coloniale et l'approche anthropologique des
reliques au Gabon, au second chapitre les reliques comme symbole
d'autorité et de pouvoir et enfin, au troisième chapitre, la
crise du sacré au Gabon.
119André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques religieuses d'autrefois
et d'aujourd'hui, Libreville, éd. Raponda-Walker, (coll. «
Hommes et société »), 2005, p.147.
Chapitre I : Période coloniale et approche
anthropologique des reliques
Avant d'entrer dans le vif du sujet, un effort de
clarification des concepts s'impose à nous. En effet, parler de la
question des pratiques reliquaires (en période précoloniale) au
Gabon, c'est convoquer explicitement la notion de culture. Aussi, pour rester
fidèles à DURKHEIM, « la première démarche du
sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite,
afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question
».120On peut partir de la définition d'Edward TYLOR et
celle de Ruth BENEDICT, TYLOR nous propose une définition qui va devenir
classique de la culture comme « ce tout complexe qui inclut la
connaissance, la croyance, l'art, les choses morales, la loi, la coutume et
toutes les autres aptitudes et habitudes acquises par l'homme en tant que
membre de la société ».121
Pour sa part, Ruth BENEDICT et l'école culturaliste
américaine pensent plutôt qu'«une culture n'est pas
déterminée par des éléments objectifs mais par les
attitudes devant la vie, par le comportement affectif des membres qui la
supportent ».122 Ce que nous pouvons retenir c'est que la
culture est un « tout » c'est-à-dire envisagée
probablement comme un « fait social total » chez MAUSS.
Justement, dans cette perspective, le culte des ancêtres, à
travers les reliques au Gabon doit être envisagé comme
phénomène social total. En ce sens, « il est religieux,
mythologique, parce que les chefs incarnent les ancêtres et les dieux ;
il est économique et il faut mesurer la valeur, l'importance, les
raisons et les efforts de ces transactions énormes. Il est aussi un
phénomène de morphologie sociale ; la réunion des tribus,
des clans et des familles, un phénomène esthétique, par
les fêtes qui s'y déroulent (...) »123
120 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, op.cit., p.34.
121 Gilles FERREOLES et al, Dictionnaire de Sociologie,
Paris, 3ème éd., Armand Colin, 2004, p.40.
122 Ibid., p.41.
123 Jacques LOMBARD, Introduction à l'ethnologie,
Paris, 2ème éd., (coll. « Cursus série
Sociologie »), Armand Colin, 1998, p.114.
De facto, le culte des ancêtres apparaît alors
comme un phénomène collectif mettant en branle la
société globale et pas uniquement certains groupes, mais la
totalité de ses institutions. Il touche donc toutes les sphères
de la société, de la réalité sociale et ne peut se
comprendre qu'en les mettant en relation. Le schéma qui suit, se propose
de résumer le culte des ancêtres comme phénomène
social total :
Tableau n°5 : Schématisation du culte des
ancêtres en tant que phénomène social total
- Obligation de cultes - Interdits
Dimension culturelle
Dimension religieuse
- Distinction sacré/profane
Culte des ancêtres : Byéri,
Melane,
Ndjobi, Agombénèrô,
Malumbi, Bwiti.
-Production de la richesse -Economie lignagère
Dimension économique
Dimension politique
- Pouvoir -Le droit
- Protections familiales -La
solidaritémécanique : le lignage
Dimension sociale
Ce schéma récapitule le culte des
ancêtres, ayant son influence dans toutes les sphères, dimensions
de la société gabonaise. Ce qui nous laisse à penser que
les différentes dimensions sont dépendantes.
Il faut rappeler que le culte des ancêtres nous permet
de voir comment se structurent le pouvoir et l'ensemble des
représentations sociales qui gravitent autour de ce culte. De plus, il
nous permet de lire une influence rétroactive sur le
phénomène que nous étudions.
Section 1 : La question des pratiques reliquaires
(périodes précoloniale)
1. Une diversité des cultes des ancêtres au
Gabon.
« Autant de langues gabonaises autant de cultures »
donc il est probable qu'il existe une diversité des cultes des
ancêtres au Gabon. Chez les Fang, on parle du « Byéri »
ou du « Melan »124 ; d'« Agombé
nèrô » chez les Myènè, du « Malumbi »
chez les Eshira ou encore du « Ndjobi » chez les Adouma, les Massango
et les Obamba ou encore du Bwiti chez les Mitsogho. Il va de soi que ce qui est
au fondement de ces différents cultes des ancêtres demeure les
reliques ou ossements humains ; en particulier ceux d'un chef de village,
considéré parfois comme charismatique. Par ossements humains, il
y a lieu de préciser qu'il peut s'agir de crâne, doigts,
fémur (gauche parfois), avant-bras gauche, dents, coeur, foie, cheveux,
etc., susceptibles d'avoir appartenu à un chef de village (illustre) ou
un individu d'une famille qui s'est démarqué de son vivant par
des actes de bravoure etc.
Rappelons que le Byéri, le Melan, l'Agombé
nèrô, le Malumbi, le Ndjobi ou le Bwiti etc., ont un trait commun
fondamental : celui du « culte rendu aux morts, la garde de leurs
ossements, la soumission à des interdits et à un rite de passage
».125 Ne pouvant travailler sur tous ces différents
cultes des ancêtres à la fois, nous nous focaliserons sur le culte
du Byéri, qui nous permettra de faire une
généralisation.
124 Davy Willis KOUMBI OVENGA, op.cit. pp.60-61.
125 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, Rites et
croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda-Walker,
(coll. « Hommes et sociétés »), 2005,
p.146.
2. Le culte du Byéri : un culte familial
Il s'agit d'un rite qui « consiste à conserver
comme des reliques les os des défunts dans de sortes d'urnes
ornées de sculptures à l'image du mort, puis dans des statuettes
au dos desquelles était ménagée une cavité
».126 « Le Byéri n'est pas, comme on l'a souvent
prétendu, une société initiatique, mais plutôt et
simplement une pratique familiale, un culte rendu aux mânes des
ancêtres afin d'attirer leur protection et d'honorer leur mémoire
».127 Le chef de famille, qui en est le prêtre, transmet
sa fonction à l'un de ses fils. Les femmes et les enfants ne peuvent en
aucun cas ouvrir les « boîtes à Byéri »
qui contiennent les reliques, ni même en regarder le contenu. Le jeune
homme chargé de veiller sur elles est investi de sa nouvelle charge au
moment où il jette pour la première fois son regard sur la
boîte ouverte ; c'est alors qu'il apprendra les rites de ce culte
essentiellement familial, puisque chaque gardien ne peut voir dans les
boîtes cylindriques en écorce, surmontées de statuettes,
que les crânes de ses propres ancêtres.
Dans le même ordre d'idée, « le culte du
Byéri est, répétons-le, un culte familial, donc
privé, qui se pratique à l'intérieur de la case familiale,
dans une chambre retirée. Quand un chef de famille fang choisit un de
ses garçons pour lui donner connaissance du Byéri, il s'agit d'un
jeune homme de 25 à 30 ans, environ, marié, avec des enfants,
afin que la perpétuation du culte puisse être assurée, et
qu'il juge digne de garder les reliques de famille et d'en transmettre le culte
aux descendants ».128 De plus, et c'est un point de
départ important, « chaque jeune homme n'a le droit de voir que les
crânes de ses propres ancêtres. Il n'est jamais permis de lui
montrer ceux des autres familles...car c'est de cette façon que le
Byéri garde son culte familial et individuel ».129
D'autre part, « la croyance fondamentale sous-jacente au
culte des ancêtres est que les morts ne sont pas morts, mais continuent
à être liés
126 Le Million. Encyclopédie de tous les pays du
monde, volume XI, Afrique Occidentale, Centrale Equatoriale et Australe,
Paris, Grande Batelière, p.236.
127 Ibid., p.237.
128 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, op.cit.,
p.147.
129 Ibid., p.149.
au destin des humains visibles ».130 Sans
oublier le fait que la statuaire, un des arts plastiques qui a fait le
succès du Gabon, se rapporte aux reliquaires. Les reliques des
ancêtres ; sous la forme d'ossements et en particulier sous la forme
des crânes, « sont la réplique exacte du culte des saints
dans la religion catholique. Ces cultes sont d'autant plus parlants, si l'on
peut dire, qu'ils établissent réellement, par
l'intermédiaire de phénomènes médiatisés
par les transes, le contact avec les défunts. Cette communication
avec les défunts est souvent établie dans un
cadre thérapeutique, soit pour faire la guérison, soit pour
réparer les jeteurs de mauvais sorts et conjurer ainsi, dans son sens
littéral, le mauvais sort ».131 Mieux, « avant
l'enterrement du défunt, on lui ôtait la tête
très souvent et quelques autres parties du corps (les gros os). Le
crâne et les autres os constituaient alors le patrimoine jalousement
gardés par les héritiers du disparu. »132 Il
convient cependant de rappeler que « le byer fang est le crâne de
l'Ancêtre. Que l'homme conserve, dans un but religieux, les restes de
ses Ancêtres ; n'est pas particulier aux Fang
».133 D'autant plus que « chez les Fang, le crâne
de l'Ancêtre est conservé dans sa nudité osseuse. Il
n'est donc pas travaillé artistiquement. Il est enduit de poudre
rouge de padouk, ba, et conservé dans une boîte
cylindrique, nsek byer, surmontée d'une statuette-reliquaire
».134 Plus important encore, c'est le fait que « les
critères précis présidaient au choix,
au prélèvement du byer. Il fallait d'abord que
l'Ancêtre, de son vivant, en fasse la recommandation à ses
descendants. La personne qui, de son vivant, ne s'était point
signalée parmi les siens par des aptitudes, des dons, des
capacités au-dessus de la moyenne, ne pouvait servir de byer. Ces
qualités se manifestaient à la guerre, à la chasse,
auprès des femmes, dans l'art oratoire, dans la
prospérité matérielle, c'est-à-dire à la
quantité de femmes et d'enfants. Tout individu qui n'avait point
été favorisé par la
130 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise,
2ème éd. revue et augmentée, Libreville,
Editions du LUTO, 2002, p.48.
131 Ibid., p.49.
132 Jonas OSSOMBEY, Société
Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie,
Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, p.70.
133 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai
d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris,
Karthala/A.C.C.T,1983, pp.39-40.
134 Ibid., p.39.
fortune et dont l'existence s'était
déroulée dans la grisaille quotidienne, était exclu du
byer. Il ne suffisait donc pas d'être l'Ancêtre pour avoir
l'honneur d'être utilisé comme byer ».135
On note aussi que « le byer était confié
à la garde d'un seul individu, mbagle byer. De cette façon
certaines personnes étaient écartées ».136
N'oublions pas que le culte des Ancêtres a pour fonction principale de
garantir en général la prospérité d'une
communauté, d'une famille. Pour se faire, « quand on désire
obtenir les faveurs du byer, on tue un animal domestique. On va trouver le
gardien du buer, en précisant les mobiles de la démarche. On agit
ainsi chaque fois qu'on est malheureux dans ses entreprises
».137 Ainsi, cet exemple atteste que le byer est une
pièce maîtresse dans la structure de la société
fang, mais surtout, que « le byer était, pour le Fang, le garant du
monde vivant. Il favorisait toutes ses entreprises. Il rendait les femmes
fécondes, donnait la richesse, assurait le succès des
expéditions guerrières, de la chasse protégeait les
guerriers, veillait sur les individus. En un mot, la société fang
était inconcevable sans le byer. Il n'y avait pas de
réalité religieuse supérieure à lui
».138
En fin de compte, en considération des
différentes fonctions du byer que nous venons de citer, « les byer
devinrent des idoles, les rites et les croyances, des superstitions
».139 C'est pourquoi, « pour les Fang, l'Ancêtre est
l'axe de la société, le garant du monde vivant et de la vie
future. A lui se rattachent directement ou indirectement les manières de
faire, les croyances, les rites, l'organisation sociale [...] Tel se
présente, vivant, parmi les siens, celui dont le crâne servira de
byer. Vivant, il est le pivot de l'organisation politique. Mort, il devient le
fondement de la société, de la culture. C'est désormais
lui qui donne force et puissance ».140
135 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang. Essai
d'interprétation de la formule de bénédiction,
ibid., p.40.
136 Ibid., p.40.
137 Ibid., pp.41-42.
138 Ibid., p.42.
139 Ibid., p.43.
140 Paulin NGUEMA-OBAM, Aspects de la religion Fang ; ibid.,
p.51.
En un mot, « la société axée sur le
byer obtient sécurité, abondance, succès dans les
entreprises ».141
141 Ibid., p.52.
Section 2 : Colonisation et criminalisation
1. Bref aperçu historique de la colonisation
Il faut souligner que la colonisation et les peuples
colonisés ont, par leur rencontre, vu naître de nombreux et
profonds changements ; en ce sens que la colonisation s'est faite avec heurts
et ou a été confrontée à la résistance des
peuples autochtones (on peut par exemple citer la résistance du guerrier
WONGO dans le sud-est du Gabon ou celle du roi NKOMBE YA DEMBA dit « roi
Soleil » des Galois dans le Moyen Ogooué et qui sont devenus des
symboles de luttes pour ces populations). La colonisation a donc modifié
profondément le quotidien des autochtones, affectant ainsi toutes les
dimensions des sociétés gabonaises. Parmi les agents de la
colonisation, c'est-à-dire ceux qui ont permis que l'impérialisme
s'implante au Gabon particulièrement, il y a eu les missionnaires, les
militaires et bien sûr les marchands.
