PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE
CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE DE
L'ÉTUDE
Il est question dans ce chapitre de poser le problème,
formuler la question de recherche, présenter les objectifs et les
intérêts de l'étude, délimiter l'étude et
définir les concepts clés.
I.1. CONTEXTE DE L'ÉTUDE
Le Cameroun est l'un des pays africains confrontés
à la réalité du multilinguisme. Avec plus de 14 millions
d'habitants, il compte environ 283 langues locales. Celles-ci sont en contact
avec deux langues européennes exogènes, héritées de
l'époque coloniale : le français et l'anglais
(Grimes, 2005). Aujourd'hui, cette richesse linguistique et
culturelle semble être en danger de disparition. D'après Ngalasso
(2006 : e-texte), « le phénomène de
mondialisation constitue une menace pour les pays africains sur plusieurs
plans. » Sur le plan linguistique, « les
langues et les cultures africaines sont susceptibles d'être
phagocytées par celles des pays riches, et partant, elles sont
condamnées à disparaître » (Ngalasso,
op.cit.).
Comme tout pays en voie de développement, le Cameroun
connaît aujourd'hui une urbanisation galopante qui provoque un exode
rural massif des membres de communautés ethnolinguistiques
variées, originaires des milieux culturels divers vers les
métropoles dans le but soit de trouver un emploi, soit de poursuivre
leurs études. Partant, les écoles, loin d'être
homogènes en ce qui concerne les langues maternelles des
élèves, présentent des mosaïques ethnolinguistiques
de plus en plus complexes. Ainsi les phénomènes de mondialisation
et d'exode rural agissent en concomitance pour mettre en danger les langues
locales. Ce d'autant plus que les langues dites
« officielles » sont les seules langues de scolarisation.
Ceci suscite ainsi un questionnement sur le devenir des langues africaines,
porteuses de cultures, dans ce « rendez-vous, des donner et
des recevoir qu'est la mondialisation » (Ngalasso, op.cit.).
Face à cela, les gouvernements affrontent deux injonctions
contradictoires : « sauver l'extraordinaire
diversité culturelle qu'a créée la diaspora de
l'humanité et, en même temps, nourrir une culture
planétaire commune à tous » (Morin, 1993,
cité par Zouali, 2004 : 34).
Sur le plan international, l'UNESCO en vue de protéger
les langues du monde, patrimoine de l'humanité, recommande aux
responsables des politiques éducatives de prendre à propos des
langues, de la scolarisation et des programmes scolaires, certaines
décisions et relève également qu' « il
est nécessaire de veiller à ce que l'éducation assure
à la fois, et d'une manière équilibrée, la
capacité à employer les langues locales et un accès aux
langues mondiales de communication.» (UNESCO, 2003 : 4)
La politique éducative camerounaise quant à
elle, en adoptant le français et l'anglais comme langues de
communication formelle et donc langues de scolarisation, recommande et
encourage en même temps l'apprentissage et l'utilisation de la langue
maternelle en milieu familial. Dans ces circonstances, on s'attendrait à
ce que tout citoyen normal soit à mesure de parler au moins
deux langues: d'abord sa langue maternelle, et par la suite au moins l'une
des langues officielles qui sera pour lui l'instrument de communication dans
les situations extrafamiliales et administratives. D'ailleurs, selon les
linguistes, la langue maternelle est supposée être la
première langue acquise par l'individu dès le bas âge.
Chomsky (1965, cité par Piatelli-Palmarini 1979 : 53) souligne
qu'elle est une langue qui se développe
« naturellement » par l'interaction verbale, sans
grande intervention de la conscience. Par contre la seconde langue fait appel
à des activités conscientes et à des stratégies
cognitives. De même, on s'attendrait logiquement que chacun aime et parle
sa langue maternelle. Car il existe un attachement personnel ou
émotionnel entre elle et l'individu. C'est ainsi qu'elle est
appelée langue première (Gfeller, 2000).
Cependant, on observe qu'aujourd'hui les individus se
détachent progressivement de leur langue maternelle pour s'attacher
plutôt aux langues secondes. C'est ce que Lambert (1974) appelle
« bilinguisme soustractif». Autrement dit,
l'acquisition de la langue seconde n'est plus complémentaire à
celle de la langue première, mais en relation de compétition avec
celle-ci.
