TROISIÈME PARTIE : DISCUSSION
Chapitre 1 : Analyse des résultats
1.1. Les relations entre pairs : freins et
accélérateurs de la carrière
Dans les cas que nous avons abordé durant notre
enquête, les relations entre pairs se sont avérées
centrales dans les carrières des enfants. Ces relations de
différentes formes, en qualité et en quantité, ont soit
accéléré ou soit ralenti les carrières des enfants
en situation de rue.
Les pairs agissant comme un frein sur la carrière se
voit au travers de deux cas, celui d'Ahmed et de Tarik. Ahmed est un adolescent
d'un petit village du Nord du Sénégal. A la mort de sa
mère, alors qu'il a 17 ans, son père arrive dans sa vie. Il
raconte son arrivée dans la rue :
Au début j'étais au village à N.,
chez la grand-mère, ma mère est décédée, en
2005 et moi j'étais chez ma grand-mère. Et mon père, que
je n'avais pas connu... Depuis le jour où ma mère est
décédée, après j'étais en troisième
à l'école secondaire à Podor. En faisant la
troisième, récemment, mon père a voulu intervenir dans ma
vie, bon, pour me reconnaître, à l'âge de 17 ans. Il a voulu
me reconnaître. Il m'a téléphoné pour me dire qu'il
est mon père, et bon, moi, ça m'a perturbé et moi j'ai
découragé jusqu'à aller même à échouer
mon examen, et bon je suis resté là-bas au village. J'ai
traîné, je me battais avec les jeunes, les enfants qui me disaient
des calomnies tout ça bon.
Après cet événement qui marque le
début de sa carrière, il va donc habiter chez sa
grand-mère et traîner dans la rue la journée, en compagnie
d'un ami. Cette relation va alors, d'une certaine manière, entretenir la
présence d'Ahmed dans la rue. Cet ami qui comme lui était
désoeuvré lui tenait compagnie la journée. Ce lien prendra
fin lorsque cet ami quittera le village, emmené par son père en
Europe.
[...] lorsque j'étais au village, que je
traînais, je n'allais pas à l'école, lui aussi n'allait pas
à l'école, il avait abandonné les études. Mais lui,
ce n'était pas à cause des problèmes. Il avait
abandonné parce qu'il ne voulait pas. [...] Avec lui, on traînait,
on ne faisait qu'écouter de la musique, fumer, aller de gauche à
droite. Je parlais de mes problèmes, parfois il me conseillait, parfois
moi aussi je le conseillais, mais ça a fini, malheureusement ça
n'a pas duré. Son père l'a amené en Italie et je suis
resté seul.
C'est donc lorsque la relation qu'il a avec son ami a pris fin
qu'il se retrouve seul, avec sa grandmère qui ne peut pas grand chose
pour lui. Il choisira une formule forte pour signifier la solitude qu'il
ressent alors, et que compensait jusque là son amitié :
Je me considérais sans patrie, c'est comme si je
n'avais pas de patrie. Je me considérais
sans famille, sans patrie dans le village. J'étais
seul. Ma grand-mère seule ne me suffisait pas. Je vivais seul.
C'est alors qu'il va formuler un projet d'avenir, en essayant
de quitter le village qu'il considère sans lendemain pour lui. Plus
précisément, c'est le départ de son ami vers l'Europe, et
donc vers un avenir assez prometteur, qui va motiver Ahmed à se
construire son propre futur hors de la rue, et hors du village.
- Donc, c'est au moment où ton ami est parti que tu
as voulu voir avec ton oncle alors... - Oui, je vais essayer de voir avec mon
oncle pour pouvoir moi aussi évoluer. Lui est parti pour apprendre et
travailler. Lui il a réussi, et moi aussi je vais faire quelque chose
pour mon avenir. Si je ne le fais pas, personne le fera pour moi. Je suis seul
: je n'ai pas de frère, ni de mère, ni de père. Ma
grand-mère n'a pas de moyen, pour faire quelque chose pour moi.