Du coté des missionnaires, nous citerons par exemple
Monseigneur BESSIEUX, qui débarqua au Gabon dans les années 1843
et qui mourut en 1877 ; fondateur du collège qui porte son nom à
Libreville. Outre BESSIEUX, nous pensons aussi au Père Henri TRILLES,
venu au Gabon en 1893 ; où il a effectué de nombreux travaux
ethnographiques.142 En ce qui concerne les militaires, les plus
célèbres qui ont exploré le Gabon sont Pierre SARVORGNAN
DE BRAZZA, Emile GENTIL143, BOUET WILLAUMEZ144 ou encore
en 1883 avec De LASTOURS145. Cette toponymie témoigne
effectivement de la présence de l'administration coloniale au Gabon,
sous toutes ses formes. Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer le fait que des
traités ont été signés entre les colonisateurs tels
SARVORGNAN DE BRAZZA par exemple et les autochtones que sont les rois Denis
RAPONTCHOMBO, QUABEN, KRINGER ou MAKOKO, pour la concession de lopins de terres
en contre-partie de la pacotille (eau-de-vie, sel, tabac,
142 On peut citer comme exemples de ses travaux ethnographiques,
« Dans le Nord du Gabon », Bull. Afrique Française,
1902, ou encore « Le totémisme chez les Fang », pour
ne citer que ces deux exemples.
143 Dont le nom a été attribué à la
capitale économique du Gabon : Port-Gentil.
144 Dont le nom a été attribué au plus grand
marché de Libreville : Mont-Bouët.
145 Fondateur de Lastourville, une des villes du Sud-est du Gabon
dans l'OGOOUE-LOLO précisément.
etc.). Ces lopins de terres vont donc servir à asseoir
la domination européenne et tous ces corollaires. Enfin, les marchands
se démarqueront aussi par l'implantation des comptoirs commerciaux pour
les trocs de tout genre tel le comptoir du Fort
d'Aumâle.146
2. La criminalisation des pratiques rituelles par la
colonisation, en particulier par l'Église
Il s'agissait de s'approprier non seulement les terres
à exploiter à travers la « mission civilisatrice »,
mais aussi, il était question que les missionnaires s'attèlent
à convertir le maximum d'enfants des autochtones dans le christianisme.
Ce qui a conduit beaucoup de jeunes autochtones à abandonner leurs
cultures et traditions au profit de celle du colonisateur. C'est dans cette
optique que la criminalisation des pratiques rituelles fut prohibée car
assimilées au diable.
Florence BERNAULT parle même de « traumatismes
coloniaux ». D'autant plus qu'« au début du vingtième
siècle, l'administration européenne s'employa
systématiquement à redéfinir les lignes de
séparation entre le monde physique et le monde invisible, le
sacré et le criminel, la « civilisation » et la
« sauvagerie » ».147 Ce qui
nécessairement conduisit à la naissance du terme
sorcellerie en français qui « renvoyait
systématiquement à toute croyance religieuse qui tentait de
résister au christianisme, et qui servit de référent
intellectuel à la criminalisation des pratiques anciennes qui
composaient l'essence de l'ordre moral et social des sociétés
équatoriales ».148 En ce sens, « dans son
empressement à démanteler ce qu'elle assimilait à
(dés) ordre rétrograde et criminel, la colonisation
française attaqua cultes anciens et lieux sacrés qui touchaient
de manière centrale à la reproduction sociale, et en particulier,
les techniques de la mort ».149
L'exemple pris ici de la mort et de tout le rituel (exposition
du corps, condamnation du coupable, réconciliation jusqu'à
l'enterrement du défunt)
146 Reste encore visible et dont les locaux servent toujours de
port, sis au Bord de Mer de Libreville. Une petite précision
apportée est celle liée au fait que les explorateurs ou
militaires étaient par la même des marchands.
147 Florence BERNAULT, op.cit., p.9.
148 Ibid., p.9.
149 Florence BERNAULT, ibid., p.9.
nous sert à évaluer l'ampleur des
bouleversements imposés par le colonisateur. Plus important encore,
« la législation française en effet interdit
immédiatement après la conquête la pratique des autopsies
et l'exposition des défunts. Elle décréta
simultanément l'obligation de l'enterrement dans les cimetières
publics, la condamnation des reliques « profanation des cadavres
», et conduisit avec l'aide des missionnaires chrétiens la
destruction des autels mobiles et des reliquaires considérés
comme « fétiches » et fatras sorcier
indésirables ».150
Ce constat nous permet de dire que la question relative aux
reliques n'est pas un fait nouveau, elle a été instituée
par les ancêtres, et les reliques sont conservés dans des autels
dits reliquaires familiaux et dans le but d'assurer la communication entre les
morts et les vivants. Rappelons que dans un tel contexte de criminalisation des
reliques, la reproduction sociale basée sur le deuil et la collecte des
reliques devint extrêmement menacée. « Certaines pratiques ne
purent survivre qu'en devenant illégales et clandestines. La fabrication
rituelle des reliques des morts familiaux, par exemple, pouvait s'avérer
paradoxalement plus risquée, sous l'oeil de la force coloniale, que
l'utilisation d'organes et ossements prélevés sur des cadavres
« discrets », mais extérieurs au lignage
».151 Cela revient à dire que le culte des
ancêtres persiste dans le temps parce qu'il est une affaire de familles,
et partant, d'individus. En fin de compte, c'est là le point de
départ, face aux assauts de la législation coloniale, que va
naître la « crise du sacré » dans les
sociétés traditionnelles gabonaises ; c'est-à-dire, qu'on
va assister aux criminalisations des pratiques culturelles.
150 Ibid., p.10.
151 Ibid., p.10.
Chapitre II : Les reliques comme symbole
d'autorité et de pouvoir
Ce chapitre tente de montrer le traitement
réservé aux reliques et surtout mettre en lumière le
rôle qu'ils jouent dans la société gabonaise
traditionnelle.
Section 1 : L'utilisation des reliques des
défunts rois et chefs de clan
Les reliques des défunts rois ou celles des chefs de
familles ou de clan demeurent fondamentales, indispensables dans le culte des
ancêtres. Car ces reliques sont considérées par le clan, la
famille comme des symboles d'autorité et de pouvoir. Le chef
défunt ou le roi est un homme doté du charisme152 et
qui détient ce pouvoir extraordinaire que lui reconnaît la
communauté. De plus, « le chef de clan est aussi chef de village
dans la mesure où sa résidence est la même que celle des
membres de son clan ».153 Il est donc à la tête du
clan et a pour mission « d'entretenir le culte des ancêtres au nom
du clan [...] Le culte manique est donc la principale obligation et, à
notre sens, l'une des raisons d'être du chef ».154
Et pour bien exercer son autorité, le chef actuel
hérite de son prédécesseur lors de son intronisation des
biens de fonction, destinés au culte des ancêtres qu'il a la
charge d'organiser : « ce sont les crânes des ancêtres,
alumbi, conservés dans un reliquaire cylindrique en
écorce, facilement maniable ».155
152 Raymond BOUDON et François BOURRICAUD,
op.cit., p.77.
153 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat
côtier du Gabon et ses origines. Préface de Jean PING, Paris,
Karthala, 1981, p.213.
154 Ibid., pp.213-214.
155 Ibid., p.214.
Comme nous l'avons signalé précédemment,
ce ne sont pas les ossements de n'importe quel individu, plutôt ceux
« prélevés d'une part, sur des femmes fondatrices de clan et
de sous-clan, d'autre part sur les chefs précédents
».156 Par ailleurs, on peut ajouter d'autres
éléments ou objets qui sont considérés comme
reliques et servent le chef ou le roi dans l'exercice de ses fonctions. On peut
citer par exemple le cas de « la clochette à manche de fer, nkendo,
que du CHAILLU appelle le sceptre royal chez quelques unes des tribus de
l'Afrique centrale, est un instrument dont le rôle est inséparable
de celui de la boîte à reliques. Le chef s'en sert pour
communiquer avec ses ancêtres, le matin au petit jour en particulier,
lors des grandes occasions comme un mariage ou un voyage et il est alors le
signal de l'arrivée du chef ».157
L'entretien du culte des ancêtres permet ainsi à
celui qui officie la cérémonie, en l'occurrence le chef ou le
roi, d'asseoir son autorité et son pouvoir. En ce sens qu'il exerce la
domination symbolique au sens bourdieusien, dans le double mouvement de la
reconnaissance (dans l'adhésion du dominé à l'ordre
dominant qui lui parait légitime, « normal », « naturel
») et de la méconnaissance (dans l'ignorance qu'il s'agit d'une
domination arbitraire, « non nécessaire », « non
naturelle »). Les fonctions du chef de clan sont de protéger ceux
qu'il gouverne, en dehors de l'entretien du culte des ancêtres. «
Cette protection s'exerce d'abord d'une manière matérielle : si
le chef possède des richesses, et reçoit un pourcentage sur le
commerce qui se fait sur son territoire, il se doit de les redistribuer aux
membres de son clan ».158 Puis, par le culte des ancêtres
qu'il a la charge de présider, il protège moralement les siens ;
car il peut devenir juge pour toutes les affaires criminelles qui ont lieu
à l'intérieur du clan ; et pouvant se faire assister de l'oganga,
ministre du culte des esprits et guérisseur.
L'importance du jugement du chef dans les accusations de
sorcellerie est liée à la croyance en ses dons surnaturels de
double vue, que lui confère les reliques des ancêtres qu'il
détient. Pour ce qui est du
156 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat
côtier du Gabon et ses origines, ibid., p.214.
157 Ibid., p.214.
158 Ibid., p.215.
conseil du chef, il y a lieu ici de dire que « le conseil
du chef est une institution qui est destinée à tenir compte de la
morphologie du clan, et de ménager en quelque sorte des gens sur
lesquels s'exercent des forces surnaturelles, des détenteurs de reliques
et de futures mères-fondatrices ».159
En fin de compte, « la fonction de chef de clan implique
aussi une éducation, une connaissance du culte des ancêtres en
particulier »160, car les successeurs étaient
désignés à l'avance et donc connus de tous, d'où
une socialisation stricte dans le milieu de la chefferie et des reliques et une
connaissance parfaite du rôle du culte des ancêtres pour l'assise
spirituelle du pouvoir et de l'autorité. « Quand meurt le chef de
famille, son fils aîné maintes cérémonies [...]
détache soigneusement le crâne du mort, et le place ensuite dans
la boîte d'écorce où, barbouillé de rouge, il va
rejoindre les aïeux et attendre son successeur ».161
Grosso modo, il apparaît bien clair que « dans
cette société lignagère, le culte des ancêtres
constitue le support du pouvoir »162 et que « le chef de
clan ou de lignage est le pont de jonction entre le clan (ou le lignage)
actuel, constitué par les vivants, et le clan (ou lignage)
idéalisé, porteur des valeurs ultimes, symbolisé par la
totalité des ancêtres aux vivants, celle des vivants aux
ancêtres ».163 Les reliques utilisées permettent
d'acquérir l'autorité et de l'asseoir pour veiller sur le clan et
demander richesse et protection des ancêtres pour ses membres.
159 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat
côtier du Gabon et ses origines, ibid., p.216.
160 Ibid., p.217.
161 Annie MERLET, Le pays de trois estuaires (1471-1900).
Quatre siècles de relations extérieures dans les trois estuaires
du Muni, de la Mondah et du Gabon, Libreville, CCF St
Exupéry/Sépia, (coll. « Découvertes du Gabon
»), 1990, p.283.
162 Georges BALANDIER, op.cit., p.137.
163 Ibid., p.118.
Section 2 : Le principal élément des
reliques : le crâne, objet du pouvoir
Dans la section précédente, nous nous sommes
attelés à une présentation de l'utilisation des reliques
des défunts rois ou chefs des clans ; mais sans pour autant faire
ressortir une des pièces maîtresses du culte des ancêtres :
le crâne. N'oublions pas qu'il ne s'agit pas de n'importe quel
crâne humain, mais de celui d'un grand chef, d'un roi ou pourquoi pas
celui de futures mères-fondatrices de clan.
En effet, le principal élément des reliques dans
le culte des ancêtres soit le crâne ; en tant qu'objet du pouvoir.
On notera en rappel que le Byéri, exemple retenu pour notre
étude, est la forme la plus caractéristique du culte des
ancêtres ; particulièrement développé dans les
tribus Fang. « Le prêtre en était l'ancêtre vivant, le
père, ésa, avec une hiérarchie de fait
correspondant aux différents niveaux de la structure sociale et
clanique, hiérarchie à caractère plus religieux que
politique, l'autorité qui en découlait étant
constitué par les crânes des ancêtres masculins,
gardés par le père, l'aîné, dans le panier à
crânes, évora biéri (éwolé
biéti), sorte d'arche que le groupe familial transportait avec lui
au cours des migrations. L'évora biéri était une
boîte cylindrique en écorce de ficus, ornée de perles et
d'emblèmes claniques (mindem), dont le couvercle portait la statue du
premier ancêtre ».164
Le crâne est un objet de pouvoir, une pièce
maîtresse du culte des ancêtres en ce sens que « quand un
nouveau village était créé par un cadet, le crâne du
fondateur était le premier à prendre place dans l'arche, le
village d'où il était parti conservant ceux des
précédents ancêtres de la lignée. On conçoit
dès lors que le gardien des crânes de la lignée ait eu une
certaine autorité, déléguée par les ancêtres
de rang supérieur ».165
Plus important encore c'est le fait que « les
crânes étaient, en effet le siège ou le réceptacle
de la capacité d'action de l'individu (rappelons :
164 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe pahouin
(Fang-Boulou-Béti), Paris, l'Harmattan, 2005, p.110.
