SECTION 2 : EVIDENCE EMPIRIQUE DE LA RELATION MONNAIE ET
CROISSANCE EN ZONE CEMAC
A la seule lecture des chiffres sur l'évolution de
l'offre de monnaie et de la production, nous ne sommes pas en mesure de
caractériser avec précision la relation qui ressort de ces deux
agrégats. La présente section se propose donc de mener une
étude économétrique de la relation monnaie et croissance
économique en zone CEMAC.
2-1) Choix et spécification du modèle
Il est question dans ici de spécifier le modèle et
les variables avant de décrire la procédure d'estimation.
Présentation du modèle et des
variables
L'économétrie des données de panel prend
en compte à la fois les données individuelles et temporelles, ce
qui permet de mieux appréhender les différents facteurs
susceptibles d'expliquer la croissance et de tenir compte des
spécificités individuelles. Nous utiliserons donc un
modèle de panel et plus précisément un panel dynamique
auquel nous appliquerons la méthode des moments
généralisés (GMM) car elle permet de contrôler les
effets spécifiques individuels et temporels mais aussi de palier au
biais de simultanéité, de causalité inverse et de
variables omises.
Tout d'abord, afin d'avoir une bonne spécification du
modèle, nous allons nous pencher sur les questions de
stationnarité des variables en effectuant des tests de racine unitaire
puis nous effectuerons un test d'autocorrélation des résidus
puisque la méthode des moments généralisés suppose
la quasi-stationnarité des variables de l'équation en niveau et
l'absence d'autocorrélation des résidus. Les résultats
obtenus indiqueront si des tests complémentaires doivent être
menés afin d'expliciter le sens de la relation que nous cherchons
à étudier.
Le modèle empirique à estimer s'inspire de
l'équation de croissance de Barro qui fut utilisée
par Beck, Levine et Loayza (1999).
Comme variables de notre modèle on
a :
- La variable à expliquer qui est la croissance
économique dont l'indicateur est le taux de croissance annuel du produit
intérieur brut (PIB) ;
Et les variables explicatives suivantes :
- La dette publique dont l'indicateur est le taux de
croissance annuel de la dette publique. Cette variable permet de capter
l'influence de l'endettement du gouvernement sur l'activité
économique. C'est une variable importante vu le rôle et le poids
de l'Etat dans les économies en développement de façon
général et dans celles des pays de la CEMAC en particulier.
(DETPUB)
- La masse monétaire au sens large (M2), avec pour
indicateur le taux de croissance annuel de la masse monétaire (M2).
C'est la variable qui prend en compte les effets de la politique
monétaire à travers l'offre de monnaie sur la croissance
économique.
- Les réserves (y compris l'or) qui ont pour indicateur
le taux de croissance annuel du total des réserves (RESERV). Cette
variable permet de tenir compte des effets des avoirs extérieurs des
Etats sur l'évolution de l'activité économique. En outre
les réserves permettent à la Banque Centrale de garantir la
stabilité externe de la monnaie.
- Le crédit domestique fourni par le secteur bancaire
dont l'indicateur est le pourcentage du crédit domestique dans le PIB
(CREDIT). C'est une variable qui permet d'apprécier le poids du
crédit distribué par le secteur bancaire dans l'évolution
du PIB.
- Les exportations qui ont pour indicateur le taux de
croissance des exportations de biens et services (EXP). Les économies de
la zone CEMAC étant fortement dépendantes de leurs exportations
qui ont un effet positif sur la croissance économique comme le
soulignent Cline (1984), Riedel (1988), et Collombatto (1988). Par
conséquent il est important d'avoir cette variable dans notre
modèle.
- Le taux d'intérêt qui est capté par le taux
débiteur réel des banques (TXDEBT).
Cette variable permet de capter les impulsions de la politique
monétaires sur l'activité économique à travers le
canal du taux d'intérêt. Puisqu'elle dépend du taux
directeur de la Banque Centrale.
- L'investissement privé dont l'indicateur est le taux
de croissance annuel de la formation brute du capital fixe (INVEST). C'est une
variable clef de la croissance économique puisque c'est par elle que
transitent les impulsions de la politique économique pour atteindre la
production, elle doit avoir un fort effet positif sur cette dernière.
Ainsi, le modèle à estimer s'écrit sous la
forme suivante :
lnPIBit =â0it +á lnPIBit-1
+â1it lnDETPUBit + â2it lnM2 it + â3it lnRESERV
it
+ â4it lnCREDIT it + â5it lnEXP
it + â6it lnTXDEBT it + â7it lnINVEST
it +íi+ãt+ J'it
Avec í l'effet spécifique pays, ã l'effet
spécifique temporel et jt le terme d'erreur ; i est l'indice pays et t
l'indice temporel.
