Université Paris-Descartes Master 2
EPD 2010-2011
Démographie du Burkina Faso :
évolutions, tendances
actuelles, perspectives.
Aurélie PIECHAUD
Introduction
Le Burkina Faso est un pays enclavé situé en
Afrique de l'Ouest. Il partage ses frontières avec six pays : le Mali au
Nord et à l'Ouest, le Niger à l'Est, le Bénin, le Togo, le
Gahna, et la Côte d'Ivoire au Sud. Avec une superficie de 274 200
km2, et une altitude moyenne de 400 m, le Burkina Faso est
principalement constitué de plateaux, de collines, et de vallées
peu profondes (le plus haut sommet, au sud-ouest, culmine à 740 m). Le
climat est tropical, de type soudano-sahélien, avec deux grandes saisons
très contrastées : une saison sèche, entre octobre et
avril, durant laquelle souffle l'harmattan (vent chaud et chargé de
poussière, en provenance du Sahara), et une saison des pluies (avec des
précipitations comprises entre 300 mm et 1200 mm). Si la
pluviométrie est faible d'une façon générale (avec
cependant des variations du simple au quadruple entre le nord et le sud), le
pays présente un réseau hydrographique important, et
particulièrement dense au sud.
Au niveau administratif, le pays est divisé en 45
provinces, elles-mêmes divisées en départements (382). On
dénombre plus de 8000 villages. La population, rurale à plus de
70%, est estimée à 15,7 millions en 2010 [source : INSD], avec un
taux de croissance de l'ordre de 3,4 % entre 2005 et 2010. Ouagadougou, la
capitale, est la ville la plus peuplée du pays, avec plus d'1,4 millions
d'habitants en 2006 [INSD, 2010]. La densité est faible, avec 51,8
habitants/km2 en 2006 au niveau national, mais la population est
inégalement répartie sur le territoire. Ainsi, le quart de la
population environ se concentre dans la région centrale autour de
Ouagadougou, où la densité de population dépasse 600
habitants/km2 dans le département de Kadiogo [source : INSD].
Avec un indice de développement humain de 0,305 en
2010, le pays est classé au 161e rang sur 169. La population vit en
grande majorité du secteur agricole, soumis à des conditions
climatiques difficiles (sécheresse notamment). En 2006, la part de la
population considérée comme pauvre (approche multidimensionnelle
de la pauvreté) était de 40,1 % , et vivait essentiellement en
milieu rural [RGPH 2006].
1/ Histoire démographique du pays depuis un
siècle
Jusqu'au début du 20e siècle, selon les
historiens et ethnologues ayant étudié la région, la
dynamique démographique est marquée par d'importants mouvements
migratoires. « La mobilité a fondamentalement influencé la
genèse et l'évolution des sociétés qui composent le
Burkina Faso actuel. »1. L'absence ou quasi-absence de
barrières naturelles permet la colonisation de tous les espaces, et les
différentes formes économiques rendues possibles (agriculture
itinérante, commerce, pastoralisme transhumant) vont conditionner les
mouvements migratoires. Mais il existe très peu de sources
écrites concernant le Burkina Faso avant la colonisation. Il s'agit pour
l'essentiel des informations rapportées par les missionnaires (nous y
reviendrons un peu plus avant). Par ailleurs, le Burkina Faso n'a pas toujours
été délimité, est-il besoin de le rappeler, par ses
frontières actuelles. D'une part, le pays n'existait pas en tant que tel
avant la colonisation. D'autre part, le territoire du Burkina Faso actuel, a
connu par la suite de nombreux changements de ses frontières et de son
statut administratif2. La région Niger-Volta,
créée en 1897, est rattachée au Soudan français,
une colonie de l'Afrique Occidentale Française (AOF). Deux ans plus
tard, le Soudan français, jugé trop grand, est divisé. Le
territoire du futur Burkina Faso est alors coupé en deux. La partie Nord
est rattachée au premier territoire militaire, et la partie Sud, autour
de Bobo-Dioulasso, au second. La région actuelle de Fada N'gouma fera
partie de la colonie du Dahomey (actuel Bénin), jusqu'en 1907. Vers
1904, considérant que les territoires sont pacifiés,
l'administration procède à leur démilitarisation. La
colonie du Haut-Sénégal et Niger comprend alors, à peu de
choses près, les territoires du Mali et du Burkina actuels. La
région de Dori appartient quant à elle au territoire militaire du
Niger, est n'est rattachée à la colonie voisine qu'en 1909.