165 Ibid., p.110.
bo=faire, boo= cerveau), et leur utilisation magique
n'était pas restreinte aux seuls crânes d'ancêtres : on
conservait également les crânes d'ennemis tués à la
guerre ou sacrifiés dans les cérémonies anthropophagiques
qui la précédaient ou la suivaient, ou bien des crânes
volés à des voisins, de même qu'on utilisait pour les rites
de chasses des crânes d'animaux de l'espèce qu'on désirait
chasser. Il semble, toutefois, qu'une distinction ait été faite
entre les crânes familiaux et crânes étrangers, les premiers
seuls ayant place dans l'éwolé biéti et prenant part aux
rites familiaux. On augmentait la force des crânes en les aspergeant du
sang des sacrifices ».166
En résumé, le crâne ;
élément principal des reliques et objet du pouvoir, permet
à celui qui a la charge de garder les reliques, d'acquérir
l'autorité et de l'asseoir pour veiller sur le clan et demander richesse
et protection des ancêtres pour ses membres ; le crâne du fondateur
devait aussi permettre à son détenteur d'avoir un prestige. On
convient donc que « le prestige des vivants s'exerçait par
l'autorité des morts ».167 Cet exemple est
l'illustration ou encore à renforcer notre hypothèse selon
laquelle le pouvoir au Gabon est donc un pouvoir mortifère, qui se
nourrit de la mort.
166 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe pahouin
(Fang-Boulou-Béti), ibid., p.111.
167 Ibid., p.111.
Chapitre III : Le sacré en crise Section
1 : La reformulation du sacré
DURKHEIM nous propose une définition du sacré
sur laquelle nous allons nous appuyer. Le sacré ou « les choses
sacrées sont celles que les interdits protègent et
isolent.»168 Nous parlons d'une reformulation du sacré,
ou d'une crise du sacré due essentiellement à l'ouverture
économique de l'Afrique centrale, particulièrement au Gabon. Tout
devient objet de marchandisation, le sacré ne peut y échapper. Et
« de manière générale, l'économie
mondialisée, associée à la circulation grandissante des
biens et des gens, semble nourrir l'anxiété croissante de
populations prises sans recours dans les rets de la dépendance
économique, de la matérialisation des rapports sociaux, et en
dernière analyse de la réification des corps
».169 La présence coloniale est omniprésente et
bouleverse, à tous les niveaux, les différents modes de vie des
populations autochtones.
Cette crise du sacré se traduit, par exemple dans le
cas de la mort, par le fait que « la législation française
en effet interdit immédiatement après la conquête la
pratique des autopsies et l'exposition des défunts. Elle
décréta l'obligation simultanément de l'enterrement dans
les cimetières publics, la condamnation des reliques sous la rubrique
« profanation des tombes », et conduisit avec l'aide des
missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et des
reliquaires considérés comme « fétiches » et
fatras sorcier indésirables ».170 Or chez les
autochtones, il y a tout un cérémoniel qui est mis en place
dès l'annonce du décès d'une personne. A cet effet, «
une large panoplie de règles étaient déployées par
la famille et l'entourage du défunt afin de restaurer l'ordre social et
familial rompu par le deuil. Au Gabon, cette panoplie comprenait une autopsie
rituelle du cadavre, éventuellement suivie d'une réunion de
dénonciation /accusation du responsable et/ou d'une ordalie
168 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de
la vie religieuse, op.cit., p.92.
169 Florence BERNAULT, op.cit., p.8.
170 Ibid., p.10.
[...] Puis venait l'enterrement du défunt, suivi, dans
le cas d'individus remarquables et importants, de sa transformation rituelle en
ancêtre par la collection de ses reliques (crânes et ossements),
conservées dans des autels reliquaires familiaux assurant la
communication entre morts et vivants ».171 Pour la
colonisation, ce cérémoniel allait à l'encontre du
christianisme, considéré comme du paganisme. La colonisation a
donc bouleversé, comme on l'a dit plus haut, toute l'organisation
sociale des autochtones sous la répression.
En un mot, dans cette longue crise du sacré, il est
important de mettre l'accent sur le fait que « ce qui a changé,
c'est la conscience d'une immense fragilisation de la reproduction
lignagère et familiale au sein des rituels funéraires et du deuil
qui assuraient autrefois le passage de la, mort à l'état
d'ancêtre, et la résolution de la rupture sociale provoquée
par le décès ».172 La dimension du sacré a
donc connu des mutations culturelles et idéologiques qui continuent
à redéfinir, à remodeler les autochtones selon les traits
culturels européens.
171 Florence BERNAULT, ibid., p.9.
172 Ibid., p.10.
Section 2 : La problématique des rites
maçonniques dans la reformulation du sacré
Evoquer une fois de plus la reformulation du sacré,
c'est présenter le Gabon sous le sceau d'une pluralité de rites
initiatiques et ésotériques qui se confondraient à la
limite. C'est l'occasion de voir ici que l'importation de rites nouveaux au
Gabon, liée certainement à la globalisation et la mondialisation
des échanges, conduit ipso facto à la reformulation du
sacré. Il s'agit de voir comment le culte des ancêtres peut
survivre ou soit s'adapter et se remodeler à ces nouveaux rites. Or
n'oublions pas que la rencontre entre ce qui est ancien (le culte des
ancêtres) et ce qui est nouveau (rose-croix, franc-maçonnerie,
Fraternité Blanche Universelles, Ekankar, etc.) va bouleverser l'univers
symbolique des gabonais et leurs croyances, leurs modes de pensée. En
effet, dans ce registre de l'importation des rites nouveaux, susceptibles
d'influencer le quotidien des gabonais, il y a lieu ici de dire que « le
pays dirigé depuis trente quatre ans par Omar BONGO est également
présenté comme haut lieu de concentration du fétichisme et
des sectes internationales. Ainsi de la Franc-maçonnerie, de la
Rose-Croix, de la Prima Curia, de la Fraternité Blanche Universelle, des
« sectes pentecôtistes », etc. »173 On sait
qu'au Gabon, la richesse est inégalement répartie pourtant le
pays a « un revenu per capita de 7500 dollars »174 et que
le prix du baril de pétrole ne cesse de croître et dépasse
le cap des 120 dollars US ; ce qui fait du Gabon un émirat.
Par ailleurs, cette forte potentialité
économique ne profite guère à tous, d'où « la
réussite sociale, qui signifie l'accès à la consommation
des marchandises se lit-elle toujours comme l'expression de l'appartenance
à ces « sectes » et fraternités. Une
représentation qui n'est pas complètement imaginaire, dans la
mesure où existent des transactions financières occultes entre
les sectes internationales et les cercles des pouvoirs d'Etats africains
».175 Il y a comme une redéfinition sinon une
173 Joseph TONDA, Le fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise, op.cit., p.2.
174 Ibid., p.2.
175 Joseph TONDA, Le fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise, ibid., p.2.
reformulation du sacré qui se traduit par la naissance
et la floraison « des cultes syncrétiques récents
»176 mais aussi « à un florilège de
réseaux religieux et semi-religieux internationaux (maçonnerie,
rosicruciens) »177, dont la prédominance est
indéniable. Il est probable que les adeptes de ces nouveaux cultes que
sont la maçonnerie, Rose-croix, Fraternité Blanche Universelle,
Ekankar, etc., seraient à la fois détenteurs sinon les gardiens
du culte des ancêtres ; et qui transformeraient les rituels lignagers
(culte des ancêtres qu'ils se doivent de perpétrer) à leurs
seuls profits.
Dans un autre cas, si à la veille des élections
politiques dans notre pays, nous assistons à des profanations des
tombes, des crimes rituels, etc., quelques questions subviennent ; telles
pourquoi l'Etat, en tant que garant des institutions et de
l'intégrité physique des citoyens ne réagit-il pas ?
Mieux, le gouvernement ne tient-il pas dans la solidarité des rites
d'obédience maçonnique ? Autrement dit, pourquoi les acteurs
politiques ne s'empressent t-ils pas de résoudre cette question ?
Enfin, comment le pouvoir judiciaire se comporte t-il
lorsqu'un acteur politique est supposé impliquer dans les crimes rituels
? Ces quelques interrogations constituent des perspectives de recherches que
nous pouvons intégrer pour nous aider à comprendre l'influence
des rites maçonniques, dans la reformulation du sacré d'une part
et pour l'ensemble de la société gabonaise d'autre part.
176 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au
Gabon, op.cit., p.3.
177 Ibid., p.3.
Conclusion de la première partie
A la lumière de ce qui précède, notre
objectif ici n'est pas de faire un exposé exhaustif sur le culte des
ancêtres dans ses tenants et ses aboutissants, seulement regarder des
aspects importants et nécessaires à sa compréhension et
à son étude. Par ailleurs, cet exposé nous permet de voir
que le culte des ancêtres demeure un culte prédominant dans les
sociétés traditionnelles gabonaises ; et dont les reliques jouent
un rôle de premier choix. L'exemple des crânes humains en est la
parfaite illustration puisqu'ils « étaient, en effet, le
siège ou le réceptacle de la capacité d'action de
l'individu ».178
En nous focalisant sur les reliques et le culte des
ancêtres, nous avons voulu, par là, choisir de revisiter
l'époque coloniale, sinon l'époque précoloniale, pour
comprendre d'une part les fondements du pouvoir de certains individus, en
l'occurrence les chefs de familles, de clans, de lignages etc., en relation
étroite avec le sacré, le religieux. Mais surtout, de voir que
cette période précoloniale et coloniale nous révèle
la « domination du religieux, du sacré sur la société
toute entière [...] L'arrivée des occidentaux au
XVème siècle va changer la société
gabonaise ».179 Il s'agit ici de voir l'influence de la
période coloniale sur la société lignagère
gabonaise ; qui subit surtout la domination du pouvoir religieux, donc du
christianisme ; par la criminalisation des reliques et l'ordonnancement de la
destruction des autels reliquaires en collaboration avec l'administration
coloniale de l'époque.
D'où la désorganisation de la logique de la
reproduction familiale et collective ; mieux encore, « la loi coloniale
provoqua donc une extrême fragilisation de la reproduction sociale
basée sur le deuil et la collecte des reliques ».180 En
somme, « les transformations progressives des relations entre
sphère spirituelle et reproduction lignagère, inaugurées
localement
178 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe dit pahouin
(Fang-Boulou-Béti), op.cit., p.111.
179 Davy Willis KOUMBI-OVENGA, op.cit., p.82.
180 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, in Mama Africa : Hommage à Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, edited by Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan,
2005, p.8.
par la compétition coloniale autour de la mort, du
corps et du sacré »181 ont conduit à une reformulation du
sacré, donc à une crise de celui-ci induite par l'arrivée
de l'administration coloniale et tous ses corollaires ; crise du sacré
qui se poursuit encore de nos jour au Gabon.
En résumé de cette première partie, le
chapitre premier nous a permis de revisiter le rapport entre la période
coloniale et la question relative aux reliques. Le second chapitre quant
à lui, s'est efforcé de nous présenter le rôle
joué par les reliques dans les sociétés traditionnelles
gabonaises et enfin, le dernier chapitre se focalise sur cette longue crise du
sacré. Ce dernier chapitre nous permet d'entrevoir quelques
éléments capables de nous renseigner, autant que faire ce peu,
pour comprendre la situation actuelle du sacré au Gabon dans toute sa
complexité, à l'arrivée de la colonisation.
181Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, ibid., p.8.
Introduction de la deuxième
partie
« L'imaginaire (...) éclaire le
phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est
constitutif... »182 De plus, « Le sociologue a la
particularité, qui n'a rien d'un privilège, d'être celui
qui a pour tâche de dire les choses du monde social, et de les dire
autant que possible, comme elles sont : rien que de normal, de trivial
même, en cela ».183 Par ailleurs, « le
sociologue n'observe pas la réalité sociale, mais des pratiques
[...] Entre lui et son objet d'étude s'interpose un ensemble
d'interprétations et d'interventions ».184
Si nous avons choisi ce sujet, ce n'est pas pour faire
l'apologie de la sorcellerie, précisément du fétichisme,
mais plutôt pour tenter d'expliquer son mécanisme de
fonctionnement et ses interprétations au Gabon durant certaines
périodes. Car le fétichisme est périodique,
c'est-à-dire qu'il se manifeste qu'en périodes
électorales, lors des nominations, ou au sortir de celles-ci et a des
manifestations diverses. Au Gabon en général, à Libreville
en particulier, le constat que nous impose l'observation de la
réalité montre que les parents découvrent le plus souvent
que les tombes de leurs défunts sont toujours profanées. Cette
pratique prend de l'ampleur à Libreville et fait la « une »
des journaux185 chaque année et ce, en périodes
d'avant et / ou après les élections politiques.186
En effet, il ne se passe plus une fête de Toussaint sans
que les parents, quand ceux-ci se rendent dans les différents
cimetières de Libreville187, pour l'assainissement des
tombes, constatent ce phénomène. Par ailleurs, il n'est plus rare
d'entendre, en ville comme en banlieue, que la profanation des tombes à
Libreville est l'apanage des hommes politiques actuels (les
députés, les sénateurs, les ministres, les maires etc.)
moyennant de fortes sommes d'argent, parce qu'ils seraient à la
182 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes,
Paris, Balland, 1992, p.14.
183 Claude JAVEAU, Leçons de sociologie, Paris,
coll. Armand Colin, 1997, p.5 citant Pierre BOURDIEU.
184 Alain TOURAINE, Pour la Sociologie, Paris, coll.
Points, éd. du Seuil, 1974, p.25.
