L'enquête des juridictions pénales internationales.( Télécharger le fichier original )par José Tasoki Manzele Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Docteur en droit 2011 |
Première partie : Les acteurs intervenant dans la procédure d'enquêteDe plus en plus, les auteurs qui consacrent leurs études à la gouvernance187(*) et qui la présentent tantôt comme « un mode de gestion d'affaires complexes »188(*), tantôt comme « un processus d'organisation et d'administration des sociétés humaines dans le respect et l'épanouissement des diversités »189(*), mettent un accent particulier sur les acteurs et les pouvoirs en tant que constituants fondamentaux de la gouvernance. Les acteurs se déploient activement, à divers titres, de manière significative et légitime, pour la production des normes juridiques du domaine dans lequel ils agissent ou pour la participation à la vie ou au bon fonctionnement dudit domaine. La gouvernance, qui n'est pourtant pas loin du gouvernement190(*) et qui s'inscrit dans cette quête permanente de meilleurs systèmes de gestion des hommes et des ressources191(*), intervient donc à ce niveau pour réguler le degré d'intervention ou de participation des acteurs, en attribuant à chacun d'eux des compétences appropriées ou en assurant plus ou moins bien un équilibre de leurs fonctions. Car, en effet, l'enjeu final des acteurs est de savoir ou de pouvoir décider autant que d'agir au bon moment et en temps réel. D'où, l'existence d'un lien naturellement indissociable entre les acteurs et les décisions ou, précisément, entre les acteurs et les pouvoirs. Acteurs et pouvoirs, tel est l'objet de cette première partie. Il s'agit précisément dans le contexte de la justice pénale internationale d'examiner la gouvernance de l'enquête, c'est-à-dire d'apprécier le degré de répartition des pouvoirs entre les acteurs qui prennent part, directement ou indirectement, à la procédure d'enquête, de mise en réseau desdits pouvoirs ainsi que des interactions qui en résultent, non sans relever les inconvénients que ces interactions suscitent ou génèrent, lesquels compromettent parfois la mise en oeuvre de l'enquête.
Deux acteurs principaux interviennent dans la gestion ou la gouvernance de la procédure d'enquête des juridictions pénales internationales. Il s'agit du Procureur et du Juge. Ce sont des acteurs intégrés des juridictions pénales internationales. Le Procureur y apparaît en organe moteur ou en maître d'oeuvre (Titre 1er). De ce constat, il résulte que, du dehors, la visibilité du Procureur est beaucoup plus exprimée que celle du Juge. Pourtant, du dedans, le Juge agit en limitant les ardeurs du Procureur par l'autorisation ou la validation des actes que ce dernier accomplit pendant l'enquête. Par ailleurs, autour de ces acteurs principaux en gravitent d'autres, précisément les Etats et le Conseil de sécurité que nous avons retenus dans cette étude. Politiques par leur nature juridique, ces acteurs ne sont pas intégrés aux juridictions pénales internationales. A cet effet, ils sont beaucoup plus autonomes dans leur fonctionnement que le Procureur et le Juge. L'émergence de ces acteurs, qui s'ajoute aux pouvoirs du Juge, est venue consacrer des limitations aux pouvoirs du Procureur. Elle participe de la régulation de l'enquête du Procureur, peut-être aussi de son étouffement, sa neutralisation ou son anéantissement (Titre 2ème). Tels sont les différents versants qui constituent les différentes parties de la présente partie. Titre I : Le Procureur, maître d'oeuvre de l'enquête
Il ne fait l'ombre d'un doute que l'organe moteur de la justice pénale internationale pendant l'enquête est le Procureur. Unanimement reconnu comme tel, même par la jurisprudence192(*), le Procureur dispose d'un pouvoir discrétionnaire sur les enquêtes à mener ou sur les personnes à accuser193(*), pouvoir que les Statuts et les Règlements de procédure et de preuve fondent sur la liberté d'appréciation qu'ils lui ont reconnue, justifiée du reste par le principe de l'opportunité des poursuites (chapitre 2ème). Dans ce cadre, les Statuts et les Règlements de procédure et de preuve lui ont attribué une fonction essentielle pendant l'enquête, celle de rassembler les informations et les éléments de preuve du ou des crimes allégués (chapitre 1er). * 187 HERMET Guy, KAZANCIGIL Ali et PRUD'HOMME Jean-François, La gouvernance. Un concept et ses applications, Paris, Karthala, 2005, 228 pages ; Moreau DEFARGES Philippe, La gouvernance, Paris, Que sais-je ?, 3ème éd., PUF, 127 pages ; GRAZ Jean-Christophe, La gouvernance de la mondialisation, Paris, la Découverte, 2008, 122 pages. * 188 HERMET Guy, KAZANCIGIL Ali et PRUD'HOMME Jean-François, op. cit, p. 8. * 189 DEFARGES Philippe Moreau, op. cit, p. 6. * 190 JACQUET Pierre, PISANI-FERRY Jean et TUBIANA Laurence, Gouvernance mondiale, Paris, CAE, La Documentation française, 2002, p. 12. * 191 DEFARGES Philippe Moreau, op. cit, p. 7. * 192 Par exemple, T.P.I.Y, App., IT-96-21-A, le Procureur c/ Zdravko MUCIC et csrts (camp Celebici), 20 février 2001, §§ 602 et 603, voir supra, p. 20, note 113. * 193 Art. 18, Statut du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ; art. 15 et 53, Statut de Rome. |
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