à‰thique et pratiques communicationnelles de l' Eglise catholique pour la pacification de l'espace public au Burkina Faso( Télécharger le fichier original )par Anicet Laurent QUENUM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise en sciences de l'information et de la communication 2003 |
2.5. Les commissions « vérité, justice et réconciliation » en Afrique et en Amérique du Sud : lecture comparative.Dans leur marche vers la démocratie, les peuples de tous les horizons de la planète ont dû affronter, à un moment ou à un autre de leur histoire, l'épreuve de la violence et du difficile arbitrage entre forces sociales / politiques engluées dans des conflits d'intérêts meurtriers. Ainsi, sans être banale, la question des violences politiques au Burkina Faso n'a rien d'inédit au regard des situations précédemment vécues en Afrique du Sud, sur le continent africain, en Argentine, en Uruguay et au Chili, en Amérique du Sud. L'exemple sud-africain qui demeure une véritable curiosité de l'histoire mérite qu'on s'y attarde quelque peu pour rappeler que c'est à la fin des années 80 que le génie du dialogue et de la réconciliation s'est manifesté dans ce pays que de longues années de haine raciale condamnait à l'impasse. Résolument, les deux forces en présence (le gouvernement de l'apartheid et le mouvement de libération) décident de mettre un terme à l'engrenage militaire pour s'engager dans la voie d'un compromis politique. C'est dans ce contexte qu'est né, au lendemain des élections d'avril 1994, la commission « vérité et réconciliation ». Du coup, il a fallu résoudre l'équation classique en pareille circonstance : comment tourner une page aussi sombre sans situer les responsabilités ? Comment exorciser un passé aussi douloureux sans faire table rase des odieux crimes de l'apartheid ? Pour sa part, le gouvernement sud-africain imagina de proposer l'amnistie aux auteurs de crimes politiques qui feraient volontairement l'aveu de leurs fautes. Et c'est déjà sur ce point précis que divergent les deux approches sud-africaine et burkinabè. La première (sud-africaine) a privilégié l'aveu comme moyen d'éclairage du passé et mode d'accouchement de la vérité, tandis que le modèle burkinabè semble avoir dès le départ, induit une phobie du règlement de comptes et une psychose de la sentence punitive dans la formulation-même du nom de la Commission qui annonce d'emblée la justice comme passage obligé vers la réconciliation. Mieux que les burkinabè, les Sud-africains, ayant compris qu'on ne peut attraper les mouches avec du vinaigre, ont préféré faire appel à la psychologie en incitant d'une part, les acteurs de violences à faire une déposition volontaire et en promettant d'autre part, l'amnistie aux auteurs de délits aux droit de l'Homme en échange de l'aveu complet de leurs actes. C'était aussi, au plan stratégique, un moyen de gagner du temps. Alors que la commission « vérité et réconciliation » sud-africaine semblait se satisfaire d'une réécriture de l'histoire à partir d'un tableau complet de la nature, des causes et de l'ampleur des atteints aux Droits de l'Homme entre 1er mars 1960 et 06 décembre 199388(*), celle du Burkina Faso n'a pas voulu emprunter ce raccourci qui escamoterait le devoir de justice de l'Etat à l'égard des victimes ; même si ce devoir de justice est encore bien théorique. A noter donc la différence de taille à savoir qu'au Burkina Faso, nulle part et à aucun moment, l'alternative de l'amnistie89(*) n'été envisagée par la Commission « vérité, justice et réconciliation ». Toutefois, il ya lieu de remarquer qu'au-delà de ces différences, de conception et de démarches qui, parfois ne sont fondées que sur des nuances lexicales, il apparaît nettement que les deux commissions sud-africaine et burkinabè avaient en commun un idéal de réconciliation. Aujourd'hui, ce modèle alternatif et original de réconciliation a fait beaucoup d'émules et est à l'ordre du jour dans la plupart des pays ayant fait la triste expérience d'une guerre civile, tels que le Rwanda, la Sierra-Léone, l'Argentine, l'ex-Yougoslavie, etc. Seulement, comparaison n'est pas raison, et le cas Rwanda mériterait d'être analysé dans le registre plus particulier d'un génocide où les coupables de tueries massives et programmées n'incarnaient pas forcément l'autorité légitime ou la force de publique. De ce point de vue, l'instauration des tribunaux populaires semble correspondre davantage à une tentative de réponse palliative à la faiblesse structurelle de l'appareil judiciaire qu'à un schéma bien mûri de pacification de l'espace public rwandais. Hors du continent africain, précisément en Argentine, en Uruguay et au Chili par exemple, les commissions « vérité et réconciliation » ont également été expérimentées avec plus ou moins de bonheur. Succédant à de terribles dictatures, des gouvernements démocratiques installés entre 1980 et 1990 ont choisi de ne pas opter pour la loi du talion. Aussi, ont-ils renoncé d'engager des poursuites judiciaires entre leurs prédécesseurs. Ils ont alors eu recours à des amnisties, à des décrets de grâce présidentiels, mais aussi à des dispositifs présentés comme palliatifs de justice : réparations matérielles, mesures symboliques visant à restaurer la dignité des victimes et « commissions de vérité et de réconciliation » chargées à la fois de formuler un récit historique tenant lieu de vérité et de déterminer les circonstances des crimes commis. D'où une similitude ostensible avec la démarche sud-africaine. Il ressort par ailleurs de l'analyse comparative de toutes ces expériences burkinabè, africaine et américaine un détail non négligeable : la place des indemnisations, réparations matérielles ou compensations financières qui apparaissent comme une constante dans le dispositif du pardon et la dynamique de la réconciliation. Comme quoi, un soutien matériel et financier est plus que nécessaire dans une telle entreprise tant pour aider à la reconstruction d'une vie détruite que pour sécuriser et restaurer une certaine dignité humaine. * 88 Des quelques 30.000 victimes ou groupes de victimes qui s'adressèrent à la Commission, 22.000 virent leur requête déclarée légitime. Au total, 28.750 personnes furent reconnues victimes de l'apartheid et 46.698 d'atteinte aux droits humains (enlèvements, torture, tentatives de meurtres, meurtres enregistrés). * 89 Me Hermann YAMEOGO, leader politique burkinabè avait proposé qu'une loi d'amnistie générale soit votée pour absoudre tous les coupables de la violence politique. Il cependant été vivement combattu au sein de l'opinion publique nationale. |
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