185 Cf. l'Union du 10 Octobre2006, page 6 ; rubrique
Société et Culture ; du 13 et 14 Novembre 2004, rubrique
Société et Culture ; du 26 Avril 2007, rubrique
Société et Culture ; p.7 et de Gabonews du 05
Novembre 2006.
186 Les Législatives, les Locales, les
Présidentielles et les Sénatoriales.
187 Lalala, Mindoubé et Plaine Niger, pour ne citer que
ceux là.
recherche du pouvoir économique, politique et social. A
ce propos, « aussi bien pendant les périodes électorales
qu'entre deux élections, des témoignages de familles, des
observations que l'on peut faire ainsi que des articles de presse permettent de
se rendre compte de la réalité de ces « crimes » ou
« sacrifices rituels ». Des noms des commanditaires et des
exécutants sont cités et l'on évoque toujours soit par
allusions, soit ouvertement des hommes politiques, dont certains sont
directement proches des hauts lieux du pouvoir ».188
Autre fait que nous pouvons signaler, c'est que tous les
cimetières de Libreville sont des sites qui présentent cette
caractéristique de ne pas être sécurisés. En
témoigne, l'absence de clôtures, d'éclairage, de
gardiennage et les hautes herbes, l'insalubrité et leurs localisations
géographiques (hors de la ville c'est-à-dire en banlieue.)
peuvent être retenus comme facteurs rendant compte de ce
phénomène.
Ce qui a donc pour conséquence le fait que « de
jour comme de nuit, les cimetières sont visités. Les ossements
humains foisonnent »189 d'une part ; d'autre part, il est
indéniable que « l'impact des forces occultes sur la politique
nationale est devenu plus manifeste au cours des décennies
».190
A cela, une des interrogations que nous pouvons poser est
celle de savoir si au Gabon, le fétichisme politique n'est pas le
langage du politique lors des consultations électorales ? En
étudiant les profanations des tombes dans les cimetières de
Libreville, il s'agit aussi de visiter la politique d'urbanisation et de
l'habitat à Libreville ; d'autant plus que nous assistons depuis plus de
vingt ans à une occupation anarchique de l'espace urbain par la
population librevilloise. D'où, on observe une population qui a des
difficultés à se loger convenablement. Elle se voit ainsi
contrainte de construire ses habitations soit aux abords ou à
l'intérieur des cimetières.
Tel est donc le cas par exemple du cimetière
d'Ambowè. Les populations, faute de terrains viabilisés s'y sont
installées ; ce que nous
188 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise, op.cit., p.3, citant le
Missamu n°226 du 2 avril 2001, la Griffe n°412 du 3
janvier 2001 ou encore, lire aussi le n°409 du 6 décembre 2000.
189 Ibid., p.4.
190 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La
viande des autres, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques
»), 1995, p.23.
avons appelé des « profanations indirectes »
en ce sens qu'elles ne rendent pas compte du fétichisme politique. A
Ambowè, « la vie a repris le dessus sur la mort ».
Cette situation d'occupation anarchique de l'espace urbain
avait déjà été évoquée par Fortes
Anne Marie DOS SANTOS191 qui, en 1988, posait ce problème
d'aménagement urbain des cimetières à Libreville qui ne
suivait pas l'évolution rapide de la population. « On comprend
alors les problèmes titanesques du Ministère du Plan et de
l'Urbanisme pour mettre en application leur projet de développement
harmonieux de Libreville »192 ; car Libreville n'a pas de plan
d'urbanisme.
Tout au long de cette deuxième partie, nous tenterons
de voir successivement au chapitre IV ; les élections politiques
à Libreville et les profanations des tombes, au chapitre V, le
cimetière de Mindoubé ; théâtre des profanations des
tombes et enfin, le chapitre VI portera essentiellement sur la violence en
postcolonie gabonaise.
191 Fortes Anne Marie DOS SANTOS, Les cimetières
à Libreville face à la croissance spatiale urbaine,
Libreville, UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en Géographie
urbaine, 1988, 82 p.
192 Ibid., p.31.
Chapitre IV : Les élections politiques à
Libreville et les profanations des tombes
Section 1 : Les élections politiques à
Libreville et les profanations des tombes
1. Les élections politiques à Libreville
Pour bien comprendre le fétichisme politique
observé à Libreville, il est important pour nous de rompre avec
les préjugés du sens commun, et surtout, de considérer
notre fait social comme « une chose » écrit DURKHEIM. En
effet, « face au réel, ce qu'on croît savoir offusque ce
qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture
scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux,
car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la
science, c'est simplement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui
doit contredire un passé ».193
La question des élections politiques constitue
l'occasion où les mandataires (députés, maires,
sénateurs, ministres, etc.) mettent en place toutes sortes de
stratégies et tactiques pour gagner les élections. Parmi elles,
on peut citer le clientélisme électoral, mais surtout les
profanations des tombes, constatées à Mindoubé par
exemple. En fait, les élections permettent la délégation
du pouvoir, c'est-à-dire qu'« une personne donne pouvoir, comme on
dit, à une autre personne, le transfert de pouvoir par lequel un mandant
autorise un mandataire à signer à sa place, lui donne une
procuration [...] c'est-à-dire pour faire voir et faire valoir les
intérêts d'une personne ou d'un groupe ».194
Ici, s'opère l'efficacité symbolique du
politique en ce sens que «le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes
et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte
légitimée, à des outils symboliques et à
l'imaginaire ».195
193 Gaston BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique.
Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris,
Librairie philosophique J.VRIN, 2004, p.16.
194 Pierre BOURDIEU, Choses dites, op.cit., p.185.
195 Georges BALANDIER, Le Détour. Pouvoir et
modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.
Ainsi, « aucun groupement, aucune organisation sociale ne
peut se donner à voir si ce n'est à travers des symboles qui
manifestent son existence ».196 L'activité de
symbolisation est particulièrement intense lorsqu'il s'agit de susciter
ou de renforcer les liens sociaux et de légitimer le pouvoir qui
s'exerce au sein des groupes. Il apparaît clair que « la classe ou
les classes qui ont conquis ce pouvoir mettent l'appareil d'Etat au service de
leurs intérêts »197 et la classe dont il s'agit
ici est celle des mandataires, la classe dirigeante.
Il faut tout de même rappeler qu'on assiste à une
montée de la violence liée à ces élections, parce
qu'il y a des crispations autour du pouvoir à garder ou à
conquérir, comme l'écrit Jean Pierre CHRETIEN198. A ce
titre, « la réussite sociale suppose l'accès à la
« bourgeoisie directoriale » ou à ses couloirs. Les
postes politiques et administratifs constituent donc les bases des
différents échelons d'une nomenclatura de
privilégiés qui, par définition, doit en tenir
éloignés d'autres candidats. Cette conception «
consommation » de la chose publique débouche sur la
violence, soit pour entretenir les situations acquises, soit pour les renverser
au profit d'autres groupes frustrés. La rivalité politique prend
donc la forme d'une confrontation de factions, sans autre projet que de se
sentir mieux à même que les autres de « gérer
» le gâteau national, c'està-dire le complexe bureaucratique
hérité de la colonisation ».199
De ce fait, cela se traduit sur le terrain à Libreville
par les profanations des tombes au cimetière de Mindoubé. Les
élections politiques sont chargées du sens de la
légitimation d'un pouvoir mortifère et les profanations des
tombes sont illustratives d'un tel pouvoir. Et si nous sommes en face de ce
pouvoir mortifère, organisé et bâti sur la mort, c'est
qu'il y a a priori recours à de telles pratiques comme moyen, comme
moment de lecture du fétichisme politique.
Après avoir traité de la question des
élections politiques, passons à présent aux profanations
des tombes.
196 Philip BRAUD, Sociologie politique,
8ème édition, Paris, Librairie Générale
de Droit et de Jurisprudence/Montchrestien, 2006, p.103.
197 Marta HARNECKER, Les concepts élémentaires
du matérialisme historique, op.cit., p.105.
198 Jean-Pierre CHRETIEN, Les racines de la violence
contemporaine en Afrique, pp.12-27 in Politique africaine, «
Violence et pouvoir » ; n°42, Paris, 1991, 163 p.
199 Ibid., p.19.
2.Les profanations des tombes
La profanation se définit comme cet acte qui consiste
à violer le caractère sacré d'un lieu, d'un objet ; c'est
même le dégrader, l'avilir. Ces actes ont été
constaté à Mindoubé sont périodiques ;
c'est-à-dire qu'ils s'observent à la veille des consultations
électorales. D'où, il est évident qu'il y a une relation
étroite entre le pouvoir et les profanations des tombes, donc le
fétichisme au Gabon. Et comme nous l'avons déjà
évoqué précédemment, c'est cette part de
l'imaginaire qui nous permet de comprendre le sens profond que ces profanations
des tombes produisent pour le politique. Ce qui nous permet de dire avec
BALANDIER que « L'imaginaire (...) éclaire le
phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est
constitutif... »200 ; constituant finalement «
une violence du fétichisme mais aussi une violence de l'imaginaire
».201 Pour étayer nos propos nous proposons ici une
série de photos qui témoignent des profanations des tombes.
200 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes,
op.cit., p.14.
201 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.7.
La photo n°1 intitulée « La veste
rouge »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Elle illustre bien le type de stratégies
adoptées par les mandataires à l'orée des élections
politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a
été vidée de son contenu. Il ne reste plus que la veste
rouge et le crâne fracassé. De plus, il ne reste plus qu'une
partie de la mâchoire. Il y a lieu de préciser qu'a
Mindoubé, s'est tissé un vaste réseau de vente des restes
humains, mais aussi, les vestes et autres habits des morts, les gerbes de
fleurs sont re-introduits dans le marché
économique202.
202 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des
informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent
à Akébé dans un prêt à porté. En
février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été
enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une
veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis
septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à
Mindoubé en novembre 2007.
On peut aussi montrer la photo n°2 : «
La tombe sans carreaux »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Une première remarque s'impose, celle de dire que
toutes les tombes profanées n'ont pas été carrelées
; facteur qui peut aussi en partie expliquer les cassures. Les photos n°2
et 3 font partie de la majorité des tombes profanées et qui
ressemblent à celles-ci.
Photo n°3 : «Tombes dans les hautes
herbes»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Photo n°4 « la tombe
Goumabika »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Cette image témoigne des diverses méthodes des
profanateurs pour opérer. Sur le site, on s'est rendu compte que toutes
les tombes profanées n'avaient pas de carreaux, ce qui, aux dire du
gardien du cimetière présent sur le site durant tout notre
séjour, a permis aux profanateurs d'opérer. A titre
d'information, cette tombe est vide de son contenu, le corps du défunt a
été dérobé. Il a été enterré
depuis Juillet 1993, donc 14 ans qu'il est mort. D'après l'unique
profanateur que nous avons pu rencontré lors de nos investigations, il
ressort que le crâne de ce défunt est « fin prêt
pour le travail »203 et il peut coûter cher.
Malheureusement nous n'avons pas pu nous entretenir avec sa famille lors de
notre passage en novembre 2007.
203 Propos recueillis lors de notre entretien avec monsieur
M.D, ancien profanateur à la solde d'un haut dignitaire de la province
du Moyen-Ogooué. Il a fait la prison parce qu'on l'a vu en possession de
quelques pièces détachées. Il a été
relaxé à la demande de ce haut dignitaire avant les
élections législatives de décembre 2001.
Photo n°5 : « Autre manière de profaner
»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
La tombe que l'on voit présentement est vide de son
contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les
membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne
sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été
clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère
pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de
faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes. Nous attendons
les vacances pour « taper le diable au village et tant pis pour ceux
qui ont fait ça et j'espère qu'ils iront brûler en enfer,
car de tels individus sans moralité ne doivent pas aller au Ciel
».204
Il importe de dire que tous nos enquêtés tiennent
le même discours, en ce qui concerne les profanations des tombes et les
commanditaires à savoir que ce sont les hommes politiques. A cet effet,
nous avons retenu les discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA,
pour mieux rendre compte du phénomène que nous
étudions.
204 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations
à Mindoubé le 10 octobre 2006.
Photo n°6 : « La tombe vide
»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné
de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des
profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel des «
pièces détachées » en périodes
électorales. La tombe que nous voyons ci-dessus est vide de son contenu
; le corps de la dame qui a été enterrée a
été dérobé par les profanateurs. Le fils de la
défunte a entrepris des démarches auprès de la Mairie et
de la police judiciaire et a porté plainte contre x mais sans
succès. Ayant constaté que la tombe a été
visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007,
il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une
part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment
blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables
à la traditionnelle c'est-à-dire, « j'attends les
vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour
frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par
soi-même car la justice c'est pour ceux qui gouvernent
».205
205 Extrait de l'entretien que nous avons eu avec monsieur
Guy-Joseph MBOUMBA, qui, pour la circonstance, a bien voulu nous donner son
identité et profiter de notre canal pour exprimer son
mécontentement par rapport aux profanations des tombes.
Le fétichisme se développe sur la base de la
faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables.
C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir,
aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut
une puissance pour rendre justice à la place du "blanc". On «
frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les
expressions « frapper le diable », ou « fermer le
mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple
lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que l'Etat ne
peut pas réagir. Le mwiri (société initiatique masculine
et secrète des peuples du Sud du Gabon surtout) est convoqué
parce qu'étant considéré comme une façon de
réduire les tensions et de demander aux génies d'intervenir ;
quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne fonctionnement
pas.
