2- Commencer
Tout spectacle se crée de manière chronologique,
avec un début et une fin. Pour ce qui est du commencement il a
été choisi d'approfondir les notions du propos, de fil conducteur
et de l'écriture qui sont trois éléments apparaissant dans
le cirque nouveau.
a- Entre propos et fil conducteur : « Qu'ai je
à dire et pourquoi ? »
Le fil conducteur est un nouveau moyen qui apparaît dans
le cirque nouveau et contemporain. En effet, une histoire a lieu durant le
spectacle comparé au cirque traditionnel. Cela peut être sous la
forme d'une histoire, d'un personnage récurant, d'un propos politique,
esthétique, poétique,performant, historique, artistique...
Créer ensemble au sein d'une compagnie est assez
récent, avant chaque artiste effectuait son propre numéro sans se
soucier de ceux des autres, il n'y avait pas de fil conducteur entre chaque
passage.
Pour Maryka Lissardi, metteur en scène de la Bivouac
Compagnie, le propos a été choisi par elle-même puis il
s'est discuté ensuite avec tous les artistes afin que chacun d'eux soit
d'un commun accord. Il est effectivement important que chacun d'entre eux soit
d'avis favorable à cette proposition afin de pouvoir créer dans
un environnement suffisamment agréable.
Pour ce qui est du fil conducteur, la compagnie s'appuie
toujours sur les propositions de la metteur en scène, pour le spectacle
en création c'est la notion de cycle, du rond, tourner en rond qui est
permanent. En effet, la structure est circulaire et il a été
découvert durant l'entretien que dans chaque spectacle produit cette
notion de forme circulaire et de phase cyclique réapparaissait
inconsciemment par la metteur en scène, elle s'en ai d'ailleurs rendu
compte durant l'entretien, elle-même ne savait pas pourquoi cette
thématique revenait sans cesse et il nous a paru difficile de savoir
pourquoi cette
récurrence s'effectuait. Mais cela confirme que lors du
processus de création, au niveau de l'inconscient, une activité
s'y produit et fait surface au niveau du conscient.
b- L'écriture
L'écriture peut se définir comme étant
« la représentation de la parole et de la pensée par des
signes graphiques conventionnels ». C'est aussi « un système
de signes graphiques permettant cette représentation », « une
manière, l'art de s'exprimer ». Ecrire c'est « tracés
les signes d'un système d'écriture, les assembler pour
représenter la parole ou la pensée ».27
Tout processus de création nécessite une
écriture afin de mettre des mots sur les actes effectués, pour
garder en mémoire la matière et l'élaborer par la suite
afin de constituer l'oeuvre finale.
Le corps est le premier instrument d'écriture d'une
oeuvre mais les composantes du cirque sont multiples, il n'existe donc pas une
écriture officielle car le cirque emprunte différentes
disciplines artistiques. A la différence d'autres formes artistiques, le
cirque n'est fondé sur aucun critère académique, il n'y a
donc aucune règle et principe de fixé28. En revanche
on peut observer qu'il y en a certaine qui sont souvent utilisées.
Au jonglage par exemple, il a été observé
que l'élève utilisait une notation pour indiquer le mouvement de
ses balles en fonction du morceau de musique qui l'accompagnait. Ainsi
l'écriture était sous forme de chiffre et colorée. La
couleur indiquait la main droite ou gauche.
Un canevas ou un synopsis a été
réalisé sous forme écrite par cet élève
permettant de contextualiser et de définir le cadre, laissant une place
importante à l'improvisation. En revanche pour ce qui est du spectacle
de clown ou de type théâtral, une notation dite littéraire
peut être mise en place : textes, dialogues, indications
scéniques29. Pour certains
27 Larousse, 2001, p 361.
28 Hodak-Druel Caroline, Entre la prouesse et l'écriture,
In Wallon, Emmanuel, (dirigé par), Le cirque au risque de l'art,
p 145
29 Ibid.
agrès comme le trapèze ou les acrobaties au sol,
des notations existent, elles représentent les chronologies d'actions
corporelles pour la réalisation d'une figures ainsi que l'indication
graphique, alphabétique ou numérique des trajectoires à
effectuer30.
Le brainstorming est un mode d'écriture qui a
été relevé lors de l'entretien avec l'élève.
Selon lui, cette méthode est « l'improvisation écrite
», ce sont des mots qui viennent à l'esprit en relation avec un
thème donné auparavant sur lesquels les artistes vont pouvoir
s'exprimer.