Le résumé des variables choisies, les
définitions, les signes attendus et leurs sources sont
présentés dans le tableau ci-dessous :
Tableau 2 : Description des variables,
signes attendus et source des données du modèle 1.
variables
|
Définitions
|
Signes attendus
|
Source
|
ln DETPUB
|
Logarithme du taux de croissance de la dette publique
|
_
|
WDI (2008)23
|
ln INFLA
|
Logarithme du taux d'inflation
|
_
|
WDI (2008)
|
lnM2
|
Logarithme du taux de croissance de la masse monétaire
|
+
|
WDI (2008)
|
ln RESERV
|
Logarithme du taux de croissance des réserves
|
+
|
WDI (2008)
|
ln CREDIT
|
Logarithme du crédit domestique
|
+
|
WDI (2008)
|
ln EXP
|
Logarithme du taux de croissance des exportations
|
+
|
WDI (2008)
|
ln TXDEBT
|
Logarithme du taux débiteur réel des banques
|
_
|
WDI (2008)
|
ln INVEST
|
Logarithme du taux de croissance des investissements
|
+
|
WDI (2008)
|
ln PIB(-1)
|
Logarithme du taux de croissance du PIB retardé d'une
période
|
+
|
WDI (2008)
|
Source : Construit par
l'auteur.
Notre population d'étude est
composée des pays de la zone CEMAC à savoir : le Cameroun, la
RCA, le Congo, le Gabon la Guinée-équatoriale et le Tchad. C'est
un échantillon relativement homogène en ce qui concerne les
caractéristiques de fond telle que le niveau de développement des
pays ou leur situation géographique.
Nos données proviennent essentiellement
de la banque mondiale et des bulletins et statistiques de la BEAC.
Par souci d'homogénéité et pour avoir un
panel cylindré, notre période d'étude ira
de 1986 à 2006. La Guinée-équatoriale intègre la
zone CEMAC en 1985 et c'est à partir de 1986 qu'on dispose de certaines
données concernant ce pays aujourd'hui l'un des moteurs de la croissance
dans la sous-région.
23 CD-ROM du world Development indicators (2008)
Procédure d'estimation
Après avoir présenté le modèle et ses
variables, il est question dans la présente sous section de
présenter la procédure générale d'estimation en
données de panel.
- Test de stationnarité
L'étude de la stationnarité des séries
temporelles est aujourd'hui devenue incontournable dans la pratique
économétrique courante. Ceci est dû au fait que la plupart
des analyses se faisant sur des séries longues subissent des
perturbations d'origine diverses qui tendent à modifier la variance des
données, ce qui biaise parfois les résultats des estimations.
Tout travail empirique débute ainsi par l'étude de la
stationnarité des séries considérées avec
l'application d'un test de racine unitaire et éventuellement de
cointégration.
En effet, si l'on arrive à l'issu du test, à la
conclusion selon laquelle les séries sont stationnaires, on peut
procéder à une estimation de notre modèle tel que
spécifié sans aucune modification. Par contre, s'il
s'avère que les séries ne sont pas stationnaires, l'on doit
procéder à une correction de notre modèle : on passe ainsi
à un modèle à correction d'erreurs. Pour cela, on effectue
un test de cointégration et si l'hypothèse se
cointégration est acceptée, on peut passer à l'estimation
du modèle à correction d'erreur. Le modèle à
correction d'erreurs présente une priorité remarquable qui a
été démontrée par Granger (1983). Un ensemble de
variables cointégrées peut être mis sous forme d'un
modèle à correction d'erreurs dont toutes les variables sont
stationnaires et dont les coefficient peuvent être estimés par les
méthodes économétrique classiques.
Le test de Im-Pesaran-Shin (IPS) effectué avec le
logiciel STATA 9.0 dont les résultats sont présentés en
détail à l'annexe 2, a montré que toutes
nos séries sont stationnaires. Nous pouvons donc procéder
à l'estimation de notre modèle tel que spécifié
sans aucune modification.
- Test de normalité des résidus
Ce test permet de vérifier que les éléments
aléatoires sont distribués selon une loi normale. Cette
hypothèse est justifiée par le théorème central
limite.