Ainsi, selon certaines prévisions, les langues locales
connaîtront dans les décennies avenir, un sort tragique si rien
n'est fait dans l'immédiat. En ce sens, une étude
réalisée par Person (1980, cité par Ngamassu, 2006)
prévoit l'extinction irrémédiable de l'ensemble des
langues locales au Gabon, dans le sud du Cameroun et en Côte d'Ivoire
pour les années 2030-2040.
Bitjaa Kody, révèle à travers une
enquête quantitative menée en 2000 sur la dynamique des langues
à Yaoundé, que l'usage des langues nationales est en voie de
disparition jusqu'au sein des ménages endogamiques, lieux par excellence
présumés de leur usage. A travers cette étude, les adultes
francophones déclarent qu'en famille, ils utilisent la langue maternelle
dans 52% des situations évoquées contre 42% de temps
d'utilisation du français. Les jeunes de 10 à 17 ans
interrogés dans les mêmes ménages, déclarent qu'ils
utilisent le français à 70% dans les mêmes situations de
communication familiale contre 25% de temps d'utilisation des langues
familiales potentielles. D'autre part, 32% des jeunes de 10 à 17 ans
interrogés dans la ville de Yaoundé ne parlent aucune langue
camerounaise et ont le français comme seule et unique langue de
communication.
Au vu de tout ce qui précède, on peut constater
que le phénomène est important et que les langues locales
seraient réellement vouées à la disparition. Ce
phénomène est particulièrement remarquable chez les
adolescents de la communauté baleng de la ville de Yaoundé.
En observant de près ces derniers, nous avons
constaté qu'effectivement ils parlent de moins en moins leur langue.
Dans la majorité des situations, le français se pose comme
l'outil de communication le plus sollicité ou simplement
préféré. On serait ainsi très admiré par son
entourage si on a un niveau de maîtrise élevé en
français ce qui n'est pas le cas avec la LM. Parmi ces adolescents, on
peut observer une catégorie qui, dans toutes les situations de
communication (famille, amitié, école...) n'emploie que le
français même si leurs parents utilisent couramment la LM. C'est
ainsi que l'on rencontre dans des foyers les enfants qui répondent
toujours en français à leurs parents au cours des conversations.
Pourtant, la parole leur est adressée en LM. Certains n'utilisent que
rarement ou encore jamais la LM hors du cadre familial. Pour d'autres, ce
serait un scandale de parler cette langue en présence d'un
étranger ; ils éprouvent parfois de la honte de dire aux
amis leurs origines ethnolinguistiques. Ceci est parfois un signe de
modernité pour les uns ou une manière de faire la
différence pour les autres. C'est pourquoi le fait de s'exprimer en LM
devient parfois l'objet de railleries. D'où les expressions du genre
« ne faites pas descendre la pluie !» ou
encore « ne nous parlez plus le chinois !» Ceci
montre que les langues maternelles devraient être reléguées
au second plan voire abandonnées.
Si certains parents réagissent parfois contre ce
comportement, d'autres par contre restent indifférents. Car, pour eux,
en ce qui concerne la maîtrise des langues, la priorité devrait
revenir aux langues officielles qui sont un atout pour la réussite
scolaire et sociale de leur progéniture. Il en ressort un
problème d'évaluation en termes d'avantages et
d'inconvénients liés à la maîtrise d'une langue ou
de jugement sur le prestige de celle-ci.
Nombreux sont ceux qui indexent les parents comme responsables
d'un tel phénomène. Certains sociolinguistes à l'instar de
Hamers et Blanc (2000) ont désigné l'environnement social urbain
comme un déterminant crucial du type de bilinguisme à
développer. Ce milieu étant caractérisé par les
contacts de plusieurs langues, il favorise par là, la perte des langues
d'origine des individus. Pour Gardner (2001), l'attitude envers l'apprentissage
et l'utilisation d'une langue serait déterminée par la motivation
de l'individu. Il s'agit pour cet auteur, d'une motivation relative à
l'utilité de la langue ou au besoin d'intégrer le groupe qui la
parle.
Nous avons pensé qu'en psychologie et dans notre
contexte, il serait plus pertinent de prendre en compte plusieurs facteurs pour
expliquer ce phénomène qui s'impose. Ainsi à partir des
faits susmentionnés, nous avons formulé quatre questions de
recherche.
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