SOURCES
APPEL DU COMITE POUR L'ETAT D'URGENCE DE
L'URSS
En cette heure pénible, critique pour les
destinées de notre patrie et de nos peuples, nous vous lançons un
appel ! Notre grande patrie est menacée d'un danger de mort !
La politique de réformes lancée à l'initiative de
Mikhaïl Gorbatchev est conçue comme le moyen de garantir un
développement dynamique du pays et la démocratisation de la vie
sociale, est tombée dans l'impasse pour certaines raisons.
L'enthousiasme et les espérances des premiers jours ont
cédé la place à l'absence de confiance, à l'apathie
et au désespoir. Le pouvoir s'est aliéné la confiance
populaire à tous les niveaux. L'esprit politicien a évincé
de la vie sociale le souci des destinées de la patrie et du citoyen.
Toutes les institutions d'Etat commencent à être bafouées
de manière pernicieuse. De fait, le pays est devenu ingouvernable.
Des forces extrémistes ont émergé
à la faveur des libertés accordées et ont foulé aux
pieds les premiers germes de la démocratie, afin de tenter de liquider
l'Union Soviétique, de démanteler l'Etat et de prendre le pouvoir
à tout prix. Les résultats du référendum national
sur l'unité de la patrie ont été aux pieds. La
spéculation cynique sur les sentiments nationaux n'est qu'un
écran pour satisfaire des ambitions. Les aventuriers politiques ne se
soucient ni des malheurs traversés actuellement par les peuples, ni de
leur avenir. En créant une situation de terreur politique et morale et
en cherchant à se cacher derrière le bouclier de la confiance
populaire, ils oublient que les liens qu'ils dénoncent et qu'ils rompent
avaient été établis sur la base d'un soutien populaire
bien plus large et qui, d'ailleurs, étaient passés par
l'épreuve séculaire de l'histoire. Ceux qui cherchent en fait,
aujourd'hui, à renverser le régime constitutionnel doivent
répondre devant les mères et les pères des nombreuses
victimes inter-ethniques. Ils ont sur la conscience les destinées
mutilées de plus d'un demi-million de refugiés. Ils ont
troublé la paix et la joie de vivre de dizaines de milliers de
Soviétiques qui, hier encore, vivaient unis dans leurs familles et qui,
aujourd'hui, sont devenus des parias dans leur propre demeure.
C'est au peuple de décider du régime
constitutionnel à adopter et on a tenté de le priver de ce
droit.
Au lieu de se soucier de la sécurité et du
bien- être de chaque citoyen et de toute la société, les
gens portés au pouvoir utilisent souvent ce dernier dans les
intérêts étrangers au peuple et comme un moyen
d'auto-affirmation ne reposant sur aucun principe. Les flots de paroles et les
montagnes de déclarations et de promesses ne font qu'accentuer le peu
d'actes concrets. L'inflation du pouvoir, plus redoutable que toute autre
inflation, mine notre Etat, notre société. Chaque citoyen
éprouve une certitude croissante en l'avenir, une profonde
inquiétude au sujet de l'avenir de ses enfants.
La crise du pouvoir a eu un impact catastrophique sur
l'économie. Le glissement vers le marché, chaotique et
spontané, a provoqué une explosion d'égoïsme
régional, corporatiste, collectif et personnel. La guerre des lois et
l'encouragement des tendances centrifuges ont provoqué le
dysfonctionnement d'un mécanisme économique unique qui date de
plusieurs décennies. Il s'en est suivi une baisse brutale du niveau de
vie de la majeure partie des Soviétiques, la prospérité de
la spéculation de l'économie parallèle. Il est grand temps
de dire la vérité à la population: si des mesures urgentes
et énergétiques ne sont pas prises pour stabiliser
l'économie, nous serons inévitablement placés, et dans un
avenir très proche, devant la famine et un nouvel appauvrissement,
situation d'où ne sont pas les manifestations massives de
mécontentement spontané, lourdes de conséquences
dévastatrices. Seuls les gens irresponsables peuvent espérer une
aide de l'étranger. Aucune aumône ne résoudra nos
problèmes, notre salut est entre nos propres mains. Le temps est venu de
juger la crédibilité de chaque homme et de chaque organisation en
fonction de son apport réel au redressement et au développement
de l'économie nationale.
