2.4. LA QUESTION DE L'ENCLAVEMENT EN ZONES RURALES ET
SES IMPLICATIONS SOCIOCULTURELLES ET ECONOMIQUES.
L'isolement constitue une fermeture spatiale pour la zone
isolée. Il en découle très souvent des situations aussi
diverses que complexes ayant fait l'objet de réflexions de ceux qui
s'intéressent à l'aménagement puis au développement
du monde rural.
A une échelle planétaire, Merlin P. (1991)
trouve que le retard de l'Afrique sur les autres continents dans tous les
domaines peut s'expliquer par l'isolement qui caractérise ses villes et
ses campagnes et que si l'activité agricole est appelée à
s'y développer, autant commencer à doter les bassins de
production des infrastructures qui puissent permettre aux paysans
d'écouler leurs produits sur des marchés pour leur faire gagner
des devises. Toujours dans cette optique, l'on est amené à penser
que les échanges de marchandises et d'hommes ont joué un
rôle planétaire dans le développement des techniques de
production (Gourou P. 1982). On comprend donc avec cet auteur comment les
découvertes en Europe puis celles en Asie profitaient
réciproquement à tous et pourquoi l'Afrique séparée
de ces deux entités précédentes par des côtes
difficiles d'accès et le Sahara est restée en marge de tout
développement. Par-dessus ces considérations économiques,
la prise en compte des retombées culturelles s'avère
nécessaire. Dumont R. (1991) pense que la mise en place des
infrastructures de communication et de télécommunication en
Afrique serait un grand facteur de démocratisation des masses. Il va
plus loin en affirmant que si l'on veut qu'en Afrique les paysans produisent
plus, il faut d'abord leur donner les moyens de transporter leurs produits sur
des marchées de commercialisation en vue de les écouler.
D'ailleurs, Yatombo T. (1994) montre qu'il ne fallait pas plus
qu'un processus de désenclavement pour apporter un dynamisme dans la vie
socio-économique du sous-secteur de Lotogou dans la région des
Savanes au Togo. Ainsi, dit-il, dans la localité
désenclavée en 1988, le nombre de planteurs de coton a connu une
croissance de 88%, le taux de scolarisation est passé de 26 à 53%
entre 1984 et 1991 et le nombre de marchés d'animation hebdomadaire de
03 à 07. Dans cette même veine, Segbor P. (1990) affirme que les
localités situées à proximité d'un réseau
routier fonctionnel important sont appelées à connaître une
animation socio-économique plus intense que celles qui en sont
éloignées. L'animation socioculturelle dont parle Segbor P.
trouve ses manifestions diversifiées selon que l'on soit en milieu
urbain ou rural. Ainsi, en milieu rural, comme l'a montré
Noyouléwa T. A. (2005), les répercussions
de l'enclavement sont de divers ordres. Il s'agit de celles économiques
(raréfaction de la main d'oeuvre et son coût excessif,
difficulté d'approvisionnement en intrants, difficultés
d'accessibilité des marchés, ....), celles sociales (manque
d'unités de santé, absence ou insuffisance de centres de
scolarisation, ...) et de celles culturelles (absence de réseaux
téléphonique, de radio ou de TV,...). Ce dynamisme
économique est aussi perçu à Kpawa où
d'après Tchendié P (1998), les superficies moyennes
exploitées par paysan sont passées de 2,25 à 3,75 ha
grâce au seul fait de la construction sur la rivière Anié
entre ladite localité et Blitta. Dans le même temps, la production
cotonnière a augmenté de 88% entre 1990 et 1999.
Autant dire
que selon que l'on soit en milieu urbain ou rural, les transports passent pour
l'élément premier dans l'ouverture des localités
(Aloko-N'guessan J. 2000). Leur absence contraint le terroir, la ville ou la
région à vivre dans une autarcie productrice d'effets pervers
allant d'une stagnation économique (Doumengue F. 1986) à la
disparition de toute une civilisation (Brisseau-Loazia J. 1975) en passant par
une exclusion des réseaux fonctionnels (Debrie J. et Steck B. 2001).
Dans l'un ou l'autre des cas, l'enclavement est loin de n'être qu'une
absence d'infrastructures comme l'ont montré Cotten A. et Marguerat Y.