Suites aux guerres anticoloniales de 1914-1916 dans la région Vota-Bani,
le territoire subit une nouvelle réogranisation. En 1919, la Haute-Volta
est créée, avec pour Chef-lieu Ouagadougou. Mais de nouveaux
changements interviennent rapidement, et en 1932, la Haute-Volta est
démembrée, et répartie entre
1 Opus cité, p. 6.
2 Kuba Richard, Lentz Carola, Nurukyor Somda (dir.), Histoire du
peuplement et relations interethniques au Burkina Faso, Kathala, p. 8.
les colonies du Niger, du Soudan français, et de la
Côte d'Ivoire. Finalement, la Haute-Volta est rétablie en 1947, et
devient État indépendant le 5 août 1960. Les
différentes peuples qui se trouvent alors sur le territoire sont pour la
première fois regroupées au sein d'un cadre géopolitique
unique. C'est en 1984 que le pays prend le nom de « Burkina Faso »,
qui signifie en Mossi (Burkina) et Bambara (Faso) « pays des hommes
intègres ». De façon simplifiée, on dénombre
actuellement une soixante de groupes ethniques et linguistiques au Burkina
Faso.
Pour avoir des données concernant les naissances,
mariages, décès, et mesurer les mouvements naturels de la
population, la source idéale serait le système d'état
civil (SEC). En Afrique de l'Ouest, l'état civil est importée par
le colonisateur au début du 20e siècle. Mais il ne concerne
à ses début que les citoyens et sujets français
(indigènes ayant changé de statut). Les « indigènes
» peuvent faire enregistrer les faits d'état civil dans des
registres spéciaux, mais n'en ont pas l'obligation. Sans devenir
obligatoire, la pratique est par la suite encouragée, mais la loi ne
précise pas les éléments qui doivent être
notés. Au moment de l'indépendance, le Burkina Faso (encore
Haute-Volta) adopte, à l'instar des autres Etats de l'AOF, son propre
système d'état civil. Mais pour un certain nombre de raisons
(économiques, infrastructures, non-valorisation, etc.), le SEC se
dégrade. La couverture et la complétude des enregistrements est
faible. Et la fonction statistique du SEC n'est pas utilisée. Toutefois,
d'autres méthodes, recensements, enquêtes, vont permettre d'avoir
des informations sur les naissances, mariages et décès. Afin de
palier l'incomplétude des données d'état civil datant de
l'ère coloniale, qui sont de plus dispersées aujourd'hui dans
plusieurs pays (Côte d'Ivoire, Burkina, et France, entre autres),
certains auteurs ont eu recours à d'autres sources, que sont les
registres paroissiaux, tenus par les missionnaires catholiques, qui
enregistraient naissances, mariages et décès. Ainsi, Daniel
Benoît3 montre que dans certains cas (paroisse ancienne,
documents bien conservés, et bien tenus), les registres paroissiaux
constituent une source de données très fiable. Néanmoins,
les données ne concernent pas les non-catholiques, et demeurent aussi
très localisés.
3 Benoît Daniel, Une étude démographique
à partir des registres paroissiaux en pays Gourounsi, Cah. O.R.S.T.O.M.,
série Sc. Humaines, vol. XIII, n°3, 1976 : 297-310.
Des données sur la population à un niveau
national sont disponibles à partir de 1949-1950 (« Population de
Haute-Volta par canton et groupe ethnique », Haut-Commissariat de l'AOF).
Par la suite, plusieurs enquêtes démographiques vont être
menées en 1960-1961 (« Enquête démographique par
sondage en République de Haute-Volta »), 1976, 1984, 1991,
parallèlement aux recensements (1975, 1985, 1996, 2006), et aux EDS
(1993, 1998-99, 2003). Pour le graphique suivant, nous avons utilisé les
estimations des Nations Unies, qui correspondent à peu de choses
près aux données des enquêtes et recensements (les taux des
Nations Unies sont légèrement inférieurs mais la tendance
reste la même), pour observer l'évolution des taux de
natalité et mortalité. Le taux de natalité est calculer en
rapportant le nombre total de naissances vivantes d'une année à
la population moyenne de la même année. Le taux de
mortalité correspond au nombre total de décès survenus au
cours d'une année rapporté à la population moyenne de la
même année.