Depuis de nombreuses années, nous entendons de
tous côtés des déclarations sur l'attachement aux
intérêts de l'homme, le souci de ses droits, la protection
sociale. Mais, en fait, l'homme a été humilié,
bafoué dans ses droits et possibilités réelles et
plongé dans le désespoir.
Toutes les institutions démocratiques
créées par la volonté du peuple ont perdu, à nos
yeux, prestige et efficacité, ce qui résulte des actions
libérées de ceux qui, en violant grossièrement la Loi
fondamentale de l'URSS, commettent pratiquement un coup d'Etat
anticonstitutionnel et cherchent à accéder à une dictature
personnelle illimitée. Des préfectures, des mairies et d'autres
structures illégales ne cessent de remplacer ouvertement les Soviets
élus par le peuple.
Une offensive a été lancée contre
les droits des travailleurs. Le droit du travail, à l'enseignement,
à la santé publique, au logement et au repos est mis en cause.
Même la sécurité personnelle
élémentaire des gens est de plus en plus menacée. La
criminalité augmente rapidement, s'organise et se politise. Le pays
plonge dans un gouffre de violence, qui met en péril la santé et
la vie des générations futures, n'a jamais connu dans l'histoire
du pays une telle envergure. Des millions de personnes exigent que des mesures
soient prises contre une criminalité tentaculaire et une
immoralité inqualifiable flagrante.
La déstabilisation de la situation politique
et économique, qui s'aggrave en Union soviétique, compromet nos
positions dans le monde. Des notes revanchardes commencent à retentir
ici et là, on exige de réviser nos frontières. On appelle
même à démembrer l'Union Soviétique et à
établir une tutelle internationale sur certains ouvrages et
régions de notre pays. Telle est la réalité amère.
Hier encore, un Soviétique qui se retrouvait à l'étranger
se sentait le digne citoyen d'un Etat influent et respectable. Aujourd'hui, il
est un étranger de seconde catégorie et se heurte à des
attitudes de mépris ou de compassion.
La fierté et l'honneur de l'homme
soviétique doivent être rétablis dans toute leur
plénitude.
Pleinement conscient de la gravité de la crise qui
affecte notre pays,le Comité d'Etat pour l'Etat d'Urgence prend sur lui
la responsabilité de l'avenir de la patrie et se déclare tout
à fait résolu à prendre les mesures les plus
sérieuses pour faire sortir le plus vite possible l'Etat et la
société de la crise.
Nous promettons d'organiser une large consultation du peuple
tout entier sur le projet de nouveau Traité de l'Union. Chacun aura le
droit et la possibilité de réfléchir, dans un climat
serein, à cet acte extrêmement important et d'arrêter sa
position en la matière, car le sort de nombreux peuples de notre grande
partie dépendra de l'avenir de l'Union.
Nous entendons rétablir sans délai la
légalité et l'ordre légal, mettre fin à l'effusion
de sang, déclarer une guerre sans merci au monde de la
criminalité et extirper les phénomènes honteux qui
discréditent notre société et qui humilient les citoyens
soviétiques. Nous nettoierons les rues de nos villes des
éléments criminels et nous mettrons à l'arbitraire des
pilleurs des biens du peuple
Nous nous prononçons pour de réels
processus démocratiques et pour une politique conséquente de
réformes conduisant à un renouveau de notre patrie, à une
prospérité économique et sociale qui rendra capable
d'occuper une place digne dans la communauté internationale des
nations.
Le développement du pays ne doit pas passer par
la baisse du niveau de vie de la population. L'amélioration constante du
niveau de vie de tous deviendra la norme dans une société saine.
Sans négliger le renforcement et la protection des
droits de l'individu, nous concentrerons notre attention sur la défense
des intérêts des couches les plus vastes de la population, de ceux
qui ont été tout particulièrement touché par
l'inflation, par la désorganisation de la production, la corruption et
la criminalité.