Section 2 : Le fétichisme politique à
Libreville
Le fétichisme politique que nous décrivons ici
met certes en avant la relation entre mandant et mandataire mais se
décline d'une autre manière dû à la
contextualisation. Pierre BOURDIEU206 parle du fétichisme
politique pour montrer la délégation du pouvoir du mandant,
c'est-à-dire le peuple, au mandataire : l'entrepreneur politique.
En effet, « la criminalisation populaire des mandataires
ou de manière générale, de tout homme politique,
soupçonnés ou accusés d'attenter pour des raisons et par
des moyens fétichistes , mais aussi par la violence physique, à
l'intégrité physique des mandants, est un phénomène
ordinaire au Gabon. Cette criminalité se caractérise par des
« meurtres rituels », ou, comme il se dit aussi et suivant
une logique de redoublement symbolique, des « sacrifices rituels
». L'objectif étant de prélever des organes humains
appelés significativement « pièces
détachées » : langues, mains, oreilles, crânes,
coeurs, organes génitaux [...] Aussi bien pendant les périodes
électorales qu'entre deux élections, des témoignages de
familles, des observations que l'on peut faire ainsi que des articles de presse
permettent de se rendre compte de la réalité de
206 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Les Editions
de Minuit, (coll. « Le Sens Commun »), 1987, 228p.
ces « crimes » ou « sacrifices rituels ».
Des noms des commanditaires et des exécutants sont cités et l'on
évoque toujours soit par des allusions, soit ouvertement des hommes
politiques, dont certains sont directement proches des hauts lieux du pouvoir
».207
Dans la même perspective les entretiens208,
que nous avons pu avoir avec trente familles victimes des profanations des
tombes à Mindoubé, confirment que « ce sont les hommes
politiques qui passent la plupart de leur temps à féticher et
à casser les tombes de nos disparus, au lieu de s'occuper de faire leurs
campagnes. S'ils le font c'est parce qu'ils savent qu'on ne va plus les voter,
ce sont des criminels, des assassins, des menteurs, des gens sans aucun respect
des morts. On espère qu'ils ne vont jamais mourir et quand ils vont
mourir, ils vont être enterrés dans les nuages et non pas à
Mindoubé, car ce qu'ils font c'est cruel ; déranger des morts et
s'attaquer à ceux qui ne peuvent plus se défendre
».209
En résumé, le fétichisme politique dont
nous rendons compte à Libreville est « entendu dans le contexte
africain comme usage ou commerce des /ou avec les « pièces
détachées » réalisé par les hommes
politiques ; il y a apparemment une distance avec le concept bourdieusien. En
fait, les usages politico-criminels des « pièces
détachées » servent ici à réaliser la
transfiguration du rapport politique qui est au principe de la production des
mandataires comme fétiches ».210
207 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise, op.cit., p.3.
208 Extraits d'entretiens avec les familles victimes le
1er novembre 2007 à Mindoubé des profanations des
tombes.
209 Extrait de l'entretien avec ces familles à
Mindoubé en novembre 2007.
210 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon, op.cit., p.5.
Chapitre V : Le cimetière de Mindoubé :
théâtre des profanations des tombes
Section 1 : Historique, localisation
géographique et description du cimetière de Mindoubé
1. Localisation et description du site Carte n°1
: Localisation géographique du cimetière de
Mindoubé
On commencera d'abord par rappeler que le cimetière est
situé dans le quartier Mindoubé, où il fait face à
la décharge centrale d'ordures de Libreville. Pour plus de
précisions, la première carte a ce souci de nous présenter
autant que possible le cimetière de Mindoubé. Mieux, nous avons
un aperçu de l'urbanisation de la ville de Libreville. Cette carte a
été
tirée sur satellite et réalisée par
monsieur Parfait NDONG-ONDO du LAGRAC de l'U.O.B en mars 2008, d'après
ING/libreville. Nous avons tenté une autre représentation de
notre carte ainsi qu'il suit :
Carte n°2 : Localisation géographique du
cimetière de Mindoubé
Après la localisation géographique du site, une
description211 de celui-ci s'impose. Par exemple, l'accès au
site se fait par voie terrestre non goudronnée, praticable
véritablement qu'en saison sèche ; les hautes herbes aussi bien
à l'intérieur qu'à l'extérieur du site sont
visibles depuis la route, ce qui fait qu'on ne puisse plus retrouver les tombes
de nos disparus. A cela, s'ajoute une forte concentration de débits de
boisson à
211 Description que nous avons effectuée en
année de Licence le 26 mars 2007 dans le cadre du mois de terrain. Une
seconde visite en février 2008 a été faite pour voir les
éventuels changements après la fête de Toussaint de 2007
mais rien n'a été fait. Le site est resté dans les
mêmes conditions telles que décrites lors de notre premier
passage.
proximité du cimetière. On note aussi que les
constructions anarchiques d'habitations et la présence de tas
d'immondices et des dépôts de ferrail.
A ce propos, nous proposons quelques photos pour
présenter la description du cimetière de Mindoubé tel
qu'il a été photographié lors de notre passage.
Photo n°7 : «Le portail principal du
cimetière »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
La photo n°7 nous présente, comme son titre
l'indique, une vue de l'entrée principale du cimetière. Au
premier plan de la photo, nous apercevons le portail amorti par le poids de
l'âge, il est rouillé, et se ferme à l'aide d'une vieille
chaîne et d'un cadenas. Ensuite, on voit bien sur cette photo que la
route qui nous conduit au cimetière de Mindoubé est, comme nous
l'avons dit plus haut, une route secondaire, praticable qu'en saison
sèche. S'ajoute aussi les hautes herbes que nous évoquions
déjà. Au second plan, nous voyons que le site est envahi des
hautes herbes mais aussi d'arbres fruitiers tels les manguiers ou d'arbres
à noix : des palmiers. C'est à peine si on peut apercevoir au
loin quelques stèles visibles par leurs couleurs blanches. Enfin, la
clôture qui existe mesure près de 1 m 70 et ne peut pas dissuader
les profanateurs.
Photo n°8 : «Une tombe immergée dans
les huiles de vidange »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Mindoubé n'est pas seulement victime que des
profanations des tombes. On peut aussi parler d'un autre type de profanation
orchestrée par les garagistes des alentours avec les huiles moteurs qui
se déversent sur le cimetière. Formant au passage un petit
ruisseau et noyant du même coup d'abord les quelques tombes encore
visibles mais méconnaissables pour les parents ; ensuite, et à la
longue, va faire tomber la barrière qui tient encore le coup. Au second
plan, on peut aussi apercevoir les hautes herbes qui ont occupé l'espace
et empêchant aussi la reconnaissance des tombes à cet endroit. Les
autorités de l'Hôtel de Ville sont pourtant au courant de la
situation actuelle du site mais restent silencieuses.
La photo qui va suivre reste dans le même d'idée de
la conséquence des huiles de moteur sur le site de Mindoubé.
Photo n°9 : « Le travail des huiles de
vidange »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Nous nous trouvons sur la partie du site qui fait directement
face à la décharge de Mindoubé. C'est certainement la
partie qui subit le plus l'insalubrité dans le coin. On peut constater
que la barrière est détruite certainement sous l'action des eaux
usées mélangées aux huiles de vidanges qui stagnent et,
par la suite, ont fait que la barrière ne résiste pas. On peut
aussi se poser la question de savoir quel sort est réservé
à cette sépulture d'ici deux ans, subira t-elle le même
sort que cette barrière ? Et toujours la présence des hautes
herbes, rendant inaccessible cette partie du cimetière aux parents des
défunts pour d'éventuels moments de désherbage.
Photo n°10 : «La face cachée d'une
tombe »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Tout comme la photo n°8 «une tombe
immergée dans les huiles de vidange », il s'agit d'une bonne
dizaine de tombes qui sont dans l'immersion des huiles de vidange. Cette
situation nous permet de voir à quel point le site demeure dans
l'insalubrité ; en témoigne les pneus de voitures et la
barrière qui est pratiquement prête à s'écrouler.
Photo n°11 : « La formation d'un ruisseau
»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Comme la photo n°10, celle-ci mais en avant les dangers
que ces eaux et ces huiles de vidange stagnantes, en arrière plan,
représentent pour le site de Mindoubé. A la longue, si cette
situation perdure, on va assister progressivement à la formation d'un
lac qui va couper la route. Le premier plan, c'est toujours la situation des
ordures qui se déversent sur le cimetière.
Photo n°12 : « Le dépôt de
ferrail »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
A Mindoubé, nous avons découvert qu'il y a avait
l'existence d'un tout autre marché : celui du fer, comme nous pouvons le
voir ici sur le premier plan. Les ouvriers que nous avons rencontrés sur
les lieux nous ont fait comprendre que c'est un nouveau type de marché,
qui rapporte des millions de francs quand on sait avec qui réexploiter
le fer. En effet, « les chinois, les japonais sont les premiers
consommateurs de ce type de produit »212, Mindoubé
est l'endroit rêvé pour exploiter le fer, loin et à l'abri
d'autres concurrents et surtout des agents de l'environnement. Enfin, au second
plan, on peut voir le poteau d'électrification qui est là mais ne
fonctionne pas.
212 Extrait des propos d'un ouvrier sur le site en plein
travail.
Photo n°13 : « L'insalubrité
»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
La question de l'insalubrité est aussi mise en cause
quant l'entretien du site. Encore quelques mois et ces ordures vont occuper une
place importante dans le cimetière. On peut constater que parmi les
ordures, il y a des bidons, des parapluies, et tout genre de détritus.
Les déchets que nous voyons présentement proviennent directement
de la décharge de Mindoubé, et parce que celle-ci fait face au
cimetière ; les ordures se déversent également sur ce
dernier.
Photo n°14 : « L'un des poteaux
électriques existant »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Au premier plan, on voit l'état de la route mais
surtout, les ordures recyclées par les femmes que nous avons
rencontré sur le terrain. En effet, elles vont récupérer
les ordures dans la décharge, pour venir les trier, les laver et les
laisser sécher sur la barrière du cimetière. Par la suite,
grâce aux sacs de farine, elles les emballent pour aller les vendre soit
à la Gare routière de Libreville ou au marché de la
Peyrie. Il faut dire que c'est tout un nouveau marché de la mort qui est
re-introduit dans le circuit du marché économique. Ce poteau
électrique témoigne de la volonté de mettre de la
lumière dans le coin sauf que depuis vingt ans, le cimetière est
dans l'obscurité. Ces femmes recyclent les ordures pour les vendre
à la Gare routière ; elles vendent des bouteilles plastiques, des
cannettes, et autres détritus susceptibles de rapporter un peu
d'argent.
Après avoir traité de la question de la
localisation géographique du cimetière et de sa description,
venons-en à présent à la question de l'historique du
cimetière proprement dit.
2. Historique du cimetière de Mindoubé
Lors d'une séance de travail avec monsieur Toussaint
ELLANGMANE213, conseiller du D.G.S.T la Mairie de Libreville, il
ressort que le cimetière de Mindoubé a été
créé en 1950 et a été fermé vers 1980 pour
cause de difficulté d'accès dû essentiellement à la
route impraticable. « Cela n'a pas nécessité la mise en
place de textes juridiques car on avait estimé qu'il fallait de
véritables travaux d'aménagements pour que les enterrements se
passent dans les conditions les meilleures ».214
Puis, à l'époque du maire DAMAS, 1996 voit la
réouverture du site. « Je précise ici que
Mindoubé n'est pas totalement saturé, il reste encore de
l'espace. On pense à le réhabiliter sérieusement. Cela va
nécessiter des moyens humains et financiers importants car il s'agit du
désherbage, l'électrification, l'adduction de l'eau,la
réhabilitation de la maison du gardien dans le site car elle a
brûlé lors d'un incendie dû à la forte chaleur qui y
prévaut. Il faudra aussi refaire toute la clôture qui est
aujourd'hui quasi-existante. Tout cela nécessite, comme je l'ai dis
tantôt, des moyens financiers et humains importants. J'ai soumis à
cet effet le dossier à ma hiérarchie depuis 9 mois, on m'a
affirmé que c'est en étude. Alors je continue à conjuguer
le verbe attendre ».215
Au sortir de cette séance de travail, on peut retenir
en fin de compte qu'il y a comme une volonté manifeste qui se
dégage de ne pas réhabiliter le site de Mindoubé. Cela
prouverait à suffisance que la D.G.S.T tire profit des profanations des
tombes, vu qu'elle a été la première à être
informée de ce phénomène par le gardien du
cimetière. D'où, le pouvoir se nourrit bien de la mort.
213 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T
sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.
214 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.
215 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.
Section 2 : La sécurité des morts au
cimetière de Mindoubé
1. Absence de normes de sécurisation du site
Par normes de sécurisation, nous entendons ici
l'électrification, la clôture, une voie d'accès praticable
en toute saison de l'année, l'entretien du site ne serait ce même
que le désherbage. Cependant, Mindoubé est privé de ces
normes de sécurité, preuve aussi du non respect pour nos morts.
Le respect des morts s'effrite davantage. Mindoubé n'est donc pas le
seul site qui présente cette absence de normes de sécurisation ;
Plaine Niger, Baraka, Lalala, pour ne citer que ceux-là
présentent les mêmes difficultés. Face à une telle
situation, comment ne pas comprendre que nos cimetières sont
visités à des heures tardives de la nuit et ce, en
périodes électorales ?
