à‰thique et pratiques communicationnelles de l' à‰glise Catholique pour la pacification de l'espace public au Burkina Faso( Télécharger le fichier original )par Anicet J. Laurent QUENUM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise en sciences de l 2002 |
CHAPITRE IVOCATION CITOYENNE DE L'ARCHIDIOCESE DE BOBO- DIOULASSO. Analyse des prises de position de l'archidiocèse sur certains sujets d'ordre public« Avant la révolution, nous dit l'archevêque de Bobo-Dioulasso, les relations dans cette ville étaient beaucoup plus vraies. La révolution est venue déranger l'ordre des choses et dès cet instant, les choses ne sont plus vraies. Les relations humaines doivent être construites sur cet effort de vérité et cela qui permet l'amour et la justice ». Cet état des lieux des rapports socio- politiques dans la ville de Bobo-Dioulasso interpelle le premier responsable de la communauté catholique quant à son devoir de parole et d'implication dans la vie de la cité. Le propre de l'Eglise étant la circonspection et la rigueur dans le jugement, la voix du clergé de Bobo-Dioulasso passe pour quelque chose de précieux. Elle est d'autant plus précieuse qu'elle ne se fait entendre que lorsque les circonstances l'imposent, au risque d'ailleurs de tomber sous le coup de la vulgarité. Et c'est ce sens du discernement dans la gestion de la parole voire de la communication qui confère à ses propos toute leur crédibilité. Imaginez le discrédit qui couvrirait l'Eglise si ses représentants devaient avoir une opinion à émettre à propos de tout. Signe de maturité, l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso est souvent intervenu en dernière instance, non pas pour juger ou condamner mais bien plus souvent, pour conseiller, rassembler et prêcher le pardon et la concorde. Ses thèmes de prédilection sont avant tout ceux qui défrayent la chronique nationale et qui alimentent des débats publics. Néanmoins, on retiendra une constante autour de sujets liés particulièrement à la paix sociale, au respect des droits de l'Homme, à la Démocratie. Autant de sujets qui interpellent la conscience des hommes d'Eglise et sur lesquels, l'avis du diocèse a souvent été d'un intérêt majeur, même si parfois, cela a nourri de vives controverses et lui a valu des procès de partialité. Qu'il s'agisse là de la rançon de sa vocation citoyenne n'a rien de négatif pour cette composante de la société qui a bien raison de penser que la démocratie ne se fera pas sans elle. Ainsi, de mieux à mieux, l'Eglise sort de sa réserve presbytérale pour assainir et moraliser le débat public, apportant son grain de sel au dialogue national, jouant sa partition dans la construction d'une société juste, unie et démocratique et jouant même, à son corps défendant, les sapeurs-pompiers dans des situations de conflits ethniques et politiques. Tantôt comprise, tantôt incomprise, elle fait tout au moins l'unanimité sur sa fidélité à une communication de paix. Et pourquoi la paix ? Parce que dans un environnement économique assez modeste comme celui de Bobo-Dioulasso, la paix figure parmi les plus grandes richesses du citoyen. Ceux qui ont une fois perdu la jouissance de ce bien précieux, ne serait-ce que le temps d'une journée, en connaissent mieux la valeur. Autrement dit, sans la paix, tout devient rien. Cela pourrait expliquer l'attitude de l'Eglise qui en fait un plaidoyer permanent, sous la dictée ou non des événements. Le moins que l'on puisse dire est que l'Eglise développe depuis quelques années une véritable expertise en matière d'assistance conseil et d'appui communication au profit de régimes politiques ou de groupes sociaux en crise. L'archidiocèse de Bobo-Dioulasso n'est pas en reste, comme en témoignent ces différentes prises de position contenues dans les extraits de lettres pastorales que voici : Agir pour promouvoir la paix sociale (Message de carême 2001 de Mgr Anselme T. SANON) La violence « Vous savez en effet ou vous avez fini par constater le courant de violence qui montait ou se préparait en direction de cette ville54(*). Le tout est maintenant devant nos yeux. Notre cité et même la Province administrative est secouée par des paroles, des actes et des situations de violence. Ces situations et faits ne sauraient laisser personne indifférent. Nul doute sous couvert d'une légalité affichée, sous couvert de convictions inavouées, chacun se sent menacé, par l'autre, en face. Que devant cela, chaque acteur est de bonne foi, et chacun se donne conscience. Les sensibilités sont vives à ce sujet et dans certains cas, elles se trouvent atrocement bafouées, meurtries, humiliées, violemment maltraitées. C'est là qu'il faut voir avec courage et lucidité les failles ou les faillites d'un ensemble social, économique et politique ». Appel à la Sagesse et à l'engagement éthique « vivre ensemble est toujours un problème pour chacun, en