Tout en développant les multiples modes de
production dans le domaine de l'économie nationale, nous soutiendrons
l'entreprise privée en lui accordant les possibilités
nécessaires au développement de la production et des services.
Notre premier souci sera le règlement des
problèmes alimentaires et locatifs. Toutes les forces disponibles seront
mobilisées pour satisfaire ces besoins vitaux du peuple.
Nous appelons les ouvriers, les paysans, les
travailleurs intellectuels, tous les soviétiques à
rétablir, dans les plus brefs délais, la discipline au travail et
l'ordre, à relever le niveau de la production pour aller
résolument de l'avant. Notre vie, l'avenir de nos enfants et de nos
petits-enfants, l'avenir de notre patrie en dépendent.
Nous sommes un pays épris de paix et nous nous
engageons à respecter scrupuleusement tous nos engagements. Nous n'avons
aucune prétention à l'égard de quiconque. Nous voulons
vivre avec tous dans la paix et de l'amitié. Mais nous déclarons
fermement que personne ne sera jamais autorisé à attenter
à notre souveraineté, à notre indépendance et notre
intégrité territoriale. On coupera énergiquement court
à toute tentative de parler à notre pays en termes de diktat,
d'où que cela vienne.
Des siècles de rang, notre peuple multinational
a vécu, fier de sa patrie, nous n'avions pas hontes de nos sentiments
patriotiques, et nous estimons naturel et légitime d'élever dans
cet esprit les générations présentes et à venir de
notre grande puissance.
Ne rien faire en cette heure critique pour les
destinées de notre patrie signifierait endosser une
responsabilité lourde de conséquences tragiques, vraiment
imprévisibles. Quiconque chérit sa patrie, veut vivre et
travailler dans la sérénité et la certitude, ne veut plus
que se poursuivent les conflits interethniques, voit son avenir dans une patrie
indépendante et prospère, doit faire le choix juste. Nous
appelons tous les vrais patriotes, les gens de bonne volonté à
mettre fin à cette période trouble.
Nous appelons tous les citoyens de l'Union
Soviétique à prendre conscience leur devoir vis-à-vis de
la patrie et à apporter tout le soutien nécessaire du
Comité d'Etat pour l'Etat d'Urgence et aux efforts entrepris pour le
pays de la crise.
Les propositions constructives provenant des
organisations politiques et sociales, des collectifs de travailleurs et des
citoyens seront acceptées avec reconnaissance en tant que manifestation
de leur volonté patriotique agir énergiquement afin de
rétablir l'amitié séculaire au sein de la famille unie des
peuples frères, et de faire renaître la patrie.
Le Comité
d'Etat pour l'Etat d'Urgence en URSS
Source : histoire secrète d'un coup d'Etat,
PP.276-280
RESOLUTION DU COMITE D'ETAT POUR L'ETAT
D'URGENCE EN URSS
Afin de défendre les
intérêts vitaux des peuples et des citoyens de l'Union des RSS,
l'indépendance et l'intégrité territoriale du pays, de
rétablir la légalité et l'ordre légal, de
stabiliser la situation, de surmonter la très grave crise, et de ne pas
laisser s'installer le chao, l'anarchie et une guerre civile fratricide, le
Comité d'Etat pour l'Etat d'Urgence décide que :
1-Tous les organes du pouvoir et l'administration de
l'URSS, des républiques fédérées et autonomes, des
territoires, des districts, des villes, des régions, des
localités, et des villages garantissent le strict respect du
régime de l' l'Etat d'Urgence conformément à la Loi de
l'Union des RSS « Sur le régime juridique de l'Etat
d'Urgence» et aux résolutions du Comité d'Etat pour l'Etat
d'Urgence en URSS. En cas d'incapacité à garantir
l'exécution de ce régime, les pleins pouvoirs des organes du
pouvoir et l'administration correspondants sont suspendus et l'exercice de
leurs fonctions est confié à des personnes spécialement
mandatées par le Comité d'Etat pour l'Etat d'Urgence en URSS.