Le lien d'amitié a très probablement, dans un
premier temps, entraîné Ahmed dans une sorte de complaisance, lui
procurant une certaine sécurité affective, le laissant dans le
désoeuvrement. La rupture subite de ce lien et l'avenir à priori
prospère de son ami ont alors encouragé Ahmed a prendre les
choses en mains pour s'extraire d'un milieu peu engageant (son village) et peu
propice à la construction d'un avenir viable à ses yeux. Il
redira plusieurs fois son manque d'attache au village et son impression,
laissée après une visite récente à sa
grand-mère, témoigne du bénéfice qu'il semble
apprécier à avoir quitter le village pour se consacrer à
son avenir :
Depuis que je suis revenu, avant hier on m'a
téléphoné, on m'a dit, que il y a encore des gens qu'on a
emmené à la police. Jusque maintenant, ils n'ont pas
arrêté. Mais, je me suis dit que moi, en tous cas je ne suis pas
là-bas. Je n'y peux rien. Bon, en ce moment, là, tout ce que je
vise c'est mon avenir. Au village ils se disputent, ils se battent
encore.
Dans la cas d'Ahmed, la relation avec son ami a certe un
rôle déterminant, mais elle n'est pas le seul
élément d'influence en jeu dans sa carrière. Elle se place
dans un faisceau d'autres facteurs qui vont à des moments
différents dans sa carrière l'aider à se construire un
projet d'avenir. On voit notamment, et nous y reviendrons ensuite plus en
détails, que le rôle des contacts qu'Ahmed a su nouer avec
certains adultes a beaucoup joué pour sa sortie du village. Sa relation
a donc dans un premier temps servit d'attache à Ahmed, puis, dans sa
rupture, elle a créé un événement fort qui a
guidé (assez rapidement) Ahmed vers la fin de sa carrière dans la
rue. Il ne faut pas aussi oublier qu'une des causes du passage dans la rue de
son village reste le manque de ressources, notamment financières, pour
s'extraire de cette condition.
Ce qui m'a fait rester c'est que je n'avais pas de moyen.
Je ne travaillais pas, je n'avais pas d'argent pour me déplacer. Et mon
oncle, pour qu'il me donne de l'argent, c'est trop difficile. En venant, je lui
avais dit que c'est comme ça, moi je vais me débrouiller,
et
après il m'a laissé.
Nous voyons donc l'importance qu'avait ce lien d'amitié
pour Ahmed, notamment au regard de son sentiment de solitude après le
départ de son ami. La force du lien entretenu avec ses pairs marque
également fortement l'histoire de Tarik, ancien talibé, qui a
été placé dans un daara à l'âge de 5 ans.
Moi j'ai commencé la rue à l'âge de
cinq ans. Je viens de Dagana, c'est mon père qui m'a mis dans la rue,
c'est mon père qui m'a mis dans le daara. C'est à dire c'est pas
la rue, c'est les daaras, et c'est nous même qui vont aller dans la rue
pour mendier, trucs comme ça. J'étais à l'âge de
cinq jusque... aujourd'hui j'ai vingt ans. J'ai eu de la chance d'être
adopté quand j'étais encore plus jeune, à l'âge de
quinze ans.
C'est en parlant de sa « famille » que Tarik va
évoquer ses relations entre pairs. Il va dire la force qui l'unit aux
autres enfants talibés de son daara de la façon suivante :
... j'avais des amis dans la rue, mais on était des
frères, pas des amis parce que on fait tout ensemble, depuis tout petit
on a grandi ensemble. On mendiait, on a travaillé un peu, on s'est battu
dans la rue, tout ça.
C'est donc comme des frères qu'il a grandi aux
côtés de ses amis talibés du daara, étant avec eux
du matin au soir, pendant une dizaine d'années. Dans son parcours, on va
voir comment, comme pour Ahmed, les enfants et adolescents talibés vont
le retenir au daara, et donc à sa condition d'enfant en situation de
rue112. C'est particulièrement le cas lorsqu'au début,
il tente sa condition en fuyant le daara.