Evolution de la natalité et de la
mortalité, Burkina Faso, 1950-2010.
Source : Nations Unies.
Ce graphe peut être comparé avec les «
modèles » type de transition démographique établis
par D. Taboutin et B. Schumacher. Le cas du Burkina correspond de façon
très nette au modèle « traditionnel », comme son voisin
le Mali. La mortalité a connu une baisse importante, du fait du
développement des infrasctructures sanitaires, et des apports de la
médecine moderne (vaccination,
chirurgie, accouchements assistés, etc.). La
natalité quant à elle stagne, voire connaît une
augmentation récente. De ce fait, la croissance démographique
augmente.
Selon la théorie de la transition démographique,
c'est par une évolution de la nuptialité que débute la
transition reproductive [Landry 1934, Coale 1967, Chesnais 1986, Tabutin 1995,
Hertrich et Pilon 1997]. La transition de la nuptialité semble
s'effectuer en deux temps : une restriction de la durée de vie en union,
suivie d'une limitation des naissances au sein du mariage. D'après les
travaux de Chesnais [1986], dans les pays d'Afrique où les statistiques
sont bonnes, on observe que le contôle des mariages précède
le contrôle des naissances par les couples. On peut donc
s'intéresser à l'évolution des indicateurs de
nuptialité au Burkina. Précisons que les enquêtes
collectent les données concernant les mariages, qu'il s'agissent du
mariage coutumier, ou civil.
Evolution des indicateurs de nuptialité,
Burkina Faso, 1960-2006.
|
1960
|
1975
|
1985
|
1991
|
1993
|
1996
|
2006
|
Age moyen au premier mariage des hommes
|
26,0
|
27,2
|
26,9
|
27,9
|
nd
|
26,7
|
26,9
|
Age moyen au premier mariage des femmes
|
16,9
|
17,3
|
18,0
|
18,8
|
nd
|
18,7
|
19,6
|
% des hommes mariés polygames
|
38,4
|
32,4
|
36,0
|
38,0
|
34,9
|
33,2
|
28,4
|
Nombre moyen d'épouses par homme polygame
|
nd
|
nd
|
nd
|
2,4
|
2,5
|
2,4
|
2,3
|
|
|
|
|
|
|
|
Sources : INSD, Enquêtes démographiques (1960/61 et
1991), Recensements (1975, 1985, 1996 et 2006) et Enquêtes
démographiques et de santé (1993)
On remarque que l'âge moyen au premier mariage à
peu changé pour les hommes. En revanche, pour les femmes, il a
augmenté de près de 3 ans en moyenne, mais reste inférieur
à celui des pays côtiers (Sénégal, Togo, Côte
d'Ivoire), et l'écart moyen de l'âge au mariage demeure
élevé (7 ans). La polygamie est devenu moins fréquente
aussi. Ceci correspond au fait que beaucoup d'hommes ont migré vers les
villes, et les conditions de vie se sont trouvées être moins
favorables à
ce type de vie maritale. D'autre part, le nombre d'hommes
célibataires a augmenté. Concernant le nombre d'épouses
par homme polygame, il semble n'avoir pas varié. Selon Hertrich et Pilon
qui ont compilé les données sur la nuptialité issues des
enquêtes et recensements de 1960 à 1993, les femmes passent
toujours la plus grande partie de leur vie mariées (entre 84 et 89 % de
la durée de vie). Le temps passé en tant que célibataire
double entre 1960 et 1984. Le temps passée en tant que femme
marié baisse pour ces années là. Ceci semble correspondre
au recul de l'âge au premier mariage. Au Burkina Faso, l'augmentation de
l'âge au mariage n'a pas été suivie d'une augmentation de
l'âge à la première naissance, ni d'une baisse de la
fécondité.
En 2003, d'après EDS, 77% des femmes de plus de 12 ans
étaient en union. 48% des femmes de plus de 12 ans étaient dans
une union de type polygame. Et 19% des femmes âgées de 15 à
49 ans n'avaient jamais été mariées. Difficile de
déterminer, donc, si oui ou non le pays a entamé sa transition de
la nuptialité.
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