2-Les structures du pouvoir et de l'administration, les
formations paramilitaires agissant au mépris de la Constitution et des
lois de l'URSS sont dissoutes immédiatement sans délai.
3-Les lois et les décisions des organes du
pouvoir et de l'administration contrevenant à la Constitution et aux
lois de l'URSS sont dorénavant considérées comme nulles et
non avenues.
4-L'activité des partis politiques, des
organisations sociales et des mouvements de masse empêchant la
normalisation de la situation est suspendue.
5- Dans la mesure où le Comité d'Etat pour
l'Etat d'Urgence en URSS prend provisoirement en charge les fonctions du
Conseil de sécurité de l'URSS, l'activité de ce dernier
est suspendue.
6- Les citoyens, établissements et organisations
sont tenus de remettre immédiatement toutes les armes à feu,
munitions, explosifs, matériel et équipements militaires qu'ils
détiennent illégalement. Le Ministère de la Défense
de l'URSS, le Ministère de l'Intérieur et le KGB garantissent la
stricte application de cette exigence. En cas de refus, il faut confisquer ce
matériel par contrainte et engager une responsabilité
pénale et administrative sévère à l'encontre des
contrevenants.
7-La procurature, le Ministre des Affaires
intérieures, le KGB et le Ministre de la Défense de l'URSS
organisent une interaction efficace des organes juridiques et des forces
armées en vue d'assurer la protection de l'ordre public et la
sécurité de l'Etat, de la société et des citoyens
conformément à la Loi de l'URSS « Sur le
régime de l'Etat d'Urgence » et aux résolutions du
Comité d'Etat pour l'Etat d'Urgence en URSS.
8-Les meetings, les défilés de rue, les
manifestations ainsi que les grèves sont interdits.
En cas de nécessité, il faut
décréter le couvre-feu, effectuer des patrouilles sur le
territoire, effectuer des contrôles, prendre des mesures pour renforcer
le régime frontalier et douanier.
Il faut placer sous contrôle et, si
nécessaire, sous protection, les principaux ouvrages de l'Etat et les
principaux ouvrages économiques, ainsi que les systèmes de
survie.
Il faut barrer résolument la route à la
diffusion de rumeurs provocatrices, aux actes de natures à provoquer des
violations de l'ordre légal et attiser la haine interethnique, ainsi
qu'à l'insoumission aux fonctionnaires qui assurent le respect du
régime de l'Etat d'Urgence.
Il faut établir un contrôle sur les grands
moyens d'information, en chargeant un organisme spécialement mis en
place auprès du Comité d'Etat pour l'Etat d'Urgence en URSS de
veiller à son application.
9-Les organes du pouvoir et de l'administration, les
dirigeants des établissements et des administrations prennent les
mesures pour renforcer l'organisation, rétablir l'ordre et la discipline
dans tous les domaines de la vie sociale. Ils assurent le fonctionnement normal
de toutes les entreprises dans tous les secteurs de l'économie sociale,
appliquent rigoureusement les mesures destinées à
préserver et à rétablir, durant la période de
stabilisation, les liens verticaux et horizontaux entre les sujets
économiques sur l'ensemble du territoire de l'URSS, font respecter
scrupuleusement les plans établis de productions, de livraisons de
matières premières, de matériaux et composants.
Il faut instaurer et maintenir un régime
d'économie rigoureuse des moyens matériels et techniques ainsi
que des devises, élaborer et mettre en oeuvre des mesures
concrètes pour lutter contre l'incurie et le gaspillage des biens du
peuple.
Il faut lutter énergiquement contre
l'économie parallèle, appliquer invariablement des mesures de
responsabilité pénale et administrative dans les cas de
corruption, de viol, de spéculation, de refus frauduleux de vente,
d'incurie et dans tout autre cas de crime économique.
Il faut réunir les conditions susceptibles
d'accroître l'apport réel de toutes les réformes
d'entreprises, développés en conformité avec les lois de
l'Union des RSS, potentiel économique du pays et à la garantie de
besoins vitaux de la population.