- Quand tu étais talibés, il y a des moments
où tu voulais rentrer chez toi ? - Oui, beaucoup de moments, parce que,
en fait, quand tu es encore jeune, tu vois, c'est dur, parce que dans le daara,
il faut avoir le courage pour rester là-bas. T'as des jeunes - nous on
étaient les plus jeunes - il y a les plus âgé qui
étaient derrière nous, c'est eux qui nous soutenaient pour pas
retourner. Mais j'ai pris la fuite mais je suis resté à St-Louis,
parce que je savais pas où était le chemin, je savais pas
beaucoup de choses et on m'a attrapé et mis dans le daara. [...] Tous
les enfants étaient là, tous mes potes que j'ai connu au daara
étaient là. Ça m'a empêché [de partir]. Et je
savais que si j'y allais et que je revenais, ça allait être plus
dur, je voulais pas ça. - Je dis quelque chose de juste si je dis :
« tu es resté à Saint-Louis parce que tu avais tes «
frères », comme tu dis, et c'était avec eux que tu te
sentais le mieux peut-être »? - Bon, ça peut jouer, parce
qu'avec eux j'ai évolué, on s'entendait bien, je me sentais
bien.
Deux choses ressortent ici. D'abord, il dit encore une fois son
attachement aux autres enfants de son daara, avec qui il a grandi, et qu'il
considère comme ses frères. Ils constituent en quelque sorte
sa
112Tarik le redit lui-même (« C'est à dire
c'est pas la rue, c'est les daaras, et c'est nous même qui vont aller
dans la rue pour mendier »), et nous l'avons déjà
évoqué (voir notamment page 30), les talibés mendiant ne
vivent pas (forcement) dans la rue, mais la rue occupe une place importante
dans la mesure où ils sont contraints d'y passer une partie non
négligeable du temps.
famille. Telle est l'importance symbolique et affective qu'il
donne à ce groupe. Ensuite, on voit l'importance qu'ont joué les
plus grands talibés dans son parcours. Comme des grands frères,
ils ont encouragé et aidé les plus jeunes. Ils ont donc pris une
part importante dans la socialisation des jeunes talibés. Cette prise de
responsabilité de la part des plus âgés nous était
déjà apparue à plusieurs moments. Une fois nous avons
visité un daara, où en l'absence du marabout, parti pour une
durée indéterminée, les plus anciens donnaient les cours
de Coran aux plus jeunes, gérant également de manière
prépondérante les aspects touchants à la vie quotidienne
(repas, santé, etc). Ce cas démontrait une réelle prise en
charge des plus jeunes par les plus âgées dans tous les aspects de
la vie du daara (sur demande du marabout ou prise d'initiative des plus grands,
nous ne savons pas). Dans un sens beaucoup moins plaisant, nous avons
déjà vu des marabouts envoyer ou s'entourer des plus
âgés de ses talibés pour partir à la recherche (au
centre ou dans la rue) de talibés en fuite afin de les ramener au daara.
Ces exemples illustrent l'influence que peuvent avoir les plus
âgées des talibés sur les plus jeunes, notamment en terme
de socialisation. Ils montrent comment ces relations avec les autres
talibés, quelque soit l'âge, peuvent ancrer les enfants dans leurs
situations de talibés, et donc ralentir la carrière. Dans les cas
d'Ahmed et de Tarik, nous tenons à souligner l'intensité
particulière des liens qui les unis à leurs pairs, et qui vont
agir comme un frein à la sortie de la rue.
Il arrive aussi que les relations entre pairs aillent dans le
sens d'une fin de carrière dans la rue. Nous nous appuyons sur le cas de
Mohamed et de Djiby pour montrer comment ces relations peuvent aider l'enfant
à mettre fin à sa carrière. Mohamed a été
confié par sa mère à un groupe de Baay Fall. Il effectue
pour eux quelques tâches domestiques puis part mendier dans la rue. Il
n'est pas satisfait de sa condition, car il subit des maltraitances de la part
de certains Baay Fall.
C'est ma mère qui m'avait confié aux Baay
Fall. [...] J'étais toujours avec les Baay Fall [...]. Le premier jour
j'étais affecté aux corvées de leur maison, les
tâches domestiques, et après cela, j'allais automatiquement
demander l'aumône dans la rue. [...] ça ne me plaisait pas. [...]
... ils maltraitent les enfants...en les tapant tous les jours. Seulement
ça.
Je me suis confié à mes amis, ils savaient mes
conditions de vie, et eux m'ont parlé de N. E.. Ensuite j'ai
parlé à N. E..