famille, en société, dans la vie professionnelle. A chaque niveau, groupes humains, partis politiques, associations et mouvements syndicaux, communautés religieuses, les relations inter-personnelles, inter-culturelles et inter-religieuses soulèvent des difficultés. Mais, il serait dangereux pour l'avenir de la paix, de se montrer incapable d'affronter avec sagesse les problèmes posés... il reste enfin, à la base, l'effort que représente l'engagement éthique de tout être humain, appelé à dépasser son égoïsme et ses limites ». Le chemin du dialogue « Il est urgent de proposer à nouveau la voie du dialogue à notre monde marqué par trop de conflits et de violences, parfois découragé et incapable de scruter l'horizon de l'espérance et de la paix. Le dialogue porte à reconnaitre la richesse et dispose les coeurs à l'acceptation réciproque, au respect réciproque, au respect mutuel de la dignité en vue d'une collaboration authentique. C'est de ce côté-là qu'il faut d'abord regarder pour sortir des injustices et guérir les blessures » La force armée « L'institution de l'armée, dans le respect des citoyens militaires, doit réfléchir avec courage et sagesse les problèmes de son identité et de sa mission, pour sauvegarder en son sein, la cohésion, la discipline et l'unité. En effet, il est difficile de faire confiance au patriotisme d'une armée qui s'engage dans une logique partisane. Il est tout aussi difficile de croire à l'esprit démocratique de partis qui comptent sur l'argument de la force armée pour défendre et soutenir leurs programmes et méthodes politiques. L'armée doit être au service de la nation et non pas d'un parti ou d'un groupe de partis, encore moins d'un individu, sinon elle ne serait plus une armée nationale »55(*). Comment faire baisser les tensions... ? (Extrait du Message de Carême 2002) « ...Les élections présidentielles, puis municipales et maintenant législatives nous interpellent : comment faire baisser les tensions qui affaiblissent nos communautés paroissiales et l'Eglise Famille et comment faire tomber les obstacles géographiques, ethniques, culturels et linguistiques ? Les conflits potentiels sont nombreux : il ne suffit pas uniquement de les désamorcer et de les prévenir, mais il faut également avoir une force de proposition dans la société. Ce que l'Eglise appelle le témoignage (marturia) et la diaconie (diakonia) est sa manière de rendre service au monde. Les chrétiens font ce que font les autres hommes en marquant la différence de qualité et d'esprit. Ainsi, dans les tumultes du monde, il apportera une culture de paix. Dans les débâcles de la mondialisation, une culture d'auto-prise en charge de notre avenir social s'impose... »
A maints égards, cette liberté de ton reflète suffisamment le niveau d'appropriation et d'animation par l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso du débat démocratique. Hélas, là-dessus, les avis sont partagés. D'aucuns soutiennent que l'archidiocèse est bien dans son rôle en prenant ouvertement position sur des questions d'intérêt public. A l'opposé, d'autres lui recommandent d'être plus circonspect en la matière, afin de limiter pour elle, les risques de s'exposer à des procès de partialité. Toujours est-il que ces différentes prises de positions sont assez révélatrices de la capacité d'analyse par l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso de la réalité sociale et politique locale et nationale. Rien que la nature des sujets abordés et qui sont loin d'être les plus ordinaires, constitue un indicateur de l'implication de l'Eglise dans la dynamique du changement. C'est un mérite d'oser dire tout haut ce que tant d'autres acteur et observateurs de la vie citoyenne pensent tout bas. Et c'est un mérite encore plus grand de pouvoir désigner chaque chose par son nom, de pouvoir décrire certains malaises et stigmatiser certains excès sans avoir à s'embarrasser outre mesure de circonlocutions et autres fioritures. Tenez : « les conflits potentiels sont nombreux : il ne suffit pas uniquement de les désamorcer et de les prévenir, mais il faut également avoir une force de proposition dans la société ». Et c'est justement sur ce chantier là aussi qu'est effectivement attendue l'Eglise. Raison pour laquelle et par rapport à toutes ces interpellations en faveur de la paix, on peut encore se demander si l'Eglise est réellement écouté ou simplement entendue ? Manifestement, elle a été très écoutée, du moins pour ce qu'il concerne son implication dans la gestion de la crise politique de ces cinq dernières années au Burkina Faso. Pour un test de crédibilité et de confiance, ce fut vraiment concluant aux yeux de l'opinion publique et comme l'atteste aussi Me Harouna SAWADOGO, bâtonnier de l'Ordre des avocats du Burkina qui relève qu'à l'occasion de cette crise politique, « les forces morales sont les seules envers qui les activistes