10- Il faut considérer comme incompatible le
cumul de fonctions permanentes au sein des structures du pouvoir et de
l'administration avec les activités d'entreprise.
11-Le cabinet des ministres de l'URSS procède,
dans un délai d'une semaine, à l'inventaire de toutes les
ressources alimentaires et articles industriels de première
nécessité disponible et informe le peuple des biens dont dispose
le pays. Il établit un contrôle extrêmement strict afin d'en
assurer la protection et la distribution.
Il faut lever toutes les restrictions faisant obstacle
à l'acheminement sur le territoire de l'URSS des denrées
alimentaires et des produits de consommation courante, ainsi que des
matières premières nécessaires à leur production.
L'application de cette disposition fera l'objet d'un contrôle
rigoureux.
Une attention particulière sera accordée
au ravitaillement en priorité des crèches, jardins d'enfants,
orphelinats, établissements scolaires et universitaires, hôpitaux,
ainsi que des retraités et invalides.
Des propositions seront faites, dans un délai
d'une semaine, concernant le réajustement, le gel et la réduction
des prix de certains produits alimentaires et industriels, en premier lieu des
aliments pour enfants, des services courants et de la restauration publique,
concernant également l'augmentation des salaires, retraites, allocations
et compensations versés aux différentes catégories de la
population.
Il faut dans un délai de quinze jours
élaborer des mesures concernant le réajustement des salaires des
dirigeants de tous niveaux travaillant dans l'administration, les
établissements publics, les coopératives et autres entreprises et
sociétés.
12-Compte tenu de la situation critique de la
récolte et la menace de faim, des mesures exceptionnelles seront
adoptées en vue d'organiser le stockage et la transformation des
produits agricoles. Il faut accorder aux agriculteurs toute l'aide possible en
machines, pièces de rechanges, carburants et lubrifiants, etc. Il faut
assurer dans l'immédiat l'envoi à la campagne, en
quantités suffisantes, d'ouvriers et employés des entreprises et
sociétés, d'étudiants et de soldats.
13-Le cabinet des ministres de l'URSS élabore,
dans un délai d'une semaine, un arrêté prévoyant
l'octroi en 1991-1992 à tous les citadins qui le souhaitent des lopins
de 0,15 ha pour entretenir un jardin ou un potager.
14- Le Cabinet des ministres de l'URSS s'achève,
dans un délai de quinze jours, l'élaboration de mesures urgentes
pour combattre la crise dans le complexe énergétique et
préparer l'hiver.
15-Pour 1992 des mesures seront élaborées
et communiquées au peuple, dans un délai d'un mois, en vue
d'améliorer considérablement la construction de logements et
accroître le parc locatif.
Un programme concret, échelonné sur cinq
ans sera élaboré, dans un délai de six mois,
prévoyant l'accélération de la construction de logements
d'Etat, les coopératives ou les particuliers.
16-Les organes du pouvoir et de l'administration, tant
au centre que localement, accordent la priorité aux besoins sociaux de
la population. Il faut trouver des moyens susceptibles d'améliorer
nettement l'assistance médicale et l'enseignement public gratuit.
Source : histoire
secrète d'un coup d'Etat, PP.282-285
Discours de démission de Mikhaïl
Gorbatchev le
25 décembre 1991
Dans une allocution à la télévision,
Mikhaïl Gorbatchev annonce sa démission. Le lendemain, l'URSS est
formellement dissoute
Chers compatriotes, chers concitoyens.
En raison de la situation qui prévaut
actuellement, je mets fin à mes fonctions de président de l'URSS.
En cette heure difficile, pour moi et pour tout le pays, alors qu'un grand Etat
cesse d'exister, je reste fidèle à mes principes, qui m'ont
inspiré dans la défense de l'idée d'une nouvelle union.
