à‰thique et pratiques communicationnelles de l' à‰glise Catholique pour la pacification de l'espace public au Burkina Faso( Télécharger le fichier original )par Anicet J. Laurent QUENUM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise en sciences de l 2002 |
2.3.3 La réparation en marcheL'aveu ajouté à la demande et aux regrets faciliteront la mise en oeuvre des réparations qui font partie de la démarche humaine pour la réconciliation. Du moins, il faut l'espérer ! Et en fait de réparation, le conseil des ministres en sa session de février 2001, a décidé le déblocage d'une somme de six (06) milliards de FCFA70(*) destinés à l'indemnisation des victimes ou familles des victimes de la violence en politique (meurtres, séquestration, coups et blessures, etc.). Quant au principe même de l'indemnisation, le Conseil oecuménique des Eglises (COE) pense que ce n'est que justice arguant que « les victimes doivent être soutenues dans l'acceptation de leur chagrin, grâce à une attention individuelle ou un soutien de la part d'organisations créées pour eux et par eux. Beaucoup d'entre eux ont perdu non seulement leurs proches mais des moyens d'existence. Certains ont tellement souffert psychiquement et physiquement qu'ils ne peuvent plus pourvoir à leurs besoins »71(*). Dans le Burkina Faso, l'action du fonds d'indemnisation des personnes victimes de la violence politique72(*) permettra de régler différentes situations de violations des droits de l'homme et de donner espoir aux victimes ou aux familles des victimes de telles violations L'acte a été joint à la promesse puisque le processus d'indemnisation est effectif au Burkina Faso depuis le 18 mars 2002. Une information encore confirmée par le premier ministre Ernest Paramanga YONLI dans son discours sur l'état de la nation le 20 mars 2003, en précisant qu'à cette même date, plus de deux milliards trois cent millions (2 300 000 000) de francs CFA ont été versés à plus d'une centaine de victimes ou de familles de victimes de la violence en politique. Pour un régime au pouvoir, ce n'est pas peu, même si c'est par ses oeuvres qu'on apprécie un démocrate. Mais, cela ne suffit guère d'autant qu'on ne peut donner la communion à un homme politique sans l'avoir confessé. De par sa contribution active et déterminante aux travaux du Collège de Sages, et en prenant fait et cause pour la démarche justice, vérité et réconciliation, l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso exprime ainsi sa foi en la contrition, en la repentance et en la perfectibilité de l'homme. 2.3.4 La justice : quelle capacité d'innovation face aux nouveaux défis de la démocratie ?A la différence de la justice classique, celle rendue par les tribunaux, l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso et à travers elle, l'Eglise catholique du Burkina, est plutôt partisane d'un modèle de délibération politique qui ne se contente pas de désigner et de blâmer le coupable, de vouer aux gémonies le fautif ; elle ne se contente pas de renvoyer dos à dos coupables et victimes. Avec l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso, on est tout aussi loin de la fuite en avant Ponce-Pilatiste qui consisterait à se laver les mains devant toute responsabilité d'arbitrage. Elle agit plutôt dans la perspective de la réconciliation qui offre aux protagonistes de la crise, la possibilité de renouer le fil du dialogue au point de se refaire mutuellement confiance. Ce faisant, l'Eglise catholique franchit un pas supplémentaire dans la recherche d'une paix sociale durable. Là où s'arrête le troisième pouvoir, celui des juges, elle poursuit son oeuvre d'apaisement des coeurs, de dialogue et de rapprochement des hommes. L'Eglise catholique marque là un point d'autant plus précieux que seul un élan de réconciliation peut garantir un renouvellement de l'espace public après d'éventuelles épreuves de fracture, de rupture ou d'implosion politique. Autrement dit, la réconciliation, grâce à la possibilité qu'elle offre de colmater les brèches de la discorde crée les conditions favorables à la réconciliation ou à la recomposition d'un espace public qui aurait été désagrégé par des affrontements socio-politiques. Dans le cas du Burkina, les Burkinabès en étaient arrivés à un point tel qu'ils avaient besoin d'un nouveau souffle, d'une nouvelle éthique pour continuer