les plus virulents des droits de l'homme ont su observer une grande retenue au niveau du langage ». Et ce constat, il n'est pas le seul à l'avoir fait puisque Edouard OUEDRAOGO, directeur de publication du quotidien l'Observation lui donne raison en insinuant que « le refus impertinent et frondeur qu'on peut opposer à Blaise COMPAORE, on hésitera plus d'une fois à le manifester dans les mêmes termes à Mgr Anselme SANON »56(*). Cet aspect de débat, loin d'être superflu, révèle encore la complexité de la vocation citoyenne et de la mission pacificatrice de l'Eglise catholique dans la mesure où elle fait courir de grands risques à sa propre honorabilité. Sauf que ces risques représentent peu de choses par rapport à l'enjeu de la réconciliation et au défi d'une conversion effective des esprits à des valeurs de paix, de dialogue, de tolérance, de justice et de bonne gouvernance. Seulement, de ce point de vue, le tout semble t-il, n'est pas d'avoir semé la bonne graine, mais faut il encore l'avoir semé sur la bonne terre pour pouvoir espérer que cet engagement citoyen de l'Eglise catholique aidera à inaugurer un nouveau style de rapports de forces politiques et de gouvernance au sein de la cité. Ou alors, si ce n'est le cas, ne devrait-on pas se mettre à relativiser la capacité de l'Eglise à faire tracter la politique et à fléchir les ardeurs machiavéliques de ceux qui gouvernent ? Il y a là matière à introspection pour l'Eglise elle-même qui, chaque jour, s'aperçoit au gré de l'actualité nationale et internationale, à quel point la courbe de la violence dans le monde est très peu influencée par sa croisade quotidienne en faveur de l'amour, de la justice, de la démocratie et de la paix. Quoiqu'il en soit, force est de souligner que face à la violence politique en l'occurrence, la communication de l'Eglise, ainsi que l'enseigne la Bible, n'a guère pour finalité, la mort du pécheur ou du fouteur de trouble, mais plutôt que ce dernier se repentisse et se convertisse. Le prélat congolais (Ex Zaïre) Mgr Laurent MONSENGWO PASINYA rappelait récemment la leçon, soulignant que « la paix du Christ est un pécheur pardonné qui n'ose pas jeter la pierre au fauteur de troubles et de conflit, mais qui se fait artisan de paix et de réconciliation par un effort de médiation au-dessus des parties en conflit »57(*). Rien de surprenant alors que l'Archevêque de Bobo-Dioulasso, interrogé sur ce que doit être l'attitude de l'opinion publique face au pécheur n'ait pas trouvé mieux que de recommander ceci « plus une personne s'enfonce dans le mal ou la dictature, plus on devrait prier pour elle ». Ce qu'en dit l'islam ? La communauté musulmane qui représente 35% de la population burkinabé ne dit pas autre chose ; elle qui invoque l'amour du prochain que tout bon croyant doit cultiver. Or, aux yeux des musulmans, seul le pardon peut permettre de cultiver cet amour du prochain qui participe grandement à la paix sociale. C'est un devoir de mémoire que de souligner ici que la communauté musulmane n'est pas restée en marge du processus de pacification de l'espace publique au Burkina Faso. Elle a participé à travers ses représentants aux travaux du Collège des sages58(*) qui est à l'origine de la proposition du triptyque « vérité-justice et réconciliation » comme alternative pour une détente du climat politique et une restauration de la paix au Burkina Faso. Mieux, dans cette conjoncture, les musulmans burkinabé ont agi en pleine conformité avec les textes sacrés de leur religion qui recommande la paix comme étant l'une des plus hautes qualités humaines. A preuve, l'incitation à la paix est partout présent dans le Coran où le mot paix et ses dérivés sont mentionnés cent trente six fois contre le mot guerre. Et à propos du pardon comme gage de paix entre les hommes, la caution de l'Islam est totale puisqu'il enseigne que « quiconque agit mal ou fait du tort à lui-même, puis aussitôt implore d'Allah, le pardon, trouvera Allah le Pardonneur et le Miséricordieux »59(*). * 54 Bobo-Dioulasso en proie à des violences au lendemain de l'élection du nouveau maire Célestin KOUSSOUBE au terme d'un processus électoral controversé qui l'a opposé au maire sortant de l'ethnie Bobo, M. Alfred SANOU (violences ayant coûté la vie à un agent des forces de l'ordre et à un autre citoyen) * 55 Lettre pastorale des Evêques du Burkina, juin 1991,dont l'évêque de Bobo-Dioulasso . Mgr Anselme SANON * 56 La journée nationale de pardon vue par l'Hebdo du Burkina. N°106 * 57 Propos tenus lors de l'Assemblée générale de la conférence épiscopale régionale de l'Afrique de l'Ouest (CERAO) francophone, tenue du 03 au 07 mai à Samaya, à 27 kms au sud de Bamako, au Mali (agence catholique d'information Zénit, éd du 07 février 2003) * 58 Voir infra, pp, 78-79 * 59 Sourate 4, les femmes, versets 106 et 110 |
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