J'ai défendu fermement l'autonomie,
l'indépendance des peuples, la souveraineté des
républiques. Mais je défendais aussi la préservation d'un
Etat de l'Union, l'intégrité du pays. Les
évènements ont pris une tournure différente. La ligne de
démembrement du pays et la dislocation de l'Etat a gagné, ce que
je ne peux accepter car j'y vois de grands dangers pour nos peuples et pour
toute la communauté mondiale. Et après la rencontre d'Alma-Ata,
ma position sur ce sujet n'a pas changé.
Néanmoins, je ferai tout mon possible pour que
les accords qui y ont été signés conduisent à une
entente réelle dans la société et facilitent la sortie de
la crise et le processus des réformes. Je veux encore une fois souligner
que, durant la période de transition, j'ai tout fait de mon
côté pour préserver un contrôle sûr des armes
nucléaires.
M'adressant à vous pour la dernière fois
en qualité de président de l'URSS, j'estime indispensable
d'exprimer mon évaluation du chemin qui a été parcouru
depuis 1985. D'autant qu'il existe sur cette question beaucoup d'opinions
contradictoires, superficielles et non objectives. Le destin a voulu qu'au
moment où j'accédais aux plus hautes fonctions de l'Etat, il
était déjà clair que le pays allait mal. Tout ici est en
abondance : la terre, le pétrole, le gaz, le charbon, les
métaux précieux, d'autres richesses naturelles, sans compter
l'intelligence et les talents que Dieu ne nous a pas comptés, et
pourtant nous vivons bien plus mal que dans les pays développés,
nous prenons toujours plus de retard par rapport à eux.
La raison en était déjà
claire : la société étouffait dans le carcan d'un
système administratif de commande. Condamnée à servir
l'idéologie et à porter le terrible fardeau de la militarisation
à outrance, elle était à la limite du supportable. Toutes
les tentatives de réforme partielle -et nous en avons eu beaucoup- ont
échoué l'une après l'autre. Le pays perdait ses objectifs.
Il n'était plus possible de vivre ainsi. Il fallait tout changer
radicalement.
C'est pourquoi je n'ai pas regretté une seule
fois de ne pas m'être servi du poste de secrétaire
général du Parti communiste de l'Union soviétique
uniquement pour "régner" quelques années. Je l'aurais jugé
irresponsable et amoral.
Je comprenais qu'entamer des réformes d'une telle
envergure et dans une société comme la nôtre était
une oeuvre de la plus haute difficulté et, dans une certaine mesure,
risquée. Mais il n'y avait pas de choix. Aujourd'hui encore je suis
persuadé de la justesse historique des réformes
démocratiques entamées au printemps 1985. Le processus de
renouvellement du pays et de changements radicaux dans la communauté
mondiale s'est avéré beaucoup plus ardu qu'on aurait pu le
supposer. Néanmoins, ce qui a été fait doit être
apprécié à sa juste valeur.
La société a obtenu la liberté,
s'est affranchie politiquement et spirituellement. Et ceci constitue la
conquête principale, encore insuffisamment appréciée, sans
doute parce que nous n'avons pas encore appris à nous en servir. Mais
aussi parce que le chemin de la liberté, que nous avons emprunté
il y a six ans, s'est avéré épineux, incroyablement
difficile et douloureux.
Néanmoins, une oeuvre d'une importance
historique a été accomplie : le système totalitaire,
qui a privé le pays de la possibilité qu'il aurait eue depuis
longtemps de devenir heureux et prospère, a été
liquidé. Une percée a été effectuée sur la
voie des transformations démocratiques. Les élections libres, la
liberté de la presse, les libertés religieuses, des organes de
pouvoir représentatifs et le multipartisme sont devenus une
réalité. Les droits de l'homme sont reconnus comme le principe
suprême. La marche vers une économie multiforme a commencé,
l'égalité de toutes les formes de propriété
s'établit. Dans le cadre de la réforme agraire, la paysannerie a
commencé à renaître, le fermage est apparu, des millions
d'hectares sont distribués aux habitants des villages et des villes. La
liberté économique du producteur est entrée dans la loi,
la liberté d'entreprendre, la privatisation et la constitution de
sociétés par actions ont commencé à prendre forme.