Ce caractère aléatoire des erreurs constitue une
hypothèse fondamentale du modèle classique de régression
linéaire. Elle est justifiée par le fait que si les erreurs n'ont
pas un caractère systématique, ceci suppose en outre que le
modèle de régression n'ait pas oublié une variable
explicative importante. C'est cette hypothèse de l'existence d'une loi
de distribution statistique normale autour des vraies valeurs estimées,
qui va permettre de faire les estimations des paramètres du
modèle d'ajustement.
Les hypothèses du test sont les suivantes :
H0 : les résidus suivent une loi normale
H1 : les résidus ne suivent pas une loi normale
La décision est de ne pas rejeter l'hypothèse nulle
si la probabilité du test est inférieure à la valeur lue
sur la table.
Les résultats de ce test présentés en
annexe 3, nous amènent à ne pas rejeter
l'hypothèse nulle et donc à conclure à une distribution
des éléments aléatoires de notre modèle selon une
loi normale.
Une fois ces tests effectués, nous pouvons passer à
une estimation des paramètres de notre modèle
- Résultats de la régression
Le tableau ci-dessous présente les résultats de la
régression du modèle à effets aléatoires selon la
spécification retenue précédemment.
Tableau 3 : Résultats de
l'estimation du Panel dynamique
Dependent Variable: PIB
Method: Least Squares
Date: 10/12/10 Time: 12:47
Sample (adjusted): 1987 2006
Included observations: 20 after adjustments
Variable
|
Coefficient
|
Std. Error t-Statistic
|
Prob.
|
CREDIT
|
-0.473991
|
0.17992 -2.63442
|
0.023223
|
DETPUB
|
0.037552
|
0.05297 0.70885
|
0.493186
|
EXP01
|
0.607243
|
0.32780 3.85249
|
0.090955
|
INVEST
|
0.363777
|
0.32549 3.11766
|
0.287540
|
M2
|
-0.037947
|
0.04755 -2.79746
|
0.441806
|
RESERV
|
-0.071097
|
0.06101 -1.16457
|
0.268825
|
TXDEBT
|
0.529959
|
0.42624 1.24325
|
0.239621
|
PIB(-1)
|
-0.112075
|
0.36989 -2.30299
|
0.767548
|
C
|
-17.76352
|
10.00137 -1.77617
|
0.103345
|
R-squared
|
0.870385
|
Mean dependent var
|
0.929357
|
Adjusted R-squared
|
0.776120
|
S.D. dependent var
|
4.222028
|
S.E. of regression
|
1.997692
|
Akaike info criterion
|
4.524025
|
Sum squared resid
|
43.898506
|
Schwarz criterion
|
4.972104
|
Log likelihood
|
-36.240250
|
Hannan-Quinn criter.
|
4.611494
|
F-statistic
|
9.233373
|
H- Durbin-Watson
|
3.113018
|
Prob(F-statistic)
|
0.000642
|
|
|
source : Construit par l'auteur à
partir de l'observation des résultats sur le logiciel Eviews 6.
Les tests de significativité individuelle
effectués sur les coefficients des variables explicatives du
modèle et présentés en annexe 4 montrent
que les coefficients des variables suivantes sont statistiquement
différent de zéro : lndetpub (5%), lncredit (1%), lninvest (1%)
et lnreserv (1%). Ce test révèle en outre que la variable la plus
contributive à l'explication de l'évolution du PIB est
l'investissement.
Concernant les signes attendus des coefficients estimés
des variables explicatives, le tableau ci-dessous confronte les signes attendus
des variables eu égard à la théorie économique aux
signes obtenus suite à l'estimation des paramètres de notre
modèle.
Tableau 4 : Signes attendus et signes
obtenus des variables explicatives du modèle dynamique
variables
|
Signes attendus
|
Signes obtenus
|
ln DETPUB
|
_
|
_
|
ln INFLA
|
_
|
_
|
lnM2
|
+
|
_
|
ln RESERV
|
+
|
_
|
ln CREDIT
|
+
|
_
|
ln EXP
|
+
|
+
|
ln TXDEBT
|
_
|
+
|
ln INVEST
|
+
|
+
|
Ln PIB (-1)
|
+
|
-
|
source : construit par
l'auteur à partir de l'observation des résultats sur le logiciel
Eviews 6.
Comme prévu, la dette publique et l'inflation affectent
négativement la croissance, tandis que les exportations et les
investissements l'affectent négativement. Mais contrairement à
nos attentes, la masse monétaire, le total des réserves et le
crédit domestique fourni par le secteur bancaire ont un impact
négatif sur l'évolution du PIB, tandis que le taux
d'intérêt débiteur l'affecte négativement.
|