à vivre ensemble en tournant le dos à la rancoeur et au bellicisme, sachant que la haine poussée à un certain seuil est destructeur pour une nation, paralysant pour son développement. Ainsi, la différence entre l'approche classique de la justice et celle de l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso est que la première estime avoir terminé sa mission dès lors que le droit a été dit et que les sentences sont tombées tandis que la seconde considère le processus inachevé aussi longtemps que les protagonistes d'un conflit ne se sont pas pardonnés et réconciliés. Consciente de ce que la manifestation de la vérité et de la justice ne suffit pas à rompre le cycle de l'adversité ; consciente aussi de ce que une condamnation pénale peut maintenir en veilleuse voire exacerber des ressentiments et les velléités de vengeance, l'Eglise catholique plaide plutôt pour le pardon. Un pardon mutuel qui requiert autant de courage et de magnanimité de la part de ceux qui sont meurtris que du coté de ceux qui ont offensé. Un pardon qui n'a vraiment un sens que si l'offensé est suffisamment convaincu de la sincérité de la contrition de l'offenseur. Car, le pardon aux yeux de l'Eglise et auquel adhère en pratique l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso n'a rien de commun avec une résignation ou une abdication feinte parce que, imposée par un rapport inégal ou par un verdict sans appel de la Cour suprême ou de la Cour constitutionnelle comme cela est le cas dans nombre de pays africains73(*). A l'épreuve, ces juridictions ont plus vocation à s'illustrer dans des opérations d'arbitrage politique que dans des efforts de pacification entre différents acteurs de la vie socio-politique. Ce qui offre à l'Eglise catholique, un réel champ de médiation pour combler le vide causé par l'absence d'espaces publics aptes à susciter et à modérer un dialogue social horizontal entre le politique et le citoyen dans un esprit plus communautaire, sous une forme souple et conviviale et intégrant les valeurs de pardon et de réconciliation . Une approche qui rappelle à peu de choses près, la fameuse tradition de « l'arbre à palabres » dont de nombreux africains sont si nostalgiques. Même si, en revanche, certains la trouve passée de saison, comme le souligne ici Léo HAMO : « ...les structures traditionnelles africaines, et notamment les conseils des anciens seront d'un maigre recours, car, ces structures traditionnelles administraient des sociétés qui ne bougeaient guère, des sociétés immobiles. La société archaïque, c'est une société où les anciens, par leurs expériences remontant à quelques dizaines d'années, peuvent trancher des questions nouvelles qui se posent, car il n'y avait pas alors de questions vraiment nouvelles. Mais aujourd'hui, l'Afrique est en plein mouvement, elle aura de plus en plus des questions nouvelles, et les structures conservatrices anciennes lui seront d'un faible secours à côté de la nécessité de perpétuelle invention pour faire face a des défis nouveaux »74(*). Certes, la démocratie a pour fondement le droit. Mais certaines situations de conflits à l'instar de celui qui a secoué le Burkina Faso en 1999, ne peuvent trouver leur solution dans une pratique rigoriste et conservatrice du droit qui n'est pas souverain en ce qui concerne les processus de pacification de l'espace public. C'est là une réalité qui interpelle les praticiens du droit moderne et cela, aussi bien par rapport à leur tendance à s'inféoder au pourvoir que du point de vue de leur faible capacité à réinventer le droit en s'élèvant au dessus d'un certain conformisme juridique pour adapter le droit à l'évolution des pratiques démocratiques. * 70 Cette somme couvre une période de cinq ans (cf. sidwaya, n° 4722 du vendredi 28 au dimanche 30 mars 2003 * 71 Conseil oecuménique des Eglises/www.www.wcc-coe.org * 72 Le comité de gestion de ce fonds d'indemnisation des personnes victimes de la violence en politique est présidé par un pasteur de l'Eglise protestante burkinabè, en l'occurrence le pasteur Freeman KOMPAORE * 73 L'article 124 de la constitution de la République du Bénin dispose « les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles * 74 L. HAMO, l'Afrique en transition vers le pluralisme politique, éditions Economica, 1993, p. 80 |
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