On en veut pour preuve la photo n° 11 : « La
formation d'un ruisseau »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Cette photo montre bien que la barrière, ce qui reste
de la clôture est entrain d'aller en ruine. Ou même la photo
n°14 : « L'un des poteaux électriques
existant.»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Là aussi, le manque d'entretien de la clôture
fait que l'herbe pousse et l'étouffe. Mais cette photo illustre surtout
le fait qu'il y a un poteau électrique mais qu'il ne fonctionne pas. De
facto, le site demeure dans le noir total.
2. Mindoubé, un site particulier
Mindoubé est un site particulier parce qu'il s'agit ici
d'un endroit où s'exerce deux activités parallèles : l'une
étant la récupération des « pièces
détachées » pour le cimetière et l'autre,
s'appesantissant sur le recyclage des ordures pour ce qui est de la
décharge publique à ordures. On comprend donc qu'il existe deux
structures communales. Or ce site est du domaine municipal, donc de la Mairie
de Libreville, mieux se l'Etat et de son autorité. En outre, il ya lieu
de dire que la décharge publique et le cimetière sont des
éléments morts, c'est-à-dire que ce sont des lieux
où l'on vient jeter ce qui ne sert plus (le cas de la décharge
publique) et pour l'autre, où l'on vient déposer, enterrer les
morts, ceux qui ne vivent plus (le cas du cimetière).
Aussi, deux directions se déclinent : la
première est liée au pouvoir en relation avec l'occultisme et la
seconde, au recyclage des ordures qui vont être ainsi réintroduits
dans le marché économique. En ce qui concerne la décharge
publique de Mindoubé, les populations habitant le site vivent d'elle ;
ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui recyclent les ordures. Cette
situation se présente en Bolivie, au Pérou ou au Brésil,
où l'on parle de « bidonvilles » ou « favelas ».
Pour le cimetière, il s'agit de la problématique de la
récupération d'ordre magique et économique des restes
humains. Cependant l'État est incapable de rendre justice sur cette
exploitation des corps ; ce qui fait que l'État, in fine, organise les
pratiques magiques. C'est aussi l'exercice du pouvoir par des moyens
symboliques ; puisque la commune est liée à l'État et
donc, il doit régir.
Ce que nous pouvons retenir ici c'est le fait que le pouvoir,
qui gère la cité, est impliqué dans le fétichisme
politique. Face à ces profanations des tombes au cimetière de
Mindoubé, des familles se plaignent mais l'État demeure incapable
de réagir. En filigrane, les profanations des tombes pose le
problème de l'État et du droit dans cette
récupération des restes humains. Ce qui nous conduit à
voir la définition de l'État chez WEBER.
Pour lui, l'État se définit comme « une
communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire
déterminé, revendique avec succès pour son propre compte
le monopole de la violence physique légitime ».216
L'État est le support du pouvoir politique dans les
sociétés modernes. Mieux, « dans le sens plus restreint,
l'État est parfois assimilé aux éléments qui
constituent l'administration centrale, se distinguant ainsi des
collectivités locales ou des organismes relevant de la
sécurité sociale ».217
On peut renchérir cette approche de l'État
conçu par WEBER en disant « que tout État est fondé
sur la force,[...] S'il n'existait que des structures sociales d'où
toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et
il subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme "l'anarchie"
».218 En somme, « l'État consiste en un rapport de
domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence
légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est
considérée comme légitime). L'État ne peut donc
exister qu'à condition que les hommes dominés se soumettent
à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs
».219
Mieux encore, chez WEBER, l'État « est une
institution qui possède, dans une collectivité donnée, le
monopole de la violence légitime. Entrer dans la politique, c'est
participer à des conflits dont l'enjeu est la puissance- puissance
d'influer sur l'État et par là même sur la
collectivité ».220 Nous partageons ce point de vue de
WEBER sur l'État et le monopole de la violence légitime dans une
communauté d'hommes.
Pour monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, « l'État ne
peut pas régler ce problème puisque ce sont toujours les
mêmes hauts types qui sont toujours élus et qui profanent nos
tombes pour gagner les élections. Comme on ne peut pas saisir la justice
puisque c'est un "cercle vicieux" qui gère le pays, j'attends les
vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour
frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par
soi-même car la justice c'est pour ceux qui
216 Alain BEITONE et al., Sciences sociales,
3ème éd., Paris, Sirey, (coll. «
aide-mémoire »), 2002, p.58.
217 Ibid., p.58.
218 Max WEBER, Le savant et le politique.
Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. «
Bibliothèques 10- 18 »), 1963, p.29.
219 Ibid., p.29.
220 Ibid., p.32.
gouvernent, et ceux qui gouvernent, ce sont encore eux qui
font ces choses d'une autre époque ».221
Dans cette même perspective, monsieur MBADINGA
affirmé que « il ya au Gabon des prédateurs qui chassent
les gens dans la ville et ceux qui viennent profaner les tombes à des
heures tardives de la nuit. Comment expliquer que quand nous sommes vivants on
n'est pas en sécurité, à plus forte raison morts ? Tu
vois, porter plainte dans ce pays ne sert plus à rien, surtout pour ce
genre d'affaire, ces plaintes que nous adressons sont oubliées
expressément par l'État, il s'en fou puisque ces gens là
n'enterrent pas leurs parents ici ; ils font leurs caveaux familiaux et
viennent prendre ce qui reste de nos parents. C'est révoltant ce que
l'État fait, il ne réagit pas et ne puni pas les vrais
coupables ».222
En fin de compte, comme nous l'avons déjà fait
remarquer plus haut, c'est ce même État qui gère la
cité et qui est impliqué dans le fétichisme politique ; en
exerçant son pouvoir par des moyens symboliques. D'autant plus que des
plaintes ont été formulées par les familles des victimes
des profanations des tombes ; il demeure malgré tout incapable de
réagir. C'est en définitive le problème du droit et de
l'État qui se pose en filigrane.
221 Propos de monsieur Guy-Joseph MBOUMBA lors de notre
passage le 1er mars 2007 à Mindoubé, qui, pour la
circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre
canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des
tombes. Cf. la photo n° 6 de la page 74.
222 Propos de monsieur MBADINGA, au cimetière de
Mindoubé le 1er novembre 2007.
Chapitre VI: La violence en postcolonie gabonaise
Section 1 : Les profanations des tombes, forme de
violence de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique
Les profanations des tombes à Libreville en
périodes électorales constituent ce que nous appelons la
marchandisation des restes humains ou marchandisation du corps humain ;
réalisée par les hommes politiques. Il s'agit donc là
d'une forme de violence toute particulière ; une violence à la
fois de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique.
« Elle est violence de l'imaginaire parce qu'il s'agit
d'une violence administrée par, ou organisée autour de
l'imaginaire constitué par des entités invisibles au moyen de
symboles ou de fétiches. De manière générale, les
administrateurs de la violence de l'imaginaire ou violence du fétichisme
sont les fonctionnaires, les entrepreneurs et les ouvriers de l'économie
des miracles que sont les thérapeutes, religieux, "magiciens",
féticheurs ou des individus ordinaires, lorsqu'ils réalisent des
"meurtres rituels", à leur profit ou au profit de leurs clients. Cette
activité de production des miracles est mise en récit par la
presse dans les pays africains, et particulièrement au Gabon, où
l'on parle de "pièces détachées" humaines
extorquées par des gens, sous commande de féticheurs, de nganga,
au service des puissants, les hommes politiques notamment, soucieux de
conquérir ou de se maintenir au pouvoir au moyen pratiques magiques ou
fétichistes. L'imaginaire, ici, c'est l'invisible
représenté par ces significations imaginaires sociales et les
symboles qui le donnent à voir ».223
De même, « la violence de l'imaginaire est ainsi
précisément la violence qui se manifeste par la transgression des
interdits constitutifs de l'ordre patriarcal formant l'ordre symbolique,
c'est-à-dire l'ordre culturel coutumier des traditions
».224 Mieux encore, « la violence de l'imaginaire
223 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir
en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, p.32.
224 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, ibid., p.38.
se confond avec la violence symbolique ».225
En un mot, « la violence de l'imaginaire, violence du fétichisme,
s'exerce au moyen des images, des gestes corporels, des mots,
c'est-à-dire des fétiches, supports d'idéologies. Cette
violence a pour contexte privilégié celui des camps, espaces de
déshérence, espaces déshérités, instables,
mouvants, incertains ; autrement dit, espaces de dérégulation des
ordres symboliques coutumiers »226 ; violence qui s'observe
actuellement en postcolonie gabonaise.
Plus important encore, c'est de comprendre que cette violence
imaginaire a un impact sur la conscience collective en ce sens qu'elle choque,
traumatise les familles des victimes des profanations. Ces mêmes
profanations des tombes ont pour but de laisser et de faire passer le message
selon lequel le corps du pouvoir au Gabon est un pouvoir mortifère, qui
se nourrit de la mort pour (re)produire la vie.
Et contrairement aux profanations des tombes en France,
à AblainSaint-Nazaire en particulier, il s'agit plutôt d'un
message destiné à heurter la conscience des morts ; à
faire passer un message d'antisémitisme dont les cimetières juifs
continuent de faire l'objet. C'est ici, une violence symbolique exercée
contre des morts, qui participe à la désacralisation des
cimetières.
Toujours pour rester dans le cadre de cette violence de
l'imaginaire, occasionnée par les profanations des tombes en postcolonie
gabonaise, on peut ajouter que « l'imaginaire informe le gouvernement du
réel ».227 Et que la marchandisation des corps morts
à Libreville durant les périodes électorales est une
technique ou une tactique pour les hommes politiques de conserver ou
d'acquérir le pouvoir politique, ou lors des nominations et remaniements
ministériels à la suite des Conseils des Ministres, ce pouvoir de
décision et de faire partie de "ceux qui gèrent le pays".
225 Ibid., p.39.
226 Ibid., p.39.
227 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes,
Paris, Balland, 1992, p.26.
A la suite de cette violence en post-colonie au Gabon durant
les élections politiques, nous partageons le point de vue de WEBER pour
qui, « celui qui, en général, veut faire de la politique et
surtout celui qui veut en faire sa vocation doit prendre conscience de ces
paradoxes éthiques et de la responsabilité de ce qu'il peut
lui-même devenir sous leur pression. Je le répète, il se
compromet avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute
violence ».228
Dans cette perspective, il importe de savoir que «
l'énergie individuelle est entièrement mise au service de la
communauté. Cette "bonne"gestion ne suffit pas, il faut apporter
l'énergie nouvelle, recharger l'univers et avec lui, la
société. Les sacrifices humains constituent la technologie
employée à cette fin. Ils font de la vie avec la mort, ils
captent rituellement des forces vitales qui seraient destinées à
la dissipation sans leur accomplissement ».229
En ce qui concerne ces mandataires, une fois investis du
pouvoir politique qu'ils ont longtemps convoité, ils ne se rendent pas
compte que « le pouvoir sépare, isole, enferme ; c'est bien connu.
Surtout, il change celui qui y accède »230 ; pour enfin
de compte, devenir des fétiches politiques, comme l'écrit Pierre
BOURDIEU231. En effet, « les fétiches politiques sont
des gens, des choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à
eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée ;
les mandants adorent leur propre créature. L'idolâtrie politique
réside précisément dans le fait que la valeur qui est dans
le personnage politique, ce produit de la tête de l'homme, apparaît
comme une mystérieuse propriété objective de la personne,
un charme, un charisme
».232
Ce qui fait que « tout le système de pouvoir, dans
un foisonnement symbolique et rituel, est au service d'un ordre dévorant
qui lie solidairement l'univers et le monde des hommes. Le sacrifice est la
solution retenue pour l'entretien incessant de cet ordre cannibale
»233 ;
228 Max WEBER, Le savant et le politique, op.cit.,
p.216.
229 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, ibid.,
p.29.
230 Ibid., pp.30-31.
231 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Minuit, 1987,
228 p.
232 Pierre BOURDIEU, op.cit., p.187.
233 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, ibid.,
p.29.
d'où la fréquence des profanations des tombes et
des cadavres, mais aussi des crimes rituels, des meurtres à Libreville
durant les élections politiques. En dernière analyse, «
cette logique fait du corps captif, abattu, mutilé,
démembré, le support d'un message »234 ; celui de
la domestication et de la légitimation de la violence à la fois
de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique.
Après tout, « qu'on le veuille ou non, la
réalité de la violence en Afrique est massive. Des pratiques
multiformes ont cours. Certaines sont suffisamment formalisées et
routinières pour qu'on puisse les identifier et les décrire. Des
institutions existent et elles les administrent ; des organisations les
amplifient, et une série de normes participent à leur
reproduction, sur la grande et la petite échelle
».235
Pour résumer, « à l'ombre de la postcolonie
ont ainsi grandi des monstres (...) Il s'agit simplement d'administrer une
violence lapidaire et improductive dans le but de prélever, d'extorquer
et de terroriser ».236
Section 2 : L'A.L.C.R ; une tentative de réponse
à la violence du pouvoir (au sens de BALANDIER)
Les recherches de BALANDIER237, montrent que la
violence du pouvoir intervient dans toutes les sociétés et
qu'elle recourt à des moyens divers et qu'elle ne s'exprimerait pas sans
un appui sur le symbolique et l'imaginaire. Elle est ainsi manipulation de
symboles et de forces à des fins offensives et pour finir, la violence
du pouvoir est identifiée à partir de ses effets.
L'« A.L.C.R dénonce le mutisme de l'État
face à la recrudescence des crimes rituels. »238 En
effet, cette association ne comprend pas que face à la recrudescence de
ces meurtres et ces mutilations de cadavres, l'État,
234 Ibid., p.103.
235 Achille MBEMBE, « Désordres,
résistances et productivité », p.2, in Politique
Africaine, n°42, Juin 1991, 163 p.