(1975) dans leur analyse des réseaux de transport africains à
partir des cas de la Côte d'ivoire et du Cameroun où ces deux
auteurs lient les performances économiques et surtout agricoles
(développement de la culture du café cacao) à une forte
extension du réseau de routes pouvant ouvrir des régions
entières à « la vue du monde
extérieur ». Lombard J. (2005) va plus loin en faisant
usage d'un vocabulaire plus actualisé. En effet, pour étudier
l'état des infrastructures de communication au Sénégal et
afin d'apprécier leur incidence sur la vie des peuples et celle de
l'économie du pays, cet auteur parle de
« continuités, discontinuité et ruptures
territoriales au Sénégal ».
Par ailleurs, à l'échelle de nos petits Etats
indépendants depuis peu, l'enclavement au-delà d'annihiler tout
effort de développement (Noyouléwa T.A. 2005, Raballand G.et Zins
M-J. 2003, Yesguer H. s.d., Yatombo T. 1994) est très souvent source
d'un phénomène nouveau surtout quand il se manifeste dans des
contrées frontalières : il s'agit de l'extraversion de
l'économie. Damdjigle Y. (2000) montre dans son mémoire de
maîtrise comment la quasi inexistence d'un parc auto due à une
absence cruciale des routes à Yembour à l'ouest de la
région des Savanes au Togo a entraîné le
développement d'une économie tournée vers le Ghana. La
manifestation de cet état de fait est que dans la plupart des cas, les
échanges se font en défaveur de la localité la moins
équipée (Noyouléwa 2005, Kéla A. 2001,
Nyawuamé A. 1993, Kofigan E. 2004). En tout état de cause,
lorsque des populations rurales sont confrontées à un
problème de fermeture spatiale, il en découle presque normalement
une exclusion qui, même si elle est morale les détermine à
adopter des mesures adaptatives. La première de ces mesures avions-nous
dit est l'extraversion de l'économie. Il faut donc ajouter qu'à
l'enclavement viennent s'ajouter, pour favoriser ces échanges
transfrontaliers divers facteurs. Il s'agit entre autres du fait que les
frontières nationales ne sont que l'héritage du passé
colonial et ne répondent à aucun critère ethnique. On
remarque très souvent que des peuples entiers ou même des
familles sont divisés par ces frontières comme
présenté par Kéla A. (1993) dans le cas Madjatom dans la
préfecture de la Binah au Togo. A cela peut s'ajouter dans une mesure
l'unité monétaire (l'usage de la même monnaie de part et
d'autre de la frontière) comme évoqué par Noyouléwa
T. A. (2005) ou Abotchi T. (1991) dans le cas de la frontière orientale
du Togo. Cependant la cohésion sociale entre les populations leur permet
dans certains cas comme sur la frontière occidentale togolaise de
surpasser les difficultés qui peuvent émaner de l'utilisation de
devises différentes (Damdjigle Y. 2000 ; Zinsou K. épse
Klassou, 1994).
Au total, toutes les études que nous avons passé
en revue montrent bien comment le fait de l'isolement peut entraîner des
conséquences autant sur la vie des hommes, leurs activités et par
ricochet sur le développement de leur localité. Cela nous
amène à dire qu'au terme de la présentation de la
bibliographie signalétique qui a constitué le soubassement de
l'analyse des écrits que nous avons pu consulter, l'étude de la
question du développement des zones rurales enclavées en Afrique
subsaharienne est loin de n'être qu'une préoccupation personnelle
et nouvelle tant les écrits s'y rapportant sont anciens et pertinents
même s'ils sont peu nombreux. S'il est quasi certain que tout le monde
aborde cette problématique avec une aisance qui fait dire que le
développement et ses nombreuses facettes reste la première
préoccupation des africanistes (Merlin P. 1991), rien n'est moins
évident que de tout ce qui précède il faut pouvoir faire
une synthèse dans le cadre de notre étude. En quoi consiste la
synthèse et l'analyse thématique de la bibliographie se
rapportant à l'appréciation de l'enclavement et des
problèmes de développement dans les zones rurales d'Afrique
subsaharienne ?
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