Lors de l'entretien avec la metteur en scène de la
Bivouac Compagnie, il a été découvert un autre mode
d'écriture permettant d'un jour à l'autre de se souvenir des
gestes, des transitions entre ces derniers : l'outil numérique. En
effet, filmer les répétitions ou encore les moments
d'improvisation permet aux artistes de voir, d'améliorer et de
retravailler leur travail et leur technique. Par exemple, sur beaucoup de sites
internet de compagnies de cirque ou de théâtre, il y a
possibilité de s'informer de l'avancée d'un projet de
création.
L'artiste et l'archiviste disposent aujourd'hui de
photographies, de dessins, de notes et de vidéos comme étant des
traces concrètes de spectacle. Ils reflètent l'histoire de la
création et de l'interprétation des oeuvres. Néanmoins,
ces notes et dessins des artistes et créateurs, témoins de leurs
travaux, sont « [des] mémoires graphiques [qui] n'ont de valeur que
pour leurs seuls auteurs et dans un temps limité. »31
Quant aux photographies et vidéos, elles sont
l'expression du point de vue des photographes ou vidéastes. Elles
reflètent l'histoire de l'interprétation d'une pièce. Le
lecteur voit un spectacle au travers du regard du photographe/vidéaste.
Il s'agit là de documents historiques de la vie d'une oeuvre. Or,
l'oeuvre existe aussi indépendamment de
30 Goudard, Philippe, Le cirque, entre l'élan et la
chute : une esthétique du risque, p. 49.
31 CHALLET-HAAS, Jacqueline, « Tradition orale-transmission
écrit » In Arts de la Piste, p.
son interprétation par des artistes. Si l'oeuvre est
intemporelle, sa prise en charge par des artistes est temporelle. Alors que les
documents visuels témoignent de son histoire, la partition en est sa
transcription.32
Il existe une notation de mouvement Benesh qui est
basée sur la perception visuelle du mouvement. La lecture se fait de
gauche à droite, on peut la combiner avec d'autres écritures,
comme la notation de la musique, l'écriture de textes.
Différentes dimensions du mouvement sont
intégrées dans cette écriture comme le placement et les
mouvements du corps, l'espace (orientation de l'acteur, relation entre
personnes), le temps, le rythme et la dynamique, les objets et la relation de
l'acteur à l'objet (ex : chaise, balle, trapèze).33
32 WOLF Kati, Ecrire le cirque ? La Notation de Mouvement Benesh
pour les arts du cirque, p. 11.
33 Ibid p. 12.
C'est donc un mode d'écriture qui englobe beaucoup de
dimensions mais qui nécessite un apprentissage ainsi qu'une
écriture relativement longue à produire. Cela n'est donc pas
évident à mettre en place.
Guy Carrara34 distingue deux types
d'écriture : l'écriture préalable et
l'écriture de restitution. La première est dans le cadre
du processus de création et de la réalisation de l'oeuvre. «
Elle formalise l'outil qui permettra la communication entre les
différents partenaires (metteur en scène, décorateur,
concepteur lumière, vidéaste, artistes, techniciens...) ».
La seconde écriture sert pour la transmission de l'oeuvre et pour la
constitution d'un répertoire. Cela peut être une transcription
d'une oeuvre déjà réalisée, décrite et
commentée ou captation vidéo montrant la réalisation du
spectacle. L'écriture au cirque est composite et multiple. Elle peut
être comparée à celle du cinéma qui a longtemps
emprunté ses signes graphiques à d'autres arts avant que ne
s'impose une écriture
34 Carrara Guy, L'écriture au cirque, une approche,
In Les Arts de la piste 37-38, p.75.
cinématographique. Le cirque nouveau va t'il lui aussi
acquérir une écriture propre ou va t'il demeurer rebelle à
toutes références et codifications académiques ?
Il est donc vrai que dans le cirque nouveau il n'y a pas de
notation ou d'écriture prédefinie, c'est un art aux composantes
multiples. Le fait d'écrire au cirque n'est pas une obligation
nécessaire à la réalisation d'une oeuvre, on peut
créer sans aucune notation. A partir de simple canevas ou
scénario simplifiés, les artistes peuvent développer
l'improvisation et leur pratique en l'adaptant.35Le fait qu'il n'y
ai pas d'écriture de fixée peut engendrer un frein à la
constitution du patrimoine circassien écrit.
35 Ibid., p. 50.
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