236 Ibid., p.3.
237 On peut citer pour la circonstance deux de ses ouvrages :
Anthropologie politique, Paris, PUF/ Quadrige, 1999, 240 pages et le
Pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, 172 pages.
238 Cf. L'Union du lundi 10 mars 2008, en page 6,
rubrique « Société et culture ».
en tant que garant des institutions de la république et
surtout garant de la sécurité des biens et
l'intégrité physique de ses citoyens, ne réagit pas.
L'A.L.C.R « est une jeune organisation régie par
la loi 10/62 relative aux associations et reconnue par le
Ministère de l'Intérieur sous le numéro
194/MISI/SG/CE/ du 16 juin 2006.
»239 C'est une association qui a pour objectif majeur la
défense des vies humaines et donc, de se présenter comme une
tentative de réponse à cette violence. Aussi, elle s'est
fixée pour buts de « faire des droits des enfants une
réalité pour une véritable paix ; de faire appliquer les
recommandations du colloque de l'UNESCO240 sur les crimes rituels et
les conflits en Afrique centrale tenu à Libreville en 2005 ; de
défendre les vies humaines ; de soutenir les communautés, les
familles victimes de crimes rituels et d'assassinats des enfants et autres.
»241
Après avoir présenté brièvement
les objectifs de l'ALCR, son président pense qu'il est temps «
de lutter contre ces actes abominables, dans un pays d'à peine un
million d'habitants... et de contribuer au coté de l'Etat gabonais
à mieux prendre conscience de la gravité de ce
phénomène, de sa responsabilité de protection des
paisibles citoyens. »242 Car « les membres de l'ALCR ne
comprennent pas le mutisme de l'Etat, au lendemain de la rencontre bipartite du
18 mars 2005, entre le gouvernement et les Agences des Nations Unies, relatives
aux crimes atroces suivis de mutations à la plage de Libreville, des
jeunes écoliers Eric EDOU-EBANG et de Ibrahim ABOUBAKAR. »243
De plus, dans ses propos, le président de l'ALCR
voudrait que la justice fasse son travail librement, sans interférence
politique et condamne « avec la dernière énergie, les
enlèvements, les séquestrations, les mutilations, les assassinats
et les profanations des tombes monnaie courantes dans notre beau pays
».244 En outre, « l'ALCR veut gagner la
239 Extrait du discours du Président le l'A.L.C.R,
discours prononcé à l'occasion de la Journée Gabonaise de
lutte contre les crimes rituels, le vendredi 2 février 2007 au CCF St.
Exupéry de Libreville.
240 Colloque sous-régional sur les "causes et moyens
de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique
centrale", sous l'égide de l'UNESCO, colloque tenu à
Libreville du 19 au 20juillet 2005, 84p.
241 Extrait du discours du Président de l'ALCR, lors de la
Journée Gabonaise de lutte contre les crimes rituels, le 2
février 2007, p.2.
242 Extraits du discours de monsieur EBANG ONDO, président
de l'ALCR, le 2 février 2007, p.2.
243 L'Union du 10 mars 2008, op.cit., p.6.
244 Extraits du discours de monsieur EBANG ONDO, président
de l'ALCR, le 2 février 2007, p.2.
bataille contre les crimes rituels et ne reculera jamais
face aux actes barbares, de terrorisme perpétrés entretenus par
les hommes de la secte machiavélique de l'ombre, ces groupes criminels
impunis qui sèment la mort et la désolation au sein de nos
familles ; hypothéquant ainsi, l'avenir d'une jeunesse sacrifiée
».245 En un mot, « nous exigeons la cessation
immédiate des crimes rituels ».246
Par ailleurs, le président a souligné son
inquiétude quant à la non prise en compte des recommandations du
colloque sous-régional de l'UNESCO sur les crimes rituels et les
conflits en Afrique Centrale tenu en juillet 2005, par l'Etat gabonais. Allant
dans le même sens et soutenant l'action entreprise par cette association
gabonaise, l'Ambassadeur des Etats-Unis R. Barrie WALKLEY a, dans son
allocution lors se la même journée Gabonaise contre les crimes
rituels au Centre Culturel Français St. Exupéry le 2
février 2007, affirmé que « les crimes rituels figurent
parmi les innombrables violations des Droits de l'Homme. Ces meurtres à
l'encontre des couches les plus vulnérables de la société
sont commis dans un contexte d'impunité
généralisée, laissant les familles dans le
désespoir et la population dans la consternation
».247
Car « la protection de la démocratie et des
Droits de l'homme est une affirmation à laquelle les Etats-Unis tiennent
beaucoup. En janvier 2005 le Président BUSH disait : " la
liberté, naturellement, doit être choisie et défendue par
les citoyens et maintenue par l'exercice de la loi et la protection des
minorités"... »248
Venons-en à présent à la question de la
non prise en compte des recommandations de la déclaration de Libreville
en Juillet 2005 par le gouvernement gabonais.
245 Extraits du discours de monsieur EBANG ONDO, ibid.,
p.2.
246 Ibid., p.2. Nous profitons ici que le
président de l'ALCR est lui-même une victime des crimes rituels au
Gabon. En effet, après maintes recherches de son fils et de son camarade
de classe, ceux-ci seront retrouvés morts et mutilés à la
plage de Libreville le 3 mars 2005. D'où l'implication de monsieur Jean
Elvis EBANG ONDO à travers l'association.
247 Propos de l'Ambassadeur des Etats-Unis R.BARRIE WALKLEY lors
de la « Journée Gabonaise contre les crimes rituels » au CCF
de Libreville le 2 février 2007, p.1.
248 Propos de l'Ambassadeur des Etats-Unis Son Excellence
R.BARRIE WALKLEY lors de la « Journée Gabonaise contre les crimes
rituels » au CCF de Libreville le 2 février 2007, p.1.
A ce propos, la « Déclaration de
Libreville»249 a fait 21 propositions, dont nous avons retenu
pour notre travail 5 : « le caractère sacré, inviolable et
inaliénable de la vie et de la personne humaine, ainsi que notre profond
engagement à combattre toutes les formes d'atteinte à
l'intégrité et à la dignité humaines
».250 Elle recommande ainsi de « conscientiser et
persuader les adeptes de ces pratiques de substituer aux sacrifices humains
d'autres sacrifices plus symboliques »251,
d' « adopter des lois qualifiant explicitement et
sanctionnant les crimes rituels afin de mettre fin à l'impunité
»252 ; de « censurer la protection et la diffusion par les
média, de programmes qui valorisent le viol, la violence, les pratiques
mystiques et religieuses néfastes aux valeurs de paix et de respect de
la personne humaine »253 ; ou encore d'« instituer, dans
les Etats d'Afrique centrale, une journée à la mémoire des
victimes des violences rituelles et des guerres fratricides
»254 et enfin , de « mettre en place des groupes d'alertes
communautaires, et une police spécialisée disposant de moyens
appropriés pour démasquer les auteurs et les commanditaires des
crimes rituels »255 en outre.
C'est l'occasion ici pour nous de revisiter « le code
pénal de 1963 »256 qui a pourtant prévu des
mesures mais qui ne sont pas, a priori, appliquées.
En partant par exemple du chapitre 13 : «
Des violations de
sépultures et profanations de cadavres »,
qui stipule en son article 291 que « Quiconque
se sera rendu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures sera
puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000
à 120.000 francs, sans préjudices des peines réprimant les
crimes ou délits qui se seraient joints à celui-ci, sera puni des
mêmes
249 Sur la lutte contre les crimes rituels en Afrique centrale
et sur la nécessité de l'éducation aux valeurs de respect
absolu de la vie et de la dignité humaine, in Colloque
sous-régional sur les « Causes et moyens de prévention
des crimes rituels et des conflits en Afrique Centrale », Libreville,
19-20 juillet 2005, p.17.
250 Ibid., p.19.
251 Ibid., p.19.
252 Ibid., p.20.
253 Ibid., p.20.
254 Colloque sous-régional sur les « Causes et
moyens de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique
Centrale », ibid., p.20.
255 Colloque sous-régional sur les « Causes et
moyens de prévention des crimes rituels et des conflits en Afrique
Centrale », ibid., p.21.
256 Extrait du code pénal ; « Loi n°2163 du
31 mars 1963 ».
peines quiconque aura profané ou mutilé un cadavre,
même non inhumé ».257
Ou encore le chapitre 19 : « De la
sorcellerie, du charlatanisme et
des actes d'anthropophagie », en son
article 210 qui notifie par ailleurs que « sera
puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 50.000
à 200.000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque
aura participé à une transaction portant sur des restes humains
ou ossements humains, ou se sera livré à des pratiques de
sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l'ordre public ou
de porter atteinte aux personnes ou à la propriété
».258
Ainsi, les deux exemples de ce code pénal datant de
1963 et les illustrations de ces deux chapitres par des articles confirment la
caducité de celui-ci car chaque jour, il y a profanations des tombes et
des cadavres, des crimes rituels ou autre acte de sorcellerie à
Libreville, sans que l'Etat ne puisse réagir. A cela, «
à quand l'application du nouveau code pénal
révisé le 17 janvier 2008 lors d'un conseil des ministres ?
Va-t-on omettre volontairement le terme "crimes rituels" et la durée des
procédures avant le jugement des assassins et leurs commanditaires ? Que
dira t-on de l'impunité et la justice populaire ? , s'est
interrogé Jean Elvis EBANG ONDO, président du ALCR
».259
En définitive, l'ALCR, en tant que tentative de
réponse à cette violence du pouvoir au Gabon en
général, à Libreville particulièrement, est «
prête à affronter d'autres combats et d'autres situations qui
mettraient à mal les droits de l'homme dans notre pays faiblement
peuplé ».260
257 Extrait du code pénal ; « Loi n°2163 du
31 mars 1963 », p.93.
258 Extrait du code pénal, ibid.,
pp.69-70.
259 L'Union du Lundi 10 mars 2008, ibid.,
p.6.
260 Cf. une coupure du journal Le Peuple ; rubrique
« Développement », par Nelson KALI, p.7.
Conclusion de la deuxième partie
Cette deuxième partie de notre mémoire nous a
permis de mettre en évidence le fétichisme politique et les
profanations des tombes à Libreville, durant les élections
politiques ou aux lendemains de celles-ci. Premièrement on remarque que
les croyances des gabonais demeurent encore animistes, et qu'il s'agit d'une
population en mutation, en transition vers la modernité.
D'autre part, les profanations des tombes ou celles des
cadavres montrent qu'il s'agit d'une violence organisée dans la
postcolonie gabonaise. Comme l'écrit BOURDIEU il s'agit d'une violence
symbolique en tant que « imposition de formes de comportement, de formes
de vie ; de choix intellectuels, de choix vestimentaires, de choix
linguistiques, par les dominants aux dominés ».261
Car « le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes et
sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte
légitimée, à des outils symboliques et à
l'imaginaire ».262 D'où, « aucun groupement, aucune
organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est à
travers des symboles qui manifestent son existence ».263
En effet, à Libreville, les profanations des tombes
sont un des moyens utilisés par les hommes du pouvoir pour se faire voir
et se faire légitimer. Ce qui fait qu'à la veille des
élections politiques, le marché des restes humains est manifeste,
sans que l'Etat ne réagisse dans cette exploitation des «
pièces détachées ». Or si l'Etat ne réagit pas
devant cette violence, c'est parce qu'il est « l'institution qui
possède, dans une collectivité donnée, le monopôle
de la violence légitime. Entrer dans la politique, c'est participer
à des conflits dont l'enjeu est la puissance - puissance d'influencer
sur l'Etat et par là même sur la collectivité
».264
261Cf. Pierre BOURDIEU et la définition qu'il nous
donne de la violence symbolique in « Lexique sociologique et
ethnologique et présentation de quelques auteurs », de Ian
ESCHSTRUTH, étudiant en sociologie, lexique publié sur le net le
22/07/2006, 74 pages sur
ian.eschstruth@laposte.net
262 Georges BALANDIER, le Détour. Pouvoir et
modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.
263 Philip BRAUD, Sociologie politique, op.cit.,
p.103.
264 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de
Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. « Editions 10/18 »),
1963, p.32.
Enfin, ce mémoire nous permet de nous interroger
longuement sur les pratiques sociales des gabonais, liées au
sacré et au pouvoir. Mieux, il s'agit de nous questionner sur le
rôle joué par la justice, ou les réseaux sociaux qui
existent au Gabon et qui interviennent lorsqu'un profanateur ou un
commanditaire est appréhendé. Autant, l'on peut se poser la
question de savoir pourquoi à cette longue crise du sacré
observée au Gabon, l'Etat semble désintéressé ?
En définitive, à quand l'application d'un
nouveau code pénal au Gabon pour que les présumés auteurs
de profanations des tombes et des crimes rituels puissent être
jugés ?
Conclusion générale
A la lumière de tout ce qui précède, la
présente étude pourrait contribuer, pour sa modeste part,
à faire comprendre quelles sont les logiques qui gouvernent les gabonais
et comment celles-ci se constituent ; particulièrement pour toute
personne aspirant au pouvoir (économique, politique ou social) à
profaner des tombes ; et donc à recourir systématiquement au
fétichisme politique comme c'est le cas de la présente
étude.