C'est après s'être confié à ses
amis que ces derniers sont allés prévenir du cas de Mohamed
auprès de l'AEMO, qui est ensuite venu le chercher pour le placer au
centre. C'est donc via son réseau de sociabilité que Mohamed a
trouvé une issue à sa situation. On ne sait pas s'il a fait la
demande explicite à ses amis d'en parler à l'AEMO, ou si ce sont
eux, de leurs propre initiative qui sont allés dévoiler le cas de
Mohamed aux services éducatifs, mais on peut affirmer, d'après
ses dires, que sa
situation ne lui convenait pas, et il n'a jamais
cherché à revenir auprès des Baay Fall, ni auprès
de sa famille. Son dossier confirme ses propos. Il décrit un parcours
émaillé de violences et de situations d'exploitation, que ce soit
en famille ou auprès des Baay Fall à qui il était
confié. C'est après une fugue qu'il rencontre un enfant à
qui il se confie, et qui va ensuite l'aider à rentrer en contact avec
l'AEMO.
Djiby, lui, était dans sa famille à Dakar, avant
de la quitter subitement pour aller dans la rue. D'après son dossier, la
situation de sa famille était socialement assez difficile et il devait
accomplir des tâches (ménagères, aller au marché,
s'occuper de ses frères et soeurs). Il endosse donc de grosses
responsabilités alors qu'il n'a qu'une dizaine d'années. Il
semble également être indexé comme voleur de vélo
dans son quartier, et affiche un certaine crainte de son père, qu'il dit
violent parfois (il frappe uniquement lorsqu'il est énervé). Il
raconte son arrivé dans la rue :
Mon séjour dans la rue remonte à longtemps,
mais si je me rappelle bien, on m'avait accusé d'avoir volé un
vélo. Et ma mère m'a dit de ramener le vélo sinon elle
m'amène à la police. C'était des menaces, mais je suis
parti sur ce coup de tête et je suis resté dans la rue.[...]
Auparavant, j'étais fatigué dans la maison et
spécialement, c'est mon père qui rentrait tard le soir, et
à chaque fois qu'il rentrait, il me réveillait pour me faire
faire des commissions et j'avais peur car le quartier est dangereux. Il
m'envoyait à la boutique, et le chemin à traverser était
très dangereux.
Il n'osera pas rentrer chez lui de peur des
représailles de la part de son père, et reviendra devant la porte
de sa maison, sans jamais y rentrer. Son dossier précise qu'à ce
moment là, il a été entraîné par une bande de
jeunes en situation de rue. Il juge le réseau de ses relations dans la
rue de manière ambivalente. Il nous parle de ses relations :
J'avais comme référence quelqu'un de plus
grand que moi, mais que de taille. Il avait de l'argent sur lui, il me payait
le petit déjeuner et c'est celui là qui m'a fait rencontrer M. et
c'est aussi lui qui m'a orienté au Samu Social.[...] Il y avait des
grands aussi mais c'était des fakhmans, qui faisaient le ginz. Il y
avait parmi eu un nommé B. F. qui nous posait pas mal de
problèmes...
On voit donc que parfois, ces relations sont perçues
positivement (en terme de ressources notamment), et d'autres relations (ou
plutôt « fréquentations ») sont perçues comme
dangereuses, ou « à risques ». Il mesure donc l'ambivalence
des contacts qu'il peut trouver. Djiby a en effet identifié certains
dangers de la vie de la rue (ici le ginz avec lequel certains fakhmans qu'il
fréquentait se droguaient). Un autre de ses propos nous montre qu'au
début de son passage dans la rue, ce sont deux de ses connaissances qui
vont le retenir, alors que lui voulait rentrer chez lui, et réclamer
leur aide pour l'aider à retourner dans sa famille.
Moi, je n'avais pas l'habitude d'être dans la rue,
mais c'est N. C. et un autre, qui m'ont convaincu de rester dans la rue, mais
je les avais supplié pour qu'ils m'accompagnent jusque chez moi et c'est
eux qui m'ont convaincu de rester. « On va bien s'occuper de toi ici dans
la rue ». On a pas mal d'activité, c'est les vols et tout
ça.
Dans un premier temps, ce sont ces deux amis qui vont le
convaincre de rester avec eux, en situation de rue. A ce moment là, son
réseau de sociabilité va donc jouer contre sa sortie de la rue,
et freiner sa carrière, car cela va le conduire à poursuivre vers
un long séjour dans la rue. C'est ensuite un autre ami, qui lui
procurait déjà une aide matérielle qui l'a aidé
à trouver le Samu Social. Son arrivée dans cette institution va
être sa porte de sortie de la rue, et donc marquer la fin de sa
carrière dans la rue. Il n'hésitera pas entre son placement et la
rue.