En dirigeant l'économie vers le marché,
il est important de rappeler que le pas est franchi pour le bien de l'individu.
Dans cette époque difficile, tout doit être fait pour sa
protection sociale. Nous vivons dans un nouveau monde : la "guerre froide"
est finie, la menace d'une guerre mondiale est écartée, la course
aux armements et la militarisation insensée qui ont
dénaturé notre économie, notre conscience sociale et notre
morale sont stoppées. Nous nous sommes ouverts au monde, nous avons
renoncé à l'ingérence dans les affaires d'autrui, à
l'utilisation des forces armées en dehors du pays. En réponse,
nous avons obtenu la confiance, la solidarité et le respect.
Nous sommes devenus un des piliers principaux de la
réorganisation de la civilisation contemporaine sur des principes
pacifiques et démocratiques. Les peuples, les nations ont obtenu une
liberté réelle pour choisir la voie de leur
autodétermination. Les efforts pour réformer
démocratiquement l'Etat multinational nous ont conduits tout près
de la conclusion du nouvel accord de l'Union.
Tous ces changements ont provoqué une
énorme tension, et se sont produits dans des conditions de lutte
féroce, sur un fond d'opposition croissante des forces du passé
moribond et réactionnaire, des anciennes structures du parti et de
l'Etat et de l'appareil économique, ainsi que de nos habitudes, de nos
préjugés idéologiques, de notre psychologie nivellatrice
et parasitaire. Ils se sont heurtés à notre intolérance,
au faible niveau de culture politique et à la crainte des changements.
Voilà pourquoi nous avons perdu beaucoup de temps.
L'ancien système s'est écroulé
avant que le nouveau ait pu se mettre en marche. Et la crise de la
société s'est encore aggravée. Je connais le
mécontentement qu'engendre l'actuelle situation difficile, les critiques
aiguës exprimées à l'encontre des autorités à
tous les niveaux et à l'égard de mon action. Mais je voudrais
souligner encore une fois : des changements radicaux, dans un pays si
grand et avec un tel héritage, ne peuvent se dérouler sans
douleur, sans difficultés et sans secousses.
Le putsch d'août a poussé la crise
générale jusqu`à ses limites extrêmes. Le pire dans
la crise est l'effondrement de l'Etat. Et après la rencontre d'Alma-Ata,
je demeure inquiet. Je suis inquiet de la perte pour nos compatriotes de la
citoyenneté d'un grand pays, un fait dont les conséquences
peuvent se révéler très graves pour tous. Conserver les
conquêtes démocratiques de ces dernières années est
pour moi d'une importance vitale. Elles sont le fruit douloureux de notre
histoire. On ne peut y renoncer sous aucun prétexte. Dans le cas
contraire, tous les espoirs d'un avenir meilleur seraient enterrés.
Je parle de tout cela avec honnêteté et
franchise. C'est mon devoir moral. Je veux exprimer ma reconnaissance à
tous les citoyens qui ont soutenu la politique de renouvellement du pays, qui
se sont impliqués dans la mise en oeuvre des réformes
démocratiques. Je suis reconnaissant aux hommes d'Etat,
personnalités de la vie politique et sociale, aux millions d'hommes
à l'étranger, à ceux qui ont compris nos desseins. Les ont
soutenus, sont venus à notre rencontre, pour une coopération
sincère avec nous.
Je quitte mon poste avec inquiétude. Mais aussi
avec espoir, avec la foi en vous, en votre sagesse et en votre force d'esprit.
Nous sommes les héritiers d'une grande civilisation, et, à
présent, il dépend de tous et de chacun qu'elle ne parte pas en
fumée mais renaisse pour notre joie et celle des autres. Je veux de
toute mon âme remercier ceux, qui durant toutes ces années, ont
défendu à mes côtés une cause juste et bonne. Je
suis persuadé que tôt ou tard nos efforts communs porteront des
fruits, et que nos peuples vivront dans une société
démocratique et prospère. Je me démets de mes fonctions de
président.
Je vous souhaite à tous tout le bien possible.
Traduction AFP
Source : www. Colisee.fr
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