En effet, les « rumeurs de meurtres diaboliques,
politiciens accusés d'utiliser associations secrètes et
"médicaments" pour assurer leur succès, psychoses urbaines
d'enlèvements d'enfants ou de jeunes femmes victimes de
démembrements rituels »265, deviennent le lot quotidien
des Librevillois et ce, durant les élections politiques ou aux
lendemains de celles-ci. Ce qui atteste que donc que « la sorcellerie n'a
pas disparu en Afrique et s'affirme aujourd'hui comme une catégorie
incontournable de la vie publique et privée ».266
Notre problématique s'est formulée sur le
passage d'une économie symbolique lignagère à une
économie de marché. Ce qui se traduit par le fait que l'on
assiste à une vente des éléments du corps humain sur le
marché et au politique. Mieux, en portant notre regard sur la
réalité sociale gabonaise, notre hypothèse, selon laquelle
on constate très souvent des profanations des tombes à la veille
des consultations politiques, atteste que le pouvoir au Gabon est un pouvoir
mortifère, qui se nourrit de la mort, se confirme. Dans la même
perspective, Florence BERNAULT évoque les rumeurs de trafic d'organes,
de kidnapping d'enfants, de vente de clitoris, d'émasculation des
hommes, n'ont pas pour unique ni même principale raison la
marchandisation du corps, imposée par une globalisation capitaliste
récente, extérieure à l'Afrique, mais plutôt les
transformations progressives et locales de la sphère du sacré.
265 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de
l'invisible en Afrique et pouvoirs sorciers », in Politique
africaine n°79, octobre 2000, p.1.
266 Ibid., p.1.
Enfin, comme l'écrit Georges BALANDIER, l'imbrication
du sacré et du politique est incontestable car « dans les
sociétés laïcisées, elle demeure apparente ; le
pouvoir n'y est jamais entièrement vidé de son contenu religieux
qui reste présent, réduit et discret ».267 Ce qui
nous permet d'affirmer par la suite qu'au Gabon, « le pouvoir est
sacralisé parce que toute société affirme sa
volonté d'éternité et redoute le retour au chaos comme
réalisation de sa propre mort ».268
Sur ce fait, les pratiques fétichistes continueront de
persister au Gabon, parce qu'étant et avant tout, un pays fortement
animiste et attaché aux traditions ancestrales. Ce qui explique le
recours au fétichisme ou à la sorcellerie par les gabonais,
quelle que soit la circonstance.
267 Georges BALANDIER, Anthropologie politique, Paris,
Puf/Quadrige, 1999, p.118.
268 Ibid., p.119.
Références bibliographiques
La présente bibliographie n'est pas exhaustive mais
elle se veut indicative des principales sources qui nous ont permis de pouvoir
produire ce Mémoire de Maîtrise. Pour ce fait, nous avons fait
appel à des ouvrages généraux, des ouvrages
spécialisés, des ouvrages de méthodologie, des articles et
coupures de presses, des Rapports de Licence, des Mémoires de
Maîtrise, Thèse de Doctorat et des documents officiels.
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l'ethnologie, 2ème éd., Paris,
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33. TONDA J., La guérison divine
en Afrique centrale (Congo, Gabon).Préface d'André MARY,
Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés
»), 2002, 243 p.
35. TONDA J., Le Souverain moderne. Le
corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon) Paris, Karthala,
(coll. « Hommes et sociétés »), 2005, 297
p.
36. WEBER M., Le savant et le
politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll.
« Bibliothèques 10-18 »), 1963, 222 p.
IV. Articles, périodiques et revues
37. BERNAULT F., Magie, sorcellerie et
politique au Gabon et Congo-Brazzaville in BEKALE
M.N, Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire,
Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.
38. BERNAULT F., Economie de la mort et
reproduction sociale au Gabon, in MAMA AFRICA : Hommage à Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE,
Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.
39. BERNAULT F. et TONDA J., «
Dynamiques de l'invisible en Afrique », 13 p. in
Politique Africaine, n°79, 2000.
40. BERNAULT F, Compte rendu de lecture,
« Autour d'un livre : le Souverain moderne. Le corps du
pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p.,
de Joseph TONDA », 8 p.
41. « Ce que parler veut dire », in
Libération, 19 octobre 1982, p.28. Dans
l'Hyperbourdieu : « Dévoiler les ressources du pouvoir : le
fétichisme politique ». Entretien de Didier ERIBON avec Pierre
BOURDIEU.
42. CHRETIEN J-P., « Les racines de
la violence contemporaine en
Afrique », pp15-57, in Politique
africaine, n°42 : « violence et
pouvoir », Paris, 1991, 163 p.
43. ENJEUX, Bulletin d'Analyse
Géopolitiques pour l'Afrique Centrale, Yaoundé,
3èmeannée, publication trimestrielle, n°9
octobre-Décembre 2001, 31 p.
44. GESCHIERE P., Sorcellerie et politique
: le piège du rapport élite-village, 16 p.
45. OYONO J.B., La prolifération des
entreprises criminelles en Afrique centrale à l'ère globale,
in ENJEUX n°9 octobre-Décembre 2001, 10
p.
46. POLITIQUE AFRICAINE, N°79, octobre
2000, 140 p.
47. POLITIQUE AFRICAINE, N°42 : «
Violence et pouvoir », juin 1991, 163 p.
48. TONDA J., Fétichisme
politique, fétichisme de la marchandise et criminalité
électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain
en Afrique Centrale) in Voter en Afrique : différenciations et
comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Etude
d'Afrique Noire-Institut d'Etudes politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, 13
p.
49. TOULABOR C., « Sacrifices
humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique »,
p.207, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et
G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de
libération en Afrique contemporaine, Paris,
Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.
50. « L'Union Plus » du 21
octobre 2004, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union
Plus » du 13 et 14 novembre 2004, Multipress,
Libreville/Gabon.
-« L'Union Plus » du 10
janvier 2006, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union
Plus » du 10 octobre 2006, Multipress, Libreville/Gabon.
-« L'Union Plus » du 16 et
17 mai 2007, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union
Plus » du 26 avril 2007, Multipress, Libreville/Gabon.
-« L'Union Plus » du 29
février 2008, Multipress, Libreville/Gabon. -« L'Union
Plus » du 10 mars 2008, Multipress, Libreville/Gabon.
-« L'Union Plus » du 3 juillet 2008,
Multipress, Libreville/Gabon.
-« L'Union Plus » du 16
juillet 2008, Multipress, Libreville/Gabon.
V. Thèse(s) de Doctorat, Mémoire(s) de
Maîtrise et Rapport(s) de Licence
51. DOS SANTOS F.A.M., Les
cimetières à Libreville face à la croissance
spatiale urbaine, Mémoire de
Maîtrise en Géographie Urbaine, Libreville, UOB/FLSH,
1988, 82 p.
52. KOUMBI OVENGA D-W., Mort et pouvoir.
Violence politique et société initiatique Ndjembè en
post-colonie gabonaise, Mémoire de Maîtrise en
Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2006, 134 p.
53. NGOUA M.A., La sorcellerie du Kong
à Bitam : une manifestation symbolique de l'Etat capitaliste,
Libreville, UOB/FLSH, Rapport de Licence en Sociologie,
sept.2005, 25 p.
54. OSSOMBEY J., Société
Kélè du Gabon précolonial : milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Libreville,
UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en Histoire et
Archéologie, sept.2005, 100 p.
55. STRANDSBJERG C., Le sens du pouvoir :
des forces occultes à la grâce divine, Paris, E.H.E.S.S.
Thèse de Doctorat, jan.2008, 337 p.
VI. Documents officiels
56. Extrait du code pénal de 1963 de la
République Gabonaise : « Loi n° 2163 du 31 mai
1963.»
57. Colloque Sous-régional sur
« Les causes et moyens de prévention des crimes
rituels et des conflits en Afrique Centrale » (Libreville,
19-20 Juillet 2005), suivi du Rapport de l'Atelier sous-régional de
formation sur « les
mécanismes traditionnels de prévention
des conflits en Afrique Centrale » (Libreville, 21 Juillet
2005), UNESCO, Juillet 2005, 84 p.
VII. Discours officiels
58. Allocution de Son Excellence R. Barrie WALKEY,
Ambassadeur des Etats-Unis au Gabon, lors de "la Journée
Gabonaise contre les crimes rituels" au Centre Culturel Français
St. Exupéry (C.C.F) de Libreville, le vendredi 2 février 2007 ; 2
pages.
59. Discours du Président de l'Association
Gabonaise de Lutte contre les
Crimes Rituels (A.L.C.R) ; lors de " La
Journée Gabonaise de lutte contre les crimes rituels", le vendredi
2 février 2007 au CCF de Libreville, 4 pages.
VIII. Moteurs de recherche
60. www.google.fr/
www.yahooencyclopedie.fr
61.
ian.eschstruth@laposte.net
Table des matières
Dédicace
Remerciements
Sigles et abréviations Liste des illustrations
Liste des tableaux Sommaire
Introduction générale
1
Les préalables
épistémologiques 3
Section 1 : Objet et Champ de l'étude
4
1-Le fétichisme politique comme objet
d'étude 4
2-La sociologie de la religion et la
sociologie du pouvoir comme cadres de référence ...9
Section 2 : Construction du modèle
d'analyse
13
1-Le rapport entre fétichisme et
politique dans la littérature sociologique occidentale 13
2-Les universitaires gabonais et africains face
à la sorcellerie ou le rapport politique et
fétichisme 17
3- Perspective de notre problématique du rapport entre
fétichisme et politique 26
4- Enonciation de notre hypothèse de recherche 29
5- Définition et construction du concept
fondamental 29
5-1. Définition du concept de «
fétichisme politique » comme concept fondamental de
notre
étude 30 5-.2. Tableau n°1 :
Construction du concept de « fétichisme
politique » 31
Section 3 : Démarche
méthodologique 31
1-Cadre empirique de la recherche 31
Tableau n°2 : Recension des cimetières de
Libreville 32
Tableau n°3 : Répartition des
cimetières sous juridiction de l'HDV 33
Tableau n°4 : Histogramme des tombes
profanées à Libreville de 2004 à
2008 pour Mindoubé 34
2- Caractéristique de notre
échantillon 36
3-Technique de collecte et de traitement des
données 36
3.1. L'entretien comme technique de collecte des
données 36
3.2. L'analyse de contenu comme technique
d'analyse des données 37
3.3. Limites de l'étude 38
Première partie : Les reliques au Gabon et le
culte des ancêtres.......39 Introduction de la
première partie 40 Chapitre I : Période
coloniale et approche anthropologique des reliques 42
Tableau n°5 : Schématisation du culte des
ancêtres en tant que phénomène social total 43
Section 1 : La question des pratiques
reliquaires (période coloniale) 44
1-Une diversité des cultes des
ancêtres au Gabon 44
2-Le culte du Byéri : un culte familial
45
Section 2 : Colonisation et criminalisation
49
1-Bref aperçu historique de la
colonisation 49
2-La criminalisation des pratiques rituelles par
la colonisation, en particulier par l'Église 50
Chapitre II : Les reliques comme symbole
d'autorité et de pouvoir....52
Section 1 : L'utilisation des reliques des
défunts rois et chefs de clan 52
Section 2 :Le principal élément
des reliques : le crâne, objet du pouvoir 55
Chapitre III : Le sacré en crise
................................................................................57
Section 1 : La reformulation du sacré
57
Section 2 : La problématique des rites
maçonniques dans la reformulation du sacré 59
Conclusion de la première partie 61
Deuxième partie : Le fétichisme politique
et les profanations des tombes à Libreville 63
Introduction de la deuxième partie...
... ... ...64
Chapitre IV : Les profanations des tombes et les
élections politiques à Libreville 67
Section 1 : Les profanations des tombes et les
élections politiques à
Libreville 67
1-Les élections politiques à
Libreville 67
2-Les profanations des tombes 69
La photo n°1 : « la veste rouge » 70
La photo n°2 : « La tombe sans carreaux »
71
La photo n°3 : « Tombes dans les hautes herbes
» 71
La photo n°4 : « La tombe Goumabika »
72
La photo n°5 : « Autre manière de profaner
» 73
La photo n°6 : « La tombe vide » 74
Section 2 : Le fétichisme politique
à Libreville 75
Chapitre V : Le cimetière de Mindoubé :
théâtre des profanations des
tombes... 77
Section 1 : Historique, localisation
géographique et description du cimetière de Mindoubé 77
1-Localisation et description du site 77
Carte n°1 : Localisation géographique du
cimetière de Mindoubé 77
Carte n°2 : Localisation géographique du
cimetière de Mindoubé 78
La photo n°7 : « Le portail principal du
cimetière » 79
La photo n°8 : « Une tombe immergée dans les
huiles de vidange » 80
La photo n°9 : « Le travail des huiles de vidange
» 81
La photo n°10 : « La face cachée d'une
tombe » 82
La photo n°11 : « La formation d'un ruisseau
» 82
La photo n°12 : « Le dépôt de
ferrail » 83
La photo n°13 : «L'insalubrité »
84
La photo n°14 :«L'un des poteaux électriques
existant » 85
2- Historique du cimetière de
Mindoubé 86
Section 2 : La sécurité des morts
au cimetière de Mindoubé. 87
1- Absence de normes de sécurisation du
site 87
La photo n°11 : « La formation d'un ruisseau
» 87
La photo n°14 :«L'un des poteaux électriques
existant » 88
2- Mindoubé, un site particulier 89
Chapitre VI : La violence en postcolonie gabonaise .
92
Section 1 : Les profanations des tombes, forme
de violence de l'imaginaire, du fétichisme et du symbolique
92 Section 2 : L'A.L.C.R. une tentative de réponse
à la violence du pouvoir
( au sens de BALANDIER) 96
Conclusion de la deuxième partie 100
Conclusion générale
102
Références Bibliographiques
104
Table des matières
112 Annexes
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