Mon séjour dans la rue à Pikine a pris fin
quand l'ambulance du Samu Social est venue me récupérer. Au
centre, on m'a posé des questions, ils ont fait des recherches
jusqu'à trouver ma mère qui est venue me rendre visite au centre.
Et du coup, je n'ai pas voulu rentrer avec elle et j'ai dit au personnel du
Samu Social que je voulais être dans un centre dans le but d'apprendre un
métier pour travailler. Ils m'ont amené dans un premier temps
dans un centre qui s'appelle « E. » et c'était plein. Ils ne
pouvaient pas me recevoir donc on m'a ramené au Samu Social et je suis
venu jusque la Liane.
... La rue, c'est mauvais.[...] Le Samu Social est mieux car
les gens là-bas sont bien.
Nous avons également rencontré des cas
similaires, où, à l'occasion de rencontres plus fortuites, de
discussions avec d'autres jeunes (pas forcément en situation de rue),
l'enfant sera orienté ou mis en contact avec le centre, et mettra donc
fin à sa carrière dans la rue. C'est le cas de Papis et de Mame,
qui, après une longue fugue et plusieurs jours à se
débrouiller dans la rue, se sont retrouvés dans les rues de
Saint-Louis, et ont rencontré d'autres jeunes qui les orienteront vers
le centre.
Le cas de Hassan nous semble particulier et retenir notre
attention puisqu'il se distingue par une absence presque totale de contacts
avec d'autres jeunes. Il fuguera de la maison de sa tante, dans laquelle il a
été placé par son père, face au climat
défavorable dans lequel il se trouve. Il est toujours affecté aux
tâches ménagères et subit les moqueries des enfants -
apparemment indisciplinés (dixit le dossier de Hassan) - de la
maison.
A force de ruminer ces rancoeurs là, et ne voyant
pas de solution, un bon coup, je ne me souviens pas comment, c'était un
coup de tête, j'en ai eu marre, je suis sorti dans la rue, je n'avais
nulle part où aller...
A son arrivée dans la rue, Hassan ne cherche à
prendre de contact qu'avec des adultes. Ses premières tentatives se
marqueront par des échecs, jusqu'à rencontrer une dame qui
l'aidera. Il dit ne jamais avoir eu d'amis, et le seul contact (qu'il
relate) avec d'autres jeunes sera mal vécu, et donc
sans suite.
Je me suis débrouillé tout seul, je n'ai
jamais eu d'amis...[...] Je voulais dire aussi que j'ai rencontré D., un
éducateur de l'association E., et qu'il m'avait emmené pour les
douches, mais j'ai vraiment été emmerdé là-bas
parce qu'on arrêtait pas de se moquer de moi. A chaque fois, il y avait
des jeunes qui me traitaient de « fakhman, fakhman ! », ce qui me
faisait mal. J'allais jusqu'à me battre sur ces provocations.
Là encore, comme chez sa tante, il était la
cible de moquerie qu'il n'acceptait pas. Nous ne pouvons toutefois pas affirmer
la présence d'un lien entre le traitement qu'il subissait chez sa tante
et l'absence de relations entre pairs une fois dans la rue. Nous observons
simplement que son parcours est parsemé de relations conflictuelles avec
les jeunes de son âge. Jamais, ni dans ses propos, ni dans son dossier,
il n'y a de trace d'un ami, d'un camarade de jeu, d'un enfant proche de lui
dans la rue.
Les relations entre pairs dans la rue ont donc une influence
notable dans les carrières des enfants en situation de rue. Elles
peuvent aller dans le sens d'une sortie de la rue. C'est en effet via un
réseau de connaissances que l'enfant arrive à rentrer en contact
avec une institution et ainsi mettre fin à sa carrière dans la
rue. Aussi, ces relations peuvent agir comme un frein, et dans ce cas,
prolonger leurs carrières. C'est le cas lorsque les relations
nouées sont particulièrement fortes (Ahmed et Tarik), où
lorsque les personnes rencontrées sont les seules figures viables dans
la rue et sont également, dans un premier temps, le (seul) vecteur de
socialisation (Djiby).
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